Chapitre 21 (Première partie)

PDV Extérieur :

L'Olympe. Domaine des dieux et des héros. Bâti sur le replat sommet de ce colosse de pierre qui, dressé sur son socle, trônait, fier, montagne impératrice infranchissable à quelconque mortel suffisamment tari d'aventure pour oser l'affronter. Le soleil pelletait les nuages, dessinait un cerceau auréolant le lieu divin. Il éclatait ses rayons onéreux sur le marbre, étalait sa flamboyance.

Seule une ombre glissant sur le chemin de pavé pouvait troubler la blancheur des colonnes de marbre.
Seul ses pas audibles et rythmés pouvaient tromper l'étendue du mutisme religieux. L'être encapuchonné négligea les temples majestueux qui se prétendaient à lui, insolent, et se lança là où les dalles s'achevaient. Une caverne à la gueule béante, dentée par le haut par le bas de stalactites et stalagmites, pointus, fourchus. Le chemin de terre rouge qui démarrait un nouveau sentier lapait sa prochaine victime, et le brouillard âcre visible dans le fond simulait une haleine fétide, venimeuse.

La silhouette s'engouffra dans la gorge sans ralentir. Ses lèvres, rare élément discernable sous son long manteau noir qui couvrait l'entièreté de son identité, ne trahissaient ni crainte ni hésitation. Elle ne comptait pas non plus le temps qu'elle mît pour atteindre le fond du tunnel, éclairée par la fluorescence verte de la brume qui la talonnait. Elle avait un but, et aucune distraction ne l'en détournait.

Elle finit par déboucher sur un immense couloir aux murs de granit taillé, pigmés de piliers circulaires gravés de fresques décoratives, servant d'autel à des flammes crépitantes de la même teinte que l'haleine du monstre qui l'avait engloutie. Au sortir de ce couloir, il n'y avait plus rien, plus de lueur, et une atmosphère glacée prit place, comme si toute vie avait quitté ce monde. Le noir infini, prédateur, s'enroulait autour d'elle, la clouait sur place. Soudain, une voix masculine et menaçante résonna, omniprésente, indétectable.

??? : Qui ? Demanda-t-on, tranchant.

La cape de la silhouette se mut, l'air caressant sa peau, comme une présence. En effet, du coin de l'œil, elle crut voir, rien qu'un instant, les ténèbres remuer.

??? : Qui est assez désespéré pour se tenter dans l'effroyable escalade du domaine des dieux... Traverser les temples au risque de réveiller les dieux... Pénétrer dans les tréfonds de l'Enfer...

L'éclair scintillant d'une lame aveugla la jeune fille. Une lame arcquée, perpendiculaire au long manche de bois sec, surgie subrepticement de derrière son dos, lui frôlait le cou, adepte à lui trancher la gorge sur-le-champ. Elle tourna la tête, vit les orbites vides et dents haussées du squelette.

??? : ...Et défier la Mort en personne ?

PDV Lisa :

Je gonflai mes joues, réprimant un pouffement de rire, passai mes doigts sous les rebords de ma capuche et la rabattis en arrière, délivrant ma chevelure hasardeuse et quelque mèches en épi.

Moi : Je t'en prie, Reaper, pas de ça entre nous, c'est moi, d'accord ?

Les iris du Faucheur s'arrondirent à la découverte de mon visage. Il répliqua par un ricanement joyeux et ôta consciencieusement son arme.

Reaper : Lisa ! Je ne t'avais pas reconnue là dessous. Ça te va bien, mais je vais devoir porter plainte pour plagiat de style, tu sais ?

Moi : C'est Ink qui me l'a confectionné, quand je lui ai dit que j'allais te voir. Expliquai-je tout en m'interrogeant sur l'apparence que j'aurais si je portais, comme lui, une longue robe grise aux bas mangés par les mites, une corde épaisse en guise de collier tenant un talisman Gaster blaster et une capuche pointue. Il m'a prévenue qu'il faisait froid ici pour un humain et j'admets qu'il a raison...

Dans l'espoir de me réchauffer un petit peu, je pétrissais frileusement ma chaire de poule, soufflai un nuage de buée qui s'évapora dans la pénombre éminante.

Reaper : Ah oui, c'est vrai qu'on ne s'en rend pas compte avec Pap's vu qu'on est pas très... deuilliet avec ça. S'excusa-t-il. Attends.

Il clapa doublement dans ses mains. Tout à coup les ténèbres déguerpirent, en fuite face aux lumières, qui de leur verrerie jaune et orange s'exhibaient avec plus d'ardeur que les tons vert émeraude de l'entrée. En fait, nous converssions tout bonnement dans la version "Reapertale" de la maison des frères squelettes. Ça valait bien la peine d'avoir eu de la peur dans mon cœur, tiens.

Reaper : Tu resterais bien un petit peu, hein ? On est pas habitué à avoir de la visite tu t'en doutes, alors ça fait du bien quand ça arrive, héhé...

Reaper m'amena au canapé, et sans me laisser en placer une, enchaîna en plaçant ses paumes ouvertes devant lui, tout sourire.

Reaper : Ne bouge pas ! Tu boirais bien quelque chose avant d'y aller, du jus d'orange, j'imagine ? Oui ? Super, je vais vérifier si on en a.

Et il s'en fut dans la cuisine, où je m'y dirigeai prudemment. À chaque pas additionné, l'angle du mur dénonçait un peu plus le manège du squelette. Il farfouillait, ajusté d'un tabouret, les tiroirs vissés au plafond de fond en comble. Prenait un verre, le délaissait, en prenait un autre, et ce quelques minutes durant. De plus près, on ciblait ses mains moites, ses doigts osseux palpants, incertains, grouillant dans la poussière des étagères à couvercle.

Reaper : Tu m'excuseras pour tout à l'heure, hein ? Je m'entraîne à jouer les dieux effrayants, ça fait fuir les touristes. Enfin... Les gens qui ont réussi à arriver jusque là. Tu as sûrement dû emprunter un portail, mais un petit remontant c'est pas la mort, pas vrai ?

Il revint à toute allure, ne prêta pas attention à mon espionnage peu discret, plaça le verre sur la table basse avant de détaler à nouveau.

Reaper : Je vais t'amener des glaçons !

Moi : Arrête de tourner autour du pot Reaper, tu sais pourquoi je suis là.

Un orteil sur le carrelage de la cuisine, il se figea. Positionnée ainsi, son expression m'était voilée par le tissu anthracite, mais je devinais, à sa maxillaire inférieure, qu'il pinçait durement les dents.

Moi : Je l'ai cherché pendant des semaines. Poursuivis-je avec un timbre qui se brisait. Partout, absolument partout. Je... Je n'avais pas envie de venir ici, parce que...j'ai peur de la réponse mais Reaper. Est-ce que...

Je saisis mes coudes, pourtant ce n'était plus à cause du froid. Mes globes humides et brillants le harcelaient, parés à pleurer.

Moi : Est-ce qu'il est ici...?

Le Faucheur vira vers moi d'une lenteur dramatique, difficile à déchiffrer. Crainte, hésitation... Désolement, aussi. Cela bloqua ma respiration. Le temps élargissait ses tics et ses tacs, cadrés à l'horloge de ma gauche, et chaque renouvellement les éloignait un peu plus.

Reaper : ...Non, Lisa. Error n'est pas mort. Lâcha-t-il finalement.

J'étouffai mes larmes dans mes mains, la tension chutée brusquement. Et de très haut. Je devais me laisser tomber sur le canapé. Chevilles tremblantes, murmures inintelligibles, j'écachai mon cœur de mes poings, courbée en avant. Reaper disparut encore, sans rien dire, revint accompagné d'un verre et s'assit à mes côtés.

Reaper : Tiens, bois ça...

Moi : Ça a une drôle de couleur pour un jus d'orange. Reniflai-je lestement, sans m'y attarder.

Reaper : C'est de l'eau-de-vie. Prends, ça s'avale cul sec.

J'acceptai mollement le verre, humai le contenu, grimaçai. Il fallut insister pour que je dévalasse le liquide dans le gosier. Je toussai. Ça brûlait, et je n'avais pas l'habitude. Mais ça faisait du bien.

Moi : Merci... Fis-je d'une voix rauque à cause du picotement qui me montait au nez et de la bouffée de chaleur enveloppante de l'alcool. C'est normal pour le Dieu de la Mort de boire de l'eau-de-vie ?

Reaper : Aussi normal que pour un corps enfant de boire de l'alcool à 35 degrés. Le titre n'est qu'une apparence et l'apparence n'est qu'un titre.

Moi : ...Touchée.

Reaper : Coulé, Bang.

J'essuyai mes cils mouillés, frottai mon nez rougi, et repris :

Moi : Reaper... Je... Je suis prête à faire n'importe quoi. Tu penses... être capable de le retrouver ?

Il ne répondit pas tout de suite, les orbites fuyantes. Je remarquai un léger tic sur ses pommettes, signifiant son embarras.

Reaper : ...Tu sais...Je t'ai dit qu'Error n'était pas mort...Articula-t-il enfin. Mais... Il n'est pas tout à fait vivant non plus. En fait... Je ne ressens son âme vibrer nulle part.

Je hoquetai de stupéfaction. De peur que tous les espoirs qui m'avaient enfin retrouvée ne s'effarouchent tout aussitôt, je me levai en protestation, le mollet heurtant malencontreusement la table basse qui éjecta le verre à moitié vide.

Moi : Mais...! Ce n'est pas possible !!! Tu peux localiser chaque âme existante, vivante ou morte ! Tu DOIS savoir où il est !

Reaper : Lisa calme-toi. Je ne suis pas infaillible.

Sa frustration était désignée par les doigts ployant sous la compression de ses paumes, pourtant il s'évertuait à ne point durcir la voix. Je me doutais qu'étant le Faucheur, celui-ci avait pour quotidien le déchirement et la séparation, la douleur et la souffrance. Le faire culpabiliser ainsi n'avancerait en rien les choses. J'abandonnai donc, non sans que quelques larmes ne s'enfuient. Il tapota ses phalanges sur le bois pétrifié de son arme, signe d'indécision, puis soupira et se redressa à son tour.

Reaper : Mais il y a peut-être un autre moyen... Suis-moi.

Secondé par sa fidèle faux, il me guida hors de sa maison, en direction de la surface olympienne. Nous émergions du souterrain avec la difficulté d'une petite randonnée, à contre sens de la brume qui m'avait auparavant apportée la lumière.

Reaper : Sais-tu ce que deviennent les âmes quand celles-ci trépassent ?

Moi : ...Non. Avouai-je.

Reaper : Et bien... Ce que tu vois cheminer là, est la condensation des vies envolées aujourd'hui.

Il démontra le flux verdâtre se promenant, serpentin. Passant un index, il sépara la brume en deux courants qui se dispersèrent, puis s'éfilèrent pour se réentrelacer plus tard, s'écoulant vers les entrailles de pierre telle une rivière. En s'y attardant, c'est vrai qu'on distinguait des volutes plus claires ou plus obscures s'étirer en filaments, visage hurlant allongé et déformé.

Reaper : Lorsqu'une âme meurt en paix, ses morceaux s'envolent d'eux-même vers le ciel, suivant le chemin pour venir se recueillir ici : au Séjour des Morts. Seulement ce n'est pas le cas de toutes. Souvent elles sont éperdues, apeurées et désorientées. C'est là que j'entre en jeu, afin de les faucher comme il se doit. En revanche les humains sont têtus, et il arrive que les âmes parviennent malgré tout à rester sur Terre ou à outrepasser la mort. Tu devines dans quelle circonstance cela est possible ?

Moi : Le pouvoir du Reset. Répondis-je dans un marmonnement, pas très encline à jouer aux devinettes.

Il acquiesça.

Reaper : Bien des âmes refusent leur destin car elles ont encore quelque chose à accomplir. C'est compliqué de récolter celles-là, elles sont particulièrement teigneuses. Parla la Mort en homme d'expérience.

Moi : Frisk m'a dit... Le Frisk d'Outertale a dit que les esprits qui le protégeaient s'en étaient allés lorsqu'il avait réussi à sauver sa Luna.

Sans doute avaient-ils su véritablement trouver repos de part la certitude que l'adolescent saurait se débrouiller seul, sans bifurquer vers un chemin de haine et de sang.

Reaper : Luna... Soupira la Mort, attendri. Une adorable jeune fille. C'est elle qui m'a convaincu de ne pas faucher ces âmes de force. Car habituellement, Papyrus vient chercher les "six vertus" comme il aime les appeler, à la fin de ce que Ink appelle la "route Pacifiste".

Nous nous présentâmes devant l'un des temples les plus imposants du forum. La grande porte, épaisse et de bois joliment sculpté, se fendit en deux battants lorsque le dieu aplatit sa main sur l'un des motifs élémentaires.

Moi : Pourquoi me dire tout ça ? M'impatientai-je, comme si parler de surcroît de l'univers qui n'était plus mien ne me tapait pas plus sur les nerfs. Qu'est-ce que ça m'apporte ?!

Reaper : Le fait est que les âmes ne vont jamais nulle part sans raison, et que si elles ne séjournent pas dans les enfers, elles sont toujours récupérables. Aussi, j'ai mené ma petite enquête au sujet de celle d'Error. Me révéla-t-il patiemment.

La demeure où nous pénétrâmes n'apparentait en aucun point à ce que laissait présumer l'extérieur. Aucune pierre marbrée aveuglante, pas de lumière éblouissante réclamant sa majesté ; juste un vaste couloir aux nuances nocturnes, aux couleurs si lisses qu'on distinguait à peine les contours du carrelage, et au plafond si haut et si voûté que l'on suggérerait le ciel d'un jour en déclin.

Reaper : Et j'ai beau l'avoir traquée, elle n'est ni égarée, ni volée, ni fusionnée, ni coincée dans l'écran de Sauvegarde. Elle est... Introuvable. Cela dit, s'il existe un artefact ici qui peut t'aider, c'est bien de Miroir.

Moi : Le Miroir ?

Nous nous stoppâmes enfin au bout du corridor, devant une sorte d'écran psychédélique, comme une vitre de magie liquide et mouvante à la manière d'une eau savonneuse. Reaper me prit la main, entrant à reculons dans le fluide plat et rectangulaire.

Reaper : C'est la barrière qui le protège de tout visiteur indésirable. Normalement, seuls des dieux très puissants y ont accès, mais en passant avec moi tu pourras le franchir sans problème.

À ma mine quelque peu récessive, il émit un petit ricanement et ajouta :

Reaper : Ne t'en fais pas, elle ne désintègre que les personnes aux mauvaises intentions.

Je devinais qu'il plaisantait mais sans savoir sur quel sujet. J'y plongeai alors la tête la première, passant, en dépit de mes craintes, de l'autre côté. Soudain, les murs et le sol n'existaient plus. Il n'y avait plus rien, rien excepté une fenêtre à la forme d'une ellipse, où transparaissait un magnifique ciel étoilé.

Reaper : Le Miroir est un artefact très ancien qui s'ouvre sur le noyau même du Multivers. M'exposa-t-il en claquant des doigts. Il connaît chaque monde, chaque futur et passé, de l'univers classique à l'Oméga Timeline, en passant par l'écran de Sauvegarde. Cependant j'ai beau l'avoir consulté, je n'ai pas réussi à trouver Error. Mais peut-être que toi, tu réussiras.

Nous nous retrouvâmes subrepticement téléportés à l'intérieur de ce Miroir, baignant dans l'espace, au milieu du firmament. Je détenais alors une vision panoptique du monde. Mes pupilles dilatées galopaient à 360° degrés, et à toute heure. Tant de temps s'était écoulé depuis que je ne m'étais retrouvée au cœur d'une telle immensité. Je me revoyais, encore toute jeune et impressionnable, à l'intérieur de cette navette spatiale qui avait défailli pour atterrir en catastrophe sur l'Outerground. Mais tout cela était trop lointain à présent.

Non... Pas lointain. Effacé.

Et puis, cela me renvoyait tout autant aux soirées avec mon squelette d'ébène, euphoriques, presque nostalgiques, transportée comme à cet instant, enveloppée dans un tendre velours azurite. Je chassai les deux perles grossissantes au coin des cernes.

Moi : Mais comment... Comment est-ce que je fais ? C'est si grand...

Reaper : Le Miroir peut montrer tout ce que tu désires, si tu sais où regarder. Me prodigua la Mort.

Je me mis donc à fixer chaque étoile une à une, des plus lumineuses aux plus éteintes, chuchotai le poème imparfait que j'avais confié au squelette d'ébène, comptant sur la même sensation de bouffée de chaleur que ce jour-là, où nos esprits avaient paru être en connexion.

Moi : Je ne le vois pas... Bafouillai-je au bout de quelques minutes. Il n'est nulle part...

Reaper : Le Miroir peut tout trouver. Assurait encore le Faucheur. S'il ne figure pas dans les étoiles, alors c'est qu'il doit se trouver dans les Ténèbres. Ne vois-tu pas tout ce qu'il y a autour d'elles ? Ne remarques-tu pas ce noir environnant qui les fait tant briller ?

Je plissai les sourcils, réfléchissant à ses paroles. Toutes ces nuits à contempler les astres... Si éblouie par la couverture céleste ornée de constellations, il est vrai que je n'avais jamais porté attention à la...et bien... Au ciel lui-même. Mais il était si opaque... Si uni... Comment savoir où était Error ? J'insufflai l'air épuré de l'espace dans mes poumons, voûtai les épaules, détendue, regard fermé, priant de toutes mes forces, récitant les rimes.

Il regarde le ciel en même temps que toi.
Il regarde le ciel en même temps que toi.

Je sentais mon corps basculer doucement en arrière, pourtant aucune gravité ne m'élevait le sang jusqu'au crâne. Non, tout était léger, omnipotent, pas de sens ni de règles.

Il regarde le ciel en même temps que toi.
En même temps que toi.

Moi : ...montre-le moi, s'il te plaît... Murmurai-je, à fleur de peau. Je t'en supplie...

Je sentais alors une chaleur se répandre dans mon cœur, mes bronches, ma chair. Un peu pareil qu'avec l'eau-de-vie, mais en plus dolce et vivifiant. Quand je déployai les paupières en grand devant moi, une sorte de brèche avait été ouverte. Reaper écarquillait les orbites, épaté. Error était là. Et tout autour, un noir profond. Il était là, en tout petit, si petit qu'on ne pouvait le reconnaître que grâce à son assemblage de couleurs si particulier. Mais à l'instant même où je tendis la main, l'écran sembla brouiller, comme réglé à une fréquence instable. Bientôt l'image se défigura, et le marionnettiste s'en retrouva indiscernable.

Moi : Error ? Error !? Reaper, qu'est-ce que ça veut dire ?? M'affolai-je alors que la brèche se refermait dans un grésillement sourd.

Le faucheur marqua un temps dans le but de répondre avec affirmation.

Reaper : Ça veut dire qu'il se trouve bien dans les Ténèbres... Mais qu'il est inaccessible.

Moi : Comment ça, inaccessible ?

Jambes croisées, il s'élevait un peu, coinçant la bosse de son pouce entre ses dents.

Reaper : Cela arrive avec les personnes... Qui veulent vraiment se faire oublier. Les Ténèbres... Le "Void", ne se limite pas à un seul et même endroit, dans son cas cela peut très bien se traduire par une forteresse de solitude. Mais c'est étrange que Dream ne te l'ait pas dit.

Moi : Co... Comment ça... ? Il m'a assuré qu'il ne ressentait sa présence nulle part...

Reaper : Ah bon ? S'étonna-t-il avant de froncer les arcades. Pourtant... Les gardiens des sentiments sont censés aller partout dans le Multivers où les émotions sont présentes, même dans le Void. Enfin au moins ressentir leurs émotions en tout cas.

Moi : ...Tu es sûr ?

Reaper : Parfaitement sûr, pourquoi ?

★★★

J'étais de retour au QG des Stars.

Je jetai ma cape chiffonnée d'un côté, mes bottes expulsées à grands coups dans le vide de l'autre, enlevai, à cause de la sueur dûe au contraste thermique, mon tee-shirt blanc, le livrai au sol, montai les marches, la plante des pieds tambourinant les fines plaques de bois, appuyai sur la poignée, déboulai dans ma chambre, fracassante, massacrante. Je créai des cercles, lionne en cage, les muscles bouillants, bandés, à l'affût. Une secousse soudain, doublé d'un grondement sourd traversant mon plancher. Signal que la porte d'entrée s'ouvrait. Je courus hors de la pièce, dévalai les escaliers, fonçai vers le maître des songes fraîchement débarqué du dehors, et enfin, cueillis sa mâchoire avec mon poing, d'une telle force qu'il en fut projeté au sol.

La rage durcissait mes phalanges, seul un faible picotement elles sentirent quant à sa rencontre violente avec la dureté des os de Dream. Ink et Blue aidèrent ce dernier à se relever, déconcertés. Ça va pas la tête qu'est-ce qu'il t'arrive ? qu'ils criaient.

Moi : Tu m'as menti! Feulai-je avec agressivité, la voix partant n'importe comment à cause de la colère et les larmes. Tu m'as dit que tu ne ressentais plus ses émotions nulle part mais en vrai tu sais très bien où il est !!!

Les aisselles soutenues par ses compagnons, il se massait le menton, balbutiait lamentablement, comme s'il avait compris avant même que je ne l'aie boxé. Il s'y attendait, sans doute, il avait déjà ressenti ma négativité. Bien sûr qu'il l'avait ressenti, il le faisait avec les sentiments de tout le monde à travers la sphère, ce con, bien sûr, qu'il était au courant.

Moi : Je... J'ai cru qu'il était mort, moi, bordel...! Pourquoi tu m'as laissé mariner comme ça ?

Ink : Lisa... Se manifesta Ink, confiant le gardien des sentiments positifs à Blue. Si Dream ne l'a pas fait c'est peut-être parce que...

L'expression du peintre se traduisait habituellement par la fiole qu'il avait prise. Il abordait au quotidien un air toujours joyeux, et aujourd'hui ne faisait pas exception. Bien sûr, son rictus tordu au coin de la bouche et la perle de sueur au niveau du temporal attestaient que sa véritable pensée contredisait son émotion plastique, seulement mon énervement me rendait aveugle au-delà des apparences. Et son sourire me sortait par les yeux.

Moi : Que quoi ?? Vas-y, finis ta phrase !

Ink : Enfin, je me demandais juste... Est-ce que ça vaut vraiment le coup de ramener le destructeur ?

Il eut un gloussement étouffé devant mon regard meurtrier. Il s'empressa de boire une autre fiole avant qu'une seconde gifle ne menace de siffler dans l'air.

Ink : Je veux dire... Se reprit-il, plus confus. Il a failli détruire le Multivers... Et il connaît l'emplacement de la Doodlesphère ! Si on le ramène il va...

Moi : Mais il ne l'a pas fait !!! Protestai-je, appuyant chacun de mes mots. Il aurait pu, rien ne l'empêchait mais il a décidé de ne pas le faire ! Comment sait-on ce qu'il pense à présent si on ne vient pas le sauver ?!

Dream et Blue n'avaient pas cillé, désemparés. Hélas pour eux je ne leur laissai pas le bénéfice d'échapper à mon courroux.

Moi : Quoi ? Vous aussi vous pensez qu'il mérite de mourir ? Leur éructai-je.

Blue : Non ! J'ai commencé à beaucoup aimer Error... Contredit sincèrement le guerrier bleu. Je sais qu'il peut devenir meilleur s'il le veut, il y est même parvenu ! Mais... Mais toi aussi je t'aime beaucoup, je ne veux pas qu'il t'arrive du mal !

Moi : Mais de quoi tu...?? M'enquis-je avant de comprendre, déchaînant l'éclair de mes iris sur le concerné.

Le maître des songes tressaillit. Son ami l'avait involontairement dénoncé. Il expira longuement, nuque concave, puis me fit face :

Dream : Lisa, moi aussi je veux qu'Error revienne... Mais... Il est seul et empli d'émotions négatives et...

Je l'ignorai, raidie, les clavicules moulant ma peau, ramassai mon tee-shirt bazardé, l'enfilai, le drapai, paume contre tissu afin de l'aplanir.

Moi : ...Et prisonnier d'un lieu où le temps est indéfinissable, il pourrait bien clamser maintenant ou dans mille ans, je sais, j'ai eu le topo de Reaper.

Oui, Error avait tenté de tous nous tuer, oui, il était dangereux, taré, instable. Mais il était autre chose également. Il était doux, aimant et rêveur. Bien sûr, pauvre fille, peut-on dire, pauvre naïve, tu t'es fait avoir, tu t'es fait rouler dans la farine. Mais le squelette d'ébène avait toujours été sincère dans sa douceur, sincère dans son amour et sincère dans ses rêveries. Et surtout il essayait, malgré toutes ses gaffes et ses maladresses il essayait du mieux qu'il pouvait ! On s'était déjà disputé parce que je n'avais pas su le voir... Et la preuve de tout ça était que s'il avait vraiment été un salopard il aurait tiré sur ce fil. Il aurait tout annihilé. Alors que c'était sa seule raison de vivre... il avait choisi de ne pas le faire.

Et ce qui était sûr, c'est que je ne l'abandonnerais pas sans avoir eu le fin mot de l'histoire.

J'enfonçai mes chaussettes dans les semelles, remontai mes bottes une par une, passai la bande de cuir dans la sangle, l'encochai, tirai d'un coup sec.

Moi : Je sais que tu ne veux pas que j'aille faire appel à lui. Et crois-moi putain que ça m'emmerde aussi mais si t'as une meilleure solution je suis toute ouïe.

Venant de lui, afficher autant de signes de panique était si rare... Lui, Dream, toujours fort et exemplaire, il bégayait, démuni.

Dream : Non, mais... S'il te plaît ne fais pas ça, j'ai... J'ai un très mauvais pressentiment, tout va encore se répéter, Lis...!

Moi : Je reviens tout de suite.

Je comprenais son inquiétude, mais je ne pouvais pas accepter ses prédictions, sinon elles m'auraient faite reculer. À la frontière entre l'air huilé du foyer et l'air frais du vent, je détaillai une dernière fois le trio, Dream en particulier.

Moi : ...Désolée de t'avoir frappé.

Et je fis volte-face, plongeai dans une brèche, les aiguilles pointées vers Killertale.

Souvenirs enfouis et expériences du passé se bousculèrent tout à coup, étrapés de mon cocon mémoriel, en proie aux anciennes sensations qui me heurtèrent une fois que je fus là-bas. Le manteau épais et charbonneux du ciel, les tonnerres d'énergie négative et les odeurs toxiques du désert de pierre. La pression des menottes anti-mag sur mes poignets, la crevasse, maudite crevasse abyssale plus effrayante et inhospitalière que le Royaume des Morts lui-même ; les trois silhouettes noircies de Dust, Killer et Horror, crôassantes, jubilantes.

Un frisson m'échappa. Combien de temps que je m'étais enfuie d'ici ? Cinq mois ? Six ? Seulement ? J'avais l'impression que c'était il y a une éternité, je n'étais encore que petite fille, adolescente froussarde et impressionnable avec mon vieux jean décrépi, mes baskets et mon grand pull mauve décoloré de montagne, tout ce qui m'avait été dérobé là-bas. Prisonnière, aussi, et comment je n'avais eu aucun renseignement sur mes amis d'Outertale, et comment Error me manquait.

Error... C'était pour Error que j'étais là. Je défiai cette crevasse qui me narguait, et pénétrai, pour la seconde fois de la journée, dans les tréfonds de l'Enfer.

★★★

PDV Extérieur :

Horror : Pffffff... Sérieusement, pourquoi le patron nous fait subir un truc aussi rasoir que les tours de garde ? Se morfondait l'antropophage, coude affalé sur le replat du muret de la rempart, menton soutenu par le carpe osseux, pupille dans le flou.

Dust : Parce qu'on doit surveiller la baraque quand il dort, sinon on risque de se faire baiser. Mâcha le poussiéreux non loin de lui, n'exécutant pas sa mission avec plus de sérieux, adossé au pied de la tour Ouest, sur la plateforme.

Horror : Par Nightmare ?

Dust : Par la bande à Dream s'ils nous attaquent, abruti.

Horror : Ah. Bah par le patron aussi si on surveille pas.

Dust : Non. Là on se fait baiser par le mur du château.

Horror : Logique.

Dust : Logique.

Horror : Sinon c'est quand la relève ?

Dust : Quand il se réveille.

Horror : Merde.

Dust : Merde, en effet.

Horror affaissa son globe oculaire, unique et rouge, à demi couvert par la paresse. Lassé, il le fit chuter sur la paroi circulaire de la cénote, réceptionner au sortir du long chemin archaïque et obscur, quand tout à coup, il percuta une forme mouvante. Un sourire madré fendit sa gueule de carnassier.

Horror : Eh mec, vise un peu ça ! Siffla-t-il à son ami.

Dust, intrigué, alla à ses côtés et jeta un œil là où le pouce du squelette à la hache désignait. En effet, à une vingtaine de mètres en bas, Lisa, marchant sur la passerelle de pierre, droite et bornée.

Dust : Qu'est-ce qu'elle fout là ?

Horror : Aucune idée. Répliqua Horror en se léchant les babines, désireux d'avoir enfin débusqué un objet de divertissement. Viens, si on l'embêtait un peu ?

Ils se dévisagèrent, et, complices depuis des années, dénués de besoin d'utiliser les mot pour communiquer, hochèrent mutuellement la tête. Il se téléportèrent alors devant la grande grille, au moment où la brunette s'y présenta, et se placèrent devant elle, mastoc comme des videurs de boîte de nuit, bras en équerre sur leur thorax et colonne vertébrale arrondie contre les barreaux. La jeune fille ne broncha pas d'un poil.

Dust : Tiens tiens, mais regardez qui voilà. Ricassa le squelette à capuche. C'est gentil de nous rendre visite, on t'a manqué, c'est ça ?

Lisa : Je dois parler à votre Boss. Laissez-moi passer.

À cette réplique bien directe, ils s'échangèrent un regard froissé. Ils avaient prévu de la sévérité, une colère froide, qui pour eux serait adorable, mignon qu'on aurait envie de taquiner davantage, de transformer en cri d'angoisse ; pas ce ton si certain et festoyé d'audace. Ça la pigmait d'insolence, d'une arrogance tapant sur leur égo. L'antropophage, souffla bruyamment par les naseaux.

Horror : Non mais oh, tu crois qu'on rentre ici comme dans un moulin ?

Il crut discerner un léger chevrotement au niveau des lèvres de Lisa. Bref et futile, cela ne fit que renforcer son visage encore plus. Mais finalement elle leva le menton, dédaigneuse.

Lisa : Très bien, dans ce cas vous lui direz que vous avez laissé entrer et sortir un membre des Stars dans l'enceinte sans savoir ce qu'il a pu faire, que je me suis livrée à vous et vous m'avez laissé m'échapper. Ciao !

Elle fit tournoyer ses talons et s'apprêta à repartir dans l'autre sens.

Dust : Euh... Non, attends ! Se rattrapa le poussiéreux. (Elle coupa son élan, il soupira.) C'est bon, entre.

Une lueur violette s'alluma, ondoyante, autour de son index et son majeur mariés, formés en pistolet. Le portail luit de cette magie, grinça, et leur offrit son ventre en couinant.

Dust : Suis-nous. Annonça-t-il en pénétrant dans la demeure. Oh, minute, j'oubliais !

Il tordit les vertèbres vers la jeune fille, paume prenante.

Dust : Pas d'arme ici. Ton médaillon, s'il te plaît.

Elle ferma à demi les paupières sur le petit arbre baignant entre ses deux tee-shirts. Bien sûr, évidemment. Sa liberté, son espoir de fuite. Elle le serra dans son poing, indécise.

Error.
Plus rien à perdre à présent.
Elle inspira, expira, enleva le collier et le remit au poussiéreux.

Une fois la seconde enceinte passée, le portail claqua, tranchant, métallique. Il résonna chez la jeune fille comme le coup de chicot d'une prison qui a les crocs, et qui chante et qui gazouille, quand elle a trouvé, après cinq ou six mois de famine, de quoi se remplir la panse.

★★★

PDV Lisa :

Les deux squelettes me menèrent devant les deux escaliers en colimaçon de l'accueil, symétriques dans la grâce de leur allure, accueillant en leur médiane, rez-de-chaussée, la porte de la cuisine, et reliés au sommet par le replat tapissé de moquette où descendait Killer. À ma vue, il tapota ses phalanges sur la rambarde dorée, et interrogea ses partenaires de sa mine blasée et patibulaire ; qui se contentèrent d'un haussement des épaules ignare. Je grimpai en flèche les marches et me campai droit devant lui.

Moi : Il faut que je parle à Nightmare. Où est-il ?

Le tueur grigna, la face aussi interloquée que celle de Dust et Horror tout à l'heure, l'agacement davantage souligné. Pour qui elle se prend, celle-là, la Mère Astrale ? Semblait-il fulminer.

Killer : Le Boss n'est pas disponible pour le moment. Si t'as un balais dans le cul c'est à moi qui faut t'adresser. Cracha-t-il avec mépris.

Moi : Ça ne concerne que lui et moi.

Killer : Ça veut dire quoi, ça ?

Moi : Il est ici, oui ou merde ? Pesai-je, les nerfs à vif.

Sa cavité nasale godilla vilainement. Ses orbites bataillèrent contre les miennes, et enfin, il pesta.

Killer : C'est juste parce que je peux pas supporter ta sale gueule plus longtemps. Grommela-t-il tandis que le poussiéreux lui passait mon médaillon qu'il fourra dans la poche de son short. Amène tes fesses et surtout boucle-la.

Sur ce, il me fit traverser l'allée principale de l'étage, qui rendait, si ma mémoire était bonne, aux espaces communs, comme le grand salon, l'infirmerie ou la salle d'entraînement, et surtout, au bout du bout, à la large et imposante porte, qui s'ouvrait sur le couloir aux vitraux. Le couloir d'église. La salle du trône. Vide évidemment, sans doute Nightmare ne l'utilisait-il que pendant les réceptions. Je me rendis alors compte que je n'avais jamais pu visiter ses appartements et ne connaissais pas leur emplacement. Ce fut donc avec béatitude que je vis, cachée par le majestueux gradin nichant le présomptueux siège, l'entre silencieuse du royaume privé du maître des cauchemars.

À l'intérieur, un corridor plus petit et plus sombre mais non moins luxueux bifurquait çà et là. Deux portes à droite, deux portes à gauche. Quand Killer passa devant la première, je notai ses pantoufles moins bruyantes, plus circonspectes et feutrées. La chambre du tentaculaire, à tous les coups. Une sensation désagréable me galopa l'échine, glaciale. Sur l'instant, la simple idée qu'il était là, à uniquement cinq mètres de moi, prospère pépère, la simple idée qu'il dormait en se la coulant douce après ce qu'il avait provoqué, pendant que je ne vivais plus qu'à moitié depuis plus d'une semaine, amplifia mon aigreur.

Le tueur me poussa dans la deuxième pièce du flanc gauche, m'indiqua d'attendre, qu'il allait chercher Nightmare –d'une politesse tout à son honneur– et me planta là, en prise avec ce qui avait tout l'air d'être le cabinet de travail du squelette de pétrole. Oblong, muré par des rangées de bibliothèque bourrée de livres, il se terminait par un large bureau où habitait paperasse, stylo bille, calendrier, ordinateur de l'époque d'Outertale ; plat de petits fours, vue sur la belle surface uniforme du gouffre, une chaise aux rembourrages rouge à la table, un fauteuil devant pour ceux qu'il recevait, tiroirs en tout genre ancrés aux deux côtés du mur. Je parcourais, de l'annulaire et du majeur, les surfaces hoquetées et âpres des ouvrages aux pages jaunies, action spontanée dans l'espoir d'avaler sans déglutir un cocktail de stress et de rogne.

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