Saison 1 - Épisode 6 : Le chant des corbeaux

« Dans le monde de l'occultisme, les rêves ont une tendance partiellement inconsciente et parfois prémonitoire. Dans la ville d'Améthyste, les sorciers qui régissent ces rêves contrôlent une partie de cet inconscient et s'amusent à leurs guise du sort réservé aux malheureux rêveurs. Et ces rêves font, sans le savoir, parti d'un amas de péripéties décrite sous le nom des Contes de Pécome »

Voici les histoires de leurs victimes :

  Un cri d'oiseau s'éveille quelque part. Les sens en alerte, la respiration cardiaque s'accélérant, Arthur Furry savait très bien reconnaître quand un danger se présentait à lui. Et il n'était absolument pas normal qu'un oiseau de Martinique fasse un croassement aussi expéditif.

  — Mais qu'est-ce qui lui arrive, encore ?! s'énerve Florent. Relève-toi, bordel !

  — Ne me dis pas que tu n'as rien entendu ! continue Arthur.

  — Tu nous fais tous honte. C'était juste un piaf, rien de plus.

  — Je te dis que ce n'était pas normal. On aurait dit un corbeau...

  — Et même si c'était le cas, ça change quoi ?

  — T'en a déjà vu, des corbeaux en Martinique ?

  — Si c'était le cas je leur dirais de tourner autour de toi et de te dévorer tout cru jusqu'à ce qu'il ne reste rien de ta carcasse de tapette.

  — Tu parles des vautours, là. Les corbeaux ne mangent pas d'humains.

  — Et les vautours n'ont pas l'air de te foutre autant les chochottes que les corbeaux. Peut-être parce que ta femme remplie déjà toutes les caractéristiques de ces sales bestioles...

  — Je ne te permets pas de critiquer Anne-Laure !

  — Tu ne peux rien te permettre du tout tant que tu n'auras pas dégagé ta tête du sable.

  Arthur, prit par une motivation, joint ses deux mains et détonne un hurlement d'effort pour s'extirper du sable – même si on oublie pas le petit coup de pouce de la part de son bide à bière.

  Les branches des arbres qui les entouraient donnait un aspect lugubre à l'espace. Ils étaient noirs, grands et aussi minces que le corps du redouté Slender Man.

  — Les corbeaux sont signe de mauvais présage et même de mort ! s'écrie Arthur. Je ne vois pas ce qu'il voulait chasser à part nous ou une âme complètement malveillante.

  — Tu sais quoi ? C'était pas une si bonne idée que ça de venir camper sur la plage avec toi, finalement.

  Alors qu'ils s'extirpaient de la zone jonchée d'arbres, le sable devenait plus clair et doux tandis que le sel de mer leurs montaient aux narines.

  — Les gars, où est ma crème solaire ? demande Arthur.

  Un bruit de fracas détonne cinq mètres plus loin. Tous les trois assis autour d'une petite table qui avaient la forme d'un rectangle exiguë, Florent, Lucien et Léo se disputaient une partie de domino dont seul Florent semblait détenir le dernier mot.

  — Et voilà comment on met un cochon ! s'exclame l'homme en fracassant la table avec le dernier domino en l'air.

  Lucien et Léo gardent la tête baissée.

  — Prends-en de la graine, Lucien. Tu ne seras jamais vraiment un homme tant que tu n'auras pas gagné la fin d'une partie en cassant la table avec un double six !

  — Est-ce qu'on peut recompter les points ? demande Lucien. Je crois qu'à cause du coucher de soleil, j'ai été complètement déstabilisé.

  — Ouais, moi aussi.

  Arthur agitait les bras dans tous les sens pour essayer d'attirer leurs attentions mais rien n'y faisait.

  — Eh ohhh ! Les gars, c'est pas parce que je suis le seul blanc que vous devez vous permettre d'oublier la crème solaire ! Comment je vais faire demain matin ? À tout les coups, j'attrape une insolation.

  — Prends ta couleur de peau comme un fardeau de la nature et les insolations comme une malédiction. C'est le signe naturel qui prouve que tu n'as rien à faire en Martinique... marmonne Léo pendant qu'il mélange les dominos autour de la table.

  En levant le nez, il se rend compte de sa bourde. Florent, Lucien et Arthur le dévisage d'un air ahuri.

  — Oh, excusez-moi. Mauvais réflexe. Les parents de l'une de mes élèves sont indépendantistes et je dois faire bonne impression pendant la rencontre en fin de trimestre.

  Lucien en profite pour sortir de table et fouiller sans raison dans le sac de couchage avec Arthur. C'est qu'il fallait trouver un moyen d'encaisser la défaite avec discrétion.

  — Merde, c'est maintenant que je me rends compte ! Où est mon ordinateur ?! s'exclame-t-il.

  — Là où il devrait être : c'est à dire pas dans un camping au bord de la mer, rétorque Florent.

  — Non, non, non, non ! Comment je vais faire pour dormir ? J'ai besoin de me bran... bercer avant sinon je ne ferme pas l'œil ! se corrige Lucien.

  — Tu n'auras qu'à attendre l'arrivée des Saintes-Lucien sur le bord de la mer. Peut-être qu'avec un peu de chance la seule fille du bateau s'est noyé et qu'ils n'ont pas réussi à la sauver quand ils l'ont remonter. Comme ça, tu pourras baiser avec son cadavre.

  — Voilà, ça, c'est ce que font les corbeaux ! détonne Arthur en pointant sa main droit vers Lucien.

  — J'ai l'impression de marcher sur la tête... soupire Florent. Vous n'avez jamais fait du camping ? Est-ce que vous vous rendez compte que le seul type encore normal ici présent ce soit Léo ? Et je le dis pas de gaieté de cœur !

  Pendant que Florent déploie sa diatribe, Léo semble trop occupé à observer quelque chose flotter au loin pour apprécier les éloges. Il lâche les dominos et trempes les pieds dans l'eau pour se rapprocher de la masse étrange qui se faisait bercer jusqu'au rivage.

  — Euh, mes confrères...

  — Tu vas pas t'y mettre aussi ?!

  — Je crois qu'il y a un cadavre dans l'eau et il arrive droit vers nous.

  Il était suffisamment lourd pour que la mer le transporte sans soucis. Le corps dansait sur les vagues tandis qu'il commençait à s'approcher.

  — Putain de merde ! s'écrie Florent. Regardez-ça !

  Le corps flottait de dos. Et la victime avait une touffe de cheveux suffisamment fourni pour épaissir l'eau d'une teinte noirâtre au niveau de sa tête. Les mèches flottaient comme des lianes.

  Les quatre comparses n'hésitent pas une seconde et décident de prendre leurs distance. Arthur s'était mis à genoux et priait aussi vite que sa langue le pouvait, Lucien essaye de voir si le cadavre dispose encore de ses vêtements tandis que Florent et Léo observent la scène sans bouger d'un cil. Après tout, elle était forcément morte, à quoi cela servait d'appeler les urgences.

  — S'il vous plait ! S'il vous plait !

  Une voix féminine s'étirait depuis l'autre côté de la mer jusqu'à la marée de sable où Florent se tenait. Elle agite les bras dans son panorama et donne l'impression de nager suffisamment vite pour ne pas qu'on la prenne pour morte.

  — Sauvez-là, par pitié ! s'écrie la voix.

  — Vous savez qui ça peut être ? demande Léo.

  — J'en sais rien, en tout cas elle est avec cette chose qui vient d'échouer sur la mer.

  — Qu'est-ce que vous attendez, les gars ! Il faut lui faire du bouche à bouche ! rétorque Arthur.

  — Laissez-moi faire ! s'avance Lucien. Je m'en charge !

  Florent hurle pour l'encourager et l'assaillit d'applaudissements.

  — Oui, c'est ça ! Tu deviens enfin un homme, Lucien !

  — C'est ton heure de gloire, ajoute Léo. Moi je ne peux pas lui faire ce genre de gestes. Il faut que l'air reste dans mes poumons, je suis asthmatique.

  L'homme redresse ses lunettes et se lèche les babines à l'idée de découvrir le visage du corps qui s'était lamentablement échoué sur le sable. Toujours de dos, il la savoure des yeux comme l'emballage d'un papier cadeau avant de saisir l'une de ses épaules et de la retourner sur le dos.

  Si Florent et Léo flairent assez vite la supercherie, l'innocence de Lucien l'entraine dans la gueule du loup.

  — Argh ! frissonne l'homme. Mais c'est quoi cette chose ?!

  « Une baleine avec une perruque » c'est l'idée qui vient en tête lorsque Florent se penche avec parcimonie pour discerner chaque détail de sa laideur. Il ne savait pas si le sel de mer avait rongé ses lèvres au point d'en former une troisième, glissée sous la partie inférieure, ou si c'était le résultat d'une mère-nature complètement torchée.

  Il avait bien fait de ne pas s'avancer. En même temps, les bourrelets qui dépassaient du papier cadeaux laissaient déjà supposer qu'elle ne ressemblait pas aux top-modèles du moment. Léo, quant à lui, flairait à l'avance que la femme qui arrivait sur le sable avait dépassé au moins six fois le stade de la dizaine.

  Pendant que Lucien se faisait happer par la surprise du traquenard, la voix de l'autre fille résonnait à la surface de la mer. Elle tendait à se rapprocher.

  — Bordel de merde ! Pourquoi c'est pas elle qui est évanoui à sa place ?! s'énerve Lucien.

  Il fallait dire que la créature qui s'approchait d'eux à grandes brasses de bras avait tout d'une véritable sirène. Les yeux en amandes, des lèvres pulpeuses (et deux, cette fois-ci), des cheveux bouclés et une peau aussi noire que l'ébène. Le parfait alliage de l'Afro-Caribéenne.

  L'homme contemple au loin la déesse qu'il aurait pu embrasser dans d'autre circonstances, si seulement la vie n'avait pas décidé d'être une grosse chienne avec lui.

  — Je vous en supplie ! Sauvez ma grand-mère ! Je ferai tout ce que vous voudrez !

  Florent leva les yeux. Il était hors de question de se faire supplier par une divinité aussi douce. Il ne voulait pas avoir le mauvais rôle de l'ingrat prêt à marchander contre l'aide de quelqu'un. Et la meilleure chose qu'il trouva à faire était de pousser Lucien d'un coup de pied sur le corps inanimée de la vieille sorcière.

  — Dépêche-toi ! T'as pas entendu ?

  — Ça va, ça va ! Ne me stresse pas !

  Florent n'entendait plus rien. Son attention est hypnotisée par la jeune fille qui commence à tâtonner le sol marin avec ses pieds.

  Suffisamment prête du rivage, elle marche à la lenteur des canons de beautés dignes des films à l'eau de rose pour ados. Florent à l'impression de retomber dans cette période de sa vie lorsqu'il se délecte à la mirer.

  — Je vais appeler une ambulance, ajoute Arthur. Il faut que je m'éloigne sinon je vais pas avoir de réseau.

  — Attendez une seconde, tous les deux, se reprend l'homme.

  — Quoi ?! répondirent Lucien et Arthur en chœur.

  — Avant de faire le bouche à bouche sur la vieille et d'appeler les secours, il faut que je vérifie quelque chose...

  — Hein, mais il faut savoir ! s'écrie Lucien.

  — Comment tu peux dire ça ?! On n'a pas une minute à perdre ! ajoute Arthur.

  — Justement. Il faut d'abord que je sache si l'univers se joue de moi ou si cette petite minette est aussi délicieuse que je le pense.

  — Qu'est-ce que tu racontes ?! Elle est magnifique !

  — C'est ce que tu crois, amateur ? Je te rappelle que tu étais à deux doigts de sauter sur le corps de sa grand-mère. Il a fallu que les vagues sorte cette carcasse de l'eau pour que tu te rendes compte de la supercherie.

  — Mais là, on ne peut pas faire plus explicite ! Regarde-la !

  — Détrompes-toi. On ne voit pas encore son corps. Il est dans l'eau.

  — Tu veux qu'on la laisse sortir de l'eau avant de se décider à sauver sa mamie ? demande Arthur qui espérait avoir mal compris.

  — C'est l'idée, termine Florent. Il est hors de question que je me fasse déranger par une moche. Je vous rappelle qu'on était censé faire un camping au bord de la plage tranquille. Si on appelle les urgences de suite, toute la ville va se rameuter ici et fini notre tranquillité pour la soirée.

  — En tout cas, c'est mort pour moi. Elle doit avoir dix-huit ans minimum. Je touche pas à ça, marmonne Léo qui fouille son portable dans sa poche. Je crois qu'il y a une application sur mon téléphone qui me permet de scanner intégralement le corps d'une fille et me donne son âge approximatif.

  — Qu'est-ce qu'on en a à foutre de son... Ô MARLEY !

  Son corps perlé d'eau lui donnait cet effet écarlate. Les cuisses aussi fermes qu'une athlète et les fesses bombées d'une actrice porno fan de BBL. Cette jeune femme n'était pas seulement mignonne, la marchandise se faisait rare et la côte était à son paroxysme. Lucien arrivait à simuler une branlette mentale en observant ses tétons humides pointer sur le tissus de son bikini.

  — On est allée beaucoup trop loin... j'avais... oublié... à... quel point... la mer d'Améthyste était aussi violente, haletait la jeune femme.

  — J'aurais pu décrocher le Joyau pour toi, murmure Florent en salivant presque de la voir.

  Devant la généreuse carrure de la femme, Lucien reste sans voix. Il n'arrive pas à croire qu'elle respire le même air que lui. Elle secoue sa tête dans tous les sens pour sécher ses cheveux et laisse les quelques gouttes d'eau tomber sur Lucien pour le rendre complètement fou.

  — Est-ce que tout va bien ? demande Florent d'une voix douce que Arthur ne lui connaissait pas. Venez, je vais vous envelopper dans une serviette.

  — M-merci...

  Une fois qu'elle reprend son souffle, la fille se laisse emmitoufler dans la serviette que Florent lui apporte. Il attend qu'elle le remercie jusqu'à ce qu'il réalise qu'une étreinte se resserre sur sa cheville et qu'un râle dégorge depuis le sol, comme le hurlement d'un démon venu des enfers.

  En sursaut, Florent baisse la tête et plonge dans un regard froid. Des yeux aussi rond qu'effrayant faisaient parcourir son corps de frissons. Le visage complètement relâché à la différence de sourcils froncés, la vieille dame qu'il croyait morte est en train de l'observer.

  — Arrrgh... Aaaaahhh... oooohh...

  — Mamie ! s'écrie la jeune fille en tombant sur elle. Ô Seigneur, j'ai eu tellement peur !

  Son souffle coupé empêchait les autres de comprendre ce qu'elle murmurait dans le vent. Sauf Florent qui avait très bien décrypter un « Vous avez osé baver sur ma petite-fille. Vous me le paierez »

  — Mais attends, elle était pas morte ? lance Léo, d'un air spontané.

  Alors que sa petite-fille qui la couvrait de câlin et de bisous, Léo arrivait à voir le regard monstrueux de l'acariâtre le fusiller par-dessus son épaule. Il lui donne son dos, motivé par la crainte car il est évident que personne ne pouvait se préparer pour ça.

  — Éloigne-toi de ces monstres !

  Le silence s'écroule sur la plage, avec un fond sonore pullulé par les grillons qui sortaient dans la forêt une fois le coucher du soleil tombé. C'est la première phrase explicite qu'elle tranche de sa gorge aussi sèche que poussiéreuse.

  — Mais enfin, mamie, de quoi tu parles ? Ils sont nos amis...

  — Ô ma chérie, méfie-toi de ce genre de cochon. Pas même Zika-Zika ne saurait les toucher.

  — Ne parles pas de ça, ici ! s'écrie brusquement la jeune fille. On va te prendre pour une folle.

  Florent n'arrive pas à comprendre ce qu'il se passait et encore moins qui était Ziki-Ziki, mais savait néanmoins qu'il restait encore une carte à jouer s'il voulait avoir le cul de la petite-fille dans un hôtel et celui de sa grand-mère dans un hôpital.

  — Grand-mère, qu'est-ce qui se passe ?

  Elle tord son cou avec une lenteur machinale. Pourquoi son regard s'était arrêté sur Florent ? Les rides au-dessous de ses paupières, qui ressemblaient à des toiles d'araignées, se relâchent. Il comprend que quelque chose cloche.

  — Vous essayez de baiser ma petite-fille ?!

  — Quoi ?! Euh, non, non, non ! s'écrie Florent.

  Avait-il pensé trop fort ? Impossible. Arthur l'aurait forcément repris. D'ailleurs, lui-même et les autres arrivaient mal à décrypter les paroles de la vieille folle.

  — Alors vous insinuez que Kazi-Kazi est un menteur, c'est ça ?!

  — Il faut vraiment la faire interner ! continue Florent en s'adressant à sa petite-fille.

  — ... pour que vous puissiez souiller ma Stacey dans un hôtel ? Ô Grand Kazi-Kazi, ce dessein n'arrivera jamais !

  — Calmez-vous, madame, assure Arthur. Personne ne va emmener votre petite-fille dans un hôtel. On est juste venu faire un petit camping au bord de la mer. Faites-nous confiance.

  — Je sais que vos intentions sont bonnes, ajoute la vieille folle en lançant un sourire édenté à Arthur. Mais ce n'est pas le cas de tous vos comparses.

  « C'est impossible ! Elle a lu dans mes pensées ou quoi ?! »

  — Pas moi, rectifie la vieille dame. Kazi-Kazi entend les âmes exister et voit tout ce qui vit.

  — Putain de merde !

  Sous la surprise, Florent chancèle sur Arthur avant que les deux ne tombent à la chaîne, comme des dominos.

  — Vous allez payer votre luxure et votre ingratitude, monsieur Bonos !

  — Hein, comment elle sait que...

  Stacey n'a pas le temps de laisser Florent réfléchir qu'elle s'interpose entre lui et l'acariâtre. Pendant qu'il tentait de se dégager sous le bide à bière de son ami, l'ombre de la vieille dame s'était raccourci à la voute de ses pieds fripés. Muni d'une canne qu'elle enfonçait dans le sable pour s'avancer jusqu'à eux et que personne n'avait vu venir.

  — Elle fait quoi, là ?! s'écrie Lucien de sa voix enrouée. J'ai pas signé pour ça, moi !

  — Mes aïeux ! continue Léo. Je viens tout juste de me rappeler que j'avais une chorale à organiser pour demain matin dans une école primaire. Je ferais mieux de rentrer...

  Alors qu'il sauve sa chaise pliable et sa glacière dans la hâte, un tonnerre s'abat dans un grondement strident sur la plage d'Améthyste. Avec le son tonitruant, s'accompagne un flash de plusieurs secondes qui rend aveugle Lucien et Léo pendant le cours d'un instant.

  Florent n'arrive pas à comprendre si tout ça n'était qu'un rêve. Il tourne sa tête en direction opposée à la mer, là où les arbres dormaient habituellement sans aucun bruit. Ici, ils commencent à hurler sous la direction du vent. Elle s'intensifie à mesure que le ciel s'assombrit. Les vagues, de nature agitées, deviennent aussi silencieuse que l'eau de source pendant qu'Arthur semble reconnaître un bruit familier.

  — Vous voyez que j'étais pas fou ! Regardez-ça !

  — Ce sont des...

  Ils forment un nuage noir au-dessus de leurs têtes. Léo priait pour qu'ils migrent vers la mer et se noient dans les vagues par fatigue. Pourtant, la horde de corbeaux, qui s'extirpent des ombres, qui composent les arbres, volent autour deux. La masse noire et croassante ne cesse de faire des rondes. Comme s'ils avaient affaire à une bande d'épouvantails défectueux.

  — Stacey, mais qui est ta grand-mère ?! commence à paniquer Florent.

  — Ne l'appelez pas par son prénom, infamie ! rétorque la vieille dame.

  — Vous n'étiez pas du tout mal en point ! tente de se défendre l'homme. Vous nous avez tous fait croire le contraire juste pour pouvoir nous torturer !

  — Non, pitié... monsieur, taisez-vous... réagit Stacey en essayant de réfréner son élan de rage.

  — Isalop, ou ka koumancé palé ! ricane la vieille. Il est trop tard, désormais. Zika-Zika est en train de donner son verdict.

  Les locks de Florent virevoltent dans les airs comme le ferait une bannière en proie au vent qui soufflait sans s'arrêter. Tout en plissant les yeux, il jette un œil en l'air et constate en sursaut que le ciel était devenu complètement noir. Est-ce que les autres habitants d'Améthyste l'avaient vu aussi ? Quelqu'un d'assez courageux pour affronter cette sorcière allait-il pointer le bout de son nez ? C'est ce que Florent espérait de tout cœur.

  — Vous n'avez pas mieux à faire que ce genre de p'tit rituel ?! Je sais pas moi, comme vous soigner d'une arthrose ou une connerie du genre !

  La vieille ne répond pas. Elle se contente de caler un sourire du coin de sa bouche. Puis d'un geste rapide, elle brandit sa canne vers le ciel et commence à hurler d'une voix monotone :

  — Zika-Zika, deuxième fils de Vecto, maitre de la malédiction omnipotent, conjure toute bénédiction de leurs esprits égarés. Une fois la nuit tombée, les paupières morte pour le prochain lever de soleil, que leurs âmes t'appartiennent et que leurs repos soient ton sanctuaire.

  Après s'être extirpé sous le poids d'Arthur, Florent étire une main jusqu'à la sorcière pour la supplier. Il entend un grondement grave qui ressemble à un râle avant de voir un nouvel orage tomber au-dessus de la mer. Son halo de lumière réfléchit contre le reflet des vagues et finit par s'étirer sur toute la plage d'Améthyste. Tout n'était qu'une ombre blanche dont il fallait fermer les yeux pour se préserver de son éclat.

  Un sifflement persiste dans ses oreilles. Il entend les hurlements de ses amis se déchirer puis la couleur s'assombrit. Tout devient noir. Il sent ses forces l'abandonner.

***

  Un air chaud se condense sur son visage. C'est chaud et ça empeste. Florent ouvre l'œil et constate un chien, la langue qui pend, en train de l'observer dormir sur son hamac. Il prend appui sur ses coudes avant de se redresser contre le tronc qui le soutenait. Ses lunettes traînent dans la poche arrière de son bermuda lorsqu'il les mets sur son nez. En balayant du regard, il tombe sur trois autres hamacs pendus quelques arbres avoisinant le sien. Lucien dormait avec un magazine pour adulte blotti comme un doudou sur son torse, Léo murmurait des prénoms de filles dans son sommeil qui devaient forcément être ceux des élèves qui composent sa classe principale tandis que le hamac d'Arthur restait étrangement vide.

  — Où est passé l'autre peureux ?

  Florent réfléchit un instant quand le chien se met à aboyer juste à côté de lui.

  Il le fixe d'un air apeuré et sent son cœur cogner dans sa poitrine.

  « Cette sorcière a osé te... »

  — Je suis là ! s'étire une voix depuis l'autre côté de la plage – celui dominé par le sable et la mer.

  Il sort de son hamac en sautant pieds joints dans le sable en espérant ne pas se fouler la cheville. Juste en face du rivage qui oppose la mer et le sable, Arthur est assis par-terre. Il fixe le Joyau d'Améthyste, cette petite île biseauté, loin devant lui avec un profond soupir.

  — Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Je me rappelle pas avoir emmené d'ecstasy, cette fois-là.

  — Pour une fois, j'aurais bien aimé que ce soit ça... lui répond Arthur sans prendre la peine de lui adresser un regard.

  — On était en train de rêver, c'est pas possible ! À quel moment on a monté les hamac, sinon ?

  — J'essaye de me rassurer comme je peux, moi aussi. Mais si j'ai bien compris son sortilège, on est tous dans la merde.

  — Son... son sortilège ?! balbutie Florent. Ça veut dire qu'elle était réelle ?

  — Et tout ce qui va avec, confirme Arthur. Elle vient de nous jeter un sort, à toi et toutes les personnes qui t'entoure.

  — Est-ce que je vais perdre mes cheveux ? Oh, dis-moi que je ne vais pas perdre mon argent, ni mes cheveux...

  — Si tu trouves ça pire que devoir te confronter à la vieille dame à chaque fois que tu pars te coucher, alors non.

  — Comment ça ? s'étonne Florent. Je n'ai pas rêvé d'elle.

  — Pourtant, tu t'es bien réveillé comme moi dans le hamac.

  — Mais tu m'as dit que ce n'était pas un rêve !

  — Si je suis la logique morbide de cette vieille femme, je dirais qu'on a juste eu un avant-goût. Une sorte d'initiation avant toutes les horreurs qui nous attendent une fois qu'on fermera les yeux.

  — Pourquoi tu es aussi serein en disant ça ?! Je te rappelle qu'on est dans la merde ! On va devoir se taper cette sorcière à chaque fois qu'on va se mettre à rêver. C'est pire que de te réveiller à côté de ta femme, là !

  — Parce qu'au moment où elle a prononcé « Zika-Zika », j'ai tout de suite compris qu'on avait fait une mauvaise rencontre.

  — Mon dieu, mais les corbeaux t'ont rongé la cervelle ?!

  — Je te rappelle que je suis prof d'histoire, Florent. Ce genre de choses-là, ça me connaît.

  — Tu peux pas essayé d'être un peu plus clair.

  — Pour la faire court, cette dame qu'on a vu hier appartient à la famille Pécome.

  — Attends, tu parles des espèces de sorciers bizarre qui font du vaudou en Martinique ?!

  — Ce n'est pas du vaudou mais ça s'en rapproche, en quelque sorte. Et ce qu'elle a invoqué hier, c'était Zika-Zika, le masque de la malédiction.

  — J'aurais dû me douter qu'il y avait quelque chose de louche. Comment elle pouvait lire dans mes pensées, sinon...

  — C'est pour ça que je m'efforçais de penser à tout sauf sa petite-fille. Il ne fallait pas que j'ai une seule image d'elle en tête. Mais bon, il était trop tard pour avertir tout le monde et on a quand même fini dans de beaux draps.

  — Putain, mais tu pouvais pas hurler qu'on devait tous se barrer.

  — Je n'étais pas sûr en entendant le chant des corbeaux et après je me suis dit qu'on avait juste à faire ce que sa petite fille disait pour avoir la vie sauve mais encore une fois, il a fallu que tu fasses l'antipathique.

  — J'te permets pas de dire ça ! Il n'y a pas plus généreux et philanthrope que moi.

  — Ah oui ? On parle bien du type qui a gagné cinq millions d'euros avec un tableau et qui serre son argent comme un rat au point de demander à son ex-compagne une pension alimentaire ?

  — Wow, Arthur ! Je savais pas que tu avais autant de gueule, sale enfoiré ! Si seulement tu pouvais aussi parler comme ça à ta salope de femme...

  — En attendant, elle ne m'a pas condamné à rêver d'une sorcière avec une tête de dromadaire jusqu'à la fin de ma vie.

  — Jusqu'à la fin de ma vie, tu as dit ?! s'étrangle Florent. Non, non... ça ne peut pas être ça !

  — Écoute, soupire Arthur en se relevant. Puisque tu ne veux pas me croire, tu auras ta réponse demain matin.

  Il donne une tape sur l'épaule de Florent et part piocher une bouteille de rhum vieux dans la glacière de Léo. Il espérait être suffisamment torché pour ne pas penser à la galère dans laquelle le quatuor venait de s'empêtrer.

  Bienvenue dans les Contes de Pécome, là où tous les rêves et cauchemars les plus inimaginables prennent vie. Une chose est sûre : tout le monde allait y passer, sans exception.

  Faites de beaux-rêves.

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