Saison 1 - Épisode 25 : L'exposition finale
Il n'a jamais fait aussi chaud dans la maison de Florent Bonos. L'homme se réveille brusquement pour la troisième fois depuis le début de la soirée. Il jette un œil à son portable. Trois heures quarante-cinq.
L'homme marche d'un pas traînant jusqu'à la salle de bain où il s'asperge d'une froide sur le visage pour la énième fois. Puis, rebelote. Il consulte ses mails et lit une dernière fois la proposition de Monsieur Harnais.
« Je n'ai plus le choix, c'est quitte ou double » se répète l'homme alors qu'il se dirige vers sa chambre.
En allumant la lumière, il se rend compte que son lit est imbibé de sueur. Tellement qu'il en devient insupportable de dormir dans ses conditions. Et le plus difficile était d'accepter que ce fluide corporel n'appartenait qu'à lui et à lui seul.
— Ma petite abeille... j'te retrouverai...
— Ma parole, t'es complètement zinzin, toi !
Florent sursaute et fait volte-face quand il tombe sur son fils.
— Qu'est-ce que tu fais debout, à cette heure-ci ?
— Tu le serais pas si t'étais à ma place ? J'essaye à tout prix de trouver un plan d'action pour nous sortir les doigts du cul, là !
— C'est pas toi qui a dit que ce type stupide, là, qui bosse souvent dans les musées comme le Louvre voulait voir Out Opus ?
— J'ai pas besoin d'un perroquet.
— Justement, arrête de tourner en boucle. Il a dit qu'il était intéressé par l'offre. Avec un peu de chance, les gens vont faire une surenchère plus importante que celle de Monsieur Cerf.
— C'est tout ce qu'on espère, le préjudice morale que je dois réparer à cet enfoiré de Marceau coûte un bras sans toute cette fortune.
— Tu vois ? Ta chance ridicule va enfin pouvoir nous servir, pour une fois.
— Et encore, ça reste à voir. Si les métropolitains sont au courant des faits divers qui se sont déroulés dans le Negresko en Martinique, je peux dire adieu à la vente au enchère alléchante.
— Il est pas trop tard pour pointer au Pôle Emploi, ricane Kevin.
— Je ferais moins le malin, si j'étais toi. On vit sur ta pension alimentaire, désormais, j'te signale.
— Attends, maman me verse une pension ?! s'étrangle le garçon en manquant de chanceler. Tu m'as jamais rien dit !
— Bah, tu le sais, maintenant.
— Mais, papa, tu fais quoi de tout cet argent ?
— J'sais pas. Des petites folies au casino, on sait jamais ce que l'avenir nous réserve.
Florent donne son dos à son fils et décide de se condamner dans sa chambre. Il retourne le matelas pour espérer s'endormir sur la surface encore sèche. Pacha miaule en regardant son maître tirer les draps avant de les changer.
— Qu'est-ce que j'aimerais être un chat, dans ce genre de situation. Si tu savais, mon petit Pacha...
En réponse, il se lèche l'orifice avant de s'étirer et partir pour une nouvelle séance de sommeil. Florent décide de l'imiter – sans passer par la phase de l'orifice – en éteint toutes les lumières qui pourraient susciter une tentation à cogiter pendant des heures.
Juste au pied de son lit, il attrape une boite en bois à l'aveuglette. Un bruit de sachet froissé et une pipe à cigare vient rompre le calme. Puis, une étincelle s'allume dans l'obscurité. Elle s'en suit d'une fumée qui monte dans les airs à mesure que Florent commence à s'en aller avec elle dans les bras de Morphée.
***
« C'est pas le moment d'être en retard »
Florent transporte une valise dans sa main et un bagage dans l'autre. La pluie ralentissait sa démarche pressante. Il évite le plus de flaques d'eaux que possible avant d'entrer dans l'aéroport.
— Bonjour, monsieur, il me faut un nom.
— Bah, ça se voit, non ? Je suis Florent Bonos.
— Hein ?
— Le peintre de Out Opus ! M'enfin, vous m'avez forcément vu à la télé il y a deux mois ! J'ai fait un tableau qui a fait le tour du monde sur internet !
— Connais pas, l'art, c'est un truc de pédé, je trouve...
Déjà qu'il ressentait le manque de sommeil comme une poutre qui venait se greffer dans son œil gauche, l'envie irrépressible d'attraper ce jeune homme par la cravate avant de lui faire lécher son comptoir sonnait telle une pulsion.
— Écoute-moi bien, p'tit con. Grâce à ce tableau de pédé, j'ai réussi à vivre une vie que jamais tu n'auras, à toucher un type de femmes que tu regardes derrière ton écran quand tu te masturbes et conduis la voiture que tu adores customiser dans tes jeux-vidéos à la con lorsque tu rentres de ta journée de taff minable et que tu as enfin réussi à trouver une place dans le parking résidentiel de ton HLM minable pour garer correctement ta fichue Kia Picanto !
— Je voulais juste une pièce d'identité, monsieur Bonos, dit l'homme en avalant difficilement sa salive.
Florent sursaute. Il fouille dans ses poches avant d'en sortir son passeport sans jamais quitter le jeune homme des yeux.
— Dommage que vous soyez si professionnel, j'avais une envie de me battre, histoire de me détendre un peu avant le voyage le plus important de ma vie.
— Si seulement mon patron pouvait entendre ce joli compliment.
— « Joli compliment » ? Qui dit ça à part les pédés ?
Il tourne sa langue dans sa bouche pour ne pas balbutier et tend le ticket de Florent sans bouger d'un cil.
— À plus, pédé. Je t'assure que si je redeviens l'homme riche que j'étais autrefois, je ferai en sorte de te trouver une bonne pute dans les environs de la Capitale.
Une fois ses bagages enregistré, il décide de se poser un moment sur les chaises à l'étage en attendant le moment de son vol. Il tourne la tête, un couple de vieux décidément en fin de voyage décide de s'embrasser langoureusement avant de faire leur adieu à la Martinique. Il lève la tête vers le plafond et aperçoit une pub de parfum glamour mis en exergue par deux amants fougueux qui s'adonnent à une partie de jambes en l'air à l'arrière d'une décapotable.
« Putain, mais c'est pas possible ! Tout me fait penser à elle ! »
Florent commence à se tripoter le bout d'une locks – chose qu'il ne faisait jamais à son habitude – et grince des dents. Il observait toujours à travers ses locks en faisant semblant de dormir, la tête penchée en avant.
***
La musique qu'il attendait depuis maintenant une heure s'extirpe des haut-parleurs avant de laisser une voix féminine prendre la parole :
« DÉPART POUR LE VOL DE LA CAPITALE À PARIS EST DANS TRENTE MINUTES »
Florent se réveille d'un sommeil qu'il avait initialement imité. Il adopte la démarche d'un robot quand il se lève sans prendre appui sur ses genoux et attrape ses bagages d'une poigne avant de se diriger en direction de l'embarquement.
***
Une fois installé, il arrive à croiser suffisamment de fois le regard de cette charmante hôtesse de l'air pour qu'il comprenne que ce n'était plus le fruit du hasard. En temps normal, il se serait empressé de lui commander une coupe de champagne et elle aurait accepté même si l'alcool était « interdit » au sein de l'avion. Puis, l'homme galant qu'il représentait l'aurait sans doute accompagné jusque'aux toilettes où ils se seraient envoyés en l'air. Mais l'image de Maya refaisait surface à chaque fois qu'elle lui inclinait un sourire. Florent brise brusquement l'éclat dans son regard et préfère baisser la tête jusqu'à ce qu'ils arrivent à destination.
Avant de quitter l'avion, Florent finit de regarder Stuart Little en se disant qu'il avait plus de courage et de couilles que son propre fils, même s'il trouvait que les deux se ressemblaient étrangement.
L'homme descend de l'avion et se dirige vers le taxi qui l'attendait au-dehors de l'aéroport.
— Vous attendez quoi pour démarrer, un pourboire ?
— Si ce n'est pas trop vous demandez, m'sieur ! rétorque le chauffeur de taxi dont le nez s'allongeait jusqu'à la lèvre supérieure.
— Tenez ça et me faites pas chier, je suis vraiment pas d'humeur...
— Un... un chewing-gum ? Vous êtes sérieux, là ?! Pour quelqu'un qui a voyagé en première classe, je vous trouve bien peingre.
— Je viens de perdre toute la fortune que j'avais. Laissez-moi au moins dépenser le peu qu'il me reste comme si j'étais encore riche. Et puis d'abord, ne vois pas en quoi ma vie privée et ce que je fais de mon argent vous regarde !
— Pardonnez-moi d'en douter, monsieur va à l'exposition de sa propre œuvre au musée du Louvre, wooouuhoouuu !
— Vous vous renseignez toujours sur la vie de vos passagers avant de les prendre ?
— Depuis les attentats de 2015, c'est un petit peu mon propre protocole que je me suis imposé. Je n'ai pas envie de faire entrer une djihadiste dans ma voiture, vous comprenez ?
— Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre... soupire Florent. Si vous saviez l'artiste de renom que je suis, jamais vous n'auriez osé me comparer à ces criminels...
— Et c'est justement pour ça que je sais que vous êtes extrêmement riche !
— Fermez-là et emmenez-moi jusqu'au musée du Louvre avant que je ne vous mette une étoile sur cette application de malheur !
***
Lorsque le Uber s'arrête sur le bas côté, il suffit à Florent d'admirer l'édification de la forteresse du Roi Philipe Auguste pour se rendre compte qu'il était au bon endroit. Ce lieu qui lui semblait si lointain prenait forme et qui aurait pensé qu'un jour il en aurait été le principal invité ?
— Wow, vous faites encore plus grand en vrai qu'à la télévision.
Un réceptionniste vient l'accoster en guise d'un selfie après avoir oublié pourquoi il était payé. Suite à un pressing de plusieurs minutes, il réussi à obtenir sa photo avec l'artiste et décide enfin de le guider jusqu'à l'entrée du musée.
La salle de vente était bondée à souhait. On voyait aux manières et accoutrements que le public n'appartenait pas à la petite gens. Même le moins distingué d'entre eux possédait un simple Polo Ralph Lauren que devait facilement faire le salaire de Lucien Carrera.
— Maintenant que la pièce maitresse de l'exposition vient d'arriver, nous pouvons enfin commencer l'exposition !
« Attends, tous ces petits merdeux avec les costumes de pingouins et leurs manières de pédés sont venus pour moi ? »
— Monsieur Bonos...
Il sursaute en sentant une main de poser sur son épaule.
— Argh ! C'est vous, Monsieur Harnais ?
Impossible de le louper, c'était bien lui. Sa canne en or qui tapait au sol comme pour le purifier de sa pauvreté, ou encore sa moustache anglaise qui lui donnait un air d'aristocrate confirmé, le dos vouté vers son interlocuteur. Monsieur Harnais devait être le seul blanc créole de la salle.
— Je suis très surpris de voir que vous avez finalement tenu parole.
— Voyons, je ne me serais pas permis de vous mettre un lapin. Pour une fois que des riches blancs de métropoles prennent la peine d'apprécier les œuvres martiniquaises.
— C'est justement pour ça que je vous apprécie beaucoup, Florent Bonos. Grâce à votre œuvre, vous permettez à tous ces experts de peinture à la toile de quitter le site européen et s'intéresser aux merveilles cachées de notre magnifique panorama ultra-marin.
Florent aurait aimé continuer la lèche plus longtemps, mais monsieur Harnais lui fila entre les doigts. Le vieil homme se faufile parmi la foule avant de prendre place au dessus d'un petit podium. Il tape deux fois sur le micro avant de lancer les hostilités à l'égard du tableau de Florent Bonos.
— Si vous pouviez nous la faire courte, ça serait super ! le presse l'un des hommes avec un monocle en argent. J'ai d'autres chats à fouetter que d'écouter une énième fois la biographie de ce talentueux guadeloupéen.
— C'est un martiniquais ! s'exclame une dame dont la voix tremblante annonçait bientôt la fin de sa vie sur terre. Peut-être que si vous râliez moins pendant les explications de monsieur Harnais, vous seriez tenu au courant. À mon sens, c'est un comportement suffisamment outrageant pour qu'il soit éliminé d'office de cette vente aux enchères, qu'en dites-vous, monsieur Bonos ?
Les regards aux paupières tombantes se braquent sur lui. Un amas de porte-feuille blindé que Florent n'avait pas envie de perdre.
— Vous savez, ma p'tite dame... tant que vous me verser ma thune, je suis même haïtien, si vous le voulez. Je m'en fiche de savoir qui a appris ma biographie comme une poésie de La Fontaine du moment que je fais mon beurre. C'est ça, ma politique.
Des vagues exclamations s'allongèrent après la remarque de Florent. Les quelques spectateurs encore debout prirent places sur leurs chaises, se préparant déjà psychologiquement à saigner les chéquiers.
En quelques minutes, monsieur Harnais à face à lui une salle pleine d'acheteurs – sans oublier ceux qui n'ont pas pu faire le déplacement. L'agent de sécurité, qui patrouillait autour du musée, se sentait presque oppressé par cette vague de monde et commençait à regretter d'avoir répondu présent pour assister cette soirée.
Florent remarque une caméra suspendu au plafond, lovée par une longue toile d'araignée, dont un voyant au-dessous de son capteur s'allumait d'un vert fluorescent. Il comprenait qu'ils étaient tous en directe depuis l'étranger, là où d'autres acheteurs bien nantis ne purent s'empêcher de rater une occasion pareille.
— Avant de commencer à recouvrir cette enchère exorbitante, permettez-moi de vous posez quelques questions, monsieur Bonos !
L'homme, alors assis à côté du commissaire priseur, sursaute en voyant une femme se frayer un chemin entre les gens qui fixaient le tableau d'un air attentif.
C'est qu'elle était plutôt jolie, avec ses longs cheveux métissés qui bouclaient d'un air naturel ou encore se regard de lynx qui suffirait à déstabiliser n'importe quel puceau. Habillée d'un tailleur qui lui donnait cet air de femme de pouvoir sexy, elle s'élance avec une assurance presque démesurée, sans prendre en compte la remarque de monsieur Harnais qui lui priait de prendre place parmi les potentiels acheteurs.
Elle monte sur l'estrade, Florent capte soudain la bonne odeur de vanille qui s'émane de son corps. Il avait presque envie de fermer les yeux pour savourer l'instant, mais le regard noir de cette femme qui lui faisait tourner la tête semblait d'autant plus motivé à lui livrer une bataille psychologique devant cette foule surexcitée.
— Comment pourrais-je appeler une créature aussi magnifique que vous ?
— Gardez votre misogynie pour vous, monsieur Bonos.
— Les sentiments qui me traversent lorsque je vous regarde sont à l'opposé de ce qu'on pourrait appeler « la haine des femmes », sans vouloir vous offenser, chère madame.
— Évitez de prendre cet air distingué avec moi, c'est monsieur Alouette qui m'envoie.
Le visage de Florent se crispe comme s'il était pris d'un fulgurant spasme.
« Ce grand malade a envoyé des gens jusqu'ici pour me torturer ? Qu'est-ce qui tourne pas rond, dans sa tête ? »
— Woaw, un micro ! remarque Florent lorsque la grille de l'appareil dépasse de la poche de sa jupe noire. Je suppose que vous faites parti de ces ravissantes journalistes dont se déchirent les politiciens.
— Détrompez-vous, je ne suis pas du genre à accepter des pots-de-vins en échange de la vérité. Faire la une de la presse avec des vérités est bien plus alléchant que de recevoir une bonne liasse de billet pour se taire.
— Oh, pour ça, je n'en doute pas, grince alors Florent en plissant ses yeux à l'image d'un sourire cordial qui avait tout l'air d'un faux.
— J'espère que vous n'êtes pas trop sensible, monsieur Bonos. J'aime poser des questions sans prendre de pincettes.
— Dites-moi, est-ce que monsieur Alouette se faisait martyriser par les lycéens de la Capitale ? En tant que bonne journaliste, comme vous prétendez si bien l'être, je vous suggère de faire un reportage là-dessus. Les professeurs fragiles et victimes de harcèlement, c'est un problème qu'encore beaucoup de gens ignore, même au sein du monde de l'enseignement.
— J'ai perçu une once de sarcasme dans votre proposition, finalement je m'y attendais, annonce la journaliste qui semblait avoir été briefée avant de venir. Je tiens tout de même à vous rappelez que c'est moi qui pose les questions, ici.
Florent avale difficilement sa salive et décide de s'enfoncer un peu plus dans son siège. Il suffisait d'une question compromettante sur l'affaire qui s'était déroulée avec Marceau pour faire fuir tous les acheteurs potentiels. Monsieur Harnais l'observe du coin de l'œil, attendant son verdict.
— De toute les façons, même si chaque mortel à ses secrets, je n'ai strictement rien à cacher. J'assume tout ce que j'ai fait jusqu'à présent. Vous pouvez y aller !
Un sourire fini par se dessiner sur ce visage qui semblait autrefois fermé et autoritaire.
— Pourrais-je au moins avoir le nom de la personne qui me fait passer un interrogatoire en pleine vente aux enchères ?
— Je m'appelle Katie, mais ça sera Activiste Shatta, pour vous.
« Activiste Shatta ! Bordel de merde... »
— Activiste Shatta ? lance Florent d'un air étonné. J'en ai jamais entendu parler...
« Oh, non, non, non, noooon ! Cette femme a une épée à la place de la langue. Toute la Martinique la connaît pour ses interviews sans langue de bois. Bordel, que des békés sont tombés sous sa réparties et ont disparu des radars. À une époque, elle a réussi à retirer la statue de Herman Cerfcromby en plein cœur de la Capitale. Les plus gros dossiers des békés et politiciens antillais sous dans sa pile de papier, ses différents comptes, ses portables, ordinateurs... Non, non, non ! Si aujourd'hui elle décide de m'enfoncer, je peux définitivement dire adieu à la vente de Out Opus ! »
— Pourquoi vous transpirez ? demande-t-elle.
— Vous me donnez chaud, ricane Florent.
— Bien, fait Katie en arrangeant son tailleur au niveau de sa poitrine. On va pouvoir commencer.
Elle se rapproche un peu trop de Florent, si bien qu'il arrivait à sentir sa respiration filtrer entre ses locks.
— En général, lorsqu'une femme s'approche d'aussi près de moi, c'est pour lui voler un baiser.
— Faites ça et je vous jure que toute la Martinique vous prendra pour un détraqué sexuel. Vous n'avez pas l'air de saisir à qui vous avez affaire, monsieur Bonos.
Florent sent sa salive se coincer dans sa gorge.
— Bon, soupir l'homme en redressant ses lunettes. Je vois que le sens de l'humour n'est pas trop votre fort. C'est pas grave.
— Je ne suis pas là pour plaisanter, surtout lorsqu'on passe dans mes interviews. Est-ce que vous pensez que j'ai fait tout ce chemin jusqu'en métropole pour gober des boutades d'enfants de six ans ?
— Accouchez vos questions qu'on en finisse ! Je sens que cette vente aux enchères va durer une éternité ! tempête monsieur Harnais. Les acheteurs commençent à s'agiter, c'est pas bon pour nos affaires, renchérit-il en se tournant cette fois-ci vers Florent.
Florent tape du pied contre le sol, à l'image d'un lapin, en espérant que cela presse Katie qui était en train de fouiller dans un bloc de papier, tous entassés entre deux bouts de cartons mal ficelés.
Elle attrape une feuille et commence à la déchiffrer en ballant de haut en bas d'un simple regard. Un sourire se forme sur son visage et commence à racler sa gorge. Florent sent l'avalanche arriver, il se redresse sur son siège et serre les dents. Il tente d'afficher plus de courage qu'il n'en possède quand Katie prend la parole dans son micro.
— Pourquoi avoir accepté de vendre cette œuvre artistique controversé qui fait la renom annuelle de la Martinique entre les mains d'une famille de békés ?
« Wow, je ne m'attendais pas à ce que sa voix porte sur toute la pièce. La pétasse à programmé les haut-parleurs sur son micro, ou quoi ?! » se disait Florent en sursautant.
Tout le monde pouvait entendre, il ne fallait pas faire de gaffe.
— Peu importe l'acheteur, commence-t-il d'une voix peu convaincu. Le plus important pour moi était de savoir que tout le monde, y compris à l'étranger comprenne le message à travers mon œuvre d'art. S'il était entre les mains des Cerf pendant un laps de temps, ce n'est pas très dérangeant. J'ai fait partager cette œuvre avant de la revendre, tout le monde à compris le message, et c'est le plus important pour moi.
Il se retourne en direction de monsieur Harnais, ce dernier lui lève un pouce en l'air, comme pour lui faire comprendre qu'il assurait et qu'il fallait rester sur cette lancée. Les acheteurs font un bourdonnement, un peu plus bas, mais dans un calme rassuré. Florent était sur d'avoir gagné de la côte auprès du public.
— Votre but était que tout le monde comprenne le message caché derrière « Out Opus », alors... si mes souvenirs sont bons, vous avez fait une totale reprise de Carpe diem, soit qu'il faut profiter de l'instant présent. C'est exactement ce que démontre les ombres bleutées qui forment votre peinture. Des hommes aux dos voûtés qui se contentent de survivre sans se redresser et vivre la vie comme elle vient.
— C'est ça, en effet, ajoute Florent pour ne pas lui laisser le crachoir.
— Pourtant, en vendant cette œuvre qui aurait pu inspirer tant de personne à une famille de békés, vous avez simplement prouvé que ce message a perdu toute sa valeur. Tout en sachant que nos ancêtres ont été à la botte de ces familles d'esclavagistes, il est d'autant plus clair qu'ils n'avaient pas le choix de profiter de l'instant présent, comme vous semblez si bien l'illustrer dans cette peinture de « Out Opus ». Ressentez-vous de la honte d'avoir accepté l'argent sale de cette famille qui a autrefois assujetti nos ancêtres esclaves ?
— Voyez-vous, ma petite dame...
Il prend un élan d'inspiration quand il constate que tous les regards sont braqués sur lui.
— En vendant ma peinture pour cinq million d'euros, je n'ai fait que reprendre ce qui me revenait de droit. Certains de nos ancêtres ont probablement travaillé à la botte de cette famille de békés et bien d'autres encore, mais j'estime, en prenant cas de ma propre vie, que j'ai simplement récupérer ma liberté et l'argent qui aurait dû revenir à mes ancêtres par le biais de ce tableau.
Avant que Katie ne puisse réagir à la nouvelle réponse de Florent, une vague d'applaudissement étouffe son micro. Elle s'arrête, comme empli de frustration, en entendant les gens hurler dans la salle, lui siffler, l'acclamer.
— Et tout compte fait, j'ai réussi à récupérer mon œuvre alors je ne vois pas vraiment ce que vous pouvez encore me reprocher, Katie. Peut-être que quelqu'un de digne aura le privilège de devenir le gardien de cette version martiniquaise de Carpe Diem.
Alors que Katie crispe ses mains sur son micro, une main se lève parmi la foule. Elle est tremblante et aussi instable que le bras qui la soutient. C'est que le vieillard s'efforce de la laisser en l'air jusqu'à ce que monsieur Harnais le remarque – même si cela devait lui prendre le peu d'énergie dont il disposait encore.
— Dites-moi, madame, si j'achète l'œuvre du monsieur juste à côté de vous pour dix millions d'euros, est-ce que vous allez nous laisser tranquille ?
Florent se lève de son siège tandis que les autres acheteurs s'en décrochent la mâchoire.
— Vous... vous avez dit « dix million » ? Wow, est-ce que vous êtes sérieux ?
Florent pensait, au vu de son grand âge, que l'homme sénile avait probablement perdu sa tête.
— Je possède bon nombres d'hectare et jardins touristiques. Ne vous en faites pas pour ça, dix million c'est comme de l'argent de poche qu'on dépense pour acheter des sucreries, selon moi.
— Mais... c'est quand même une sacré somme ! s'exclame l'un des autres acheteurs.
— Vous savez... soupire l'homme avant de prendre une grande inspiration. Je peux comprendre le désarroi de la petite dame, l'un des seuls tableaux qui fait la fierté de son île a été acheté par les mêmes colonisateurs qui ont asservi ses ancêtres. Que dirions-nous si un Émile Nouguier avait accepté de vendre la Tour Eiffel à des nazis ?
Tout le monde – y comprit Katie – se turent. La pièce, malgré l'amas de personne qui s'y trouve, se retrouve plongé dans un silence total.
— Que le Seigneur regarde ma bonne action avant que je le rejoigne. Qu'est-ce que je fais avec autant d'argent, ma foi ! Alors que bon nombres de chics types comme vous auraient bien mérité d'amasser cette somme à la mémoire de leurs ancêtres esclaves, disait l'homme en regardant le plafond d'un air consterné.
Florent donne un coup de coude à monsieur Harnais avant de lui chuchoter quelque chose à l'oreille.
— Faites vite de conclure le marché avant qu'il ne rende l'âme ! Je n'aime pas la façon dont il regarde au plafond, comme ça !
Monsieur Harnais se lève en raclant sa gorge pour captiver toute l'attention de la salle. Les bras en croix, il les agitent avant de saisir son marteau.
— Personne pour proposer une meilleure offre ?
Ils ne prirent même pas le soin de secouer leurs têtes tellement cela semblait évident.
— Bien, je déclare cette vente en enchère résolue ! Monsieur Bonos, vous venez d'empocher dix millions d'euros de la part de monsieur...
— Du Vernal, répond l'homme en se tenant sur sa canne à la manche argenté. Simon Du Vernal.
Florent sentait comme si son cœur allait exploser. Il lacère sa poitrine, le regard rivé vers Monsieur Harnais.
— Félicitations, monsieur Bonos. Vous êtes à nouveau riche.
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