Saison 1 - Épisode 20 : Un faucon en cache un autre
Le videur redresse ses lunettes et recule de quelques millimètres. Il n'arrive pas à y croire. La personne qui se tient devant lui doit être la seule tête grisonnante à faire irruption dans la file d'attente.
— Vous êtes Florent Bonos ?
— Ah, euh... oui, oui ! Désolé, je prends pas de selfie, ça sera pour une autre fois si j'oublie pas.
— Regardez-moi dans les yeux, surtout quand c'est mon mec qui vous parle, assène Maya en enlaçant le bras de Florent au sien. Laissez-nous passer maintenant.
— Ah... oui... madame Daussac, j'ou-j'oubliais de vous dire...
Le couple s'arrête après avoir franchi la porte, elle tort son cou d'un air harassé en direction d'un videur qui possède à peine la carrure pour mettre à l'amende une bande de collégiens turbulente.
— Vous avez une avance de conso gratuite.
— Je sais, c'est compris pour les trentes premières femmes qui viennent ici.
— Non, je veux dire... une « autre » conso. C'est l'organisateur qui vous l'offre.
— L'organisateur ? Et c'est qui, celui-là ?
— Je n'en sais pas plus, désolé. Je suis juste venu rapporter l'information qu'on m'a demandé de vous transmettre.
— Hummm... je verrai ça en détail plus tard. OK.
Elle met ses lunettes teintées dans un fermoir avant de les glisser au fin fond de son sac Louis Vuitton. La foule se déhanche dans une pièce tamisée d'ombre. Seules les bribes de lumières qui clignotaient sur la piste de danse donnaient formes et visages aux personnes qui l'entouraient.
— C'est déjà trop pour moi, on peut s'asseoir au bar ? Maya ? Maya ?
— Putain de merde, c'est elle...
Elle plisse les yeux et semble reconnaître deux silhouettes traverser la foule d'un pas précipité et se terrer au fond d'un couloir qui donnait sur les toilettes des dames.
Sans faire attention aux plaintes de Florent, Maya marche, comme attirée par ces deux individus qui s'écartent de l'amusement. Elle pousse la porte derrière eux et entre dans les toilettes.
— Sadia, Tamira ? Qu'est-ce que vous faites ici ?
Les deux filles, qui soulignaient une dernière fois leurs rouges à lèvres, sursautèrent en voyant le visage cramoisi de Maya à travers le grand miroir. Tamira lâche le bouchon en or du rouge à lèvres dans le lavabo et tente de le rattraper avec son extension d'ongle.
— C'était du Victoria Secret, en plus, souffle Tamira en se mordant la lèvre inférieure.
— Qu'est-ce que tu nous veux ? demande Sadia en se tournant face à la jeune fille.
— Je savais pas que vous deviez venir... pourquoi vous ne m'avez pas appelé ?
Les deux filles se lancent le même regard agacé. Sadia manque de percer sa joue droite avec sa langue et enchaîne un bruit de claquement avec son talon.
— Je vois que ça ne t'as pas empêcher de venir, avec ton grand-père, en plus. Reconnais que l'annonce que j'ai faite sur mon blog t'as plus aidé qu'autre chose...
— Vous n'allez quand même pas me faire la gueule indéfiniment pour ça ?! Sadia, je t'ai déjà expliqué que j'ai tout fait pour que Marceau...
— Ne parle pas de lui, il est ici ! gronde Tamira. Ce sont ses potes qui nous ont invités, d'abord.
— Quoi ? s'étonne Maya. Mais... après tout ce qu'ils vous ont fait.
— Il y a peut-être une chance que j'arrive à parler à Marceau pour qu'il se décide à retirer la vidéo, admet Sadia.
— Mais, Sadia, même s'il décide de la retirer, tout le monde à déjà...
— Ferme-là, Tamira ! T'es de mon côté ou non, putain de merde !
— Je veux juste te dire que ça n'empêchera pas les gens de te reconnaître dans la rue. Et même dans les boites de nuit.
— C'est à cause d'un de ces chiens en chaleurs qu'on s'est tirée dans les toilettes. Bordel, j'suis trop down bad, là. J'pense pas que je vais tenir le coup ! J'vais écrire treize cassettes et me tirer une balle dans la tête.
— Non, ma choupinette, dis pas des trucs comme ça ! On va trouver une solution j'te le jure, babe !
Le visage de Tamira se crispe quand elle attrape Sadia dans ses bras. Elles auraient pu fusionner tant leurs corps s'enlaçaient. Au bout d'un moment, Maya se demande si elles n'étaient pas prêtes à s'embrasser.
— Les filles, je veux juste que tout redevienne comme avant, entre nous.
— Fallait y penser avant ! Maintenant, casse-toi !
— Eh, parle bien, par contre !
Maya attrape le poignet de Sadia, le sang lui monte au cerveau, ça chauffe. Elle commence à le tourner.
— Argh, lâche-moi ! gronde Sadia en poussant quelques gémissements.
— Bordel, Maya, arrête !!!
Tamira plaque sa main contre le poignet de Maya et tente de les séparer. Une fois qu'elles atterrissent toutes les trois au sol, Maya observe ses amies en poussant une forte inspiration. Elle se lève et quitte les toilettes en courant.
— Tiens, tiens, tiens... j'espérais quand même te trouver, malgré le monde qu'il y a ici.
— T'es qui, toi ?
Un garçon vêtu d'une chemise en léopard et d'un bas de même motif s'avance jusque'à elle. Il dégage une forte odeur d'eau de Cologne, ça sent bon. Son brushing est quasiment impeccable, comme celui qu'on pourrait retrouver sur les poupées Ken. Et le grand sourire qu'il faisait désignaient des dents parfaitement alignées. Elles se démarquaient du voile d'obscurité qui planait dans la boite à chaque fois que les lightjockets décident d'éteindre la lumière.
— Yoan Roca ? C'est bien toi ?!
Elle sursaute quand une pluie de néon violet vient l'assaillir, dévoilant ainsi sa mâchoire parfaitement dessinée.
— C'est moi le boss de cette boîte, maintenant.
— Je n'arrive pas à croire que ton père ait mis les clés sous la porte...
— Mieux encore, il me les a donné. C'est pas magnifique ?
— Ouais... super.
— Écoute.
Lorsqu'il pose sa main sur le poignet de Maya, elle ressent comme un électrochoc.
— Je sais que t'as envie de tout sauf de me parler, mais il faut que je te dise quelque chose.
— Par rapport à Sayan, non merci.
— Tu devrais faire gaffe à ton grand-père. Il sait pas dans quel pétrin il vient de se fourrer en osant venir ici.
— Mais toi, tu en savais quelque chose vu que c'est toi qui m'a avancé des consos...
— Je savais que t'allais pas manquer une occasion de te pointer si je le faisais, sourit Yoan du coin de la bouche. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre pour que tu te décides à venir, dis-moi.
— J'ai pas le temps pour ça, je dois rejoindre Florent.
— Oh, ne t'en fais pas. Il n'est plus au bar.
— Comment ça ? Qu'est-ce que vous avez fait ?!
Elle plaque ses mains contre son torse et essaye de le repousser.
— Maya, Maya... je suis désolé de te forcer la main, mais tu vas devoir me suivre.
***
— Il est là, on y va ! s'écrie Nicolas, le visage plus boursoufflé que jamais.
— Attends, t'es sur que Maya n'est pas dans les parages ? demande Marceau, une dernière fois
— Non, putain ! Pourquoi tu demandes ça ? Tu fais pas confiance à Yoan ou quoi ?
— Rien à voir, allons-y !
Les deux garçons prennent chacun un tabouret aux côtés de Florent. Cerné, par Nicolas à droite et Marceau à gauche, l'homme ne leur prête pas attention et continue de siroter son verre de rhum.
— Garçon, mettez-moi un citron ! Vous n'avez pas l'art et la manière de servir du Clément, vous, ça se voit !
Le serveur incline la tête, comme pour s'excuser, et se hâte dans le réfrigérateur qui donne à l'opposé du comptoir.
— Dites donc, qu'est-ce que nous avons là ?
— Une belle négresse avec des tissages, que vois-je ?
Florent reste de marbre. Il essaye d'ingurgiter une autre gorgée de son rhum vieux tout en tapant du pied sur la base du tabouret. Marceau et Nicolas se rapprochent davantage de lui, faisant bientôt coude-à-coude.
— Les gars, je joue pas sur votre pelouse. Allez dans les bars à pédales, si ça vous démange.
— Oh, la première fois qu'il ouvre la bouche ! s'écrie Marceau d'un ricanement forcé.
— Bah enfin, on commençait à croire que t'avais peur de nous... continue Nicolas.
— T'as des lunettes de binoclard et une coupe de gonzesse, tu croyais vraiment que j'avais peur de toi ? Non, au début, je savais même pas que c'était à moi que vous parliez.
— Il veut faire le malin, je vois...
— Depuis que ça tape Maya Daussac, ça se permet de faire l'ancien.
Florent fronce des sourcils et se lève presque brusquement. Il jette un regard sur Marceau. Ses yeux lui sortaient par le verre de ses lunettes.
— Attends, comment tu sais que je...
— Tout le monde est au courant, man. Relax toi, c'est pas bon pour ton cardio.
— T'es un de ses toutous qui payent son Onlyfans ? Comment tu la connais ?
— Mon pauvre, tu n'as aucune idée de qui je suis.
— J'aime pas jouer aux devinettes. T'as intérêt à répondre très vite avant que je finisse en garde-à-vue.
Marceau donne une accolade à Nicolas pendant qu'il tombe presque sur le sol tellement les menaces de Florent lui semblaient banales et futiles.
— Écoute-moi bien, papi, tu partiras pas d'ici tant qu'on t'auras pas mis la raclée de ta vie.
— Je devrais pas frapper les gosses, mais toi, j'dois bien admettre que tu m'as l'air d'un sacré petit enculé.
— Nicolas, va-y !
Le métis à lunettes se glisse dans le dos de Florent et lui immobilise les bras.
— Les blancs ne savent décidément pas se battre en solo. C'est pour ça que t'as ton noir de service ?
— Ferme-là, abruti ! Tu vas te faire afficher dans même pas deux minutes, espèce d'enfoiré.
— T'es qui, au juste ? Pourquoi tu veux t'exciter sur moi ?
La foule qui s'amusent autour commencent à s'arrêter. Les gens, reculent devant l'action, formant bientôt un grand cercle digne des limites d'un ring. Florent Tord son cou dans toutes les directions possibles et observent une montée de flash l'assaillir de toute part.
— Souri, on est filmé, papi.
Marceau n'arrête pas de gesticuler devant le visage de Florent. Il commence à se lécher les lèvres et sautille en prenant position. Les poings serrés devant l'homme, il accélère sa démarche.
— Marceau, attend !!!
Quelque chose crève le flux du cercle qui les entoure. Une petite corpulence, qui manque de tomber devant les trois hommes, se rattrape de peu et fonce droit vers eux.
— Marceau, je t'en supplie...
— Oh, putain, pas maintenant !
— Supprime la vidéo... pitié...
— Bouge de là, Sadia ! J'suis occupé, là !
— Arrête, mon père va me tuer quand il l'apprendra !
— C'est pas mon dos, dégage ! Tu vas tout gâcher !
Il attrape la jeune fille par la taille avant qu'elle ne se jette sur lui et l'envoie valser au sol. Elle tombe sur les genoux et pousse un léger gémissement avant de se relever.
— T'es vraiment qu'un sale connard !
« Marceau, j'ai déjà entendu ce prénom quelque part ».
Florent, les yeux fermés, cherche dans son esprit jusqu'à ce qu'un flash revienne. D'un geste, il s'accroupi et balance son dos vers l'avant. Dans la rapidité du mouvement, Nicolas se retrouve emporté, lui qui tenait les bras de Florent. Bientôt, il s'écrase sur le corps de Marceau et finissent au sol.
— T'es le frère de l'autre pédale, là ! Oui, c'est bien ça !
— T'as intérêt à supprimer cette saloperie de vidéo, le vieux ! J'vais t'niquer tes morts ! Pour mon frère et mon pote !
— Ah bah, j'aimerais bien voir ça, tiens !
— À cause de toi, mon frère peut plus sortir de la maison sans qu'on se foute de sa gueule ! Tu vas payer ça, bâtard !
Sadia écarquille ses yeux et semble se délecter de voir Marceau avec un visage aussi flamboyant de colère.
Le garçon se relève et commence à envoyer des crochets du poing.
— Trop prévisible, annonce Florent.
Il se contente de faire un pas en arrière quand Marceau s'avance sans prendre en compte le corps de Nicolas qui git devant lui. Il trébuche sur lui en envoyant une patate dans le vide et cogne son visage contre le sol.
Les gens qui filment autour d'eux commencent à pousser des hurlements aussi puissant que les enceintes qui projettent le son dans la salle. On entendait plus qu'eux et leurs bruits de singes à chaque fois que Florent esquivait une attaque. L'un d'entre eux fait un zoom optique sur le visage de l'homme en lui hurlant de mettre une droite suffisamment puissante à Marceau pour qu'il ne s'en réveille pas.
— Fais attention à ce que tu fais, man ! Je sais très bien qui tu es !
Florent, qui s'apprêtait à riposter, s'arrête net devant Marceau.
— C'est grâce à mon père que t'es devenu riche, pauvre merde ! J'ai vu ton tableau sur le mur de ma mère.
— Attends... tu es le fils de Monsieur Cerf ?
Les yeux de Florent s'écarquillent. L'homme commence à incliner le poing qu'il brandissait autrefois avec un élan d'assurance. Il baisse la tête et observe le corps de Nicolas se tortiller lentement, encore dans les vapes.
— Un pas de travers et j'dis tout à mon père. T'as capté, petite merde !
— Je...
— Sans leur offre, tu serais encore en train de suer dans ton amphithéâtre de merde, avec tes étudiants d'arts de merde qui feront rien de leur vie à part jouer à cache-cache dans les locaux de Pôle Emploi.
— ... m'en bas les couilles, espèce de sale petit morveux !
Soudain, Florent se jette sur lui. Marceau a à peine le temps d'ouvrir la bouche, qu'il voit une ombre ronger la sienne. Il est désemparé. Sa voix intérieure lui conjure de hurler de toutes ses forces, qu'il fallait appeler la sécurité pour dégager ce grand malade, mais que penserait Yoan devant un tel aveu de faiblesse ?
Marceau encaisse l'uppercut aussi stoïquement que possible. Bien qu'il ait les yeux fermés, l'impact du poing résonne comme un flash rouge dans sa tête. Il sent que l'une de ses dents se déplace dans son œsophage mais se dit qu'il faut mieux ne pas crier pour laisser le bénéfice du doute quant à sa dentition. C'est qu'il doit y avoir plus qu'une centaine de smartphones braqués sur lui.
Le jeune homme titube légèrement en arrière et ouvre les yeux face à Florent avant de lui attraper le bras.
— Bah alors ? Tu t'sens pousser des couilles, sale petit bâtard gâté ?
— J'ai pas besoin d'appeler mes darons pour te faire la peau, espèce d'enfoiré de nègre !
Soudain, un tonnerre d'exclamation détonne autour de lui.
— Venant de la part d'un béké, je suis même pas choqué de l'expression, ajoute Florent. Des p'tits racistes abrutis dans ton genre, j'en ai connu bien avant que ta mère te chie au monde. C'est pas ta salive d'aristocrate qui va me faire peur !
La méprise mentale qu'il avait tenté d'exercer sur son opposant eut l'effet inverse. C'était comme s'il s'insufflait d'une seconde jeunesse. Florent enfonce son genou dans les côtes de Marceau pour le contraindre à lui lâcher le bras. Quand le garçon essaye de masser sa cage thoracique pour apaiser la douleur, il se glisse dans son dos et lui assène un coup sur le crâne en joignant ses yeux mains, avec la vélocité d'une massue.
Marceau s'écrase sur le sol. Sa tête vient s'éclater sur un carreau et le fissurer en deux. Le cercle qui se forme autour d'eux commence à rétrécir. Les gens s'approche de son corps inerte pour filmer, avec une délectation secrète, l'humiliation que venait de subir le garçon. Les flashs des portables le balayant de la tête jusqu'aux pieds.
— Wopapa, je crois qu'il a perdu une dent ! s'écrie l'un des spectateurs en rigolant à gorge déployée.
Nicolas avait repris conscience depuis une bonne dizaine de secondes mais trouve l'idée préférable de simuler un coma pour ne pas se confronter à nouveau à Florent Bonos. Il se savait incapable d'assumer une énième dérouillé maintenant que toute l'attention était centrée sur son ami.
***
Elle monte les escaliers en métal et se cale contre la rambarde dorée qui offre une vision panoramique en plongée de la foule qui s'enjaille sur la piste de danse. Elle se sentirait presque reine devant des sujets hypnotisés par « le pain et les jeux » si la situation s'y prêtait.
— C'est bon, tu peux entrer, dit une voix grave qui plane dans son dos.
Lorsque Yoan pose sa main sur son épaule, elle ne peut s'empêcher de scruter ses boutons de manchettes qui reluisaient dans le noir. On aurait dit des diamants, mais elle ne voulait pas lui demander sous peine qu'il commence à prendre la confiance.
Maya passe une porte rouge sur laquelle une plaquette d'or inscrit en noir le mot « VIP ». Des agents de sécurités, qui ne dégageaient aucune odeur, se contentèrent de baisser leurs lunettes au-dessous des yeux pour admirer la marchandise que Maya trimballait discrètement dans sa robe rouge.
— C'est le Faucon qui va apprécier ça, ricane l'un d'entre eux.
— Ta gueule, abruti ! gronde son collègue lorsqu'il comprend que Maya les a entendu. Admire en silence ! Tu veux qu'on se fasse virer ou quoi ?
La température change au moment où elle franchit le pas de la porte. Une fraîcheur que le « bas peuple » qui se divertissait n'avait pas droit commence à lui provoquer des frissons. Elle lève la tête avant d'apercevoir la climatisation au coin de la petite pièce.
Un distributeur de champagnes et de Hennessy repose en face d'un bureau en ébène. Tandis que deux chaises en cuir d'un verni rougi se dressent devant lui. En face, une chaise de bureau leur donnait son dos, face à un aquarium de poissons-chats.
Quand Maya réalise une paire de Air Force One dépasser la base de la chaise, elle comprend que quelqu'un se tient dans cette position depuis le début. Et elle sait très bien de qu'il s'agit.
— Sayan... arrête tes conneries, maintenant. T'es resté combien de temps dans cette position avant de savoir que j'allais venir ?
— Ton papi s'amuse bien ? dit-il sans se retourner de suite.
— Pas vraiment depuis qu'il a fait joujou avec ton visage, l'autre soir.
Soudain, la chaise fait un pivot complet avant qu'il vienne l'interrompre en calant brutalement son talon contre le recoin du bureau. Sayan se retient de ne pas souffler quand son tibia cogne le bois et pose ses mains sur la table.
— Tu sais quoi ? On s'en fiche de ton grand-père. L'essentiel, c'est que tu sois là.
— Bordel... souffle Maya. J'aurais dû m'en douter que le seul grand malade qui aurait pu m'avancer une conso, c'était toi.
— T'as toujours voulu te prendre pour une star. Ça s'est retourné contre toi pour cette fois.
— Si c'est comme ça que t'aborde tes exs, je pense que tu sois capable de les récupérer d'aussitôt.
— Tu n'as pas dit que je n'avais aucune chance, ricane Sayan en pointant son doigt vers le ciel.
Yoan lui fait un bref signe de tête avant de s'éclipser.
— Pourquoi il est parti ? En fermant la porte, en plus.
— On a besoin d'un peu d'intimité pour parler entre amoureux, tu ne crois pas ?
— Bordel de merde, Sayan. Depuis que je t'ai quitté, tu t'es transformé en lavette, ou c'est comment ?
— Elles ont beau avoir des bêtes de lèvres, à chaque fois qu'elles me sucent la queue, au moment où je crache dans leurs bouches, c'est à toi que je pense, Maya.
— Putain, c'est pas vrai... soupire la jeune fille en se pinçant les yeux. Tu pouvais t'abstenir de ce genre de détails, tu sais ?
— D'ailleurs, Laurina, si tu pouvais déguerpir, ça serait cool.
Un placard au-dessous de la climatisation se met à bouger tout seul. Maya sursaute en voyant une main dépasser des portes et se dégager au sol.
— Mais t'es pas la fille du Pallo, toi ?
— J't'ai déjà dit d'arrêter de me tutoyer ! gronde la fille. On est pas potes, j'te signale !
— Regarde-moi dans les yeux quand tu me parles avec autant d'assurance, espèce de pétasse.
Laurina est emmitouflé dans un peignoir qui devait faire trois fois sa petite taille et attrape une pair de chausson au fond du placard. Elle essaye de regarder Maya du coin de l'œil quand elle lui effleure l'épaule. D'un pas précipité, la jeune fille ouvre la porte et reste au seuil pour observer si quelqu'un approchait.
— Eh, n'oublie pas de me rendre mon peignoir, hein !
— Mais oui, oui, à plus, Sayan !
La porte se claque lorsqu'elle commence à courir sur la plateforme en métal.
— J'espère qu'elle a pas tout recraché dans l'armoire, Yoan va rager après ça... dit-il en se penchant sur sa chaise pour essayer de voir les dégâts du placard.
— Eh, eh ! fait Maya en claquant des doigts. J'ai pas tout mon temps, moi. Florent m'attend en bas.
— Justement, en parlant de lui...
Il fait exprès de laisser sa phrase en suspens pour attraper une bouteille de Jack Daniel's et la poster entre lui et son ex petite-amie.
— ... il est fait comme un rat.
— Quoi ?! Qu'est-ce que t'as encore fait comme connerie ?
— Tu pensais quand même pas que j'allais laisser ce clown entrer dans la boîte de nuit d'un de mes frangins sans encombre ? J'ai fait ce qu'il fallait, c'est tout. Ce petit malin s'est cru intéressant à me mettre une dérouillée, l'autre soir, alors disons que je lui ai rendu la pareille.
— T'es tellement lâche que t'es même pas allé l'affronter en personne. Tu envoies ta bande d'imbécile pour faire le sale travail, sérieusement, Sayan ?
— Ils se sont proposés tous seuls. Comme quoi, personne ne peut le blairer, l'artiste éco plus.
— L'artiste éco plus, comme tu dis, il a gagne plus que tous tes darons réunis en mettant deux trois coups de peintures sur une toile.
— C'est ça qui t'excites, en fait... ça a toujours été comme ça.
— Ouais, ouais, t'as entièrement raison. Je suis une putain d'opportuniste.
— Je savais bien que t'avais pas pris l'option art juste pour compenser tes notes de merde en danse. Tu le guettais déjà, ce prof de merde.
— Autant dire que c'est un signe du destin. Je dansais tellement bien sur les barres de pole dance que Dieu m'a remercié de lui avoir donné une demi molle en mettant Florent sur ma route.
— Si j'avais conscience de tout ce qui allait se passer, jamais je t'aurais laissé aller à cette stupide exposition à la con !
— J'ai jamais eu de père, alors c'est pas toi qui allait me dicter ce que je dois faire !
— De toute façon, ces conneries seront bientôt terminées.
— Oh, t'as enfin compris qu'il fallait lâcher l'affaire ? Je peux y aller maintenant.
— Marceau va lui retirer tout ce qu'il a. Ton grand-père va finir avec une main devant et l'autre derrière.
— Comment ça ?
— Se sont ses parents qui ont rendu ton boug riche comme le dernier des Rockefeller. Ils peuvent très bien tout lui reprendre.
— C'est ridicule, pourquoi ils feraient ça ? S'ils ont payé le prix fort, c'est justement parce qu'ils aimaient Out Opus...
— À peine Sadia a commencé à afficher votre couple, ce vieux bâtard s'est emparé du buzz pour afficher le petit frère de Marceau. Tu penses que Monsieur Cerf va le prendre comment quand il l'apprendra ?
— C'est pas possible... soupire Maya. Je lui avais bien dit de pas le faire pourtant.
— Il a voulu jouer, faut payer, maintenant.
— Laisse-moi lui parler. Si c'est ce qui te dérange, je peux encore lui demander d'enlever la vidéo...
— J'ai pas peur pour Marceau, crois-moi qu'il va s'occuper du cas de ton grand-père.
Il se lève et planque la bouteille de jack au-dessus de son petit frigo.
— Tu es sûre que tu ne veux pas finir ton verre ?
— Non, j'ai pas la tête à boire.
— Tu ferais mieux de te préparer, parce que la soirée vient à peine de commencer.
— Comment ça ?
— Allez, suis-moi.
— Et Florent, alors ?
— T'inquiètes pas pour ça, j't'ai déjà dit... on s'occupe de lui.
***
— Appelez une ambulance, vite ! Il est complètement fou !
Les gens qui filment commencent à permuter leurs regards sur l'objectif et sur le corps de Florent. L'homme robuste venait d'exploser une chaise dans le dos de Marceau et poussait des hurlements de gorille.
— C'est ça que vous voulez, du spectacle ? Je vais vous en donner, moi, bande de merdeux !
Soudain, un fracas détonne depuis le bout de la piste de danse. La foule de scinde en deux, on entend des gémissements aigus – probablement ceux des filles – quand des silhouettes aussi épaisses que des camions se mêlent aux apprentis journalistes-caméramans.
— Monsieur Bonos, comme on se retrouve.
— Ah, l'officier Sauterelle... on vous a invité à la soirée, vous aussi ?
— Malheureusement, c'est toujours pour des malades comme vous qu'on nous propose de venir. Je trouve ça un peu hypocrite mais bon, c'est mon métier.
Il sent son pic d'adrénaline l'abandonner. La tension redescend, soudain, il regrette d'avoir déchiré son t-shirt et commence à sentir des frissons sur tout son corps.
— Je vais vous demander de me suivre gentiment jusqu'à la voiture.
— Qu'est-ce que vous allez faire ? Je peux vous payer, vous savez ?
— C'est étrange, je croyais que vous n'aviez pas les moyens de faire des pots-de-vins, depuis la dernière fois qu'on s'était vu.
— Oh, vous savez... c'est que l'association des bébés locksés de Jamaïque, ça paye !
— Bien sûr, avant vous, personne n'aurait songé à s'enrichir avec de l'humanitaire. Ça coule de source.
Il plaque Florent aussi au sol, même si ce dernier geint qu'il est trop froid contre son torse et lui passe les menottes pendant qu'il le maintient les bras dans le dos.
— Je ne peux plus respirer.
— Ce genre de stratagème ne marche pas, ici.
— Et merde...
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