Saison 1 - Épisode 2 : Va chercher le Pallo, Kevin !

  Cela faisait désormais un week-end que Maya Daussac s'était installée avec Florent et Kevin Bonos sur le Morne Manicou. C'était la première fois qu'elle quittait le domicile familiale pour s'installer chez son petit copain et bien que la jeune femme demeurait pleine d'appréhension, le comportement altruiste de Kevin n'avait plus aucun mystère pour elle.

  C'est peut-être pour cette raison que Maya savait pertinemment qu'une fois franchit le salon, une manette l'attendrait sur le canapé, à côté de celle de Kevin pendant qu'il affrontait des gens sur Naruto Ultimate Ninja Storm 4.

  « C'est très facile, j'te jure ! » qu'il disait à chaque fois sans se demander si Maya connaissait ou non le jeu en question. Il fut surpris de se faire battre à plate couture sur toutes les manches qu'ils s'étaient disputés et le cachait honteusement à ses amis en ligne. Pire encore, elle passait sa matinée à l'entraîner pour qu'il remporte les championnats de ses streameurs préférés.

  — Comment c'est possible ? Où est-ce que tu as apprise tout ça ?

  — J'ai un frère, il adore ce jeu.

  — Hmpf, j'le savais que c'était complètement normal de jouer encore à Naruto. Qu'est-ce que mes camarades de PACES vont pas m'inventer...

  — Il est au collège, mais on va dire que t'as raison, marmonne Maya en voyant son visage décomposé.

  — ... Tu sais que t'es pas obligée de défendre cet abruti pour me plaire ? Il faut même faire tout l'inverse.

  Kevin lâche son casque d'un sursaut hâtif. Florent observe les jeunes adultes s'amuser d'un regard froid, les bras croisés.

  — Est-ce que tu pourrais aller me chercher un verre de Canada Dry, ma petite abeille ?

  Maya lui esquisse un sourire avant de se diriger vers la cuisine. Kevin se retourne par réflexe. Son regard tombe accidentellement sur le mini-short de la jeune fille. Et ce regard autrefois conditionné par un simple accident se transforme en machine à désir jusqu'à ce qu'une claque sonore, bien placée au niveau de la nuque, le réveille.

  — C'est quoi ton problème, p'tit con ?!

  — Aïe ! marmonne Kevin en se frottant l'arrière du crâne. Ça fait mal ! T'es complètement ouf !

  — C'est toi le malade ! Je te rappelle que c'est sur ma petite copine que t'es en train de te rincer l'œil !

  — Avant d'être ta copine, c'était ma camarade de classe. Tu peux pas m'en vouloir...

  — Parce que tu te fous de ma gueule, en plus ? Attends que je te règle ton com...

  Alors que l'ombre de Florent commençait à planer sur celle de son fils, totalement démuni face à la force trois fois supérieure de son paternelle, Maya fait irruption dans avec deux verres de Canada Dry. La jolie fille, le sourire aux lèvres, enjambe le canapé et reprend la manette.

  — Alors, on en était où ? demande Maya d'une voix claironnante.

  — Euh... hésite Kevin et regardant fixement les yeux de son père le tuer de l'intérieur. Tu sais quoi ? On va remettre ça pour une autre fois.

  — Quoi ? Depuis quand t'es devenu mauvais perdant ?

  — C'est pas grave... J'a-avais pleins de trucs à faire, de toute façon.

  — C'est exactement ça, Kevin. Comme étendre le linge, par exemple ! ajoute le grognement de son père.

  — Mais frèreuh ! C'est une blague ?!

  Sur le coup, Florent ne dit rien de particulier. L'homme tend simplement son verre à Maya en lui disant de le rapporter à la cuisine.

  — Je n'ai pas si soif que ça, finalement, ma petite abeille. Ça te dérange de...

  — Tu sais pas boire un petit shot de Canada Dry ? T'es vraiment un boloss. C'est pas possible.

  Pendant qu'elle se détourne de son champ de vision, Kevin reprend la partie qu'il avait mis sur pause. Et sans s'y attendre, ce n'est pas Danzô le sinistre ninja qui lui assène un crochet fatal dans le visage mais bel et bien son père.

  Avant de sentir son front ne faire qu'un avec le carrelage, Kevin ne savait pas de suite s'il venait de se prendre un K.O. dans le jeu ou dans la vraie vie.

  — Argh ! Mais t'es un malade...

  — Ferme, ferme ta gueule ou je t'en mets une autre !

  — AAAAAHHHH ! hurle Kevin avant de se mettre en position latérale de sécurité. Mais qu'est-ce qui te prends ?!

  — Ce petit ton insolent que tu prends avec moi, là... halète Florent en tonnant un index tremblant sur son fils, sa tension à son paroxysme. C'est terminé, tout ça ! Ta mère n'est plus là pour te protéger.

  — A-attends, je comprends pas là... ça veut dire quoi ?

  — Ça veut dire que tu ne vas plus me manquer de respect chez moi, espèce de sale petit ingrat ! Depuis que ta mère t'as chié de son ventre, tu te comportes comme un enculé. Je n'ai jamais compris pourquoi tu voulais autant me pourrir la vie. C'est vrai, j'étais pas non plus le pire des pères. Mais tout ça va changer à partir de maintenant.

  — T'as pas le droit de faire ça, j'vais le dire à maman !

  — Ooohh, mon pauvre chou ! Appelle donc ta mère, comme si elle pourrait venir te sauver depuis Toulouse.

  — C'est pas juste.

  — Je t'explique le topo, Kevin : dorénavant tu fermes ta gueule et tu fais ce que je dis ! Tout d'abord, ça passe par le linge que je t'ai dit d'aller étendre ! Si tu ne comprends pas, je peux très bien casser le verre que ma petite abeille t'as donné et te trancher la gorge avec ! C'est toi qui vois.

  — C'est vraiment de la merde, ici ! Je vais partir avec maman...

  — À ta place, je ne serais pas aussi sûr de moi, p'tit con, lui glisse Florent avec un air moqueur.

  — Comment ça ?

  — Si on demande au juge des affaires familiales de faire une simple simulation, il te dira très facilement que c'est beaucoup plus avantageux pour toi de vivre ici. Ton école de médecine est en Guadeloupe, donc pas très loin d'ici. Ta mère n'a pas un rond, vit chez ses parents et n'a pas encore trouvé de travail. Faut dire que quand on décide de tout plaquer pour repartir à Toulouse sans avoir ne serait-ce qu'un plan b, ça la fout mal...

  — Mais c'est toi-même qui l'a mise à la porte ! Maman n'a jamais voulu quitter la Martinique !

  — Elle aurait pu rester sur l'île, comme tu dis. Alors quoi, si je lui avais dit de sauter d'un pont et qu'elle l'aurait fait, ça aurait été de ma faute aussi ? Tu peux pas me dire que ta mère est assez stupide pour ne pas prendre des décisions par soi-même !

  — Ça t'amuse de me tourner en bourrique... Hein, papa ?

  — Et encore, attend de voir le moment où Carine devra me verser une pension alimentaire pour assurer ton cul !

  Kevin reste figé sur place, comme choqué par la situation pendant que Florent lui donne une légère tape sur l'épaule. Il s'éloigne dans la cuisine pour rejoindre Maya.

  — N'oublie pas d'étendre le linge, surtout ! fait sa voix claironnante mais d'une pointe de machiavélisme dissimulé.

  Le garçon souffle et se demande s'il n'était préférable de se faire trancher la gorge, finalement.

***

  Après s'être mangé un coup de courant en effleurant le tambour de la machine à laver, Kevin empile la masse de vêtements dans un sac caba et l'emporte sur la terrasse, là où le soleil rodait suffisamment pour faire sécher le tout en moins d'une heure.

  Fait pas très étonnant : Kevin ne savait pas étendre le linge. Le garçon attrape le bonnet à dreadlocks de son père du bout des doigts avant de l'enrouler autour de la corde à linge – comme un saucisson – et utilise une pince à son juste milieu.

  Après plusieurs minutes, la corde à linge menaçait presque de tomber et Kevin n'avait plus la force de défaire les linges. Le garçon regrette le temps passé à ne pas avoir observé comment sa mère le faisait. Le tas de vêtements ressemblait à une troupe de harengs desséchés.

  Alors qu'il commençait à faiblir, Kevin jette un œil attentif dans le fond du sac. Un sourire dessine maintenant son visage. Décidément, le meilleur était pour la fin.

  À l'instar d'une récompense pour le périple qu'il venait de traverser, l'une des tangas rouges de Maya était enroulé elle-même, entre deux caleçons Bob l'Éponge qu'il avait omis de cacher après l'arrivée de la jeune fille.

  — Oh mon Dieu, m-mais...

  Son cœur réagit comme un détecteur de culotte : plus sa main tremblante s'en rapproche, plus vite il se met à battre.

  Les pupilles dilatées, Kevin attrape le tissu et le repasse entre ses doigts. D'une main ferme, il l'empoigne et le rapproche de son visage. Sa respiration se contient pour ne pas éveiller les soupçons. Les yeux fermés, il s'immerge dans un nouveau rêve une fois ses narines en contacts avec le tanga.

  Il inspire et se met à gémir.

  — C'est déplorable.

  — AAAAARRRRGGHHHHH !

  Kevin chancèle en arrière et balance la culotte dans la pelouse par réflexe. Florent se tient sur le seuil de la porte d'entrée. Il secoue la tête d'un air désespéré et soupire profondément avant de lui donner son dos.

  — Ma petite abeille...

  — Non, non, noooonnnn !!! Papa, je t'en supplie, ne lui dis rien !

  Presque à genoux, Kevin se courbe dans une grimace méconnaissable. Les yeux fermés, il n'entend que les pas de Maya se rapprocher de la terrasse.

  — Oui, mon amour ?

  — ... NE L'ÉCOUTE PAS ! JE VOULAIS PAS RENIFLER TA CULOTTE, J'SUIS DÉSOLÉ !

  — Est-ce que ça te dit de manger un Pallo ? On n'y a jamais été depuis que tu es venue à Améthyste.

  — Hmm, m'ouais, pourquoi pas...

  Elle enlace le père de Kevin et l'embrasse devant ses yeux comme s'il n'était pas là.

  — On prend ma voiture ?

  — Ne te donne pas cette peine, ma petite abeille. L'autre abruti va nous conduire et il devrait s'en estimer heureux surtout après toutes les conneries qu'il vient de faire...

  Il regarde Kevin d'un regard noir et lui fait signe de prendre les clés dans la jatte du salon. Le garçon se lève et s'exécute d'un pas tremblant, heureux d'avoir échappé au pire.

  C'est qu'il prenait plaisir à le torturer.

  — Merde. Je me suis pissé dessus, marmonne-t-il en fouillant la jatte.

***

  Le bourg d'Améthyste avait un air de station balnéaire, avec ses restaurants au bord de mer et ses boutiques de souvenirs pour les touristes qui venaient nombreux, à n'importe quel mois de l'année. Sa large plage était la réplique des clichés exotique que l'on pouvait trouver sur les cartes postales de vacances.

  En face du village, se trouve le célèbre Joyau d'Améthyste, une petite île inhabitée implantée dans la mer des Caraïbes, à deux kilomètres environ de la pointe d'Améthyste. Cet îlot spécial à la forme en pointe et biseautée fit l'objet d'une grande attention pour Dominique Twin. Selon lui, il n'y avait pas meilleur endroit pour lancer la toute première chaine de fast-food dans la ville d'Améthyste.

  Pour mettre toutes les chances de son côté, il implanta Pallo dans une allée annexe de l'Église qui se situait au bourg afin s'attirer la sympathie des pieux qui sortaient de la messe. Hormis les bénédictions qu'ils posaient sur son restaurant, il fallait dire que ça avait plutôt bien marché, le bouche à oreille opérait suffisamment pour que des athées comme Florent y viennent tous les dimanches midis, à l'instar du culte que les chrétiens vouaient à l'Église le même jour de la semaine.

  La Nissan Juke rouge change d'allure une fois arrivée sur le chemin principal. Kevin surveille ses mains moites et crispés qui risquent de glisser du volant. Florent pouvait voir les veines de son fils battre sur sa tempe, le souffle coupé.

  Il cherche la boite de vitesse à tâtons – comme si c'était la première fois qu'il conduisait – puis glisse une première en voyant la série de place desservie sur le parking en épi qui se dressait à sa droite, surplombée par la structure de l'Église.

  — Si tu rates la manœuvre, c'est toi qui va commander les Pallos.

  Kevin souffle bruyamment sur le volant et ferme les yeux pour regagner sa concentration.

  — Je ne vois pas en quoi ça pose problème, ajoute Maya à l'arrière.

  — Si tu savais, glousse Florent d'un rire goguenard.

  Elle observe son copain en fronçant des sourcils et se penche à niveau de leurs sièges.

  « Je t'avais dit que j'allais te torturer », cette voix de son père envahissait son esprit et ne voulait pas s'arrêter.

  — Tu veux que je t'accompagne ?

  Kevin s'étrangle presque dans sa salive avant de tourner la tête vers Maya.

  — Tu-tu ferais ça ?

  — Bah oui, c'est rien du tout. Tu as l'air tellement tendu, je veux comprendre pourquoi.

  — Observe-le bien quand il va passer la commande, ma petite abeille, je t'assure que c'est vraiment drôle à voir.

  Alors qu'il commençait déjà à partir en fou rire, un choc avant déclenche les airbags et Florent se retrouve étouffé par ses propres locks.

  — Oh le con, il a foncé dans le mur !

  Kevin était tellement stressé qu'il n'avait pas prit le temps de freiner la voiture et de considérer la distance entre les marquages et le mur qui lui faisait face.

  Il descend de la voiture en même temps que Maya et pose un regard sur elle. Son bikini couplé du paréo qui lui arrivait au bout de ses Air Force blanches avaient le ton d'émoustiller les sens du garçon. En reconnaissant le parfum fruité du tanga de tout à l'heure sur sa peau caramel, il senti un chemin de frisson lui parcourir l'échine.

  — Eh, p'tit con, tu oublierais pas quelque chose ?

  Kevin tourne lentement des talons, pensant s'être fait chopper en train de reluquer Maya, et plisse les yeux par réflexe en repensant à la scène du salon.

  Il entend un léger tintamarre sonner par dessus la vitre et remarque l'argent que lui tend son père au creux de sa paume.

  — Ah... euh... oui ! C'est vrai !

  Une fois franchit le seuil de la porte en verre, le froid glacial de la climatisation lui bloque les phalanges. La sueur nauséabonde qui se dégageaient de ses aisselles venaient réfugier son odeur dans ses narines. Ça empesait le stress, d'autant plus que Maya suivait son sillage d'une démarche traînante et se contenait de snaper tout ce qu'elle voyait.

  Derrière le comptoir à vitrine, une jeune fille du même teint que Maya, avec des cheveux aussi bouclés que les siens, fait irruption face à lui.

  — Salut, Kevin ! Tu vas prendre quoi, aujourd'hui ? demande-t-elle de son plus beau sourire.

  — Lorina ! S-sa-sa-sa-sa-sa...

  — Trop mortel ! Vous mettez de la coke sur vos burgers ! l'interrompt Maya, le bousculant loin du comptoir.

  Elle avait les yeux rivés sur la vitrine. Lorina racle de la gorge et semble embarrassée.

  — Pas du tout, c'est de la farine de manioc, en fait.

  — « Farine de manioc » c'est votre nom de code, c'est ça ? répète la fille à voix basse, en se penchant jusqu'à elle.

  — Non, ricane nerveusement Lorina. Tous nos produits, que ce soient les frites, le poulets et le pain des hamburgers, sont faits à partir de farine de manioc.

  — Ah bon ?

  — Vous ne l'avez pas vu ? C'était marqué sur l'enseigne.

  — L'enseigne ? Mais quelle enseigne ?

  — Celle avec le poulet qui tend les bras, juste dehors. Comme vous n'arrêtiez pas de la filmer, je pensais que vous l'aviez vu.

  — Je filme un peu tout et n'importe quoi, vous savez. C'est juste histoire de faire mes feux sur Snapchat.

  — Oh, autant pour moi.

  — D'ailleurs, je suis pratiquement sûr qu'on a le même âge. On est vraiment obligé de se vouvoyer ?

  — Ça ne serait pas très professionnel de ma part.

  — Alors, toi, tu vas me dire que si tes copines viennent te rendre visite pendant que tu taffes, tu vas quand même les vouvoyer ? Chelou, la meuf. Tu trouves pas, Kevin ?

  Kevin s'était cloîtré dans un coin sombre de la pièce, là où il faisait le moins froid. Assis en boule, il avait l'impression de bientôt mourir dans cinq minutes.

  Lorina préfère créer un malaise en laissant le bruit de la climatisation répondre à sa place. Kevin ne se décidait pas à sortir de son mutisme. Il transpirait à grosses goûtes, déjà submergé dans la spirale de la honte.

  Maya finit par s'éclipser dehors pour observer l'enseigne en lâchant un : « Ça a l'air naze, ici. Je comprends pas comment bébé fait pour manger de la farine de manioc. Peut-être que c'est bon pour sa santé, vu son grand âge ».

  — Elle est vraiment bizarre, ta copine, engage Lorina en regardant Kevin. Vous devez avoir même pas quelques mois d'écart, elle parle de grand âge comme si tu avais déjà cinquante ans.

  — Ma... ma quoi ?

  — Ta copine. C'est pas le cas ?

  Le garçon, parcourut d'une large trace de sueur, qui cerclaient les dessous de manches de son t-shirt Pulp Fiction, se releva et sentit un élan de confiance le regagner après une seconde de hiatus.

  — Maya Daussac... ouais... ouais, ouais ! C'est ma copine !

  — Ça fait combien de temps que vous êtes ensemble ?

  — Oh, ça fait trois mois ! On-on s'est dragués... à l'université !

  — Ah ouais ? T'en es sûr ?

  Kevin hoche la tête en raclant sa gorge.

  — Parce que ça veut dire qu'elle te trompait pendant les deux premiers mois et demi de votre relation. Elle vient d'officialiser sa rupture avec Faucon.

  — Qu-quoi ?

  — Tu ne suis pas les réseaux, ou quoi ? Je te pensais plus perspicace que ça.

  Lorina fouille dans son tablier et prend son portable avant de le tendre à Kevin.

  — Regarde, son dernier post avec lui date d'il y a deux semaines. Ils étaient partis en vacances aux Maldives pour l'anniversaire de Faucon.

  — Attends... co-comment ça se fait qu'elle ait cent milles likes ?! C'est quoi ce bordel ?!

  — Bah, c'est une influenceuse, quoi. Tout ce qu'il y a de plus banal. C'est pour ça que je restais froide tout à l'heure. Ce genre de personnes pensent qu'elles ont le droit de se comporter comme des garces dans la vraie vie uniquement parce qu'elles sont ultra populaires sur les réseaux et gagnent beaucoup d'argent grâce à leurs partenariats à la con...

  Les mots de Lorina résonnèrent comme un coup de massue dans la tête de Kevin. Le garçon, bouche bée, n'entendait plus ses paroles. Il était comme tombé de dix étages, plongé dans une abysse obscure.

  « Bordel, mais pourquoi j'ai dit que je sortais avec elle ?! C'est une influenceuse ! Et vu comment Lorina a l'air d'en parler, mon mensonge va finir par se savoir ! »

  — ... je suis sûr que pour elle je ne suis qu'une pauvre fille pathétique qui travaille dans un fast food miteux. La salope a quand même osé me tutoyer, tu t'en rends compte, Kevin ? Kevin ?

  — Euh, ouais, ouais ! T'as grave raison ! Par moment, moi aussi je trouve que Maya craint un max. D'ailleurs, j'arrête pas de lui répéter qu'il faut être plus... altruiste !

  — Je dois quand même admettre que je suis étonnée qu'elle sorte avec un gars comme toi.

  — Elle-elle avait peut-être envie de tester de nouveau horizon, qui sait ? disait-il avant de ricaner nerveusement.

  — Il t'en faudra du courage pour sortir avec une influenceuse, crois-moi. Ça a l'air cool au début, je peux comprendre. Mais comment tu vas réagir en voyant tous ces chiens qui se branlent sur son OnlyFans essayer de l'accoster dans la rue ?

  — Qu-quoi ?! Parce qu'elle a un OnlyFans ? Tu m'avais pas dit qu'elle faisait juste des partenariats.

  — Tu vis sur une autre planète, mon pauvre. Ça, c'est la partie safe, si tu veux. Mais tu te doutes bien que toute la thune qu'elle se fait ne provient pas que des petites publicités...

  Alors que Kevin s'apprêtait à répondre, Maya fait retentir la sonnette accroché à la porte.

  — J'ai bien lu tous les menus et tu sais quoi ? J'vais rien prendre, c'est pas trop mon délire le manioc tout ça, tout ça. Après j'veux bien un Coca Light, si t'en as...

  Lorina se retourne sur le frigo qui dort dans son dos. Elle donne l'impression de retenir un soupir consterné.

  — Attends ! Est-ce que les boissons aussi sont faites avec du manioc ?

***

  Kevin avait finalement commandé deux menus Pallo Burger et servait de chauffeur pour le retour. Lorsque Florent retourna à la maison, il se vautra sur le canapé avec son menu Pallo à tour de bras, en pleine analyse du quinté de l'après-midi.

  — Ah, c'est marrant. On dirait qu'on est en tête-à-tête, vu que... vu que...

  Kevin n'était pas serein sur ce qu'il venait d'envoyer au visage de Maya, surtout après que cette dernière se mette à arquer un sourcil.

  — Je suis bête. Tu manges pas, toi.

  La voix de Lorina résonnait comme un écho dans sa tête. Si bien qu'il lâche son burger et tend sa main vers Maya.

  — Est-ce que je peux t'emprunter ton portable ?

  — Pourquoi ça ? T'en as pas déjà un.

  — Si, si... mais... il est déchargé en fait et je dois... passer un appel urgent.

  — Bah, y a un fixe juste là, dans le salon. Ça fait même pas une semaine que je suis ici et je connais mieux la maison que toi, avait-elle poussé dans un ricanement sans ôter son attention du portable.

  — Il... il marche pas très bien !

  Soudain, quelque chose de rond bondit sur la table sans crier gare. Kevin manque de tomber de sa chaise et lâche une frite sur le sol.

  — Oh, il est trop mignon ! s'exclame Maya en mirant une énorme boule de poils étrangler Kevin avec sa queue.

  Le garçon aurait habituellement chassé Pacha à grands coups de claquettes, mais la situation avait l'air de tourner en son avantage. Il profite de l'admiration que Maya porte à la grosse bête pour prendre le portable qu'elle avait laissé en bout de table et contourner la terrasse.

  — Vite, Kevin, se disait-il à lui-même. C'est déjà un exploit qu'elle ait lâché son portable pendant cinq secondes, elle va finir par s'apercevoir que je l'ai piqué si je ne me dépêche pas.

  Son doigt cascade l'écran d'une vitesse incommensurable.

  — Wow, ils sont sacrément fluides, les iPhones 12 Pro Max, s'étonne-t-il en gardant son attention sur les diverses applications de la jeune fille.

  Il tait ses pensées pendant qu'il est en train de chercher. Le garçon ouvre chaque application comme des tiroirs, l'uns après autre, jusqu'à tomber sur celle qu'il redoutait le plus depuis qu'il avait quitté le Pallo.

  — Bingo...

***

  Il s'assure que la porte est fermée à double tour et tire sur l'abattant de sa fenêtre pour plonger la pièce dans un noir complet que seul l'écran de son MacBook Pro parvient à combler.

  Kevin répète un murmure qui sonne comme une incantation avant d'ouvrir un site et de le séparer sur la case « Identifiant » et « Mot de passe ».

  Il clique sur le Trackpad et sursaute presque de sa chaise.

  — What the fuck ?! C'est quoi, ça ? C'est... c'est vraiment elle ?

  À première vue, on pourrait penser que Kevin venait d'ouvrir le compte Instagram de Maya : le feed s'organisait d'une manière sensiblement identique, à la différence que les photos qui figuraient sur la page auraient valut un bannissement définitif sur l'autre plateforme.

  — Ô mon Dieu, tu existes vraiment ?

  Kevin voyait le paradis à travers son écran. La bave coule sur son clavier à mesure qu'il fait descendre le curseur. Il y en avait pour tout le monde et dans toutes les positions, accompagnées de toutes les tenues (ou non) inimaginables.

  Le corps qu'il ne cessait d'imaginer à longueur de journée sous ses mini-shorts, ses paréos et ses bikinis vient s'exposer entre les quatre murs de sa chambre.

  La pulsion est beaucoup trop importante, Kevin ne tient plus en place et décide de se ruer sur une photo de Maya. Mais il y en a tellement, laquelle choisir ?! La sirène posait étendu au bord de la plage d'Améthyste, où seul le sable couvrait ses tétons sur un corps entièrement nue. Elle le regarde derrière l'écran avec un sourire ravageur, c'était le premier qu'il recevait depuis qu'elle était venue habiter chez lui.

  — En fait, t'es une grosse cochonne, hein...

  Kevin parle tout seul à défaut de pouvoir exprimer la chaleur qu'il ressentait d'une autre manière. Il baisse son caleçon jusqu'à ses chevilles et se laisse tomber sur sa chaise gaming avant de commettre l'acte.

  Ses yeux font un aller-retour entre son visage jusqu'à ses fesses. Éternellement. Sans jamais s'arrêter une minute, jusqu'à ce que son cœur – ou autre chose – se décide à lâcher.

  — Putain de merde, Kevin !

  — AAAAHHHHHH !!!

  Entre les cadres faces de sa fenêtre, les yeux de Florent prennent la taille de ses lunettes. Il observe son fils, derrière la vitre, d'un air ébahi.

  Le pauvre garçon n'avait remarqué que son père venait d'ôter l'abattant, obnubilé par le charme de la sirène.

  — Je... je croyais qu'il y avait un faux-jour depuis l'extérieur ! Merdeuh !

  — Pas à six heures de l'après-midi, p'tit con ! hurle son père derrière la vitre.

  — Pourquoi tu regardes dans ma chambre, toi aussi ? tremble Kévin d'une respiration aussi haché que celle de Florent.

  — Je venais pour te dire que je descends faire un footing en bas du morne avec... m-mais c'est ma petite abeille ?!

  Le regard de Florent se fixe sur l'écran du garçon. En voyant son père tirer le même visage qu'un chien enragé, Kevin écrase l'écran contre le clavier pour le refermer et balance son ordinateur sous son lit.

  — Mon bébé, mon miel aphrodisiaque, ooooh nooooonnn !!!

  — C'est-c'est pas ce que tu crois !

  — J'aurais préféré te voir devant la photo d'un de ces types aux drapeaux de licornes arc-en-ciel ! se met-il à gémir comme un animal blessé. Attends, un peu... TU VAS VOIR, J'VAIS T'DÉFONCER !

  Avant de lui laisser le temps d'agir, Kevin glisse contre la fenêtre et condamne l'abattant pour empêcher à Florent de la pousser afin d'escalader.

  — C'est pas parce que tu as fermé que je ne peux pas faire le tour pour venir te casser la gueule, p'tit con !

  — AAAHHH !

  Kevin ne réfléchit pas et se jette sur la porte avant de se sceller à double-tour entre les quatre murs de sa chambre.

  Les bruits de pas de Florent résonnent sur le parquet, il sent quelque chose d'invisible lui lacérer la gorge et nouer son estomac.

  — Tu ne pourras pas rester caché éternellement, Kevin ! Tôt ou tard tu auras besoin d'aller aux toilettes ou de manger quelque chose, et là, je t'aurai !

  D'après les gargouillements influencés par le stress qui tordaient son ventre, Kevin n'en aurait plus pour longtemps avant de céder.

  « C'est quoi les bails, Flo ? » s'étonne une voix plus douce derrière la porte. Kevin entend son père renifler. Est-ce qu'il était en train d'éclater en sanglot ? Jamais il ne l'avait vu, ni même senti dans cet état.

  — Tu me trompes avec ce p'tit merdeux, mon abeille ?

  — Hein ? Bah non, pourquoi tu penses ça, wesh ?

  — Et comment tu expliques qu'il soit en train de battre sa viande sur des photos à toi ? Qui plus est, sont sur SON ordinateur !

  — Attends, tu es abonné à mon OnlyFans ? s'étonne la voix en se penchant cette fois-ci de l'autre côté de la porte.

  Kevin s'abstient de toute réponse, dos au mur – ou à la porte dans ce cas précis. Tandis qu'une notification allait parler à sa place en vibrant dans la poche de Maya.

  « Un nouvel appareil a effectué une tentative de connexion, est-ce bien vous ? » lit la jeune femme d'une voix traînante et machinale. Kevin sent le chaud lui monter aux oreilles.

  — Ton fils est vraiment un rat ! s'exclame Maya, cinq minutes plus tard, le temps que l'information lui monte au cerveau.

  — Pitié, pitié, papa...

  — Il est trop tard pour essayer de te faire pardonner, Kevin ! Seule la violence pourra apaiser ce que je ressens.

  — Mais attends une seconde, tu savais que Maya était une influenceuse et qu'elle mettait des photos d'elle toute nue sur internet ?! s'exclame Kevin. Tu as vraiment envie d'une femme comme ça dans ta vie, papa ?!

  — N'essaye pas de me retourner le cerveau, j'ai trente-huit ans de plus que toi, p'tit con ! Maya fait son beurre et je ne peux que l'encourager dans ce sens. Justement, ma petite abeille est tellement sexy que des gens sont prêt à payer pour ses photos. Tu crois que ta mère en serait capable, hein ? Maya nous rend plus riche, contrairement à elle ! Il faut dire qu'elle t'as bien servi d'exemple : qu'est-ce que tu fais, toi ? À part te branler sur ma copine et sur des dessins animés, manga de je ne sais pas quoi !? Hein ?! T'es juste une bouche en plus à nourrir, ici ! Rien de plus, rien de moins !

  Kevin se laisse glisser le long de la porte. Assit sur le sol, il comprend qu'il n'y a plus aucune issue possible.

  — Si ces maigrichons de CRS arrivent à casser une porte, c'est pas moi qui peut pas le faire ! hurle la voix, derrière.

  Malgré la tristesse qui le rongeait, Florent arrive tout de même à se relever et se meurtrir les épaules contre la porte. Kevin a l'impression qu'il y a un véritable taureau devant sa porte, les yeux rivés sur un objectif rougeâtre.

  Ce qui devait arriver arriva, la porte finit par céder sous les coups de pieds que Florent lui assénait. La poignée tombe dans un fracas assourdissant, et pendant que Florent utilise le visage de son fils à l'instar d'un punching-ball, Maya filme la scène à partir de son téléphone avant de la poster sur Snapchat.

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