Saison 1 - Épisode 16 : Chère Zazou (partie 1/3)
Il regarde le paysage derrière la vitre avec un air consterné. Johan, assis côté passager, à déjà tué trois fois sa sœur dans sa tête pendant qu'elle conduit sans jamais ralentir.
Le garçon arrête de penser lorsque son portable se met à vibrer dans sa poche.
— C'est mon pote, dit-il avec un soupir.
Il jette un dernier regard à sa sœur, dans l'espoir que celle-ci finisse par céder.
— Bah qu'est-ce que tu attends ? Dis-lui que vous allez reporter la sortie kayak à une prochaine fois.
— Il est déjà sur place, ça serait pas très poli de faire ça...
— Ah, parce que tu as du respect pour les gens, maintenant ? Nouvelle étonnante.
— Putain de merde, Mélanie ! Allez, s'te plaît quoi !
— Non ! Tu as entendu maman, on doit tous être la pour la fête de tante Coralie.
— Donc, juste parce qu'elle veut montrer à tout le monde qu'elle a une superbe villa pendant les vacances, je suis censé gâché les miennes et ne pas faire du kayak avec mon pote, c'est bien ça ?
— Tu auras la fin du mois de juillet et tout le mois d'août pour retourner au kayak avec tes amis, Johan. Tante Coralie part dans deux jours de sa villa. Et puis, ça fait un moment qu'elle ne nous a pas vu, je te rappelle.
— Une année de plus sans la voir ne m'aurais même pas dérangé. Je ne sais même plus trop qui c'est, cette tante, d'ailleurs.
— Tu vois ? C'est pour ça qu'elle tient à nous revoir, fais un effort, juste un, s'il te plaît.
— Hmmm...
— Et n'oublie pas de prendre le pack de Coca derrière ton siège.
Mélanie passe la première et engage sa Fiat dans une pente qui donnait l'impression de surmonter une montagne. Depuis le haut de ce morne, le panorama de la mer, qui s'étendait jusqu'à la plage du bourg de la ville du Hareng, était fascinant à observer. Si Johan était moins énervé, il aurait sorti son portable et pris une photo. À la place, lorsque sa sœur trouve enfin une place pour se garer, il claque la portière et descend en trombe.
— Attend, tu ne sais même pas où c'est !
— J'me fiche, justement. Peut-être qu'avec de la chance, je vais me perdre et tomber sur une touriste super sexy avec qui se vais partager le pack de Coca.
— Arrête de raconter des conneries et reviens ici !
Pendant qu'il souffle du nez, à l'instar d'un buffle enragé, un portail blanc s'ouvre et une femme se dirige vers sa sœur. Johan fronce les sourcils et accélère sa démarche.
— Wow, qu'est-ce que vous avez grandi, les enfants ! s'exclame une voix.
Malgré les rides et la peau tombante qui lui scellaient une bonne cinquantaine d'années, la femme s'orne d'un bikini blanc avec un paréo assorti à sa taille. On dirait une sorte de version plus mure de Maya Daussac, se disait Johan.
« C'est quoi, ce bordel ? »
— Bah, alors ? rigole la dame. Tu ne reconnais pas Tata Coralie ?!
— Ah, lâche Johan en haussant des épaules. Salut.
Sa sœur reste dans le dos de Tante Coralie et fronce des sourcils, comme pour lui faire comprendre de bien se comporter. Le garçon, n'ayant plus d'autres choix, fini par céder en espérant qu'elle le lâche au plus vite.
Lorsqu'il est suffisamment près d'elle, il remarque sa peau ridée et rongée par les coups de soleils. Elle avait beau être blanche, Tante Coralie réussissait à adopter son style avec des tresses africaines que Johan trouvait d'autant plus ridicule sur un faciès aussi européen.
— Alors, mon grand, qu'est-ce que tu fais dans la vie ?
— Je fais de mon mieux, répond Johan.
Elle se met à rire et plaque le garçon contre sa poitrine. Tandis que le pack tombe à même le sol, Johan, les yeux écarquillés, peut sentir une odeur de vanille carbonisée sur sa peau, sans compter la crème solaire mal pénétrée qui venait reluire sa joue.
— Il est en licence de droit, corrige Mélanie.
— Mais c'est super ! Il ne faut pas être aussi modeste, continue Coralie en posant une main sur sa tête.
Alors que Johan essaye d'apercevoir une large flaque d'eau claire qui ressemble à la naissance d'une piscine, sa tante le décolle de sa poitrine et lui saisit les épaules.
— Ne restons pas dehors ! Venez, je vais vous faire visiter !
Le portail blanc est surmonté par un escalier qui mène au premier étage de la villa. Depuis la haut, le balcon, nimbé de tables et chaises en ébène, était aussi large qu'un jardin. Il suffisait de se pencher sur la rambarde pour admirer la plage du bourg et le toit de son église. Le ponton se décrivait comme un mince filet sillonnant le bord de mer, depuis le haut de la villa. La ville du Hareng, voisine d'Améthyste est notamment connu pour ses résidences touristiques et celle-ci ne déroge pas à la règle.
Alors que Johan se demande comment sa tante a pu se payer un lieu aussi prisé, des éclats de voix détonnent depuis l'angle de mort du balcon. Il sursaute, on aurait dit des enfants en train de jouer.
« Bordel, c'est une garderie, le bail ? »
Trois filles riaient aux éclats autour d'une table, les deux plus grandes gardaient leurs attentions sur une combinaison de Uno tandis que la plus jeune semblait tirer de la gueule. Les bras croisés, elle se braque sur sa chaise et commence à renfiler comme le faisait Johan quand il est sorti de la voiture.
Lorsque Johan prend le temps de considérer ces nouveaux visages, son cœur fait comme un bond dans sa poitrine. Son poignet, qui aidait sa main à maintenir de pack de Coca-Cola, manque de faillir sous une entorse.
La plus belle des trois, celle qui rigole en balançant ses longs cheveux derrière elle, celle qui a le plus d'assurance, son regard tombe dans le sien.
— Oh, du Coca ! s'exclame t-elle. Merci, le livreur !
— Je-je... salut, je ne suis pas un...
Ses mots se perdent pendant qu'il observe l'émeraude qui brille dans ses yeux.
— ... livreur, j'm'appelle Johan... Johan Rasami.
— T'es qui ?
— Le... le...
Et il sursaute d'un coup lorsqu'une main vient se poser sur son épaule. La tante Coralie pointe le bout de son nez.
— Voyons, les filles, c'est le fils de tante Yves-Lise !
— Tatie à des enfants, s'étonne la resplendissante jeune fille.
— Mais bien sûr ! Après, vous n'avez jamais pris le temps de faire connaissance, il faut dire que ça fait un bail que je n'ai pas vu Yves-Lise.
Soudain, elle se lève de sa chaise. Alors qu'elle était autrefois accroupi, la jeune fille s'avance vers lui. Johan sent sa gorge se nouer à mesure qu'il l'observe.
« Oula, elle fait quoi, là ?! » s'étrangle le garçon dans ses pensées.
— Super... dit-elle alors qu'il peut désormais sentir son souffle sur son visage.
Elle se met sur la pointe des pieds et lui effleure les mains. Johan avait l'impression de toucher du velours. Et cette manucure blanche qui brillait comme un soleil. Bouche bée, il ne lâche aucun mot. La fille, quant à elle, se met à sourire pendant que le silence s'immisce.
— Du coup, on peut dire que t'es une sorte de cousin. C'est ça ?
Johan rigole nerveusement pendant que les mains de la fille reposent sur les siennes.
— Euh... ah, ah, balbutie le garçon. O-on peut dire ça ! Oui, c'est ça ! M-mais, au fait, c'est quoi ton prénom ?
— Ysaleene, mais tu peux m'appeler Zazou, fit-elle en lui décochant un clin d'œil. Sinon, tu pourrais me donner le pack ? Ça fait une heure que je joue contre ces amatrices, j'ai besoin d'un grand verre de Coca pour me désaltérer.
— Ah... ah ! comprend Johan en regardant les mains de la fille posées sur les siennes. B-bien sûr, fais-toi plaisir !
— Merci beaucoup, cousin.
Elle ouvre le pack en plastique avec son ongle et attrape un Coca-Cola avant de donner son dos à Johan pendant que les autres bouteilles s'écrasent sur ses pieds.
— Aïe, aïe, aïe, marmonne Johan en essayant de gesticuler le moins que possible devant sa nouvelle cousine.
La petite fille, qui boudait tout à l'heure, se met à rire en voyant Johan supporter la douleur. Il relève le regard vers la fille qui marchait devant lui. Ses yeux se posent sur un maillot deux pièces noires, il se mariait parfaitement avec sa peau caramel. Elle se déhanche d'une façon agréable, lente et assurée, comme si elle savait l'attention qu'il lui portait.
Quand son regard se concentre un peu trop sur la partie inférieure du maillot, Johan se met à secouer de la tête et incline son cou pour ne pas succomber à la tentation d'en admirer toujours plus.
— Oh, bordel... ses... ses... ils sont parfait.
Sa meilleure initiative était aussi sa pire erreur. Le démon de Johan, ce monstre que peu de personnes arrivaient à comprendre, celui que ses amis peinaient à assumer par leur simple loyauté, venait de rugir. Le lion n'allait pas tarder à sortir de la cage en pain d'épice.
La taille des orteils parfaitement proportionnelle, la voute plantaire qui décrivait un arc suffisamment courbé pour y voir une crevasse à chacun des pas qu'offrait sa plante de pied. Aucun résidu de poussière, ils étaient propres comme si elle venait de sortir de la douche.
Oui, il n'y avait pas plus pointilleux que le fétichiste des pieds qu'était Johan Rasami. Et son radar n'arrête pas de le harceler au moment où Zazou pavanait comme un mannequin jusqu'à la table où les autres filles l'attendaient.
« Bordel, ça craint. Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ? Elle ne pouvait pas avoir des pattes d'éléphant, Seigneur ?! »
— Il y a un problème, cousin ? demande Zazou.
Il balbutie, est-ce qu'elle a remarqué l'attention portée sur ses pieds ? Johan relève la tête bien trop tard pour penser le contraire.
— Non, ça roule... Zazou.
— Ysaleene ! hurle sa mère en entendant le chahut des bouteilles. Ne reste pas les bras croisés, va aider Johan.
Le cœur du garçon du garçon se contracte quand elle s'allonge sur sa chaise, ses yeux n'arrivent pas à décrocher des pieds en éventail qu'elle arbore sur la table de cartes. Elle les agite pendant qu'elle prend la parole.
— Vu que c'est moi qui ai le moins de cartes, j'me lève pas.
— Mais c'est pas juste ! couine la petite.
— Allez, Luna, un peu de nerf ! Le monde est cruel, tu sais ? T'en fais pas, petite sœur, tu me remercieras plus tard.
L'autre fille, la cadette, se lève sans discuter et se baisse devant Johan en lui lançant un regard noir.
« Wow, on dirait qu'elle veut me tuer. C'est pas ma faute si t'as perdu »
— Tu vois, Gwendoline a compris, elle. Fais pareil, allez, continue de marteler Ysaleene.
— Non, non, ce n'est pas grave ! l'interrompt Johan. Elle est trop petite pour porter ça, je vais m'en charger. T'inquiètes pas.
Le visage autrefois relâché de la petite esquisse un joli sourire vers Johan. Zazou les observent en poussant un léger ricanement.
— T'as eu de la chance pour cette fois mais ne crois pas que Johan sera toujours là pour te sauver les miches, dit-elle en se levant.
Johan tente de prendre le plus de bouteilles que possible avec son tour de bras. Il en en dépose trois sur la table qui repose à sa droite avant de courber l'échine pour ramasser celle qui tend à s'éloigner. Alors qu'il palpe la bouteille, une ombre le surplombe et bientôt...
« Bordel, c'est... »
Un pied se pose sur sa main, d'abord pour arrêter la bouteille qui roulait sur elle-même. Tendu, courbé, Johan tremble de peur en plongeant son regard sur ses orteils, bientôt pris d'une crise d'épilepsie en considérant le vernis blanc. Et cette sensation de douceur, ce velours le caressait avec la même intensité que tout à l'heure. Il commençait à se demander si cette fille était humaine.
— Réflexe, annonce Zazou. T'es pas très doué, toi.
Elle avait littéralement planté les ongles de ses orteils dans la chair de sa main, Johan déglutit sa salive dans une gorge sèche avant d'oser lever le regard vers elle.
— D-désolé. B-beau bloquage, en tout cas.
Elle relâche la pression de son pied sur sa main et retourne se délecter sur sa chaise. C'était le moment de se lever, en temps normal Johan l'aurait fait. Mais la bosse qui venait d'apparaître à son entrejambe en avait décidé autrement.
« Il faut que j'appelle Dylan au plus vite ! »
***
Même les toilettes dégagent une meilleure odeur que ses aisselles. Johan ferme la porte à double-tour et s'assoit sur la cuvette en silence. Pendant qu'il compose le numéro de Dylan, des éclats de rires détonnent depuis le balcon. Bien qu'il n'était pas dehors, il était convaincu que d'autres personnes venaient d'entrer dans la villa.
— Johan, t'es où ? Ça doit faire quinze minutes qu'on t'attend ! s'énerve Dylan au bout du fil.
— Mec, je suis vraiment désolé. Ma sœur m'a forcé à venir dans un coin paumé avec elle.
— Ah bon, où ça ?
— Une villa avec la meilleure amie de ma mère, je crois.
— Wow, souffle Dylan d'un air ironique. Il a l'air épouvantable, ton coin paumé. Quand tu piqueras une tête dans la piscine, tu penseras à moi.
— Attends, attends ! C'est pas aussi cool que tu le penses, j'te l'jure.
— Comment ça ?
Il se terre dans le silence et penche son oreille vers la porte pour s'assurer que personne n'occupait les environs.
— Sa fille... la première fille de ma tante, reprend Johan d'une voix tremblante. Elle est...
— Oh, non... Johan, t'es sérieux ? C'est ta cousine.
— C'est pas ma cousine, putain de merde ! s'énerve le garçon.
Il plaque une main sur sa bouche en réalisant qu'il venait d'hausser le ton.
— Peut-être pas de sang, mais c'est tout comme. Alors retire les idées sales de ta tête.
— En parlant de ça... mec, je te jure, j'ai fait tout pour ne pas succomber mais... elle a un truc.
— Un truc ?
— Le truc.
— Non, t'abuses du bail, là ! Johan, pitié, ne me dis pas que ça a recommencé.
— Je suis désolé, Dylan. Ça fait six mois que je suis sobre, je pensais que ça avait fini par passer. L'autre jour, quand Sadia est venue chez Kevin, j'avais réussi à ne pas flancher. Mais là, frère... ils... ils sont parfait.
— Écoute-moi ! continue Dylan d'un ton docte. Éteins ton portable et remets-le à ta sœur. Il ne faut surtout pas que tu prennes des photos de ses...
— Trop tard. Je... avant de t'appeler, l'acte a déjà été commis.
— Quand tu dis que l'acte a déjà été commis, tu veux dire que tu as fait les deux étapes ?
— O-oui. J'ai mis l'arme en silencieux et j'ai tiré en rafale avant de...
— T'es vraiment un chien sans sentiments, Johan. Ça t'arrive de réfléchir avec autre chose que ta queue ?
— Pendant les six mois, là, je trouve que je me suis bien démerdé, quand même. Cette fois-ci, c'est juste que j'ai pas eu de chance.
— C'est elle qui n'a pas de chance d'être tombée sur toi. La pauvre.
— Qu'est-ce que je suis censé faire ? Je vais devoir y retourner dans pas longtemps et je sais pas si je tiendrais le coup.
— Attends, parce que ce que t'as fait, là, ça t'as pas suffit ? T'as envie de commettre un deuxième meurtre ?
— J'en ai bien peur. Je crois que je vais remplir mon téléphone de photos et me vider les...
— Efface-ça tout de suite !
Pendant qu'il s'énerve au combiné, Dylan entend quelque chose tambouriner la porte à l'autre bout du fil.
— Merde, marmonne Johan. Je crois qu'on m'appelle !
— Johan, Johan ! N'oublie pas ce que je t'ai dit !
— Il faut que j'y aille. Je ferai de mon mieux, j'te le promets.
Il raccroche et se lève de la cuvette d'un regard inquiet avant d'ouvrir la porte. Son attention se trouble lorsqu'il observe les personnes qui lui font face derrière la porte. Deux hommes, tous deux faisant une tête en plus que lui, venaient de lui bloquer le passage. Le large sourire qui s'étirent sur leurs visages barbus n'inspirent pas confiance à Johan.
— Qu'est-ce que t'as poussé, toi ! C'est incroyable.
— E-euh, bégaye Johan.
— Tu te rappelles pas de nous ? demande l'autre garçon à la voix grave. T'inquiète, c'est normal, t'étais encore un bébé la dernière fois qu'on s'est vu.
Il tend son poing pour lui adresser un check. Johan suit le mouvement d'une démarche peu assurée.
— Tema comment il est tendu, rigole l'autre frère. Détends-toi, c'est la famille !
En écoutant cette dernière phrase, Zazou se cristallise dans la pensée de Johan. Puis, alors qu'il commence à réaliser l'ampleur de ses actes, une main vient l'attraper par le col et le tire au-dehors des toilettes. Au début, il pensait à une menace jusqu'à ce que l'armoire à glace passe une main sur son torse pour arranger son polo.
— Moi, c'est Enzo et lui c'est Jarvis. Ça te dit rien du tout ?
— A-absolument rien. Je suis vraiment désolé.
— Pas grave, t'inquiète ! J'espère que t'as pris ton maillot, on va faire un saut dans la piscine, en bas. Tu nous suit ?
— E-euh, ouais, m-merci !
***
Pendant que Johan enfile son short de bain – initialement prévu pour la sortie kayak avec Dylan – il entend les frères Enzo et Jarvis piquer une tête dans la piscine. L'un des rires qui s'échappe provient de Zazou, son cœur le lacère quand il le comprend. Elle est ici.
En se regardant face au miroir de la salle de bain, la seule chose qu'il regrette est de ne pas avoir suivi le programme de sèche que Dylan avait concocté pour lui au début du mois de juin. Zazou allait le voir avec ses poignées d'amour, il ne se sentait plus aussi à l'aise qu'avant et se promit de faire des footings sur la plage d'Améthyste à partir de demain.
— Bordel, marmonne le garçon, en plus, ce foutu kyste me donne comme un troisième téton, j'ai la haine. Il faut pas que Zazou me voit comme ça.
En rejoignant les autres à l'étage inférieur, il avait comme idée de plonger directement dans la piscine pour ne pas laisser à Zazou le soin de considérer son corps. Mais son plan tombe à l'eau lorsque, en escaladant la barrière, son corps se stoppe face à elle.
Sans surprise, Ysaleene le regarde de haut en bas et dégage un léger sourire sur les côtés, contrairement à ce qu'il pouvait s'imaginer.
— C'est pas un peu ringard, les maillots avec des bonhommes de neiges ?
— Il date un peu mais les coutures tiennes, c'est le plus important, disait Johan en n'osant pas poser ses yeux sur sa pédicure.
— Tu me termines, rigole Ysaleene. À entendre, j'ai l'impression de parler avec un vieux.
— Un vieux ? Noooon ! T'abuses un peu, là ? Je ne suis pas si vieux que ça.
Elle lui donne son dos – et autre chose que Johan ne tenait pas à admirer – pour se diriger vers les pare-soleils qui cadrent la structure de la piscine. Le garçon l'observe se déhancher au loin, hypnotisé par son corps élancé, jusqu'au moment où les deux frères l'attrape par le cou et le soulève dans les airs.
— Eh, vous êtes sérieux, les gars ?! s'étrangle Johan. Déposez-moi !
— Oh, t'inquiètes, le couz ! rigole Enzo.
— On va te déposer ! Ça va aller très vite !
Ils maintiennent Johan par les poignets et les chevilles, le balance de gauche à droite jusqu'à le lâcher dans la piscine. Avant de plonger, il arrive à voir Zazou allongée sur le transat. Alors qu'elle était censée être obnubilé par son portable, elle arrivait quand même à maintenir l'attention sur lui du coin de l'œil.
Quand il remonte à la surface, Johan nage jusqu'au bord de la piscine – à l'opposé de l'endroit où Ysaleene reposait.
— Wow, excuse-moi, patron.
Il cligne deux fois des yeux avant de voir que Ysaleene continuait de l'observer. Johan venait à peine de remonter à la surface – avec la chorégraphie des mecs sexy qu'il avait vu dans les films, sans l'effet ralenti qui devait opérer de son charme – en espérant que cela lui ai plu.
— Comment ça ?
— Bah, je sais pas. Tu t'es mis vachement loin de moi, quand même...
— Ah bon, tu trouves ?
— Je te fais peur, peut-être ?
— Moi, peur ? ricane nerveusement Johan. Alors là, pas du tout. J'étais simplement en train de profiter de la taille de la piscine, rien d'autre.
— C'est ça, m'ouais... après, je peux comprendre. C'est pas tous les jours que tu as l'occasion de parler à des jolies filles, ça peut en effrayer certains.
— Alors là, je ne suis pas du tout effrayé...
Elle oriente son regard vers son portable, comme si les explications de Johan ne valaient rien.
— Qu'est-ce que tu veux dire ? Tu me prends pour un amateur ou quoi ?
Il se force à sourire alors qu'une chiasse horrible, entrainée par le stress, remonte jusqu'à son estomac. Alors qu'il cherche son attention depuis cinq bonne secondes en nageant dans la direction de son transat, un flash s'échappe des objectifs photos de l'appareil. Johan, en comprenant ce qu'il venait de se passer, manqua de peu la noyade.
— Attends... t'es en train de me prendre en photo ?
— Oh, ça ? Je voulais juste tester la qualité de l'appareil photo. Je viens d'acheter mon nouvel iPhone et ça me démangeait depuis un moment mais il n'y avait rien de beau à prendre comme cliché, depuis que je suis arrivée ici.
« Rien de beau ? Mais la vue sur le bourg du Hareng, la plage, les palmiers, les cocotiers, le soleil... elle se moque de moi ou quoi ? »
— P-pardon, je crois avoir mal entendu.
— Dommage, papi, t'aurais du acheter une prothèse. Je vais pas le répéter deux fois.
Elle recommence à l'ignorer et semble écrire quelque chose sur son nouvel iPhone.
— Et puis, ça devrait pas te déranger vu que tu as aussi des photos de moi sur ton portable.
— Qu-quoi ?!
— On va dire que c'est fifty-fifty.
— Je... je ne vois pas de quoi tu parles !
— Eh ouais, cher cousin. Quand on veut être discret, il faut enlever le flash.
Johan manque de se mordre la langue. Il sent une chaleur l'envahir malgré la température tiède de l'eau. Son cou se tord dans son dos pour voir si les deux frères avaient entendu la remarque de la jeune fille, la bataille d'eau qu'il se disputait en témoignait du contraire – et heureusement pour lui.
— Par contre, il y a un truc que j'ai du mal à capter...
Johan oublie de fermer la bouche et boit la tasse en observant Ysaleene se redresser sur son transat.
— C'est quoi, que t'étais en train de prendre en photo ? Mes jambes ou mes pieds ?
— C'est complètement ridicule ! Rien du tout.
— T'es sûr ? Montre-moi ta galerie, alors.
— Qu-quoi ? frissonne Johan qui ne s'attendait pas à un tel dilemme. Là, maintenant ?
Zazou hoche de la tête et part chercher le portable de Johan qui reposait sous le pare-soleil à l'autre bout de la piscine. Pris par une crise panique, le garçon tente un crawl pour arriver avant la fille et sauver le smartphone. Mais la douleur qui le lacérait dans la poitrine l'empêche de carburer l'énergie nécessaire dans ses bras et ses pieds. Le stress condamne son apnée à respirer par-à-coups.
Lorsqu'il lève la tête, c'est déjà trop tard : Ysaleene tient le portable dans ses mains.
— J'espère que ton portable est étanche...
— Ysaleene, s'il te plait, arrête ça !
— Tu penses que ma mère dirait quoi si elle apprenait ça ? Hmm ? J'aimerais bien voir sa réaction...
— Pitié, laisse mon portable.
— Alors avoue. Les jambes ou les pieds ?
— Je sais pas ce que t'as cru voir, mais c'était pas ça...
— Ah, peut-être mes fesses, alors ?
— S'il te plaît, c'est complètement débile. Pourquoi je ferais ça ?
— Les jambes ou les pieds ?
— Je suis ton cousin, non ?
— Ok, je compte jusqu'à trois...
— Tu vas rien trouver dessus ! J'ai-j'ai déjà une meuf !
— Un...
— D'ailleurs, je devais la rejoindre au kayak mais on m'a forcé à venir ici.
— Deux...
— LES PIEDS ! C'ÉTAIT LES PIEDS !
Johan hurle à s'en arracher les cordes vocales. Son chahut rameute toute l'attention vers lui. Les deux cousins estompent leur bataille, sa sœur descend les marches du premier étage et tante Coralie s'approche de la piscine.
— Qu'est-ce qui se passe ? Ysaleene, j'espère que tu n'embêtes pas Johan !
— Non, non, tatie... ne t'en fais pas, on... Ysaleene et moi, on... on était en train de se taquiner, c'est tout.
Son visage se décontracte et le regard noir qu'elle jetait autrefois sur sa fille perd de son éclat.
— Désolé, j'ai rigolé un peu trop fort.
— Ne t'en fais pas, soyez juste un petit peu moins bruyant et ça devrait le faire.
Elle fait un signe de la main à ses deux autres neveux et monte les escaliers pour rejoindre Mélanie, interrompues dans une discussion interminable.
***
Un moteur vrombit depuis le portail de la villa. La Renault Mégane se terre dans le silence au moment où Yves-Lise coupe le contact et ferme la portière. Le coucher du soleil plonge le ciel dans un filtre doré, elle décide d'immortaliser le moment avec son portable avant de rejoindre les autres.
— J'ai cru que tu ne viendrais jamais ! s'exclame tante Coralie, en la voyant pousser le portail avec une lenteur désabusée.
— Désolée pour le retard. Je finis toujours à l'heure de pointe et c'est une horreur avec les bouchons.
— Pour ça, j'te comprends. Depuis que je suis ici, j'ai perdu toute notion du mot « travail » ceci dit et je ne vais pas m'en déplaire.
Yves-Lise s'avance sur la terrasse qui donne sur la piscine. Quatre heures après l'arrivée de ses deux enfants, elle découvre une villa somptueuse qui revêt un aspect paradisiaque à n'importe qu'elle heure de la journée. Ici, les lucioles qui dansent au-dessus de la piscine, reflète des lumières vertes qui se confondent au faisceau de la pleine lune.
— Ils sont où d'ailleurs, mes enfants ?
— Oh, ils doivent être en train de jouer à l'intérieur. Ça fait un moment qu'ils ont quitté la piscine.
En portant suffisamment attention, Yves-Lise arrive à entendre des éclats de voix derrière une fenêtre faiblement éclairée.
— On dirait que je suis arrivée au meilleur moment, rigole-t-elle. J'aurais pas à supporter leur chahut pendant des heures.
Alors qu'elle pioche parmi les chaises d'une large, Yves-Lise entend un grincement de porte qui provenait dans son dos. Johan apparait dans l'encadrement de la porte et vient s'asseoir. Avant qu'elle n'ait pu pousser un soupir, le garçon prend la parole.
— T'as tardé, maman.
— Un peu, ouais. Ça ne t'as pas empêché de t'amuser, à ce que je vois.
— En même temps, on peut pas dire que j'avais trop le choix.
Tante Coralie se met à rire et va chercher une énorme glacière au premier étage pendant que sa meilleure amie discute avec son fils.
— Pourquoi tu me fais cette tête ?
— T'as envie de t'amuser avec tatie, c'est une chose, mais je vois pas pourquoi on m'a forcé à venir jusqu'ici !
— Attends, tu ne t'amuses pas ?
Johan ferme les yeux et essaye d'adopter une respiration tempérée. Il met à repenser à elle quand...
La porte s'ouvre et claque contre le mur quand Enzo et Jarvis se mettent à courir vers Yves-Lise. Johan comprend qu'il ne tirera rien de cette discussion et par souffler sur l'une des chaises en bois, cerclant une petite table sur laquelle il était possible d'enchaîner les parties de dominos sans jamais la briser.
— Tu sais ce qui me ferait plaisir ?
Une voix lui chatouille le dos, Johan sursaute et fait volte-face avant de tomber sur Zazou. Elle avait sa petite poitrine dans son visage, il ne pouvait littéralement rien faire d'autre que de la regarder.
— Argh ! Tu m'as fait peur !
Elle escalade le grand sofa en bois sur lequel Johan s'est installé et prend place à sa gauche. Ysaleene pose ses pieds sur un ballon de basket qui traine à côté de ceux de Johan et les tends bien en évidence sous son nez. Il les admire avant de fuir du regard.
— Tu pourrais être une sorte de suggar daddy...
— Arrête de raconter des bêtises ! s'énerve Johan. J'ai supprimé toutes les photos que j'avais, qu'est-ce que tu veux de plus ?
— Ah bon ? s'étonne Zazou. Elles avaient quoi, les photos ? Mes pieds n'étaient aussi jolis qu'en vrai dessus ?
— J'ai tout fait pour que tu arrêtes de m'embêter mais ça ne marche pas...
Elle rigole et balance ses cheveux en arrière, Johan peut les sentir lui effleurer l'épaule. Il frissonne automatique à leurs contacts.
— On se débarrasse pas de moi aussi facilement. Et puis, j'allais quand même pas laisser passer un délire comme ça.
— De quoi tu parles ?
— C'est pas tous les jours qu'on a la chance de voir un fétichiste en vrai. D'habitude, vous êtes tous cachés derrière vos écrans à faire des virements pour avoir des photos d'orteils.
— On est pas tous comme ça.
— Wow ! Alors les fétichistes ont carrément un code d'honneur ? Incroyable ! rigole Ysaleene avant de glisser un peu plus le ballon de basket vers lui.
Bientôt elle pose un talon sur la cheville de Johan. Leurs cuisses s'entrechoquent quand elle se rapproche.
— Eh... mais tu fais quoi, là ?
Elle rapproche ses lèvres de son lobe. En l'entendant murmurer, son corps entier provoque des spasmes. Il sent ses nerfs se contracter.
— Une chaine de cheville.
— Hein ?
— Si tu m'achètes une chaine de cheville, j'essayerai de te laisser tranquille.
— Pourquoi ça ?!
— J'ai toujours voulu en avoir une. Mais ma mère dit que je suis trop jeune pour porter d'autres bijoux que des boucles d'oreilles. Elle pense que je vais perdre ça facilement. Pourtant, je lui ai dit que mes amies en avait une mais ça ne l'a pas convaincu. Et puis, c'est jolie, une chaine de cheville, je ne t'apprends rien.
Soudain, une bribe de phrase de la part de Zazou éveilla sa conscience. Bien qu'elle commence à lui caresser lentement la jambe avec ses orteils, Johan ne réagit pas. Le monde autour de lui venait de disparaître, il avait comme l'impression d'avoir reçu un coup de massue.
— Attends, comment ça « trop jeune » ? Tu as quel âge ?
— Oh, sourit Ysaleene. Tu me donnes combien ?
— Je plaisante pas, là ! Dis-moi ton âge !
Elle se penche à son oreille et vient lui susurrer dans un murmure :
— Dit-toi que je viens tout juste d'avoir la majorité sexuelle. Ça devrait te faire plaisir.
— Tu... t'as quinze ans ? C'est une blague, Seigneur ?
— Tu croyais que j'étais plus grande ? Hmm... je le prends comme un compliment.
Johan tente de repousser la pression que Zazou exerce sur lui et se lève d'un geste brusque. Les deux frères, qui discutaient avec Yves-Lise, l'observent d'un œil suspicieux pendant qu'il range son portable et ses écouteurs dans sa poche.
— Il faut que je me barre d'ici en vitesse.
— Quoi ? Tu t'en vas déjà ? Au moment où on commençait à s'amuser, c'est dommage...
— C'est surtout illégal. Je mange pas de ce pain, moi.
***
— À ce rythme-là, on sera prêt pour le carnaval ! rigole Florent Bonos.
Il met le portable en haut-parleur après s'être énervé des centaines de fois sans réussir à connecté l'appareil en mode Bluetooth avec sa Porsche. L'un des membres les plus expérimentés de son groupe de musique parle sans jamais s'arrêter. Florent à l'impression d'écouter une station de radio – dans les deux cas, il ne verrait absolument pas la différence.
Puis, comme un miracle tombant du ciel, ce petit bout de personne qui longeait l'allée sinueuse menant jusqu'au Morne Manicou s'annonçait comme un prétexte pour écourter la conversation.
— Eh, Steph, je te rappelle plus tard ! Il y a un gamin qui marche sans lumière sur la route, je vais le prendre en stop.
— Ça marche, ne m'oublie pas. Tu te connais.
— Ouais, ouais, dès que je rentre je t'appelle, c'est tranquille !
Il raccroche sans prendre le temps d'écouter sa réponse et fait un appel de phare à la silhouette qui se trimballe juste devant lui.
Entendant un coup de klaxon détonner dans son dos, il stoppe sa démarche et tourne lentement le regard sur les phare de la Porsche.
— Putain de merde, le SDF ! s'exclame Florent.
— Ah, salut, monsieur Bonos...
— T'en fais une gueule, pourquoi tu traînes dans le Hareng ? Ne me dis pas que tu comptais venir chez moi...
— Non, non, l'interrompt Johan en se posant sur la portière. J'ai une tante qui à loué une villa de vacance, quelques mètres plus bas. Et comme personne ne veut me ramener chez moi, bah je le prend à pieds. Mais vous, qu'est-ce que vous faites jusqu'ici ?
Florent marque un temps de pause avant de répondre.
— Comment ça « jusqu'ici » ? La ville du Hareng est juste à côté de celle d'Améthyste. J'étais dans mon groupe de musique, c'est tout !
— Pas la peine de vous énerver, c'était juste une question. Et puis, j'étais loin de penser que vous saviez jouer d'un instrument.
— Il n'y a rien de mieux qu'un solo de piccolo pour conquérir le cœur d'une femme, sache-le.
— Ah tiens, je savais pas que Maya aimait ce genre de musique.
— Qui a parlé de Maya ?
— Hein ?!
— Quoi ?
— Attendez, euh...
— Oublie ce que j'ai dit. Tu veux peut-être que je te ramène chez toi ?
— Ah, s'étonne Johan d'une telle bienveillance de la part du père de Kevin. Ouais, ça serait cool, merci m'sieur !
Il contourne le bolide de luxe et ouvre la portière du côté passager avant de prendre place. La fraicheur de la climatisation avait un effet relaxant. Tout son corps, autrefois engourdi par le stress, se détendait dans un profond soupir, entraîné par la matière moelleuse du siège sur lequel il s'asseyait. Jamais Johan n'aurait soupçonné un tel confort, même au prix exorbitant que représentait pour lui cette gamme de voiture.
— Même ta mère ne te supporte plus, du coup t'es obligé de rentrer à pieds jusqu'à chez toi, c'est bien ça ? annonce Florent d'un ricanement noir.
— Pas tout à fait. C'est moi qui ai décidé de me barrer.
— Ah ouais ? Pourquoi t'es pas resté profiter un peu plus de la villa ? Pourtant quand tu viens chez nous, si je ne te chassais pas à chaque fois, tu serais capable de tenir le mois.
— Il y a une fille que je dois à tout prix éviter.
— Quoi ?! Attends, tu t'y mets, toi aussi ?
— Comment ça ?
— Kevin et vous tous, j'ai l'impression que vous faites exprès de vouloir rester puceau, c'est pas croyable !
— Non, non, attendez, vous n'avez pas toute les explications.
Pendant que la Porsche longe le Morne Manicou et glisse la pente qui mène en plein cœur de la ville d'Améthyste, Johan raconte tout ce qui lui est arrivé depuis qu'il a mis les pieds dans cette fichue villa.
— Donc, là, si je résume bien, tu t'es servi de cette alibi pour quitter la villa ?
— Je voulais même pas y être, à la base. On avait prévu une après-midi au kayak, Dylan et moi.
— N'empêche, je dois reconnaître que c'était ingénieux. Faire croire à la fille que tu es fétichiste des pieds et que tu pars juste pour ne pas succomber à son charme alors que t'en a rien à carrer de cette gamine, c'était vraiment du génie. Mais, si j'étais à ta place, j'aurais saisi l'occasion beaucoup plus tôt pour me faire la malle.
— Euh...
On entendait plus que le son de la climatisation passer dans filtre à air. Florent lui lance un regard oblique, il sent que quelque chose cloche.
— Hein, Johan... tout ça... c'était une blague, hein ? T'es pas vraiment amoureux de Zazou ?
Il fronce des sourcils et se met à l'observer fixement, sans même faire attention à la route. Le garçon, embarrassé, se contente d'esquisser un sourire qui ressemblait davantage à une rage de dents.
— Oh, le con !
À SUIVRE...
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