Saison 1 - Épisode 12 : La soirée de l'Oasis
— Dire que j'en ai rêvé depuis le début de la semaine ! Ouais... t'as raison, je vais éviter de parler trop fort pour pas qu'il sente que je suis trop heureux après il va changer d'avis.
Kevin est scotché au bout du téléphone et plaque régulièrement le combiné sur son torse pour essayer d'écouter à travers les murs. L'odeur de parfum qui s'échappe de la salle de bain le convainc de continuer l'appel.
— C'est bon, mon reuf ! Maya est en train de se préparer, là. On aura la maison rien que pour nous !
Il n'arrive pas à contrôler son euphorie et sa voix transperce les murs de la maison. Même Pacha sorti d'un profond sommeil pour l'observer tant son cri strident n'était pas normal.
Alors qu'il réalise le vacarme qu'il fait au bout du fil, Florent et Maya passent dans le salon. Il se met à murmurer et appuie sa main contre le téléphone.
— Ouais, ouais... ils se barrent, là... chuchote Kevin.
Alors que Maya enfile une paire de Air Force, Florent s'arrête devant la porte et fait signe à Kevin de venir jusqu'à lui.
— Tu ne peux pas te défiler ! l'interrompt Kevin. Johan et Dylan sont déjà en route, ça serait pas sympa pour eux.
— J'ai très bien compris que ta bande de pisseuse venait passer la nuit chez moi et si je ne savais pas que vous étiez tous potes j'aurais cru que tu préparais une orgie de pédales. Sérieux, je me demande encore comme j'ai fait pour accepter une connerie pareille.
Maya se rapproche de lui et l'habille de sa veste en peau de mouton. Avec un regard appuyé, elle lui fait signe de ne pas être trop dur.
— Qu'est-ce qui te dérange avec eux ? Ça fait depuis la sixième que je les connais !
— Justement, maintenant que vous êtes tous partis à la fac, je pensais qu'ils se seraient barrés de ta vie et que tu aurais pu trouver des vrais amis de qualités mais même ça c'est trop te demander !
— Je ne vois pas de quoi tu parles, Johan, Dylan et Régis ne m'ont jamais abandonnés !
— T'es sérieux, là ? ricane Florent. C'est ça tes critères pour déterminer qui devraient être ou pas tes amis ? Mon pauvre, des parasites ne quittent jamais un hôte qui ne dispose pas d'anti-corps. Et c'est exactement ton cas !
Kevin soupir en levant la tête au ciel et explique à Johan qu'il doit raccrocher.
— Tu ne peux pas m'en vouloir de les détester. C'est à cause d'eux que tu es encore puceau alors que tu as dépassé l'âge d'être papa depuis bien longtemps.
— Je trouve que t'abuses un peu, là ?
— Ah ouais, ma petite abeille ?! Tu trouves que j'abuse ? Demande-lui ce qu'ils comptent faire durant cette soirée pyjama.
— C'est pas une soirée pyjama ! rétorque Kevin.
— Vous allez regarder des dessins animés chinois et dormir dans la même pièce, non ? Dans ce cas : c'est une soirée pyjama, Kevin ! Et dernier scoop : c'est un truc de gamine !
— Déjà, ce ne sont pas des dessins animés chinois. Et puis, tu vas pas me faire croire que t'as jamais fais de soirée avec tes amis, papa !
— On faisait bien des soirées avec mes frangins. À la seule différence que chacun avait une gazelle sous la main et mis à part les cris des nanas qu'on ramenait de soirée, on oubliait presque qu'on était tous dans la même maison vu qu'on était occupé à péter les fesses de ces filles-là, chacun dans une chambre.
— Tiens, je savais pas que tu avais fait tout ça, s'étonne Maya.
— Oh, c'étaient les veilles années à l'université, ma petite abeille. Ça fait bien longtemps que j'ai arrêté de faire ce genre de pratique, balbutie Florent en évitant de tomber dans son regard.
— J'espère pour toi.
Florent se racle la gorge et reprend. Kevin rigole en voyant la scène.
— Quoi qu'il en soit... commence Florent en regardant Maya. Maya et moi, on a pris les choses en main parce que c'est vraiment plus possible.
Le sourire de Kevin s'efface.
— Hein ? Comment ça ?
— J'ai rien fait, moi, se défend Maya. C'est ton père qui m'a forcé. Ça me fait clairement pas plaisir et c'est ma réputation qui se joue sur ce coup-là...
— De quoi vous êtes en train de parler ? balbutie Kevin. Je comprends que dalle !
— T'as entendu Maya, p'tit con ?! s'énerve Florent. On a arrangé le coup pour toi, j'espère que tu me décevras pas, pour cette fois !
— Mais qu'est-ce que vous avez fait ?
— T'inquiète, c'est une « surprise ». Faudrait pas gâcher le cadeau !
Maya, les bras croisés, ne peut qu'approuver les dires de son compagnon.
— Ah oui... Kevin.
— Quoi, encore ?!
— Mets-toi sur ton trente-et-un. Juste un petit conseil... tu me remerciera plus tard.
C'est avec les sourcils froncés que Kevin contemple Florent et Maya passer le portail en direction de la boîte de nuit du Negresko. Il hésitait encore à appliquer les conseils de son père. En général, c'était surtout pour lui tendre un piège mais il paraissait vraiment sérieux, pour cette fois.
***
Kevin est dans la salle de bain, face au miroir, son portable calé contre le lavabo sur une vidéo de tutoriel qui montrait comment faire un nœud papillon. Il perd toute sa concentration lorsqu'il entend un bruit de moteur gronder derrière le portail de la maison.
Il fait volte-face et marche jusqu'à la terrasse. Deux phares l'aveugle, ils appartenaient à un SUV rouge. C'était une Audi et Kevin ne savait pas à qui elle appartenait. En revanche, il arrivait à voir la personne qui était à son siège conducteur. Et il la reconnaissait très bien, malgré les phares qui l'aveuglaient, malgré ses lunettes crochues sur son nez.
Bouche bée, il entend le moteur se refroidir, les phares s'éteindre et une paire de talons noirs à lacets dorés se creuser sur la pelouse. Les embouts des lacets s'emportent dans la brise froide de la nuit pendant que la talonnette se retourne face à lui.
Il n'était pas fétichiste mais ne pouvait s'empêcher d'observer cette pédicure impeccable. Elle se mariait avec la peau chocolatée de la jeune fille qui marchait devant lui.
— Tamira ! C'est vraiment toi ?!
Kevin n'en croyait pas ses yeux. Il donnerait l'impression d'avoir vu un ange tomber du ciel. Il n'y avait aucun projecteur tourné en sa faveur, pourtant la jeune fille donnait comme cette assurance dans sa démarche qui ressemblait à celle d'un mannequin. Elle s'avance face à lui et garde cet air impassible sur son visage. Ses formes, enveloppés d'une robe verte, épouse sa taille et laisse entrevoir la naissance de sa poitrine avec un décolleté aguicheur. Tout ce qui faisait déjà la splendeur de Tamira, Kevin n'était pas si étonné que ça de la voir dans cet accoutrement.
— C'est toi le pote de Maya ?
Elle le dévisage d'un air méprisant, mais il doit sans doute extrapoler. À ça, Kevin se contente de sourire et lui fait signe d'entrer dans le salon.
Alors qu'elle passe juste en lu effleurant la main, Kevin se promet de ne plus jamais la laver. Il se retourne pour fermer la porte du salon derrière lui quand il entend un bruit de portière stopper son élan.
Ses yeux s'hypnotisaient sur Tamira qui conduisait la Audi, au point qu'il n'avait pas fait attention à savoir si elle était seule. Une autre paire de chaussure du même type d'écrase sur la pelouse, à la seule différence qu'elle est en argent et que la fille qui les portent est deux fois plus petite que Tamira.
Sa peau caramel se marie parfaitement avec sa robe rouge et son rouge à lèvre embellit ses lèvres pulpeuses. Elle suit même pas de Tamira lorsqu'elle s'approche de Kevin et le toise d'un simple regard.
Il s'interpose cependant devant elle afin d'avoir des explications – et aussi pour admirer sa poitrine qui était légèrement plus grosse que celle de sa copine.
— C'est lui le pote de Maya ? demande la fille.
— On dirait bien... soupire Tamira.
— Maya ce sent bien en ce moment, c'est vrai (dit-elle en toisant à nouveau Kevin) ça lui ressemble pas.
— Ce genre de mecs, je les trouve sous mes publications en train de me faire des commentaires de gros pervers.
Kevin sentait que quelque chose n'allait pas avec les deux filles qui venaient à peine de le découvrir. Il trifouille dans sa tête pendant qu'il lutte contre la petite voix qui lui dit de partir en courant.
— Vous voulez peut-être vous asseoir ?
— Ça serait pas de refus, rajoute Tamira. Avec ce qu'on vient de voir, il y a de quoi !
L'autre fille plus courte approuve en fredonnant d'un air ferme et s'allonge sur le canapé du salon. Elle ne prend même pas la peine d'enlever ses escarpin, dont les talonnettes esquintés de boues, tachaient les coussins.
— Au fait, pourquoi il est habillé en magicien ?
— J'en sais rien, rigole Tamira, j'espère que les autres seront un peu plus présentable.
« Elles savent que mes potes doivent venir à la maison ?! » pense Kevin. « Mais comment elles ont pu le savoir ? C'est Maya qui leur a dit ? ».
Comme s'il les avaient invoqués, la seconde qui suit, une Fiat 500 débouche dans la pelouse. Johan et Dylan sortent de la voiture.
« Merde, j'ai oublié de leur dire pour les vêtements ».
Pire encore, Johan était directement venu en pyjama. Il se place sur le seuil de la terrasse et attrape Kevin pour le plaquer sous son aisselle.
— Pourquoi t'es déguisé en pingouin, bâtard ? rigole Johan. On va pas en soirée, là.
Kevin essayait de lui frapper les côtes mais se trouvait asphyxié par son odeur nauséabonde.
— Oh, merde...
Il réalise Tamira sur le sofa et, bouche bée, lâche Kevin qui s'écroule sur le sol.
— C'est pas possible, je devrais être payée pour ça, grommèle Tamira.
D'abord béat, Johan essaye d'afficher un grand sourire ravi et s'approche de Tamira avec une lenteur qui rappelle celle d'un prédateur traquant sa proie.
— Ne serait-ce pas la ravissante Tamira, aka « GoldenStar » sur Instagram ?
— Pourquoi tu prends une voix de bobo ? T'es habillé comme un clochard.
Régis, qui avait entendu les éclats de voix devant lui, se met à rire en plaquant sa main devant sa bouche pour ne pas trahir sa présence.
— Y a des toilettes, ici. Je vais faire semblant de faire caca en attendant que le temps passe, demande l'autre fille plus petite.
— Juste à ta droite, répond Kevin en désignant la petite porte en bois.
Elle se lève et marche d'un pas précipité. Soudain, elle s'arrête et pointe son doigt sur Kevin.
— Dis à tes potes de grouiller leurs culs. Je tiens pas à rester plus d'un quart d'heure avec vous. Il faut que je vois d'autres têtes en soirée.
— En soirée ? s'étonne Kevin. O-on va en soirée ?
Johan manque de s'étrangler avec sa salive en entendant Kevin.
— C'est pas pour ça que Maya nous a dit de venir te récupérer ? s'énerve Tamira.
— Je... oui, oui ! C'était bien ça !
Régis a tellement peur de se confronter aux critiques de Tamira qu'il préfère se doucher avec le tuyau d'arrosage du jardin, loin du salon où elle reposait. Johan part dans la chambre de Kevin avec son sac à dos. Il revient avec un polo et un bermuda, comme à son habitude.
Dylan avait trouvé une chemise sans bouton dans la buanderie de Florent et l'enfile en dernier recours. Par chance elle était à sa taille.
Les grognements de Tamira accélèrent le rythme des garçons qui prennent tous places devant elle cinq seconde plus tard.
— Pourquoi l'autre abruti reste dehors ? dit-elle en se redressant. JE SAIS QUE T'ES LÀ ! ARRÊTE DE JOUER SINON JE TE JURE QUE TU VAS RESTER ICI TOUT SEUL !
On voit une main dépassée la porte puis deux yeux globuleux qui tremblent. Tamira soupire et attrape sa paire sous le canapé.
— Sadia, on peut y aller, c'est bon !
Elle passe le pas de la porte et se tourne sur Johan.
— Si tu veux regarder mes pieds, il faut payer ! lui dit-elle avant de s'embarquer dans sa grosse voiture.
En attendant que Sadia débarque, Tamira fait tourner le moteur. Elle regarde Johan d'un air étonné lorsqu'il monte du côté passager.
— Qu'est-ce que tu veux, le fétichiste ? Fais comme tes copains.
— Y a plus vraiment de places derrière. Je peux toujours te suivre avec ma voiture, dit Johan.
— Hors de question. Ton morceau de métal, là ? C'est clairement pas une voiture pour aller en soirée. Autant ne pas y aller du tout si tu comptes juste me foutre la honte.
Johan ravale sa salive et grimpe dans la voiture en rétractant le plus de membres qu'il pouvait. Sans faire attention, il marche sur le pied de Kevin qui se met à hurler.
Kevin, Dylan et Régis, assis sur la plage arrière, le dévisage comme s'il était de trop.
— Poussez-vous, bande de connards ! s'énerve le garçon. Je vais devoir m'allonger sur vous trois, j'ai pas trop le choix.
— D'accord mais ne pète pas sur moi, l'avertit Régis en plissant des yeux.
Lorsque Sadia arrive dans la voiture, elle sent une odeur de désodorisant pour WC et son flair l'oriente sur la chemise de Régis. Elle soupire en songeant à la nuit d'horreur qui l'attendait en compagnie de ces quatre imbéciles.
Le domaine de l'Oasis était un site caché derrière un champ de canne à sucre, aux limitrophes de Marée-Salée. Comme le disait la pub « regardez le ciel et suivez la lumière », il était aussi simple que cela de prendre la voiture et suivre les instructions – en s'assurant de ne pas faire une sortie route, bien sûr. Mais dans la majorité des cas, les gens se cantonnaient à utiliser GPS pour venir jusqu'ici. Aussi, pour les habitués comme Tamira, ils avaient simplement l'impression de retourner chez eux et n'en avaient pas besoin.
La Audi se gare sur un site en plein air, dépourvu de marquage au sol où seul la logique et les premiers arrivant servaient à organiser le parking. Heureusement, ils étaient les derniers et Tamira trouva facilement l'ordre de rangement pour cette fois-ci.
Ils sortent tous de la voiture, Régis en profite pour jeter Johan au sol lorsqu'un groupe de fille, habillé en robe de soirée, avance vers lui. Alors qu'il lève la main pour se présenter, elles le traversent comme s'il était un fantôme et s'arrête devant Tamira.
— Bien fait, souffle Johan en se relevant.
Pendant que Tamira expliquait qu'ils étaient simplement trois SDF à qui elle donnait passage, Johan décide de s'aventurer avec Sadia face au videur de la soirée. Ses tours de bras devaient faire trois fois la tête de Johan et il avait une longue barbe ornée de lunettes de soleils qui ne le laissaient rien transparaître.
Les gens autour de lui étaient tous aussi beaux que des mannequins de publicités et sapés comme des stars. Il avait intérêt à rester collé à Sadia s'il voulait une chance de rentrer dans la boîte.
— Est-ce que tu le connais ? demande le videur sans même lui jeter un regard.
On sent un moment d'hésitation jusqu'à ce qu'elle finisse par lui adresser un grand sourire et prendre son bras pour le faire passer par-dessus son épaule.
— Oui, oui, c'est un pote.
Johan sent quelque chose le parcourir lorsqu'elle pose sa tête sur ses côtés – bien trop petite pour arriver jusqu'à son épaule. Est-ce que Sadia venait de « le valider » ? Une influenceuse de cette envergure qui fait ce genre de fleur n'est jamais très anodin. Il fallait assurer.
— Hm... c'est bon, vous pouvez passer.
Les gens qui attendaient derrière Johan et Sadia commencent à fuser des paroles pestiférées en observant la scène.
— Tu m'en dois une, souffle Sadia sans le regarder dans les yeux. Quelle idée de venir à l'Oasis avec un bermuda, sérieux ?!
— Comme un verre, par exemple ? rigole Johan.
— Plus qu'un verre, à ce rythme-là.
En comprenant ce qu'elle venait de dire, Sadia se reprend et pince Johan sur le bras.
— Ne prend pas ça pour de la drague, hein ! Les perlins comme toi ne m'intéresse pas.
— C'est ce qu'elles disent toutes...
Malgré son mécontentement, Sadia ne peut s'empêcher de rire. Les deux se dirigent dans le bar qui donne non loin de la piste de lancé, éclairée par un néon.
Ils s'assoient devant le comptoir et Johan demande deux tequilas. Sadia était adorable à regarder, depuis sa tête jusqu'à ses petites pieds tendus à leurs paroxysmes sur la base de la chaise, compensant sa petite taille.
Le DJ envoutait la majeur partie des personnes présente et personne ne venait saluer Sadia : c'était la petite voix qui parlait à l'intérieur de Johan. Elle lui disait qu'ils étaient bel et bien seuls à seuls. Que c'était LE moment d'attaquer.
— Y a un problème, Sadia ?
Alors qu'il s'apprêtait à lui toucher le bras pour créer un premier contact, une voix s'élève au-dessus de lui. Un type avec une dégaine de surfer métis lui paraît en volte-face. Il a cet espèce de sourire cliché que Johan effacerait bien avec un coup de cutter. Sadia aplatit sa main sur la tête de Johan pour lui faire courber l'échine et regarde le garçon qui parlait dans son dos.
— Je m'ennuie, Nicolas !
Elle grimace pour exprimer son désarroi et le garçon contourne Johan pour la prendre dans ses bras. Il sent comme une rage de dents monter en lui pendant qu'il lui adresse un sourire.
— Passe avec nous, si tu veux. Ça fait un bail que Marceau t'as pas vu.
— Parce qu'il a vraiment envie de me voir, lui ? s'étonne Sadia, un sourire en coin. Je ne sais même pas comment tu fais pour rester avec ce type. Il est... enfin, tu vois bien dans quel mangé cochon sa famille baigne ?
Johan n'y comprenait rien. Un peu plus loin, il aperçoit un garçon brun descendre une verre de rhum blanc tout en le regardant fixement. Il n'avait pas l'air commode. Il y avait fort à parier que Nicolas parlait de ce type.
— T'inquiète, mec. Je vais bien m'occuper de Sadia. Tu peux t'en aller.
Johan pose sa main sur l'épaule de Nicolas. Il s'arrête de parler et fronce des sourcils, comme s'il venait de salir sa chemise.
— Qui t'as dit que tu pouvais me toucher, sale négro !
Il attrape le poignet de Johan et le pousse contre le comptoir. Un verre se brise et toute l'attention se crible sur eux. Dans ce genre de situations embrassante, Johan savait pertinemment qu'il fallait montrer bonne figure pour avoir une chance de ne pas se faire virer de la boîte. Il laisserait Nicolas faire son show, devant tous les portables qui commençaient à les filmer et il s'en tirerait sans problème lorsque le videur se déciderait à le foutre dehors.
Un scénario de cette envergure aurait été tout à fait logique si seulement Johan ne se trouvait pas aux Antilles, là où il fallait faire le plus de bruit pour gagner son respect et si seulement Nicolas n'était pas ami avec le fameux « Marceau ».
Il ne réalise l'importance de ce garçon qu'à partir du moment où il s'avance de suffisamment près pour qu'on arrive à le distinguer parmi le reste de la foule.
« Putain... je me disais bien que ce nom m'étais familier » pense Johan en fronçant des sourcils.
— Je savais pas que Sadia était ton style de fille. Elle est pas un peu trop « caramélisée » à ton goût ?
— Continue à faire le malin et tu vas finir comme George Stinney.
— J'aurais dû m'en douter, tu changeras jamais...
Marceau lâche le verre qui s'éclate en mille morceau sur le sol – ce qui a pour réaction de faire sursauter Johan – puis s'avance jusqu'à lui au point de lui marcher sur les pieds.
— Je veux bien essayer de tolérer tes délires d'extrême droite à la con... par contre, tu vas vite retirer tes sales pattes de mes chaussures avant que la justice ne me donne une bonne raison de finir comme le petit George...
— J'aimerais bien voir ça, rigole Marceau. T'as jamais eu des couilles quand on était au collège.
— Crois-moi que ça a bien changé, depuis. Et j'vais même être gentil, je te laisse une dernière chance de me foutre la paix.
Johan opte pour l'option de secours. Il ne faut jamais laisser au loup l'occasion de sentir la peur. Au contraire, l'intimider reste la seule option si l'on veut avoir une chance de rester en vie lorsqu'un duel de regard s'opère au beau milieu de la forêt. Les gens le filment, Sadia l'observe : il n'a pas le droit de se défiler. Les pédales se font marcher dessus, que ce soit par la vie et par les femmes. C'est l'un des préceptes que Johan n'oubliera jamais de toute sa vie.
Comme par chance, Marceau détourne son attention de Johan et le contourne pour attraper Sadia par la taille. Ses yeux livides se posent sur son corps et s'arrête au niveau de ses lèvres.
— T'es ravissante, ce soir...
— Et toi t'as l'air complètement torché, rétorque Sadia.
— Mais non, bébé. Qu'est-ce que tu me dis, là ? Regarde-moi ces belles petites fesses...
Il agrippe ses mains là où Johan redoutait le plus.
— Lâche-moi ton meilleur back it up, ma douceur des îles.
Sadia rigole presque devant l'euphorie de Marceau. Une chose qui cloue Johan au sol.
— Eh, une minute !
Sadia se tourne vers lui sans comprendre, pendant que Marceau commençait à se blottir sur elle.
— J'te parle !
— DJ, mets-nous une session zouk ! s'écrie Marceau en levant une main au ciel.
Johan cherche le regard de Sadia pour lui demander pourquoi elle acceptait ça. La jeune fille devait peut-être savoir que ce n'était pas normal, voilà pourquoi elle se contente de baisser la tête.
Avant qu'il n'ait eu le temps de parler, le DJ démarre un mix de zouk. Le son s'échappe des basses et l'oblige à se morfondre dans le silence pendant que tous les gens qui gravitaient autour de lui enlaçaient leurs partenaires. Pire encore, il voyait Sadia entre de danser avec Marceau. Son corps fusionnait presque avec celui du blanc bec, au point qu'ils ne faisaient plus qu'un.
Devant tant d'incompréhension, Johan prend place sur l'un des tabourets qui cadre le comptoir et descend une série de punch planteur. Comment ce type pouvait se trouver à sa place, en train de danser avec Sadia, alors qu'il s'était comporté comme le pire des enfoirés du début jusqu'à la fin ? Il y avait un cheminement logique que Johan n'arrivait pas à trouver. Et bientôt, alors que les verres qu'ils descendaient remplaçaient le sang qui coulaient dans ses veines par de l'alcool, une rage se nourrissait pendant qu'il observait Sadia et Marceau juste devant son nez.
Sans parvenir à se contrôler, il enlève simplement les boutons qui l'étranglait dans son col. Voyant que la chaleur qui bouillonnait en lui ne le quittait pas, Johan décide de se lever et s'avance jusqu'à eux.
Marceau a à peine le temps de lui demander ce qu'il pouvait bien foutre que le garçon lui colle un pain dans la figure. Il trébuche sur le pied de Sadia et s'écroule sur le sol, les mains enfouissent dans son nez. Le coup de Johan était si brutal que ses narines pissaient le sang. La musique se coupe et toutes les attentions sont déportées sur lui.
Sa tension refroidit pendant qu'il réfléchissait au pétrin dans lequel il venait de se fourrer. Et le temps que Marceau réalise ce qu'il venait de faire, c'était déjà trop tard. Nicolas arrive dans son dos et lui bloque les bras.
— Va-y, Marceau ! Défonce-le !
— Merde, Johan ! Qu'est-ce qui se passe ?
Le temps que Johan perd à se débattre, Kevin et Dylan se frayent un passage dans la foule jusqu'à lui. Tamira prend la peine de ne pas se faire remarquer auprès d'eux. Elle reste bien hors d'évidence, accompagnées d'une horde de fille qu'elle avait trouvée dans la soirée, un verre de cocktail dans la main. Son visage relâché exprimait son désarroi. Johan sentait très bien qu'elle n'allait pas lever le petit doigt, cette fois-ci.
— Regardez qui voilà ! s'exclame une voix qui se différencie de la foule murmurante.
Un garçon avec des cheveux en épi avance jusqu'à Nicolas. Le sourire narquois qu'il lance à Kevin laisse supposer qu'il le connaît déjà.
— Décidément les tapettes sont de sortie, ce soir...
— Sushi ?! s'exclame Dylan. Je ne savais pas que tu allais dans ce genre de soirée.
— Coucou, Dylan. Toi non plus, tu ne m'as pas manqué.
Et il n'arrive pas là les mains vides. Une batte de baseball qu'il traine sur le sol s'accompagne de quelques crissements insupportable.
— Quand Nicolas m'a dit qu'il avait un problème, j'étais loin de me douter que ce serait avec le menu fretin du lycée. Qu'est-ce qui vous arrive, les gars ? Vous êtes en train de vous rebellez cinq ans trop tard ou c'est comment ?
— Rien de tout ça...
« C'est juste Johan qui a fait le con » avait envie d'achever Dylan. Mais il ne voulait pas perdre le peu de crédit qu'il restait à ses amis.
— Décidément, ces nègres sont tous des sauvages ! s'énerve Marceau alors qu'il vient à peine de se relever.
« Attends, c'est pas ce que je viens d'entendre » brûle Dylan de l'intérieur. Venant de la part de Marceau, ce n'était pas surprenant. Mais dans l'optique du politiquement correcte, tout le monde devait faire preuve de civilité.
— Maintenant, je vais dire au videur de dégager vos petites fesses de caca d'ici et on va reprendre là où on en était, disait-il à l'adresse de Sadia.
— Alors là, tu peux toujours aller koker ta maman !
Elle le repousse et plaque son sac à main sous son aisselle avant de partir en trombe. Ses talons hauts claques sur le sol, c'est le seul bruit qu'on entend dans la boite de nuit alors que le DJ semble pris dans la spirale des potins autant que la foule.
— Attends... tu viens de me gâcher un plan, là ?!
Le visage de Marceau prend une teinte rouge cramoisie tandis que Johan semble retrouver l'éclat qu'il avait perdu depuis que Nicolas s'était immiscé entre Sadia et lui.
— Merci, Seigneur. Je commence à espérer qu'il y ait une putain de justice dans ce monde de merde...
— Tu vas la voir, ta putain de justice !
Sans prévenir, Marceau bondit sur Johan et lui colle deux poings dans la figure une fois à terre. Nicolas s'empresse de lui mettre des chassés dans le crâne et la foule qui s'anime autour envoie des flashs de lumières qui provenaient de leurs portables, tous en train de filmer la scène jusque'à la dernière goutte.
De l'autre côté du comptoir, Kevin et Dylan observe la rixe, impuissants.
— Mais qu'est-ce qu'on va faire ?
— Dans ce genre de situations, il y a qu'une seule solution.
Dylan attrape une bouteille de rhum encore pleine sur l'étagère et écrase le bouchon sous sa semelle. Il observe Marceau, Sushi et Nicolas de défouler sur Johan pendant qu'il descend les litres d'alcools dans sa gorge.
Bientôt en feu à cause de la température du rhum vieux, il lâche la bouteille qui se brise en mille morceaux sur le sol et commence à tituber en avant. Il hoquète en retroussant ses manches :
— Bon, bah quand il faut y aller, il faut y aller !
Il se jette sur Nicolas à son tour et s'en suit une véritable bagarre générale. Kevin n'arrive plus à bouger ni même à parler.
— Oh... merde...
Régis avait réussi à se frayer un coin à l'angle de la boite, sur une petite chaise en bois, où il sirotait un jus de cocktail avec une paille en bois. Kevin lui fait un geste de la main mais il secoue de la tête en regardant loin devant.
— Hors de question que je perde ma vie pour eux... j'ai trop peur !
— On peut pas les laisser de battre tous seuls !
— Je trouve qu'ils s'en sortent très bien, moi.
Au moment où il prononce ces derniers mots, Marceau attrape l'un des tabourets pour l'écraser sur le dos de Johan. Le garçon s'écroule dans un grognement sur le sol pendant que l'autre se sert d'un des pieds brisés en bois pour le frapper au crâne.
— On n'a pas la même vision de « s'en sortir », je crois !
— Écoute, le plus important, c'est qu'ils soient en vie.
— C'est pas sérieux, mon reuf ! Tout le monde va nous prendre pour des tapettes, maintenant !
— Appeler une ambulance, c'est tout ce que je peux faire. Et puis si ma mère voit que je me suis blessé, elle me laissera plus jamais sortir !
Avec moins de temps qu'il ne le faut et une fois que Johan et Dylan ne sont plus en mesure de lever un cil, Marceau se met à siffler.
Sa paupière tremble, il ne voit qu'une imposante silhouette se diriger jusqu'à eux. La chose les soulèvent, du moins c'est ce qu'ils imaginent en ressentant cette sensation d'apesanteur.
— Voilà ce qui arrive quand on emmerde Marceau Cerf ! s'écrie Nicolas en rigolant en éclats.
« J'ai l'impression qu'on ne pourra jamais gagner dans un aucun domaine contre cette famille » murmure Johan avant de sentir à nouveau le toucher aride du bitume.
Le vigile les jette à l'arrière de la boite, à côté des sacs poubelles. Il se délecte en visant avec précision Dylan dans la benne de tri.
***
— Alors, comment ça s'est passé ?
Les trois garçons regardent Florent d'un air fatigué, vautrés sur le canapé.
Maya arrive avec un désodorisant et l'asperge juste au-dessus de leurs têtes.
— C'est bizarre, pourquoi vous sentez comme dans une décharge publique.
— Marceau... il nous a...
Maya sursaute en entendant Kevin ouvrir la bouche.
— Marceau... Cerf ?
Il hoche de la tête et s'arrête de parler pour masser son épaule meurtrie.
— J'aurais dû m'en douter. Il est pote avec Sayan, obligé qu'il allait pas laisser passer ça...
— Comment ça ? demande Johan. Parce qu'il sait que Kevin te connaît ?
— Pas facile de le cacher depuis ce qui s'est passé dans la dernière soirée que j'ai faite. Tous ces potes sont au courant, même ce connard de béké.
Maya comprend que l'heure est grave. Il faut trouver Sayan au plus vite et mettre les point sur les « i ».
— Laisse-moi deviner, il arrêtera pas tant que tu seras pas retournée avec lui ?
— C'est ça... soupire Maya.
— Je vais le retrouver ce petit enculé, si Kevin arrive pas à lui faire comprendre que c'est fini entre vous, moi je vais le faire !
Maya attrape les avant-bras de Florent pour l'apaiser.
— Ça ne sert à rien. Vous êtes clairement pas dans le coup, les gars.
— Non, ma petite abeille. Il est hors de question que je te laisse parler toute seule à ce malade. La prochaine fois qu'on le croise, lui et ses potes, on leurs fait la peau !
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