Chapitre 6

   La silhouette se détachait de plus en plus de la pénombre, elle formait quelque chose d'énorme et de blanc. Elle se rapprochait tel un prédateur qui se prépare à attaquer sa petite proie sans défense. Redapple et Mologan ne semblaient pas du tout effrayés contrairement à moi qui ne cessais de faire de minuscules pas en arrière. Je pensais que cette énorme créature allait me sauter dessus et m'arracher la tête pour mieux me manger après, mais elle ne le fit pas. Elle avançait toujours à pas de loup en faisant résonner ses petits grognements. Je découvris alors le visage de la bête. Elle était démesurément grande et poilue. Ses yeux et ses petites oreilles contredisaient le reste de son corps aussi gros qu'un ballon de montgolfière qui reposait sur des pattes velues blanches et qui fonçaient vers le bout de ses griffes. Il se tenait à quatre pattes devant moi. La chaine enroulée autour de son cou l'empêchait de faire un mouvement de plus vers nous. On entendait plus que le bruit de sa respiration sifflante. Puis, soudain, il se mit à rugir. Sa gueule s'ouvrit telle celle d'un lion et laissa apparaître des milliers de petites dents pointues. J'aurais sûrement dû écouter Redapple lorsqu'il me disait qu'il ne fallait pas l'ouvrir. S'il n'y avait pas eu la chaine autour du cou du monstre, il m'aurait certainement déjà dans son gros estomac. Il essaya quand même de faire un pas de plus lorsque Mologan prit la parole.

     -Wokies arrête tout de suite et retourne dormir.

   La bête se figea sur place et repartie aussi lentement qu'elle était arrivée, sans broncher.

     -Ne soyez pas impressionnée par sa grande taille, mademoiselle June. Ce n'est pas une méchante bête, il suffit juste de lui parler fermement. Me confia Redapple.

     -Qu'est-ce que c'est ? demandais-je abasourdie de voir une telle créature.

     -C'est un Wokies, une créature très rare, certainement l'une des dernières de son espèce dans la forêt de Wesnoth. Lorsqu'il a bien été dressé, il est aussi doux qu'un chiot. S'il sent que vous ne lui voulez aucun mal, il sera obéissant et fera tout ce que vous voudrez mais dans le cas contraire, il vous mangera tout cru comme il voulut le faire à l'instant avec vous. Mais il a certainement dû confondre votre sentiment de peur avec l'impression que vous lui voulez du mal. Ça peut arriver à n'importe qui ! dit-il en se tapant dans les mains.

     -S'il est obéissant, pourquoi le garder enfermé ? Il doit se sentir seul.

     -Ne vous inquiétez pas, il est de nature solitaire.

     -Mais ce n'est pas la seule raison. Enchaina Mologan qui se sentait de plus en plus concerné par la bête. Les Wokies sont des créatures recherchées dans tout le royaume de Wesnoth pour leur pelage. Si jamais le malheur s'abattait sur nous et qu'il était capturé, il serait tué le plus vite possible. Nous en serions très attristés car nous avons grandis avec lui.

     -Nous l'avions trouvé en plein milieu de la forêt alors qu'il venait à peine de naitre, nous l'avons donc recueilli et depuis nous le nourrissons, jouons avec lui et nous occupons bien de lui. Mologan est celui qui reste le plus de temps avec lui, ils ont un certain lien, je pense que le fait que tous les deux soient solitaires les rapproche. Acheva cette fois-ci Redapple.

   Un lien fort semblait les rapprocher tous les trois. Comme s'ils étaient une vraie famille. Imaginer qu'on puisse m'enlever mon petit frère et le tuer me brisa le cœur, je ne pourrais pas vivre sans lui. C'est inconcevable. Je sombrerais dans la tristesse et plus personne ne pourrait m'en sortir.

   La bête se coucha dans l'endroit le plus sombre et d'endormie sans demander son reste. Redapple ferma la porte et nous repartîmes vers le couloir. Désormais, nous n'entendions que nos pas qui résonnaient dans le silence glacial. Plus nous avancions, moins je voyais la fin. Les portes défilaient, les torches accrochées aux murs se suivaient mais ne semblaient jamais s'arrêter. Aucun de nous ne prenez la parole, les jumeaux marchaient tranquillement comme un seul homme devant moi tandis que je les suivais d'un pas pressé pour ne pas qu'ils me sèment. Puis soudainement, ils tournèrent à gauche et se fut à partir de ce moment-là que je fus sur le point de me perdre.

   Le long couloir sans fin éclairé avait été remplacé par un labyrinthe illuminé d'une lumière jaune où l'on ne discernait seulement que les contours d'une personne. Les jumeaux accélérèrent le pas, ils tournaient sans hésitation. Une fois à droite, l'autre gauche puis de nouveau à gauche. Ils marchaient de plus en plus vite, je dus courir derrière eux mais ils changèrent de direction. Je les perdis de vue. Je me trouvais à une intersection entre trois chemins, je ne savais pas par où aller. L'endroit était très peu éclairé et je ne voyais quasiment rien. Je ne pouvais plus avancer si je ne savais pas où aller. Alors je regardai autour de moi, paniquée. Le couloir qui s'étirait devant moi était sombre mais je pouvais affirmer que les jumeaux n'avaient pas pris cette direction. Celui de gauche semblai également vide. Et celui de droite ne me laissait pas apercevoir grand-chose. Je me sentis si petite dans ce labyrinthe si grand. Comme une petite fille qui a perdu ses repères. La peur commençait à asphyxier mon âme lorsque je vis quelque chose bouger dans la voie de droite. En observant un peu plus, je pus apercevoir deux petites ombres qui marchaient d'un pas synchronisé. La peur propulsa l'adrénaline dans tout mon corps et je m'élançais à leur poursuite lorsqu'ils tournèrent à droite, je courus encore plus vite. Dès que je les retrouvais, ils m'échappaient à nouveau. J'accélérais. Ils tournaient. Encore plus vite. Ils disparaissaient. On n'entendait que ma respiration. Ils virèrent à nouveau à droite. Mon cœur battait dans mes oreilles. Ils se dissipèrent dans l'obscurité. Mes muscles s'endolorirent. Ils réapparurent pour s'évanouir à nouveau dans le labyrinthe. Ma respiration se fit saccadée. Je les vis, au loin, continuer leur marche. Mes yeux se mirent à pleurer par l'effort. Ils penchèrent à gauche. J'utilisai mes dernières forces pour aller plus vite. Les deux petites ombres disparurent cette fois-ci derrière une porte. Mes pieds voulurent atteindre la porte avant qu'elle ne se referme. On ne voyait plus les jumeaux. Mes jambes me poussèrent à courir plus vite encore. La porte se refermait sur elle-même doucement. J'étais encore loin. Elle était sur le point de se fermer. Je tendis un bras en avant, mon corps était à bout e force ais je ne pouvais pas abandonner. Je me poussais à ne pas ralentir. Il ne me restait plus que trois ou quatre mètre à traverser. Mes muscles me brûlaient de tous les côtés, j'étais à deux doigts de la crise cardiaque mais je finis par l'atteindre. Mes doigts se refermèrent autour de la poignée et d'un mouvement brusque, j'ouvris la porte. Je trébuchais légèrement mais me rattrapai tout de suite. Je rentrai dans la salle pliée en deux. Mes yeux étaient remplis de larmes, autour de moi, tout était flou. Je chassai brusquement ces larmes du revers de la main et repris mes esprits. Ce ne fut que lorsque ma vue fut enfin rétablie que je pus voir la grande salle ronde où les jumeaux m'avaient conduit. La surprise m'envahie.

   Le changement était radical entre l'endroit où je m'étais réveillé, le couloir sans fin, le labyrinthe et cette pièce. Le changement d'ambiance était tout aussi radical. Ici, la pièce émanait une chaleur rassurante, elle donnait l'impression que quoi qui se trouve dans cette pièce, rien ne pouvait être malveillant. Les murs en bois dégageaient un côté rassurant contrairement aux murs rocheux, ils étaient accueillants. Des posters étaient accrochés aux bois et étaient disposés sur une grande table ronde au centre de la pièce. Je fis quelques pas pour savoir de quoi il s'agissait mais toutes ces affiches n'avaient aucun sens. Il y avait des plans, des cartes où certains endroits éloignés se reliaient par le trait d'un marqueur, des photos sinistres d'un château et de pièces de maison, des recherches et tout cela sur tout le long des murs. Je me rapprochai des papiers sur la table ronde mas c'était également des affiches toutes aussi insignifiantes à mes yeux. Je les effleurai du bout des doigts en les passant en revue. Je ne comprenais pas en quoi tout cela m'aiderait plus tard. Tous ces papiers ne signifiaient rien à mes yeux, à part de la forêt, il n'y avait aucun lieu auquel j'aurai pu associer ces plans.

     -Vous devriez manger, cela vous fera reprendre des forces. Vous en avez grand besoin.

   Mologan me sortit mon observation et me fit relever les yeux au-dessus de la table. Il tenait dans ses mains un plateau contenant deux sandwichs et grand verre d'eau, en temps normal, ce diner m'aurait paru quelconque, mais dans ces conditions, c'était un festin. Je me jetai alors sur l'un des sandwichs et l'engouffrais dans ma bouche. Si longtemps que je n'avais pas manger, j'aurais pu avaler n'importe quoi du moment que ça pouvait me remplir le ventre. Chaque bouchée me faisait le plus grand bien. Je sentais mon corps qui reprenait des forces, la faim qui disparaissait petit à petit et la fatigue s'estompait peu à peu. Je finis le premier sandwich en quelques bouchées et avalai la moitié du verre d'eau. Je remarquai les jumeaux qui me regardaient avec malice. Je devais avoir l'air d'une personne impolie et sans gêne. Je me calmai alors, essuyai ma bouche et demandai.

     -Qu'est-ce que c'est que cette pièce ?

   Mologan et Redapple se regardèrent quelques secondes le temps d'échanger un message silencieux et ce dernier disparu.

     -Nous gardons des plans de la forêt et tout ce qui se trouve à Wesnoth, que ce soit les habitants, les maisons ou chaque arbre qui constitue cette forêt, tout est ici. Nous avons tout dans les moindres détails.

     -Alors vous avez aussi l'emplacement du portail qui me permettra de retourner chez moi ? le coupais-je impoliment.

     -Malheureusement, non. C'est bien la seule chose que nous ne possédons pas. Mais nous pouvons vous aider grâce à ces plans que vous voyez autour de nous.

   Redapple fit son retour à ce moment précis et déposa d'autres plans sur la table. Je finis mon sandwich et approchai de la table pour les étudier.

     -Je ne comprends pas, comment pouvez-vous prétendre m'aider alors que vous ne savez pas où se positionne ce que je cherche exactement ?

     -Nous ne pouvons peut-être pas vous indiquer où il se trouve mais nous pouvons vous indiquer une personne qui vous aiderait à la trouver.

   Je ne comprenais toujours pas ce qu'il me racontait donc il continua son monologue.

     -Angelique vous aidera dans votre quête mais avant nous avons quelque chose à vous donner. Ces plans que vous êtes en train de scruter depuis toute à l'heure, vous seront indispensables. Ce sont les plans de la forêt de Wesnoth. Tout ce que vous chercherez y est figuré. Surtout ne les perdez pas, ils sont uniques, ce sont les seuls exemplaires existant. Vous devez les cacher et les montrer seulement à Angelique, elle saura quoi en faire.

   Je l'écoute attentivement en essayant de retenir le plus d'information possible. Les jumeaux sont les seules personnes qui ont accepté de m'aider, je ne peux pas les prendre à la légère. Si je retourne dans mon monde, avant je les remercierais à en perdre la voix.

     -Angelique demeure non loin d'ici, il vous suffira de marcher jusqu'à apercevoir des barrières, un village est placé à proximité. N'oubliez pas, vous ne devez pas vous faire repérer, surtout sur la place commune.

     -Que dois-je faire au village ?

     -Trouvez Angelique le plus vite possible.

     -Depuis l'instant où j'ai mis les pieds dans cette pièce, je ne cesse d'entendre le nom d'Angelique mais comment puis-je la trouver sans savoir à quoi elle ressemble ? répliquais-je tendue.

     -Angelique est respectée de tous par son âge et son histoire, il vous sera facile de la repérer. Au cas où vous ne la trouvez toujours pas, cherchez des yeux bleus. Ils sont rares à Wesnoth.

   Redapple s'approcha tenant dans ses mains des feuilles.

     -C'est l'heure, il va falloir qu'on vous laisse à présent, mademoiselle June.

     -Attendez, pourquoi me laisser tout de suite ? dis-je les voyant s'éloigner vers une porte que je n'avais pas vu jusqu'à présent.

     -Le Jour Occulte est sur le point de se finir il faut donc que vous partiez mademoiselle June.

-Qu'est-ce que le Jour Occulte ? ma voix commença à trembler sans que je ne puisse l'empêcher.

   Les jumeaux marchèrent d'un même pas vers cette porte inconnue sans se retourner ni même me répondre. Je m'élançai à nouveau vers eux, la pièce sembla s'agrandir pendant un instant, ils passèrent la porte lordqu'elle se referma j'entendis la joyeuse voix de Redapple résonner au loin.

     -Nous nous retrouverons mademoiselle June.

   La porte resta coincée lorsque je tirai dessus pour l'ouvrir. Je dus forcer un peu plus à tel point que pendant un instant le chambranle de la porte semblait sur le point de se casser. La porte donnait sur une forêt où une atmosphère particulière résonnait. Elle semblait étrange, comme si vous pouviez absolument tout faire, accomplir tous vos rêves, même les plus fous. Les arbres semblaient vivants, la terre différente et le silence lourd de petits murmures en continus. La nuit habituellement froide émanait une douce chaleur que l'on voudrait étreindre. Une brise passa et le charme fut rompu. Plus d'atmosphère magique, plus de petites voix, plus de chaleur rassurante. Mes pieds avançaient tous seuls dans la forêt sans but. Les jumeaux avaient disparu. Ils s'étaient évaporés comme par magie dans la forêt. La porte et la pièce où nous étions n'est plus là non plus. Aucune trace de ceux qui m'avaient aidé. Encore une fois, je crus avoir perdu la tête. Ils étaient juste devant et avaient pris la même porte que moi. Mais voilà que même elle a disparu. Tout a disparu. Les battements de mon cœur affolé se firent entendre à travers les arbres soudainement morts. Des frissons de terreur se promenèrent sur tout mon corps tel un serpent m'enroulant petit à petit. La voix tremblante de peur je murmurai.

     -Les jumeaux, où êtes-vous ?

   Personne ne répondit. Un peu plus fort cette fois.

     -S'il vous plaît, ne m'abandonnez pas.

   Le vent me répondit. Ma voix trembla encore plus.

     -Revenez, je vous en supplie.

   Aucun bruit ne résonna. Cette fois-ci, je tombai à terre ruisselante de larmes incontrôlables.

     -Redapple, Mologan ne me laissez pas.

   Il se mit à pleuvoir des cordes. Je ne pus différencier mes propres larmes aux goutes d'eaux qui tombaient du ciel. Mes sanglots s'intensifièrent, je ne pouvais pus m'arrêter. J'étais de nouveau seule. Je ne pouvais compter que sur moi-même. Et sur les plans. Ils sont tout ce qu'il me reste. Je ne peux m'appuyer que sur eux. Ma réussite dans la trouvaille du village repose sur eux. Puis Angelique m'aidera. Elle m'accompagnera jusqu'au miroir et je retrouverais les miens. Tout ceci ne sera plus qu'un lointain cauchemars. Je n'entendrais plus jamais parler de Wesnoth et de sa forêt. Tout disparaitra. Tout repose sur les plans et sur Angelique. L'arrêt de mes larmes repose sur eux. La fin de ma solitude repose sur eux. Le début de mon retour repose sur eux. Ma vie repose sur eux. Tout repose sur eux. Je ne peux échouer.

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