• chapitre 14
Le jour du gala de charité était arrivé. Juyeon avait rejoint Hyunjin à son appartement pour s'assurer que tout se passait bien, mais aussi pour évaluer son niveau d'angoisse face à cet événement. Il avait pourtant l'habitude de se montrer en public, face à des centaines de personnes. Il défilait sur des podiums, son visage était placardé en grand sur des immeubles de la capitale, il passait dans des émissions de télévision, se retrouvait en couverture de magazine… Elle n'aurait jamais imaginé qu'un simple discours puisse le mettre dans des états pareils.
La coiffeuse et la maquilleuse avaient passé la matinée chez lui pour lui offrir la meilleure prestation. Il fallait que tout soit parfait, que ses cheveux et son teint frais tiennent le coup jusque tard ce soir. Ensuite, Juyeon s'était attelée à la préparation du déjeuner pour que Hyunjin puisse reprendre des forces et faire une petite pause avant que le styliste arrive. Ça n'allait pas être de tout repos, mais cette effervescence était quelque chose que la manager appréciait dans son métier. Courir partout, ça lui donnait un puissant sentiment d'être vivante et utile.
— Hyunjin ? l'appela-t-elle.
Il leva la main sans même la regarder, il était occupé à faire les cent pas dans la grande pièce à vivre, les yeux rivés sur son discours. C'était au moins la dixième fois qu'il le lisait depuis son réveil, et combien de fois l'avait-il consulté la veille ? Presque autant.
Patiemment, la jeune femme attendit qu'il ne termine et lorsqu'elle entendit un lourd soupir s'échapper de ses lèvres, elle sut qu'il avait tout relu. D'un pas nonchalant, Hyunjin revint dans la cuisine et s'installa sur un des tabourets hauts. Il plaqua sa feuille sur l'îlot central et souffla à nouveau.
— Je vais jamais y arriver.
Juyeon déposa face à lui le riz et les légumes.
— Bien sûr que si, vous allez y arriver.
Il releva les yeux vers elle, elle y vit une véritable crainte, une incertitude comme jamais elle n'en avait vu chez Hyunjin. Il dégageait tant de confiance en lui, même dans la vie de tous les jours, qu'elle avait du mal à concevoir qu'il puisse avoir peur de la sorte. Il avait d'habitude l'air si sûr de lui, avec son regard perçant et sa stature élancée, mais là il ressemblait à un petit chiot complément perdu. Délicatement, Juyeon déposa une main sur son épaule.
— Tout va bien se passer, d'accord ?
— Et si je me ridiculise en donnant mon discours ?
Elle secoua négativement la tête.
— Nous l'avons travaillé ensemble, et vous l'avez répété un nombre incalculable de fois.
— Oui, mais… si je bégaye ? Si j'articule mal ?
Elle afficha un sourire compatissant face à l'expression de Hyunjin. Il était véritablement terrifié, et elle eut un pincement au cœur. Elle voulait l'aider plus qu'elle ne l'avait déjà fait, mais elle n'allait pas monter sur l'estrade pour lire le discours à sa place. Il fallait qu'il prenne sur lui et qu'il trouve un moyen de relâcher la pression avant qu'ils ne doivent partir.
— Vous avez l'habitude de vous retrouver devant beaucoup de personnes, je suis sûre que vous serez parfait.
— Oui mais parler devant autant de gens… savoir que tous les regards vont être posés sur moi, qu'on va m'écouter, ça me fout la trouille.
Elle pouvait le concevoir, mais à part lui offrir son soutien et se montrer rassurante, elle ne pouvait rien faire d'autre. Elle l'invita à manger son déjeuner pour qu'il puisse prendre des forces et ne pas risquer une hypoglycémie. Cumulée à la nervosité dont il faisait preuve, Juyeon craignait qu'il ne tombe dans les vapes. Elle prit place à côté de lui après qu'elle se fut servie à son tour. Hyunjin lui avait proposé de déjeuner en sa compagnie plutôt que d'aller se chercher quelque chose à la supérette. Et elle avait accepté sans une once d'hésitation. Il fallait dire qu'elle aimait passer du temps avec lui et que c'était réciproque. Entre eux, une certaine complicité s'était créée, une relation de confiance qui ne faisait qu'accroître au fil des jours. Ils travaillaient main dans la main, ils se soutenaient et se comprenaient plus qu'ils ne l'avaient imaginé.
Juyeon l'avait aidé pour son discours et cela semblait avoir renforcé leur lien professionnel, mais aussi humain. Elle avait maintes fois été capable de lui montrer qu'elle était avec lui, qu'elle ne le laisserait pas tomber et qu'elle lui viendrait en aide, peu importe la situation. Hyunjin, quant à lui, s'ouvrait davantage sur ses peurs, sur toutes les choses qui le tourmentaient. Il était capable de lui faire part de ses états d'âme sans aucun embarras. Il savait que sa manager serait une oreille attentive, et aussi de bon conseil.
Durant le déjeuner, elle évita de lui parler du gala pour ne pas sans cesse lui rappeler qu'il allait devoir parler devant tous les invités. Elle préféra mentionner les événements à venir, les voyages qu'ils devaient faire et toutes les choses qu'il fallait prévoir pour ces derniers. Hyunjin avait l'habitude de partir aux quatre coins du monde pour représenter de grandes marques, et Juyeon avait hâte de l'accompagner dans ces aventures. Il avait récemment reçu des propositions très alléchantes, alors ils devaient se rendre sur place pour tout concrétiser.
— Juyeon…
Alors qu'elle était occupée à laver la vaisselle sale qui traînait dans l'évier, Hyunjin arriva à son niveau. Sa petite voix l'avait prise de court et ses sourcils s'étaient haussés.
— Oui ?
— Vous pourriez m'aider à le relire encore une fois ?
Elle esquissa un sourire et hocha la tête. Elle ne l'abandonnerait pas à sa peur. Si elle pouvait le rassurer d'une quelconque manière, elle le ferait. Hyunjin était touchant, et elle avait envie de lui venir en aide afin qu'il se sente un peu mieux.
— Je vais débarrasser tout ça, ne vous en faites pas. Et puis, je ne voudrais pas que vous abimiez votre coiffure ou votre maquillage.
Elle lui déclara un sourire et fit un petit mouvement de tête en direction du salon. Elle voulait qu'il prenne du temps pour tenter de faire descendre la pression. Il se résigna à rejoindre le canapé et retrouva son discours qu'il ne put s'empêcher de lire tout en chuchotant. De temps à autre, Juyeon tournait la tête pour l'observer discrètement et jauger son état d'angoisse. Elle voyait bien qu'elle ne baissait pas et que plus le temps avançait, plus Hyunjin se laissait submerger par un stress irrationnel. Elle ne remettait pas en doute ses sentiments, mais elle savait qu'il se mettait bien trop de pression pour cette intervention.
Elle se dépêcha de tout finir avant de rejoindre Hyunjin dans le salon. Elle s'installa à côté de lui sur le canapé et il lui lança un regard empli de désespoir. Elle lui demanda de réciter son discours et malgré le fait que Hyunjin se soit bien débrouillé, il ne put s'empêcher de trouver sa diction ridicule. Il parlait bien trop lentement et avec pas assez d'assurance. Il ne voulait pas donner l'image d'un jeune homme hésitant, ce n'était pas ce qu'il était.
— Qu'est-ce que vous en avez pensé ? demanda-t-il en levant les yeux vers Juyeon.
— C'était bien. Mais ça se sent que vous n'êtes pas à l'aise. Votre regard jongle d'un point à un autre sans arrêt. Sur scène, il faudrait plutôt fixer une personne, puis une autre, mais pas toutes les deux secondes.
Il lâcha un profond soupir et se laissa tomber contre le dossier du sofa.
— Je vais tout foirer tellement j'ai peur.
Elle posa une main compatissante sur son épaule.
— Je sais que vous allez réussir. Si je peux faire quoi que ce soit pour vous aider, je le ferais. Est-ce que quelque chose pourrait vous détendre ?
Hyunjin la fixa un instant et elle resta elle aussi figée. Son regard n'était pas comme d'habitude, elle ne pouvait le nier. Aujourd'hui, Hyunjin était empli de doutes et de nervosité. Le jeune homme si sûr de lui semblait s'être tu pour laisser place à un autre bien moins confiant, qui avait besoin d'une bonne dose de soutien. Il avait besoin d'être rassuré, d'être aidé. Et Juyeon se devait d'être la personne qui allait jouer ce rôle. Elle raffermit l'emprise sur son épaule pour lui montrer qu'elle ne l'abandonnerait pas, qu'elle était prête à le soutenir.
— En fait, avant des événements importants, Changbin m'emmenait faire des massages.
Elle papillonna des cils, elle aurait dû y penser bien avant. Les mannequins dont elle s'était déjà occupée avaient tous leur rituel, leurs habitudes, et elle n'avait même pas demandé à Hyunjin s'il faisait quelque chose de similaire.
— Je suis désolée, j'aurais dû vous le proposer avant.
— J'aurais dû vous le dire avant, vous ne pouviez pas savoir.
Il esquissa un mince sourire, mais ce n'était pas assez pour que Juyeon fasse taire la petite part de culpabilité qui commençait à la titiller.
— Je peux peut-être… vous en faire un ?
Cette fois, Hyunjin eut un mouvement de recul et Juyeon ôta la main de son épaule d'un geste brusque. Elle secoua la tête, regrettant instantanément sa proposition.
— Excusez-moi, c'était franchement déplacé. La prochaine fois, je saurai de quoi vous avez besoin et…
— Je veux bien, l'interrompit-il.
La jeune femme resta sans voix, la bouche entrouverte. Aucun son ne parvenait à passer la barrière de ses lèvres tant elle peinait à assimiler ce qui était en train de se produire. Elle était comme spectatrice, impuissante et totalement désemparée. Hyunjin la regardait avec insistance, son angoisse semblait s'être miraculeusement dissipée et son aplomb de retour.
— Vous en êtes bien sûr ? demanda Juyeon d'une petite voix tremblante.
— C'est ce dont j'ai besoin, là maintenant.
Elle déglutit, déstabilisée par les yeux perçants de son vis-à-vis et surtout par la puissante montée d'adrénaline qui venait de la submerger. Cette sensation était à la fois exquise et terrifiante, et elle s'empressa de la faire taire pour l'oublier au plus vite. Elle devait rester concentrée sur son travail, elle devait rester professionnelle, même si ce qu'elle s'apprêtait à faire n'avait rien de raisonnable.
Elle inspira et expira tout l'air de ses poumons pour se reprendre. Ce n'était pas le moment de flancher et de laisser son esprit vagabonder. Elle fit signe à Hyunjin de lui tourner le dos, il obtempéra. Elle ferma les yeux un court instant et se permit un discret soupir pour se donner du courage. Même si elle pouvait parfois se montrer tactile avec le mannequin, elle n'avait jamais eu de geste aussi intime. Une main sur l'épaule, une tape sur le bras, tout ce qu'il y avait de plus naturel pour elle quand elle souhaitait l'encourager ou le rassurer. Là, le contact allait être plus poussé, plus long, plus appuyé. Hyunjin allait se laisser aller entre ses mains.
Délicatement, elle posa les doigts au niveau de ses trapèzes. Elle prit soin de ne pas toucher directement sa peau, préférant rester à la limite du col de son t-shirt. Elle appuya les pouces sur ses omoplates et débuta quelques mouvements circulaires expérimentaux. Elle sentait à quel point Hyunjin était tendu, à quel point il était crispé et, bien vite, elle oublia la gêne qui l'envahissait pour se concentrer sur sa tâche. Elle avait à cœur de le soulager de toute la tension qu'il avait en lui, de tout le stress qu'il avait accumulé ces derniers jours à cause de son discours. Elle appuya davantage, déterminée à mener à bien sa mission. Elle se concentra sur ses mouvements, sur la respiration de Hyunjin qui se faisait de plus en plus lente.
— Je ne vous fais pas mal ?
Le jeune homme lâcha un soupir avant de répondre :
— Pas du tout. C'est divin.
Le cœur de Juyeon loupa un battement. La voix de Hyunjin laissait imaginer qu'elle lui faisait du bien, et elle s'en sentit terriblement embarrassée. Ses gestes se firent moins appuyés tant elle craignait d'en faire trop, de dépasser les limites.
— Vous pouvez y aller plus fort, ça me dérange pas, intervint-il.
Elle s'exécuta aussitôt. Hyunjin se détendait entre ses mains, elle n'en avait aucun doute. Son corps tout entier se laissait porter et, de temps à autre, il laissait échapper un soupir de bien-être que Juyeon préférait ignorer de peur que son esprit ne divague. Elle continua ainsi pendant quelques minutes, puis s'arrêta d'elle-même quand elle ne fut plus en mesure de supporter les petits gémissements de satisfaction qui échappaient à Hyunjin. Elle voulait bien l'aider, mais pas mettre en péril sa santé mentale et son professionnalisme non plus. Il s'étira tout en se tournant vers elle, un sourire étirant ses lèvres pulpeuses.
— Merci, c'était… super.
Elle fit un petit mouvement de tête et pria pour que ses joues brûlantes passent inaperçues.
— Je vous en prie. J'espère que ça va un peu mieux.
— Oui, je me sens plus détendu. Vous êtes douée.
Elle lâcha un rire pour cacher son embarras et par chance, la sonnette retentit dans l'appartement. Le styliste devait être là, alors Juyeon s'empressa de se lever et de disparaître dans le hall. Son cœur battait à tout rompre et à cet instant, elle comprit que quelque chose en elle avait changé. Et ça ne lui plaisait pas, car elle n'avait pas le droit de ressentir ça.
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