Chapitre 20
– Ça va, vous allez y arriver ?
Hugo laissa tomber le comprimé effervescent dans son verre.
– Je pense que oui.
Les petites bulles qui éclataient à la surface lui donnaient des envies de tout envoyer promener.
Franck laissa échapper une exclamation amusée.
– « Juste du blabla », que vous disiez, hein ? À quelle heure vous vous êtes décidé à aller vous coucher ?
– J'en sais trop rien. J'ai arrêté de regarder après quatre heures du matin.
Les épaules de Franck retombèrent de consternation.
– Quatre heures du matin ? Mais vous êtes complètement cinglé. Vous ne pouviez pas le finir dans le train, votre blabla ? Regardez dans quel état vous êtes. Heureusement que je vous aie laissé dormir.
Le jeune homme se prit la tête à deux mains, comprimé par un féroce désir de sommeil.
Il avait à peine fermé l'œil, cette nuit. Juste deux ou trois heures. Mais au moins, il avait la satisfaction d'avoir fini une bonne partie du travail. Conscient que sa maquette ne serait jamais achevée, il avait concentré ses efforts sur une démo, allant jusqu'à intégrer la voix d'un simulateur de chant. Certes, ce n'était pas la voix d'Aaron, mais il l'avait suffisamment paramétrée pour en donner l'idée. Maintenant, il n'avait pas réussi à lui écrire un texte complet, aussi le reste de la démo s'apparentait-elle à un karaoké. Mais c'était toujours mieux que rien.
Hugo se fit violence, il avala coup sur coup ses vitamines, son café et son jus d'orange cul sec. Un élan bienvenu lui fouetta le cerveau, et il se sentit un peu mieux. Par contre, il le sentait, il allait dormir dans le train. Il veillerait juste à éviter les occasions de s'assoupir avant son départ, afin de ne pas arriver à la gare trop fatigué.
Il se leva et monta dans sa chambre pour rassembler ses dernières affaires. Il ne fit pas dans la dentelle, il plia le tout sauvagement et le fourra dans sa valise. Il confierait son linge au pressing. Il rangea son ordinateur portable, le glissant dans son attaché-case, et inventoria le contenu de ses poches : portable, portefeuille, billet de train...
Il regarda l'heure, avisa 11h du matin. Ce serait largement suffisant. De Quintin à Saint-Brieuc, il y en avait pour une petite demi-heure jusqu'à la gare, cela lui laissait amplement le temps de faire un dernier saut à Product'Ive afin de saluer les employés une dernière fois. Il avait tant apprécié son séjour parmi eux qu'il refusait de partir ainsi comme un voleur.
– Vous êtes bientôt prêt ? appela la voix de Franck en bas.
– J'arrive !
Le jeune homme attrapa ses bagages et redescendit. Franck prit aussitôt sa valise et la chargea dans le coffre de la voiture.
– Aaron ne vient pas ? s'étonna Hugo en constatant son absence.
– Il arrive, ne vous en faites pas. Adam, ramène tes fesses, on y va !
– Je viens ! répondit la voix d'Aaron de l'intérieur de la maison.
Une porte claqua à l'étage.
– Il s'est finalement décidé à nous accompagner ? demanda Hugo alors que Franck refermait le coffre.
– Bah, ça le fait sortir.
Aaron parut alors, refermant la porte. Hugo s'élança alors :
– Attendez, j'ai oublié quelque chose !
Il se jeta sur la porte d'entrée et se précipita de nouveau dans la maison, entraînant dans son sillage la voix moqueuse d'Aaron qui le comparait à « ces nanas qui oublient toujours un truc ».
Le jeune homme n'en eut cure, sa manœuvre était volontaire. Il voulait juste être sûr qu'au moment d'agir, il n'y aurait vraiment plus personne dans la maison pour découvrir la chose avant son départ.
Il remonta dans sa chambre, prenant sur son bureau l'objet qu'il avait intentionnellement oublié. Il regarda alors avec une sorte de trac le cahier de brouillon et le CD qu'il allait laisser derrière lui. Il avait tant travaillé sur ce projet, il trouvait idiot de ne pas au moins essayer.
Il eut une seconde d'hésitation, souffla pour évacuer son angoisse. Puis, prenant le pari, risquant le tout pour le tout, il marcha vers la chambre d'Aaron et glissa le tout sous sa porte.
« À dieu vat ! », souffla Hugo. Puis il redescendit et ressortit de la maison.
– C'est bon, j'ai tout, annonça-t-il.
Aaron, resté sur le perron, referma enfin la porte de la maison et ils purent monter en voiture.
*
« Le train n° – 8150 – en provenance – de Brest – à destination – de Paris Montparnasse – va entrer en gare – voie 2. Il dessert – Rennes. Veuillez vous éloigner de la bordure du quai, s'il vous plait ».
Hugo leva le nez de son journal à l'annonce sonore. Par reflexe, il jeta un œil sur son billet et put confirmer qu'il s'agissait bien de son train. Il tendit le cou et aperçut effectivement le TGV qui approchait au loin.
– Il est là, je ne vais pas tarder à y aller.
Il jeta un dernier coup d'œil sur ses affaires, s'assura une fois de plus qu'il avait bien tout et roula le journal dans sa poche.
– Aaron n'est toujours pas revenu ? s'inquiéta-t-il.
Il craignait d'être parti avant de l'avoir revu.
– Il est aux chiottes, je ne sais pas ce qu'il fout, répondit Franck qui regardait fiévreusement en direction du hall.
La foule se compacta de plus en plus sur le quai, et le TGV arriva mollement en gare. Ses flancs sifflèrent, il s'arrêta, puis ses portes s'ouvrirent et libérèrent les passagers arrivés à destination.
– Mais qu'est-ce qu'il fabrique, bon Dieu ? s'énerva Franck devant l'absence d'Aaron.
Les passagers avaient fini de descendre, et ceux sur le départ commençaient à prendre place dans le train. Hugo regarda autour de lui, cherchant le visage familier.
– Je ne le vois pas, s'inquiéta-t-il.
Franck soupira.
– Bon, écoutez : montez, ne vous mettez pas en retard. Tant pis pour lui, il vous saluera à la fenêtre.
Le jeune homme n'eut pas le choix. Il monta dans le TGV, rangea sa valise tant bien que mal et prit la direction de sa place. Autour de lui, les autres passagers s'installaient, conversaient, fourrant manteaux et sacs-à-main dans les porte-bagages au-dessus des sièges. Hugo s'assit, guettant la foule sur le quai, regrettant l'absence d'Aaron en cet instant.
Un brusque coup de sifflet lui serra l'estomac. Puis il sursauta en entendant toquer à la fenêtre. Il tourna la tête et aperçut Aaron qui le saluait de la main.
Son cœur se souleva à sa vue, et il ne put lui cacher une moue de reproche. Aaron s'excusa en haussant les épaules, la mine coupable. Derrière lui, Franck arborait un sourire qui trahissait ouvertement son hilarité.
Puis le signal sonore retentit, et les portes du train se refermèrent. Franck fit un dernier signe de la main alors que le TGV s'ébranlait. Aaron suivit sur quelques mètres, puis s'arrêta, le regardant s'éloigner. Le jeune homme le vit rester immobile sur le quai, devenant de plus en plus petit. Et son cœur se serra tandis que le train, nullement ému, commençait sa route vers Paris.
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