Chapitre 2


En arrivant à Saint Brieuc, après trois heures de train, Hugo posa sa valise sur le quai avec le sentiment confus de s'être retrouvé parachuté dans un mauvais film. Il avait l'impression d'être le personnage d'un auteur en manque d'idée qui s'était jeté sur la première excuse venue pour l'expédier dans ce bled. Il avait retourné sa mission dans tous les sens, il n'arrivait toujours pas à lui trouver l'ombre d'un semblant de logique. Et la facilité avec laquelle l'administration du petit label breton avait accepté sa venue le confortait dans l'idée que ce qui lui arrivait n'était qu'un monstrueux subterfuge.

Saisissant la poignée de sa valise, il quitta le quai et marcha vers le hall des arrivées, guettant la possible présence d'une station de taxis. Il remarqua alors rapidement, planté à côté de la sortie, un homme avec un grand calepin sur lequel était écrit « LOIRET » en lettres noires. Le jeune homme s'approcha.

– C'est moi, se présenta-t-il.

L'inconnu était grand, début de la quarantaine, avec les cheveux noirs noués dans le cou. Il lui tendit la main.

– Hugo Loiret ? Je suis Emmanuel Josselin, on s'est parlé au téléphone.

Hugo reconnaissait en effet la voix grave avec laquelle il avait peaufiné les détails de son séjour. Il lui serra la main.

– Enchanté, Mr Josselin. Avant toute chose, je tenais à ce que vous sachiez que je n'y suis absolument pour rien dans la demande de ce bilan.

Mais Mr Josselin se contenta de le regarder avec un sourire, hochant la tête avec amusement.

– Un caprice du patron, hein ? s'amusa-il. Bon, je ne vais pas vous faire perdre votre temps, dans ce cas. Suivez-moi, je vais vous conduire à la bête. Le plus tôt vous aurez fini, le plus tôt vous serez rentré chez vous.

D'autorité, il prit la valise et la direction du parking, obligeant le jeune homme à le suivre. Il marcha vers une voiture noire qu'il ouvrit, chargea la valise dans le coffre, invita Hugo à prendre place dans le véhicule et s'installa derrière le volant.

– On y sera d'ici une vingtaine de minutes, si ça roule bien et si on ne croise pas un tracteur. N'oubliez surtout pas la ceinture, les routes, ici, c'est le Far West. Les vieux en bagnole, c'est un truc de malade comment ça conduit mal.

Il mit le contact et démarra.

La voiture quitta Saint Brieuc, puis s'engagea sur la départementale, s'enfonçant dans les terres.

L'autoradio jouait une musique en sourdine, mais Hugo ne l'écoutait que d'une oreille, concentré sur le paysage autour de lui. Profond et rural, il lui changeait grandement des pinèdes du sud.

– Alors, comme ça, votre patron s'est réveillé un matin, et s'est dit qu'il allait nous demander un bilan ? demanda soudain Mr Josselin.

Surpris par le franc-parler de la question, le jeune homme resta sans voix plusieurs secondes. Puis l'absurdité de la situation l'empêcha de nier, et il secoua la tête avec confusion.

– Ne me demandez pas ce qui s'est passé, avoua-t-il avec sincérité. J'ai été convoqué, on m'a mis le truc dans les mains, je n'ai même pas eu mon mot à dire. Mais, si ça se trouve, ce n'était même pas son idée, il a peut-être reçu des ordres d'en haut.

– Peut-être, admit Mr Josselin.

Il alluma son clignotant et tourna à un croisement.

– Vous savez dans quoi vous vous engagez, au moins ? s'enquit-il à tout hasard.

– J'ai étudié vos derniers bilans, vos dernières liasses fiscales, je connais votre configuration et votre situation. Et puis... je connais un peu Aaron Davis.

Le regard de Mr Josselin s'éclaira de malice.

– Ah, vous connaissez Adam ?

Il fallut à Hugo plus d'une seconde pour se souvenir qu'Adam était le prénom civil d'Aaron Davis.

– J'ai été ado, moi aussi, se contenta-t-il de répondre à la place. Et puis, c'était la star de l'époque.

Il regarda Mr Josselin, lequel était toujours concentré sur la route. Il ignorait pourquoi, mais depuis leur rencontre à la gare, il avait un insaisissable sentiment de déjà-vu. Comme une mouche qui lui tournait autour sans qu'il ne parvînt à l'attraper. Il avait l'impression d'avoir déjà vu cet homme, mais il était incapable de comprendre où, quand, comment, ou pourquoi.

– Et vous, demanda alors le jeune homme pour en avoir le cœur net, vous le connaissez depuis combien de temps ?

Il eut la surprise de voir sur le visage de son interlocuteur la concentration laisser la place au plus profond anéantissement.

– Vous me faites une blague, j'espère ? lâcha-t-il pour toute réponse.

Croyant l'avoir froissé, Hugo se tut.

– Par contre, j'ignore ce qu'il est devenu, bifurqua-t-il néanmoins, comme pour s'excuser. J'ai tenté de me renseigner, mais il ne semble plus d'actualité.

Mr Josselin haussa les épaules.

– Ça remonte à des années, maintenant, ce n'est pas vraiment surprenant. Une fois qu'il a disparu, tout le monde s'en est désintéressé, et puis voilà. Je suis sûr que si vous entrez son nom dans Wikipédia, sa biographie doit s'arrêter à son départ en cure.

Puis il se pencha sur le pare-brise.

– Tenez, on arrive.

Hugo suivit son regard, et aperçut au loin un grand bâtiment.

– C'est ça, Product'Ive ? s'enquit-il.

– Ouaip, affirma Mr Josselin en faisant sonner le « p » avec ce qui semblait être une pointe de fierté.

Le véhicule continua d'en approcher, et pénétra l'enceinte, tournant vers un parking. Mr Josselin se gara et descendit du véhicule, invitant Hugo à en faire autant. Levant les yeux, le jeune homme détailla l'édifice.

C'était une construction carrée de deux étages, au toit plat, posée sur un terrain goudronné. Du buis en ceignait les flancs. Une allée dallée se déroulait devant l'entrée surmontée d'un énergique « PRODUCT'IVE ».

– Voilà le bébé, présenta Mr Josselin. C'est pas grand, mais ça suffit à nourrir son monde. Suivez-moi.

Ils quittèrent le parking et remontèrent l'allée, puis Mr Josselin poussa la porte et ils entrèrent.

– Alors ici, je ne vous apprends rien, commença Mr Josselin, c'est l'accueil. Il y a une salle d'attente, là, avec la machine à café...

Il salua un trio de jeunes gens qui patientaient sagement, étuis à guitare à leurs pieds. Une interprète faisait ses vocalises, pendant qu'un de ses camarades accordait son instrument.

– ... On franchit l'accueil, là... Salut, Yasmina.

L'hôtesse lui répondit d'un signe de tête, puis Mr Josselin guida Hugo vers une porte à double battant. Un couloir se montra alors à eux, percé de trois portes surmontées d'un voyant lumineux. Une des portes était ouverte, montrant une partie de la console d'une régie.

– Et voilà la partie studio, annonça Mr Josselin. Avec le matos à trimbaler tous les jours, c'est plus pratique que les salles d'enregistrement soient au rez-de-chaussée. On en a trois, en tout : un petit pour les solos, un grand pour la musique acoustique et un dernier pour les trucs un peu plus électro. Il y un accès, derrière, qui permet d'amener les instruments. Il y en a, ils viennent, ils ont tout, même la batterie.

Ils croisèrent un ingénieur du son, suivi par un jeune homme coiffé de dreadlocks et muni d'un ukulélé. Ils franchirent la double porte en direction de l'accueil.

Hugo les regarda passer.

– Ce sont des artistes de la maison ? voulut-il savoir.

Mr Josselin suivit rapidement son regard.

– Oui... Des clients, plutôt, répondit-il alors. Vous savez, ils réservent, ils viennent, ils enregistrent, on leur grave un CD et ils s'en vont. Il y en a qui reviennent, mais... c'est tout, quoi.

Hugo le regarda avec surprise.

– Quoi, c'est tout ? s'étonna-t-il. C'est comme ça que vous les gérez ?

– Vous voulez qu'on les gère comment ? On vend des services, rien de plus. Ils enregistrent, mais après, ils se débrouillent.

– Mais... Vous n'êtes pas censés gérer leur carrière ?

Il y eut un soudain silence, pendant lequel Mr Josselin regarda Hugo avec attention. Puis une lueur de compréhension s'alluma dans ses yeux, et il laissa échapper un sifflement impressionné.

– Ah oui, vous n'êtes vraiment pas à jour, comprit-t-il. Je crois qu'il y a eu un petit malentendu, là.

Hugo ne répondit pas, encore sous le coup de la surprise.

– On a arrêté la production, lui expliqua alors Mr Josselin. Je sais que vous, à l'origine, vous avez signé pour une maison de disques, mais ça fait six ans qu'on a changé d'activité.

Le jeune homme hébété reçut la nouvelle en plein visage. En une seconde, il fut assailli d'informations, et dut remettre en question tout ce qu'il avait cru savoir sur la société.

– Comment ça, vous avez changé d'activité ? Que s'est-il passé ? finit-il néanmoins par articuler.

– Bah, c'est simple : comme la maison de disque ne fonctionnait pas, ça ne rapportait rien, on est passés studio. On avait la chance d'avoir des salles d'enregistrement, alors on a recentré notre activité dessus.

Il y eut un petit instant de silence, pendant lequel Mr Josselin regarda Hugo avec confusion.

– Vous n'avez pas été voir le site internet ? s'étonna-t-il. Ou vous ne l'avez pas vu, dans les papiers de la banque ?

Hugo aurait préféré se faire arracher les deux bras plutôt que de l'admettre, mais il fut bien contraint d'avouer que non, il n'avait pas du tout pensé à ça.

– Comme on m'a lancé sur votre bilan comptable, je me suis concentré sur vos chiffres, se justifia-t-il. Je ne voyais pas l'intérêt d'aller voir votre site.

– D'accord..., fut bien forcé d'assimiler Mr Josselin. Eh bien, dans ce cas, première nouvelle : nous ne sommes plus une maison de disques, nous sommes un studio d'enregistrement.

Dire que Hugo se sentait un peu bête était un euphémisme. Il regarda autour de lui, avisant la porte ouverte sur la console d'une régie, il repensa à la jeune fille qui faisait ses vocalises dans la salle d'attente, puis à l'ingénieur du son accompagnant le hippie. Tout ici criait « STUDIO ! » en agitant désespérément les bras devant lui.

Mr Josselin le regarda avec un petit sourire compréhensif.

– Hé bé, souffla-t-il avec indulgence, c'est dire à quel point votre patron vous tient au courant. Il ne vous dit même pas pourquoi il vous demande ce fichu bilan comptable, et ne vous dit rien sur la boîte où vous allez ?

Hugo savait qu'il aurait parfaitement pu dénicher cette dernière information lui-même, mais lui sut gré d'avoir reporté le blâme sur sa hiérarchie. Il s'éclaircit donc la gorge, résolu à ne pas se couvrir davantage de ridicule.

– Du coup... Vous enregistrez quoi ? C'est quoi, votre clientèle-type ?

Le trio de guitaristes passa à côté d'eux avec la jeune fille, guidés par l'ingénieur du son qui les mena à la porte ouverte. La porte se referma sur eux et le voyant la surmontant s'alluma.

– On a de tout, répondit Mr Josselin sans coup férir. Dès l'instant qu'ils payent, on se fout de savoir ce qu'ils font, vous savez. Généralement, ce sont des jeunes artistes comme ceux-là qui veulent enregistrer une maquette pour envoyer aux maisons de disques, ou pour se produire et vendre dans les bars. Sinon, on a quoi d'autres... ? On a eu des pubs radios, on a eu des annonces sonores pour des supermarchés, on a eu quelques comiques, un ou deux castings voix... Bref, on a de tout. On a une dame... Tous les mois, elle vient, elle enregistre des livres audios pour sa mère en maison de retraite. Elle est sympa, on a fini par lui faire un prix.

Hugo l'écoutait en prenant quelques notes.

– Et ça marche ?

Mr Josselin haussa les épaules en ouvrant les mains d'évidence.

– Vous avez vu nos bilans, non ? Vous avez bien vu qu'on s'en sort pas si mal.

– Et vous faites fonctionner tout ça comment ?

Mr Josselin lui fit signe du doigt.

– Pour votre chère paperasse, c'est au-dessus. Suivez-moi.

Il prit la direction d'un escalier et monta vivement à l'étage.

Le premier niveau était plus animé. Quelques téléphones sonnaient, un employé revenait de la photocopieuse tandis qu'un autre transmettait un dossier à un bureau voisin. Ce n'était rien de comparable à la gestion requise par son propre travail, mais Hugo devinait aisément que c'était ici le niveau quotidien d'activité. Chacun savait ce qu'il avait à faire et l'exécutait avec efficience.

– Ici, la salle de repos. Distributeurs et machine à café. À côté, les toilettes.

Comme pour couronner ses propos, le triomphal bruit d'une chasse d'eau s'éleva et un employé débonnaire sortit en se rajustant avec inquiétude.

– Eh bien, fit joyeusement Mr Josselin, encore ton transit ?

– C'est encore pire qu'avant, affirma le malheureux.

Mr Josselin lui tapota l'épaule avec empathie et se tourna vers Hugo.

– Je vous présente Mr Morvan, notre expert-comptable. C'est avec lui que vous éplucherez notre compta, expliqua Mr Josselin.

– Ah ! comprit Mr Morvan. Vous êtes le parisien dont on parlait ce matin, c'est bien ça ?

– Euh... Oui, tout à fait. Il semblerait que je doive vous priver de vos prérogatives, et je m'en excuse.

Il lui serra la main, mais son homologue ne sembla pas se formaliser de la perspective.

– Les banquiers, on sait ce que c'est, lui assura Mr Morvan avec confiance. Vous n'avez pas à vous en en faire au sujet de notre transparence, Franck surveille.

– Ah... Et c'est qui, Franck ? s'étonna Hugo qui ne voyait pas de qui il s'agissait.

– Bah... Franck.

Constatant que le jeune homme n'avait toujours pas l'air de comprendre, l'expert-comptable regarda Mr Josselin avec surprise.

– L'occasion ne s'est pas présentée, expliqua mystérieusement celui-ci.

Il se tourna vers Hugo.

– Depuis des années, pour une raison que j'ignore, tous les gens avec qui j'ai pu bosser ont trouvé que j'avais une tête à m'appeler Franck. Du coup, c'est resté. Même Adam m'appelle comme ça.

Et Hugo sentit les yeux lui sortir de la tête. Il comprenait maintenant sa réaction quand il l'avait questionné sur la durée de ses relations avec Aaron Davis, car il savait maintenant où il avait vu ce visage dont il ne parvenait pas à se rappeler.

– Nom de Dieu... Franck Josselin ! Mais bien sûr !

– Ça y est, vous me remettez, maintenant ?

Évidemment, comment avait-il pu oublier ? Emmanuel « Franck » Josselin n'était ni plus ni moins que l'attaché de presse d'Aaron Davis. Quand ce dernier avait signé chez EMI, c'était à lui qu'avait été confiée sa publicité en France. C'était également lui qui l'avait retrouvé dans sa chambre d'hôtel avec cette boîte de barbituriques...

Là où d'autres auraient signifié leur congé pour s'occuper d'artistes plus florissants, Franck Josselin était resté aux côtés de son jeune employeur, disparaissant avec lui, en dépit d'un talent incontestable et, Hugo en était sûr, de propositions alléchantes à ne plus savoir où les mettre.

Et cet homme était aujourd'hui devant lui, Franck Josselin en personne, l'attaché de presse d'Aaron Davis. Du temps de la gloire, personne n'aurait été capable de donner le nom de son manager. Mais tout fan qui se respectait connaissait « Franck », devenu célèbre après avoir frappé au visage un paparazzo trop virulent. Il était de tous les tapis rouges, de toutes les télévisions, un visage devenu, avec le temps, absolument indissociable du jeune artiste qu'il promouvait. Ce qui rendait encore plus profonde la gêne de Hugo à n'avoir su le reconnaître.

– Mr Josselin, bien sûr... Je suis désolé. Pour quelqu'un qui prétend connaître Aaron Davis, je suis d'une ignorance impardonnable.

– Tout est relatif.

Le ton de sa voix indiquait clairement que le sujet était clos à ses yeux. Mais Hugo ne put s'empêcher de couver d'un regard brillant celui qui était tout de même le collaborateur d'une de ses idoles d'adolescence.

– Quand vous serez prêt à commencer, intervint Mr Morvan, prévenez-moi, et je vous sortirai nos dossiers.

– Je saurai me débrouiller, assura Hugo sans quitter Mr Josselin du coin de l'œil. Je vous passerai un coup de fil pour vous avertir quand nous commencerons.

– Entendu.

Mr Morvan salua une dernière fois et reprit la direction de son bureau.

Demeuré seul, Hugo ne put s'empêcher de considérer Mr Josselin avec contrition.

– Écoutez..., hésita-t-il, j'avoue ne pas savoir quoi vous dire...

Mr Josselin le calma d'un geste.

– Tant que vous ne me faites pas le coup du fan hystérique, ça me va. Vous comprendrez que j'ai autre chose à faire que de gérer les émois d'un admirateur transi.

C'était on ne peut plus clair. Le jeune homme se contraint alors à ravaler sa gêne et son émerveillement pour redevenir professionnel.

– En ce cas, quelle est votre fonction ? s'enquit-il professionnellement.

Son guide désigna les bureaux derrière lui d'un ample geste du bras.

– J'étais attaché de presse, alors je suis resté dans le domaine de la pub. Je fais partie de l'équipe marketing, j'ai un peu le rôle, on va dire, de « chef de pub ».

– Et ça vous convient ?

– C'est différent, reconnut Mr Josselin. L'objectif n'est pas vraiment le même, et les moyens encore moins. Ça m'a rappelé mes débuts, quand je suis sorti de l'école de comm'. J'ai littéralement dû réapprendre mes cours.

– Vous n'êtes pas tout seul, j'imagine, supposa Hugo avec bon sens. Il doit y avoir du monde avec vous.

– Oh, ça ! Aucun souci. C'est ce que j'aime, ici, tout le monde met la main à la pâte.

Mr Josselin désigna une porte.

– Donc, pour en revenir... Là, c'est la compta. À côté, c'est la gestion. Ici, c'est la photocopieuse et la réserve de fournitures.

Il s'éloigna dans le couloir, Hugo sur ses traces.

– Service marketing, mon bureau est là. Ici, les chargés clientèle. Et là...

Il avança vers une porte vitrée qui donnait sur une petite terrasse.

– Le coin fumeur, présenta Mr Josselin. Si vous voulez en griller une, c'est ici et pas ailleurs.

– Ça ira pour moi, assura le jeune homme, je ne fume pas.

Mr Josselin eut une moue appréciative.

– Au deuxième étage, c'est le juridique et la logistique. Service du personnel, RH, la secrétaire de direction, et le bureau du patron. Ainsi que les archives. Vous qui êtes là pour la paperasse, vous allez souvent vous y rendre.

– Et le directeur est souvent là ?

– Ça lui arrive de venir, mais rarement, affirma Mr Josselin à la grande déception de Hugo. Du coup, c'est la secrétaire de direction qui gère à sa place. D'autres questions ?

Le jeune homme rouvrit son attaché-case pour y ranger son calepin.

– Oui, une seule : aurai-je un coin de bureau pour pouvoir tranquillement éplucher ma chère compta ?

Il joua le jeu, par bravade. Il avait la désagréable impression, depuis le début, qu'on se moquait un peu du motif de sa visite. Mais la réponse à sa question le cloua sur place.

– Vu qu'il n'est quasiment jamais là, expliqua Mr Josselin, vous pourrez vous installer dans le bureau patronal, vous y serez tranquille. Les dossiers dans l'ordinateur sont à jour, si vous en avez besoin. Je vous fournirai le mot de passe.

– Le bureau patronal..., balbutia Hugo. Le bureau d'Aaron Davis ?

– Ben oui, quel autre bureau voulez-vous que ce soit ? Vous allez pouvoir poser vos fesses dans son fauteuil, ça vous va ?

Le jeune homme accusa le coup devant son ironie à peine dissimulée, et prit la ferme résolution de ne pas se rendre davantage ridicule. Il hocha simplement la tête, dans une tentative pour paraître davantage professionnel, mais son esprit avait déjà bien malgré lui pris une direction à des années-lumière de toute attitude professionnelle.

Il allait travailler dans le bureau d'Aaron. Il allait s'asseoir dans son fauteuil, frôler de ses doigts le clavier de son ordinateur. Il allait prendre place dans le propre bureau de son idole de jeunesse. Il n'en revenait pas. Pendant quelques secondes, il se crut redevenir l'adolescent transi rendu extatique par un simple autographe.

Il tourna alors les yeux vers Mr Josselin, qui le regardait rêver avec une mine dubitative.

– Mouais..., estima-t-il. M'est d'avis que ça va être dur...

Reprenant contenance, le jeune homme lui demanda en quoi cela allait être si dur.

– Certes, se défendit-il, je reconnais ma profonde admiration pour votre protégé, j'avoue avoir fait partie de ses fans les plus assidus, mais cela ne m'empêchera pas d'éplucher la compta de cette société jusqu'au dernier centime.

– Oh, je ne me fais aucun souci pour la compta, s'esclaffa Mr Josselin. Ce qui va être dur, c'est la cohabitation. Au départ, c'était prévu que vous dormiez à l'hôtel, mais je trouvais plus pratique de vous donner une chambre d'ami. Maintenant, si vous devez perdre vos moyens chaque fois que vous croisez Adam dans un couloir, oui, m'est d'avis que ça va être dur.

Hugo sentit son cœur faire un saut périlleux dans sa poitrine.

– Pourquoi, vous voulez me faire loger chez lui en prime ?

Ses côtes tambourinaient sourdement. Encore un peu, et il faisait de l'hyperventilation.

– Pas chez lui, le corrigea Mr Josselin, chez nous. Adam et moi partageons le même toit. Il a une petite baraque à cinq bornes d'ici, vous logerez là-bas.

La mâchoire de Hugo tomba toute seule.

– Vous êtes sérieux ?

– Non, pourquoi ? Ce sera plus simple.

– Mais... euh...

– Oui ?

Son interlocuteur attendit patiemment la suite de sa phrase.

– Ça ne risque pas de poser problème ? s'inquiéta Hugo. Je veux dire, je n'ai pas de voiture, et cinq kilomètres matin et soir, c'est un peu long à pieds.

Mr Josselin balaya l'inquiétude d'un revers de la main.

– Aucun problème pour ça, assura-t-il. Vous prendrez la voiture, je prendrai ma moto. Ou on fera du co-voiturage, peu importe. Dans le pire des cas, la boîte vous financera la location d'un véhicule, c'est pas un mal. De toute façon, vous serez toujours plus près d'ici chez Adam que dans l'hôtel le plus proche. Et si vous voulez finir le plus vite possible, autant gagner du temps, vous n'êtes pas d'accord ?

Cet afflux d'argument laissa le jeune homme désarmé. Le programme prenait une tournure inattendue, mais il dut s'y soumettre.

– Je suppose que si, se résolut-il.

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