Chapitre 13
Hugo sentit un frisson le parcourir. Il se souvint des parents d'Aaron pour les avoir aperçus une fois par hasard à Saint Tropez. Teint halé, ensembles en coton, on eut eu dit des milliardaires en vadrouille, retournant sur le yacht portant leurs noms amarré au port, après une intense sortie shopping. Se pouvait-il que ce fût vrai ? Cela semblait tellement inconcevable, et pourtant, le récit de Franck avait de tels accents de vérité qu'il lui était presque impossible de mettre sa parole en doute.
Il repensa alors au biopic qui avait été tourné sur sa vie. Les biographies. L'image de la famille soudée et réconfortante malgré les épreuves, résolue à aider leur fils dans sa quête de la réussite. Un froid lui descendit le long de la colonne vertébrale quand il se rendit compte que tout ce qui avait pu être dit sur son existence était faux. Une imposture. Tout ceci n'avait été qu'une monstrueuse imposture. Dans une affreuse seconde de lucidité, Hugo comprit maintenant mieux pourquoi Aaron avait toujours l'air aussi ému quand il apparaissait en public. Il avait l'impression de ne pas être à sa place, il pleurait l'ignorance d'un public qui l'adulait sans même savoir comment, et pourquoi, il était là. Il frissonna de plus belle en se rendant compte qu'il avait fait partie de ces gens-là, achetant ses disques, allant à ses concerts, tout cela pour remplir les poches des mauvaises personnes...
Franck le regarda silencieusement prendre conscience de la réalité, les bras tranquillement croisés.
– Pourquoi... Pourquoi il n'en a jamais parlé ? souffla le jeune homme.
– Vous croyez réellement que ses parents l'auraient laissé faire ? Il était sous leur emprise. Ils l'ont conditionné de telle façon qu'il ne pouvait plus rien leur refuser.
– Ils le battaient ?
– Je n'ai jamais vu d'indices allant dans ce sens, répondit sobrement Franck.
Hugo avait rarement entendu une bonne nouvelle aussi déprimante. Bien malgré lui, il se rappela cet incident, où deux fans hystériques s'étaient jetées sur lui alors qu'il sortait d'un studio de télévision, et lui avaient arraché sa chemise. Les photos prises par les paparazzi présent à ce moment-là avaient montré le pauvre Aaron choqué entre ses gardes du corps, hâtivement couvert par la veste de Franck. Hugo se mordit la lèvre en songeant qu'effectivement, il valait mieux dans ce cas qu'il ne montrât pas de traces de coup. Puis il releva soudain la tête, en proie à un brusque souvenir.
– Et Carole, son ex ?
Il eut la désagréable surprise de voir le visage de Franck se fermer aussitôt. L'atmosphère, déjà bien alourdie, sembla s'appesantir davantage.
– Ne me parlez surtout pas de cette garce, intima-t-il.
– Pourquoi ? Ne me dites pas que... Elle aussi ?
Franck secoua la tête, mais plus par accablement que par dénégation.
– Quand l'anniversaire d'Adam est arrivé, je m'étais dit « enfin ! ». Je vous jure, j'ai compté les mois, les semaines, les jours. Et enfin, le grand jour, celui de ces dix-huit ans. Je ne tenais plus en place, j'étais complètement surexcité. Je savais qu'Adam ne ferait rien le jour-même, qu'il attendrait plutôt le lendemain pour prendre des décisions. Ça promettait d'être les vingt-quatre heures les plus longues de ma vie. Tout le monde était là à le féliciter, « enfin un adulte ! », ce genre de choses. Mais moi, je n'avais qu'une envie, c'était de voir ses deux trouducs de parents aller se faire foutre. J'étais dans les starting-blocks pour voir ça. Et puis, ce soir-là, il y a eu sa fête d'anniversaire. Et, à la distribution des cadeaux, ils lui ont présenté Carole.
Un silence assourdissant suivit ses propos. Hugo regardait Franck, les yeux écarquillés, la bouche ouverte par l'horreur.
– Ils l'auraient foutue dans un carton emballé de papier cadeau, le résultat aurait été exactement le même, grinça amèrement Franck. La tête qu'il a fait, j'oublierai jamais ça. Cette date, croyez-moi, je l'ai encore bien profond en travers de la gorge.
– Attendez..., articula péniblement Hugo. Vous voulez dire que... le mariage était... arrangé ?
Franck se pencha vers lui, pointant un index docte dans sa direction.
– Il y a une chose que vous devez comprendre avant tout le reste, décréta-t-il. C'est que chaque décision importante était prise par ses parents. La sortie d'un album ? C'était eux. Le lancement d'une tournée ? C'était eux. La publication d'une biographie ? Eux également. Le mariage n'a pas fait exception.
– Quoi ? Mais il avait 18 ans ! Il était libre de faire ce qu'il voulait, non ?
– Vous écoutez ce que je dis, depuis tout-à-l'heure ? s'impatienta Franck. Il était sous leur emprise. Majeur ou non, ça ne changeait rien, il était dressé pour ne rien leur refuser. Il était prêt à tout envoyer chier, ce jour-là. Et en lui présentant cette pute, ces salauds l'ont littéralement achevé.
Hugo regarda Franck, sous le choc. Il se rappela le mariage, les photos vendues à prix d'or aux magazines, la mariée sublime dans sa robe blanche. Le buzz avait duré des mois, les paparazzi étaient restés des semaines sur le pied de guerre, espionnant le voyage de noces aux Seychelles, allant jusqu'à tenter de dissimuler des caméras dans la chambre nuptiale.
Hugo sentit tout l'air lui sortir des poumons, paralysé par l'émotion. En une seconde, c'était tout ce qu'il avait toujours cru sur Aaron qui se remettait violemment en question. L'estomac noué, il essaya d'avaler la boule qui lui obstruait la gorge.
Il voulait juste savoir ce qui se passait. Il voulait juste... comprendre ? Il s'était attendu à beaucoup d'explications diverses, il s'était même attendu à ce que Franck refusât de lui parler. Mais ça ? Comment aurait-il pu s'attendre à ça ? En à peine une heure, il avait appris qu'Aaron n'avait été rien de plus qu'un malheureux singe savant dressé par ses parents pour les enrichir. Etpourtant, en dépit de sa stupeur, de sa consternation, Hugo ne pouvait s'empêcherde ressentir un confus sentiment de... fatalisme ? Comme si, tout au fond delui, il n'en était finalement pas si surpris que ça. Avec toutes ces histoires d'enfants stars, tous ces scandales, Jordy, Britney Spears, Michael Jackson...cette révélation était-elle aussi étonnante ? Maintenant qu'il savait la vérité, c'en était même presque logique.
Et rien n'avait pu être fait. Aaron s'était lui-même claqué au nez son unique porte de sortie. Hugo comprenait maintenant mieux pourquoi il avait refusé de renouveler son contrat.
– Il y a juste eu un truc, intervint soudain Franck d'une voix devenue étrangement légère.
Hugo releva aussitôt la tête.
– Ah bon ?
Franck prit ses aises sur le tabouret, croisant les jambes.
– Ouaip, un truc que ses parents n'avaient pas prévu. Parce qu'il y avait leur plan, avec la célébrité, la fortune, le mariage, et tout ça... Tout était clair, tout était établi, je suis même sûr qu'ils avaient déjà prévu le bébé, le baptême, tout jusqu'à la troisième génération. Sauf que, en parallèle à tout ça, il s'est passé autre chose.
Le jeune homme fronça les sourcils. Quelque chose lui disait que cela n'avait rien à voir avec son départ de la major, ou même les barbituriques...
– Personne ne l'a vu venir, assura Franck. Là, c'était bien quelque chose que... Personne ne pouvait rien faire. C'est ça, la raison de tout ce qui se passe aujourd'hui. C'est là, la raison pour laquelle Adam ne peut pas se passer de moi. Et c'est là, la vraie raison pour laquelle ce mariage était voué à l'échec dès le début.
Immobile, Hugo se souffla mot, suspendu à ce que Franck allait dire. Et la nouvelle tomba comme un coup de massue :
– Il est homosexuel.
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