Deuxième rencontre


INT. - CHAMBRE - JOUR

Neyla resta au lit jusqu'à dix heures. Non pas qu'elle avait le sommeil difficile, mais elle n'était tout simplement pas d'humeur à se lever. Réveillé depuis plus d'une demie-heure, elle avait entendu ses parents en pleine conversation -pour le moins animée- au sujet de leur fille.


*****


FLASH-BACK :

INT. - CUISINE - JOUR 

"Ça suffit, Karen ! Je n'en peux plus ! Tu dépasses les bornes !

- Excuse-moi de m'inquiéter ! Neyla est de plus en plus encline à sécher les cours. Ce doit être dû à ses fréquentations...

- Oh, je t'en prie ! C'est une ado, comme Nils. Il est loin d'être un saint, non plus...

- Je me fiche éperdument de Nils. C'est de ma fille dont il est question.

KARL : C'est aussi la mienne !

- Et bien soit ! Occupe-toi d'elle, puisque tu as l'air de beaucoup l'aimer ! (silence) D'ailleurs, je me demande où s'arrêtent les limites de votre amour..."

Neyla avait par la suite entendu le bruit d'une gifle puis, plus rien. C'était la première fois que Karl tenait autant tête à sa mère. L'adolescente avait laissé échapper un long soupir. Le fait que sa propre génitrice la déteste ne dérangeait en rien la jeune femme -les sentiments étaient on-ne-peut-plus-réciproques-, cependant elle n'avait jusqu'à ce jour jamais pris consciente de l'ampleur de la jalousie ambiante. 

S'imaginant en pleins ébats avec son père, Neyla avait soudain été prise d'un haut-le-cœur. 

FIN DU FLASH-BACK


*****


INT - CHAMBRE - JOUR (CON'T)

Pas étonnant que la fille préféra rester couchée ! Elle gardait les yeux rivés sur le plafond, songeant à comment elle allait occuper sa journée. Même pas un jour ici, et je m'ennuie déjà à mourir, pensait-elle. Elle soupira de nouveau, imaginant mille et un scénarios.

Mais, quel que fut le déroulement de l'histoire, celui-ci menait toujours au même point : le meurtre de Karen.


*****

FLASH-BACK : 

Tout avait commencé le jour où les Davidson avaient décidé d'emménager dans cette maison au bord du lac pour les vacances. L'été approchant à grands pas, il eut été aisé de penser que les prix (surtout dans ce genre de quartiers chics) colleraient difficilement avec le budget de la famille (Karen & son mari étaient aussi riches qu'avares). En revanche, le fait fut que le coût de bicoque dégringola en un temps record et ce, pour d'obscures raisons qu'aucun ne trouva judicieux de creuser.

NILS : Vous dîtes que la maison a encore baissé ? C'est chelou en été, non ? Normalement, c'est la saison qui rapporte le plus...

Chelou. En effet, la situation pouvait sans problème être affublée du qualificatif, mais la tentation l'emporta sur la curiosité et la méfiance. Personne ne chercha plus loin : c'était moins cher, il ne fallait pas s'en priver. Et tant pis pour les tergiversations. C'était comme ça, et pas autrement. 

Le couple se précipita donc sur l'occasion.

Les semaines qui suivirent la réservation (les propriétaires s'avéraient être, à leur plus grand bonheur, leurs anciens amis les Loomis) parurent interminables et répétitives. Neyla, habituée à ce que sa mère l'ignore (ce qui, admettons-le, n'était pas sans lui déplaire : l'adolescente pouvait ainsi faire ce que bon lui semblait sans craindre de réprimande), fut témoin d'un changement d'humeur radical de la part de la blonde. Elle qui se murait souvent dans le silence et se cachait derrière des regards méprisants devenait quasi-hystérique au moindre petit bouleversement dans sa routine, haussant le ton, usant de violence, etc...

Comme si la bâtisse était à l'origine de tout, annonciatrice de la catastrophe à venir. 

FIN DU FLASH-BACK


*****


INT. - CUISINE - JOUR

"Alors, mhh, comment va Lewis ?, demanda Karl à sa fille en s'essuyant la bouche. Ça fait longtemps qu'on n'a pas de nouvelles de lui. 

- Lewis n'est pas mon copain, tu sais...

- Pourtant, vous étiez souvent ensemble, avant (il mordit dans sa tartine). Comment ça se fait que tu ne parles plus de lui ? Vous n'êtes plus ensemble ? Tu peux tout me dire, Princesse."

Neyla rejeta ses longs cheveux en arrière.

"On en a déjà parlé, Papa. Je sais que Lewis est le fils de ton ancien patron, mais c'est un "non". Je ne suis jamais sortie avec lui ! Vous ne pouvez pas me forcer à aimer ce type ! On n'est plus au Moyen-Âge !"

Sur ces paroles, la jeune femme sortit de table, envoyant presque sa chaise dans le pot en terre cuite derrière elle. Ce genre de discussion, elle en avait sa claque. Non contents d'être pleins aux as, ses parents (surtout Karen, en fait) semblaient à tout pris vouloir la caser avec cette espèce de joueur de baseball raté (quoique plutôt mignon, Neyla devait bien se l'avouer). Bon, il n'était pas mauvais pour un sou, Lewis, mais Neyla ne resentait strictement rien pour lui. Ni pour personne d'autre, à vrai dire...

Elle monta l'escalier d'un pas lent et volontairement traînant. Comme ça, son père assistait à toute l'ampleur de son désarrois. 

Arrivée devant la porte de sa chambre, notre héroïne recula, se posta près de la fenêtre. Elle observa d'un œil blasé les rideaux des voisins se balancer au gré du vent. Ces derniers frottaient contre le crépis en un "shrrrr"  désagréable dû à l'absence de carreaux. 

Neyla soupira, se remémorant ses derniers échanges avec le fils Stilton.


*****


FLASH-BACK : 

EXT- CAMPUS - NUIT

Les étoiles, plus brillantes que jamais, dansaient à en donner le tournis dans le ciel dégagé de juillet. Ce soir-là, Lewis Stilton avait invité sa meilleure et seule amie Neyla à danser à l'occasion d'une fête organisée par la fac. Il s'était donné énormément de mal pour trouver le courage de le faire. C'est que, voyez-vous, le pauvre garçon n'éprouvait pas seulement de l'amitié pour la fille en question. Non, c'était bien plus que ça. Sa timidité caractéristique l'avait jusqu'ici empêché toute tentative, mais le jeune homme, suivant les conseils de ses parents (qui, eux aussi, désiraient le pousser dans les bras de Neyla pour accroître la bonne image de la famille), avait décidé de retrousser ses manches et d'enfin se jeter à l'eau. 

C'était quitte ou double, il le savait, mais d'un côté, que risquait-il ? Jamais il n'avait vu sa bien-aimée parler à un autre membre du sexe masculin que lui en dehors de sa famille, et les deux étaient tant complices que... obligatoirement... 

Lewis avait rencontré sa (il en était convaincu) future petite-amie au collège. Le coup de foudre fut presque instantané, mais rien ne se passa jamais qui eût pu mettre à Neyla la puce à l'oreille.

Il invita donc sa chère et tendre à la soirée et, comme preuve de son imminent triomphe, elle accepta.

La fête se déroula à la perfection, et Lewis parvint même à tenir la main de Neyla. Elle paraissait si douce, si minuscule dans la sienne. Ils marchaient ainsi le long de l'allée principale, enlacés de sorte qu'on eût sans problème pu les prendre pour un couple. Bien que les yeux de la fille étaient rivés sur le firmament constellé, ceux du fils Stilton, eux, ne pouvaient s'empêcher de contempler un tout autre spectacle : la robe de son amie, plus courte que d'ordinaire, virevoltait au vent, laissant par instants entrevoir un mince filet de dentelle noire.

L'intéressée, complètement consciente du phénomène, ne semblait nullement gênée (au contraire, elle souriait même plus que d'habitude). 

Alors, il tenta une deuxième approche.

FIN DU FASH-BACK


*****


INT. - CHAMBRE - JOUR

*Vrrr Vrrr !*

Les yeux de Neyla se portèrent aussitôt à son téléphone portable. 

C'était un message de Zoé, sa soi-disant "meilleure amie", qui demandait des nouvelles. Comme si j'avais envie de passer des heures au téléphone avec cette pouffiasse ! Je la vois bien assez à la fac, pourquoi venir m'emmerder ?! 

Car non, Neyla n'avait aucun ami. Personne n'était jamais assez bien pour elle, pas pour qu'elle se sente de tisser des liens avec, en tout cas. Si la jeune fille agissait en véritable animal social, selon l'expression d'Aristote, à l'extérieur, c'était pour la seule et bonne raison que les gens pourraient tôt ou tard lui apporter quelque bénéfice. Elle s'entendait avec les autres par pur intérêt. 

Tout n'était que paroles en l'air, chiqué. Aucune vraie base de relation, tout n'étant qu'écrans de fumée. Rien de ce que Neyla disait ressentir, ou faisait en société ne reflétait sa véritable personnalité. 

Neyla était une psychopathe. 

Elle le savait. 

Elle l'avait toujours su. 


*****


EXT - COUR - JOUR

Inquiète de n'avoir reçu aucun remerciement de la part de sa voisine pour le gâteau qu'elle lui avait si gentiment (et surtout pas par soucis de réputation, non !) offert, Karen Davidson se hâta, dès le lever du jour, d'appeler celle-ci. 

Personne.

"Où vas-tu ?, demanda Karl en suivant sa femme des yeux.

- Je sors. Annie ne m'a pas contactées comme prévu hier. Je vais m'assurer qu'elle va bien.

- C'est bizarre, commenta le quadragénaire, pensif. Elle n'y a peut-être pas pensé, avec cette histoire de fête... A mon avis, rien de bien grave."

Pour toute réponse, la femme haussa les épaules et accéléra le pas.

Parvenue au portail des Loomis (une grande barrière en fer forgé d'un blanc étincelant), Karen se figea un instant. Il y avait quelque chose d'étrange dans l'air, comme une odeur de mort...  Elle déglutit et baissa les yeux vers la poignée. L'accès ne lui fut pas difficile : la porte était demeurée entre-ouverte, dans l'exacte position de la veille. 

Bien que cet élément lui sembla peu naturel, compte tenu de l'excessive prudence dont faisait preuve sa voisine, la quadragénaire s'engagea dans l'allée. Un vent froid lui fouetta aussitôt le visage. Elle n'en tint pas compte.

Pourtant, ce curieux phénomène, si insignifiant fut-il, présageait déjà d'un funeste destin.

Karen Davidson ne put s'empêcher de sursauter au son soudain des pas dans son dos.

"Oh, toutes mes excuses, je ne voulais pas vous effrayer", fit le garçon avec un sourire embarrassé. 

"Ah, Paul ! le salua la femme. Vous tombez bien. Je cherche Annie.

- Oh euh...

- Elle était censée m'appeler, mais je n'ai pas eu de nouvelles. Est-ce que vous savez si tout va bien ?

- Vous pouvez me tutoyer, vous savez, répondit-il. Je ne suis quand même pas si vieux..."

Un long moment s'écoula sans que personne de dît mot. Et, comme pour rajouter à ce silence, les oiseaux cessèrent leur douce mélodie matinale.

Au bout de plusieurs secondes à se regarder dans les yeux, l'adolescent s'éclaircit la gorge.

"Je... Je vous ai vu venir le long de l'allée. La sonnette est cassée, c'est pour ça qu'on laisse le portail ouvert.

- Je vois...

- Je vous aurais bien fait entrer, mais malheureusement, j'ai peur qu'Annie ne soit pas encore réveillée... Elle... Elle ne s'est pas totalement remise de l'alcool..."

La quadragénaire regarda brièvement en direction de la maison, mais les rideaux fermés ne laissaient pas grand chose à voir.

"L'alcool ? Pourtant, Annie ne boit jamais d'habitude...

- Oh euh..."

Replaçant une mèche blonde derrière son oreille, Paul se hâta de détourner le sujet principal de la conversation.

"Au fait, euh, Annie m'a envoyé vous demander si vous aviez quelques œufs.

KAREN (surprise par la question): Euh, bien sûr. Combien en veut-elle ?

- Quatre... Non, six. Oui, six, c'est ça. C'est pour faire euh... des pancakes, je crois."

La blonde demeura muette. La situation semblait lui échapper, et une part d'elle-même l'avertissait d'un danger imminent, mais elle choisit de ne pas en tenir rigueur. 

Elle rebroussa chemin et invita le jeune homme à passer la porte du bungalow. 


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