& 36 ; Un retour inespéré

Trois semaines. C'est le temps qu'il a fallu à Magnus pour se décider. Sous le regard de sa famille, il a passé trois semaines à avoir la tête ailleurs, à faire des crises d'angoisse provoquées par ses projections dans le futur, sa peur de se faire rejeter malgré tout, à se rendre compte qu'il ne désire rien plus que de revoir Alec. Les jours suivants, il a préparé son voyage, préparé Madzie à son départ.

— On se reverra, je te le promets ! A-t-il essayé de la consoler. Je viendrai à Woodworth et tu viendras à New York avec maman et papa, d'accord ?

— D'accord... Tu vas me manquer, Magnus.

— Tu vas me manquer aussi, Sweet pea.

Même avec Catarina, les aurevoirs ont été difficiles. En un an, ils sont devenus proches, plus que l'indonésien l'aurait jamais imaginé, surtout maintenant qu'il ne lui cache plus rien. Mais ils ont compris, Ragnor et elle, que Magnus ne peut pas rester en Louisiane plus longtemps. Ils savent bien qu'être séparé de la personne qu'on aime est compliqué, tout ce qu'ils ont à faire, c'est le soutenir pour qu'il ne se sente pas coupable de partir. Maintenant qu'il s'est débarrassé des plus grosses chaînes qui le maintenaient accrochés à son passé, il doit faire sa vie et aller de l'avant.

En débarquant à New York, en fin de soirée, il s'empresse d'envoyer un message à Catarina pour la rassurer puis il récupère ses valises et va chercher un taxi qui l'emmène jusqu'à l'hôtel. Le voyage a été long, entre le bus et les escales, il a besoin de se reposer parce qu'il sait que la journée du lendemain risque d'être riche en émotions. Mais il ne dort pas plus de quatre heures et passe le reste de la nuit à somnoler.

En milieu de matinée, il décide de se rendre au Bookworm. Il voudrait voir Alec sans attendre davantage, mais aller directement chez lui n'est sans doute pas une bonne idée. En revanche, avec un peu de chance, il viendra au Bookworm, comme il le faisait souvent.

Traverser Soho est moins éprouvant qu'il l'avait imaginé. Croiser des visages connus, quelques visages surpris, et pourtant il ne ressent pas la moindre angoisse. Juste l'excitation de revoir ses amies. Il souffle longuement avant de pousser la porte du café et il est aussitôt accueilli par la voix guillerette de Clary.

— Bonjour, bonj-

Elle s'interrompt car elle s'est retournée vers lui.

— Salut, Biscuit !

Ses yeux s'ouvrent grand, sa bouche également, et elle doit plaquer une main sur son visage pour ne pas se mettre à hurler. Heureusement, il n'y a pas de client. Magnus se met à rire et avance vers elle. Elle se précipite vers lui pour l'enlacer, sans hésitation il lui rend son étreinte.

— Oh bon Dieu, c'est pas possible ! Tu es là !

Elle se recule pour le regarder de la tête aux pieds. Son maquillage parfait et pailleté, ses vêtements harmonieusement choisis et ses cheveux dressés sur sa tête, une mèche blonde retombant sur son front. Elle pose ses mains sur les joues de l'indonésien en essayant de se reprendre.

— Je devrais te tuer, mais qu'est-ce que c'est bon de te voir !

— Je suis content de te voir, moi aussi. Izzy est là ?

— Elle devrait bientôt arriver. Ce matin, elle avait un rendez-vous pour Max. Oh, c'est le bébé !

— Oui, je sais. Longue histoire.

Oh certainement qu'il en a, des choses à dire ! Clary l'entraîne vers une table et lui sert un café, elle s'installe sur la banquette en face pour discuter. Moins de quinze minutes plus tard, la porte s'ouvre et un cri résonne aussitôt dans la salle. Magnus relève les yeux mais Izzy s'est déjà jetée sur lui en pleurant.

— Princesse, pleure pas, je t'en prie.

— Tu m'as manqué ! Tu nous as tellement manqué !

— Vous m'avez manqué aussi, si tu savais.

La jolie brune se redresse et essuie ses joues. Elle voit dans les yeux de son ami qu'il est sincère. Bien sûr qu'il l'est, pourquoi serait-il revenu sinon ? Elle a envie de l'enlacer et de ne plus jamais le laisser partir de ce café !

— Tu comptes rester, hein ! S'exclame-t-elle. Tu repars plus !

— Non, c'est pas prévu. Je n'ai pas encore eu le temps de trouver de logement, mais je ne repars pas.

— Allez, raconte-nous ! Dis-nous ce qui s'est passé !

Il hoche la tête. Il ne doute pas qu'Alec a dû leur dire pourquoi il est parti alors il se concentre sur son année en Louisiane. Et sur la visite de Robert, presque un mois auparavant. Les deux jeunes femmes en sont bouche bée. Jace avait évoqué l'idée avec eux mais, par la suite, il n'avait rien dit. Sans doute que les deux hommes savaient qu'en mettant Izzy au courant, elle aurait insisté pour accompagner Robert.

— Alors tu vas mieux ? Tu es guéri ? Demande Clary, pleine d'espoir.

— Hm si on veut, répond-il en hochant la tête. J'ai pour instruction d'aller voir un psy au moindre signe, mais je vais vraiment mieux.

Machinalement, il porte une main à son poignet gauche, laissant aux filles l'occasion de voir que le bracelet de cuir a disparu.

— Oh, tu portes le bracelet qu'Alec t'a offert, remarque Izzy.

— Ah, tu t'en souviens ? Je le porte tous les jours.

Il baisse les yeux sur ce cadeau qui représente tellement pour lui. Cela fait quelques semaines qu'il a cessé de porter le bracelet de cuir, depuis le septième anniversaire de la mort de Camille. Il a compris que continuer à cacher ses cicatrices ne les fera pas disparaître, tout comme ça ne l'aidera pas à s'en remettre. Mais il s'est étonnamment vite habitué à laisser son poignet au regard de tous, les gens n'y font même pas attention la plupart du temps. Mais même maintenant, quand les regards de Clary et Izzy s'attardent sur les anciennes entailles, il ne ressent plus de honte, plus de gêne. Naturellement, il prend sa tasse pour la porter à ses lèvres et la discussion reprend.

Regardant son portable alors qu'il sort du gymnase pour sa pause repas, Alec fronce légèrement les sourcils.

« Il faut que tu passes au Bookworm ASAP ! 👀 »

« Pourquoi ? J'ai pas vraiment le temps, là. »

Il soupire. Pas vraiment le temps et pas vraiment envie de se taper le trajet aujourd'hui. Qu'est-ce que peut lui vouloir sa sœur qui ne peut pas attendre la fin de la journée, d'ailleurs ?

« ASAP 😱 c'est important. »

Nouveau soupir. Plus laconique, tu meurs. Mais Isabelle n'est pas vraiment du genre à lui demander de venir pour rien. Ça, il ne peut pas l'ignorer. Elle sait bien que c'est délicat pour lui, au travail, sachant qu'il rate de plus en plus de jours. Heureusement que sa patronne est compréhensive. Le fait qu'elle essaie de le séduire en permanence l'aide aussi à passer sous le radar, sinon ça fait longtemps qu'il aurait été viré. Il ne veut pas trop tirer sur la corde.

« Je suis là dans 15 minutes. »

Il s'assoit dans sa voiture et pousse un énième soupir. Il jette un œil à son reflet dans le rétroviseur et arrange un peu ses cheveux avant de démarrer. Heureusement, il a pensé à tailler un peu son semblant de barbe, ça évitera que sa sœur lui fasse des remarques là-dessus. Il profite du trafic lent pour sortir les pensées trop envahissantes de sa tête. Izzy et Clary voient quand il est triste. D'accord, il est rare qu'il ne le soit pas ces derniers temps, ces derniers mois. Pour être honnête, il n'y a que quand il boit assez pour s'endormir sur sa bouteille qu'il n'a pas trop l'impression de l'être, même s'il le regrette généralement au réveil. Mais ce sont les seules nuits qu'il passe sans rêver de lui, sans se réveiller en ayant l'impression qu'il est là, juste à côté. Ces quelques secondes de rêve éveillé avant que la réalité ne se rappelle à lui sont les pires de ses journées. Il en a assez d'espérer.

Il a essayé, pourtant. Oui, il a essayé de passer à autre chose, il a voulu l'oublier. Alors il s'est perdu dans les draps d'autres hommes, pendant des mois, cherchant à échapper à ses propres sentiments, à se persuader qu'il s'était trompé et que Magnus ne valait pas qu'il souffre à ce point. En vain. Magnus est le seul homme qu'il a jamais aimé et il sait qu'il n'aimera jamais personne autant que lui. Et c'est douloureux. Il a l'impression qu'il n'arrivera plus à être heureux. Réellement heureux. Pas ce bonheur éphémère qu'il arrive à glaner quand il est avec sa famille, en repoussant le plus loin possible toute la souffrance qui lui vrille le cœur.

Il passe une main sur ses yeux en sentant les larmes poindre à ses paupières. Merde, c'est pas le moment de se mettre à pleurer. Il s'est garé près du café et prend quelques instants supplémentaires pour se calmer.

À l'intérieur du café, Magnus observe les filles qui sont en train de servir les derniers clients de la matinée. Quelques clients l'ont reconnu, salué. C'est étrange. Quand il repense à l'angoisse des derniers jours passés ici, il a presque du mal à comprendre. Même le son de la clochette au-dessus de la porte n'éveille plus les mêmes émotions. Là où il se crispait d'appréhension, aujourd'hui il sent son cœur s'arrêter de battre à chaque fois qu'il l'entend, relevant les yeux vers la porte dans l'espoir de le voir arriver.

Finalement, après un énième son de cloche, un énième battement de cœur raté... il est là. Les yeux de Magnus caressent aussitôt l'immense silhouette emmitouflée dans son grand manteau. Il voudrait se lever mais il ne sent plus ses jambes, son corps entier tremble et refuse de lui obéir. Il continue de le regarder, de contempler son magnifique visage. Ses cheveux sont un peu plus longs et ses joues un peu plus creuses, signe de l'année difficile qu'il vient de passer. Ça lui crève le cœur.

Les yeux noisette avise le visage souriant, béat, de sa sœur mais, avant que l'un ou l'autre ne parle, il sent un regard sur lui et se tourne. Puis il se fige. Comme Clary et sa sœur plus tôt, il écarquille les yeux sans y croire.

Il est... là ?

L'indonésien se lève quand leurs regards se croisent. Il est gêné et , à plusieurs reprises, détourne les yeux avant de le regarder à nouveau, comme s'il n'arrivait pas à ne pas le regarder mais qu'il ne pouvait pas non plus soutenir son regard. Alec s'approche de Magnus alors que son visage redevient neutre. L'asiatique se mord la lèvre.

— Alexander, je suis désolé, je...

Le brun pose deux doigts sur sa bouche pour le faire taire et reste toujours silencieux. Il le regarde. Son merveilleux visage, ses yeux, ses pommettes, ses lèvres. Ses lèvres qu'il sent sous la pulpe de ses doigts qu'il n'a pas enlevés, chaudes, humides, tremblantes. Une nouvelle fois, leurs yeux se croisent et Alec bouge sans y réfléchir. Il glisse sa main le long de la mâchoire de l'indonésien, jusqu'à sa nuque et il s'approche, soudain, pour s'emparer de ses lèvres.

Son geste est brusque. Si brusque qu'il surprend Magnus. Il perd l'équilibre, recule d'un pas pour s'empêcher de tomber, bute contre la banquette derrière lui et finit par se retrouver assis de nouveau. Sans attendre, Alec se penche vers lui pour reprendre leur baiser, avide de le toucher, de l'avoir dans ses bras. Ses doigts se resserrent sur la nuque de Magnus et il glisse sa langue jusqu'à la sienne en étouffant un soupir.

Son cœur bat la chamade contre ses côtes, il a l'impression d'être dans un rêve. Est-ce que c'est le cas ? Est-ce qu'il s'est endormi dans sa voiture en essayant de ne pas s'effondrer ? Il n'arrive pas à en être sûr mais il est terrifié que cet instant puisse s'arrêter, disparaître et le laisser, encore une fois, à l'agonie. Il se concentre sur la respiration de Magnus qui soupire contre ses lèvres, sur son odeur qui lui a tant manqué, sur sa chaleur dans laquelle il veut se blottir.

Alec finit par rompre le baiser pour plonger dans le regard chocolat de son ancien amant, de l'homme qu'il aime désespérément. Ce n'est pas un rêve. La main de Magnus vient caresser son visage, il se met à frissonner. Les doigts vernis s'enfouissent dans ses cheveux alors que l'indonésien se redresse légèrement pour l'embrasser à nouveau. Il est réellement là, ce n'est pas un rêve. Il le sent dans tout son corps.

Un raclement de gorge les sort de cet instant magique. En se retenant de grogner, Alec s'écarte et se rend compte qu'ils sont maintenant allongés sur la banquette. Comment c'est possible ?

— Prenez-vous une chambre ! Râle Clary, un peu gênée par leurs retrouvailles un peu trop démonstratives. Ah, je vous jure !

Les deux hommes se regardent et se mettent à rire, troublés par leur propre comportement et par le désir qui s'est emparé d'eux. Alec se redresse et aide Magnus à faire de même. Mais à nouveau, ils ne font que se regarder, sans se soucier du reste. Un sourire se glisse sur les lèvres d'Alec et les mots se précipitent à sa bouche :

— Épouse-moi.

L'asiatique échappe un hoquet de surprise. Alec est surpris aussi, un petit peu, de ne pas avoir réussi à les filtrer. Pourtant il les pense, pourtant il est sérieux. Au fond de cette vague de bonheur et de bien-être qui vient de l'ensevelir, il y a une peur toujours présente et trop concrète. Celle que Magnus parte, qu'ils soient séparés à nouveau. Mais il est tout ce que désire Alec, du plus profond de son être. Il veut Magnus, il l'aime et il refuse de passer une seule autre journée sans lui.

— Tu es sérieux ? Demande Magnus, perdu.

— Oui, je suis sérieux ! Je t'aime plus que tout et je peux pas vivre sans toi, je... Je viens de passer les pires mois de ma vie, sans toi, à essayer de t'oublier sans même réussir à me convaincre que c'est ce que je voulais. Je veux rien d'autre que toi. Je ferai tout pour toi, Mags. S'il te plaît, j'ai tellement besoin de toi. Épouse-moi !

Alec essuie maladroitement les larmes qui ont roulé sur ses joues, Magnus le fixe, incapable de prononcer le moindre mot. Il a la gorge nouée par l'émotion, il ne s'attendait pas à ce qu'Alec lui fasse ce genre de déclaration. Ses lèvres s'étirent en un grand sourire et il hoche la tête.

— Oui !

Il n'a pas le temps d'en dire plus qu'Alec se jette une nouvelle fois sur lui pour l'embrasser. Ils retombent en arrière sur la banquette pour échanger un long baiser amoureux.

Clary et Izzy éclatent de rire, les larmes aux yeux. La porte du café s'ouvre sur un couple de clients qui, voyant les deux hommes en train de s'embrasser sur la banquette comme s'ils étaient seuls au monde, lèvent des yeux surpris vers les deux patronnes.

— Demande en mariage surprise, explique Izzy. Vous en faîtes pas, ils vont se calmer !

Alec dégage une de ses mains pour adresser un doigt d'honneur à sa sœur, puis sa main repart explorer le cou du plus âgé. Magnus comprend néanmoins qu'ils doivent rester sages, du moins ici. Il pose ses mains sur le visage d'Alec pour l'inciter à rompre le baiser. Le regard suppliant du brun lui tord l'estomac d'un désir plus puissant qu'il n'en a jamais ressenti.

— Alors, on est fiancés ? Demande-t-il doucement, les joues rougies.

— Je crois bien, oui, répond Alec avant de déposer un baiser sur son front.

— Je t'aime tellement, Alexander.

— Je t'aime aussi, Magnus.

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