& 34 ; Comprendre le désespoir

Alec était allongé dans son lit, enroulé dans sa couette depuis deux jours à avoir l'impression qu'il allait mourir d'un instant à l'autre. Il avait de la fièvre, mal à la tête, il avait du mal à se lever sans avoir de vertige et il détestait ça. Être malade, ça ne lui arrivait pas souvent, mais il avait fallu qu'il décide de sortir s'amuser avec Magnus et Camille alors qu'il neigeait à gros flocons. Ces deux idiots avaient décidé d'aller faire une bataille de boules de neige et ils avaient convaincu tout le groupe de se joindre à eux. Alec les avait accompagnés, alors même qu'il se savait trop vieux pour jouer à ça et qu'il avait des cours à étudier. Mais ils avaient passé des heures au parc, à s'envoyer des boules de neige et Alec s'était révélé être une cible de choix puisqu'ils avaient fini par tous s'acharner sur lui. Jusqu'à ce que Magnus se joigne à lui pour le défendre. Il avait fini aussi trempé qu'Alec, mais il ne cessait de rire.

Le brun grogna en se tournant dans son lit. Il avait envie de râler. Les cours allaient reprendre bientôt et il n'arrivait pas à sortir du lit. Et pourtant, tout ce qui lui passait par la tête, c'était les souvenirs de cet après-midi. Magnus couvert de neige, s'amusant, riant comme un môme. Tout ce qui lui passait par la tête, c'était à quel point il l'avait trouvé magnifique, les cheveux parsemés de flocons blanc, les joues et le bout du nez rougis par le froid, l'immense sourire sur ses lèvres. Ces lèvres auxquelles il n'arrêtait pas de penser.

En fin d'après-midi, quelqu'un frappa à la porte de sa chambre. Il grogna encore, espérant que la personne n'insisterait pas et le laisserait agoniser en paix. Mais la porte s'ouvrit doucement et Magnus entra. Alec fronça les sourcils, ronchon.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je viens profiter de ta bonne humeur ! Rétorqua Magnus, bien loin de se sentir offensé.

L'indonésien referma la porte derrière lui et s'approcha de la table basse du coin pour y déposer une poche pleine. L'odeur qui emplit la pièce poussa Alec à se redresser sur un coude. Il n'avait pas mangé depuis la veille, trop fatigué pour bouger.

— Je suis passé te prendre de la soupe au restaurant que tu adores. Je me suis dit que ça te ferait du bien. Après, tu prendras des médicaments.

— Quels médicaments ? J'ai rien.

— Je sais, Monsieur-je-tombe-jamais-malade ! C'est pour ça que je suis aussi passé à la pharmacie. Seigneur, je vais finir par me demander si tu me connais si bien que ça ! Parce que moi, je te connais par cœur !

C'était quoi ça ? Bien sûr qu'il le connaissait ! Il reconnaîtrait son rire entre mille, ses gloussements, son parfum ! Il connaissait ses tics de langage, savait anticiper tous les mouvements de sa bouche quand il parlait, quelle que soit son humeur ! Il connaissait sa façon de le regarder quand il se croyait à l'abri des regards. Et il savait que cette façon de froncer les sourcils, là tout de suite, signifiait qu'il était préoccupé par quelque chose. Lui aussi, il le connaissait par cœur.

Magnus le toisa, les poings sur les hanches avant de sourire à nouveau, amusé. Il attrapa le bol contenant le bouillon fumant, en enleva précautionneusement le couvercle et vint s'asseoir sur le lit, près d'Alec qui fut obligé de se pousser pour lui faire de la place.

Le brun regarda son aîné, un peu surpris. Après une journée d'un silence inhabituel entre eux, Magnus l'avait appelé tôt le matin et Alec lui avait dit qu'il avait besoin de temps pour travailler. Sans doute le son anormalement étouffé de sa voix avait-il trahi son état, mais il n'avait pas pensé que l'indonésien viendrait le voir. D'ailleurs, s'il avait su qu'il suffisait de ça, peut-être qu'il aurait fait plus souvent semblant d'être malade pour avoir son attention rien que pour lui.

— Ça va aller pour boire ? Demanda Magnus.

Alec haussa les épaules, curieux de savoir comment réagirait son amant devant son manque de coopération. L'indonésien sourit gentiment et attrapa une cuillère à soupe pour le faire manger lui-même. Surpris, Alec le laissa s'occuper de lui, appréciant chaque petit geste.

Décidément, Magnus était le soleil de sa journée, discutant de tout et de rien avec son air léger. Il était tellement attentionné. Ses gestes le faisaient se sentir mieux, Alec n'avait pas l'habitude qu'on s'occupe de lui comme ça. En tout cas, pas venant de quelqu'un qui n'est pas de sa famille. Et, comme à chaque fois qu'ils étaient tous les deux, l'estomac d'Alec se contracta. Magnus le rendait vraiment heureux.

— Je suis désolé, souffla l'aîné après quelques minutes.

— Pour quoi ?

— C'était mon idée, cette bataille de boules de neige. Je ne pensais pas que tu tomberais malade.

— Ah, alors c'est parce que tu te sens coupable que tu es venu me voir !

Alec esquissa un sourire amusé qui échappa à Magnus qui s'était relevé pour reposer le bol de soupe sur la table basse. Il leva les yeux au ciel et se retourna vers Alec.

— Mais non idiot ! C'est parce que je m'inquiétais pour toi !

Alec, à nouveau surpris, haussa les sourcils et Magnus soupira, se rendant compte qu'il avait réagi trop vivement. Mais, oui, il s'inquiétait depuis le matin. Depuis qu'il avait entendu Alec qui était visiblement malade mais qui essayait de le cacher. Gêné, il tourna les talons pour partir dans la salle de bain. Alec se recoucha et posa une main sur son front brûlant. Il avait toujours de la fièvre, mais il se sentait mieux. Magnus s'était inquiété pour lui ? Ah, pourquoi est-ce que ça lui faisait à ce point plaisir ? Son estomac se contracta à nouveau.

Tout à ses pensées, il ne l'entendit pas revenir et sursauta au son de sa voix :

— Tiens, bois ça.

Le ton de Magnus était un peu moins doux, mais le plus jeune comprit que c'était pour cacher son embarras. Il prit le verre d'eau et le médicament que son amant lui tendait, il avala les deux puis déposa le verre sur la table de chevet avant d'attraper la main de l'indonésien. Doucement, il l'attira près de lui, jusqu'à ce que son amant soit presque couché sur lui.

— Qu'est-ce que tu fais ? Demanda Magnus, amusé malgré lui

— Rien, je veux juste un câlin de l'homme le plus gentil que je connaisse.

Il emprisonna sa taille entre ses bras et enfouit son visage dans son cou. Il sentait son cœur battre fort. Très fort. Certes, ça ne lui semblait pas inhabituel... mais c'était la première fois qu'il s'en rendait réellement compte, la première fois qu'il ne pouvait pas accuser son désir d'en être la cause. Son cœur palpitait parce que son amant lui avait manqué et que sa simple présence l'apaisait. Il n'était plus capable de passer une journée entière sans l'avoir auprès de lui.

— Merci d'être venu, murmura-t-il.

Magnus se redressa un peu et déposa un baiser sur son front, puis il se glissa à côté de lui, sous la couette. Alec vint se blottir contre lui, la tête posée sur son torse alors que les doigts vernis venaient se perdre dans ses cheveux. Il ferma les yeux, un léger sourire aux lèvres. Non, il ne pouvait plus se passer de Magnus.

◊◊◊◊◊

Si les premiers mois ont été difficiles, ceux qui ont suivi ont réalisé l'exploit d'être encore pires. Après avoir passé des semaines à diviser son temps entre son nouveau travail au gymnase et des sorties dans des bars et des clubs pour se distraire et oublier les sentiments amoureux qui le torturaient, Alec s'est laissé happer par la mélancolie. En cause, un reportage sur lequel il est tombé, lors d'un des rares soirs où il avait décidé de rester chez lui, et qui traitait de la dépression. Mis face à ce qui rongeait Magnus depuis des années, la colère que le brun s'évertuait à élever autour de lui comme un rempart pour ne pas affronter la réalité avait commencé à s'effriter. Bien sûr, quand Magnus était là, Alec faisait de son mieux pour le comprendre, pour l'aider. Mais force est d'avouer qu'il n'avait pas été d'une aussi grande utilité qu'il l'avait imaginé et espéré. Depuis un peu plus de quatre mois, il fulminait contre cet homme qui était parti comme un lâche, le laissant derrière comme s'il ne représentait rien. Malgré les paroles de Magnus durant leur dernière conversation, avant qu'ils ne s'avouent leurs sentiments et se laissent entraîner par leur désir, il n'avait pas réussi à comprendre la véritable raison de son départ.

Il faisait un blocage et chacun avait pu s'en rendre compte. D'Izzy – à qui il faisait tous les reproches possibles dès qu'il le pouvait – à Jace qu'il ignorait parfois purement et simplement, puisqu'il était le seul à ne pas hésiter à le secouer pour le pousser à se reprendre. Magnus est parti pour aller mieux. Pour Alec, cela signifiait qu'il l'accusait de le faire aller plus mal. Oui, pendant plus de quatre mois, la colère a été son moyen de défense. Un moyen qui s'est abandonné lui-même face à l'évidence. Si Magnus est parti, c'est parce qu'il avait peur d'entraîner Alec avec lui en n'arrivant pas à remonter la pente. Si Magnus est parti, c'est parce qu'il avait peur de ne pas être capable de survivre à ses pensées intrusives.

Ce soir-là, Alec a craqué. Au milieu de la nuit, il s'est rendu chez ses parents pour pleurer dans le giron de sa mère, incapable de rester seul, incapable d'affronter sa fratrie qui avait essayé de lui ouvrir les yeux et à qui il avait tant résisté.

Et les semaines, les mois qui ont suivi ont été encore pires. Jace, qui avait défendu l'indonésien contre la colère de son frère, a commencé à sérieusement lui en vouloir de ce silence qui faisait tellement souffrir Alec. Depuis son illumination, il ne sort plus que pour aller au travail. Et encore, parfois, il n'arrive même pas à aller au travail. Jace et Clary, et Izzy et Simon se relaient pour s'assurer qu'il va bien. Voir son neveu est une des rares choses qui arrive à faire sourire leur aîné. À plusieurs reprises, ils ont évoqué l'idée qu'il aille voir un psychologue, mais seulement entre eux. Parce qu'à chaque fois, la conversation atteint le même point : Alec n'a pas besoin d'un psychologue, il a besoin de Magnus.

Et puis Noël est passé. Un peu plus, chacun a pu se rendre compte de la détresse d'Alec malgré les efforts qu'il avait choisi de faire pour l'occasion, avant de rentrer chez lui pour boire bien plus que de raison.

— J'ai eu une idée, a soupiré Jace un jour, lors d'une énième conversation similaire. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée, mais elle me trotte dans la tête depuis quelques jours.


C'est le deuxième hiver de Magnus à Woodworth et il se sent grandement soulagé que le froid soit revenu. Encore que le froid en Louisiane n'est pas le même qu'au nord du pays. Toujours humide, pas assez froid. Mais c'est toujours mieux que l'été, beaucoup trop chaud et humide. Emmitouflé dans son manteau, il se dirige vers l'école où va Madzie. Il vient de sortir de son rendez-vous avec la psychiatre. Il n'aime pas cette femme, aller la voir toutes les semaines est une corvée, mais il paraît qu'il n'a pas besoin de l'aimer pour aller mieux.

Il se laisse tomber sur un banc en attendant la sortie de l'école. Il va mieux. Il sent qu'il va mieux, même si ce n'est pas encore parfait. Il fait encore des crises d'angoisse, mais n'arrive pas à savoir si elles sont provoquées par ses pensées ou les antidépresseurs. Il a parfois des crises de larme incontrôlées, qui heureusement n'arrivent qu'à la nuit tombée, à l'abri des regards de Catarina, Ragnor et, surtout, Madzie. En revanche, ses pensées intrusives se sont calmées. Parfois, il se surprend à en avoir et il parvient à les repousser en se concentrant sur autre chose. Oui, il va mieux, il sent même qu'il se retrouve un peu.

La période des fêtes est passée, horrible malgré la présence de sa famille. L'anniversaire de la mort de Camille est passé, son enfer personnel qu'il a réussi à surmonter à peu près dignement, sans nouvelle cicatrice. Et cela fait maintenant un an qu'il est ici. Qu'il a quitté Alec. Sa dépression est en voie de guérison, mais il a toujours le cœur lourd et il sait pourquoi. Il s'empêche juste de mettre des mots dessus pour ne pas craquer.

Alors que les mamans se rassemblent vers le portail pour attendre que les enfants sortent, Magnus se lève et s'approche à son tour. Certaines le saluent gentiment. Une ou deux mères célibataires lui lancent des œillades très chaleureuses. Une ou deux femmes un peu moins ouvertes d'esprit soufflent discrètement d'exaspération quand il passe à côté d'elles, toujours maquillé – mieux qu'elles –, toujours habillé élégamment – mieux qu'elles aussi. Inutile de préciser que les ragots y sont allés bon train après son arrivée, certains allant jusqu'à parler de trouple concernant Cat, Ragnor et lui. Il a fallu quelques semaines avant que les gens du coin comprennent qu'il est de la famille de Catarina.

— Magnus !

La petite fille sort en courant pour venir se précipiter dans les bras de son oncle qui pose un genou par terre pour la serrer contre lui.

Sweet pea ! L'école s'est bien passée ?

— Oui !! Dis, on va manger une glace ?

Un grand sourire aux lèvres et les yeux pétillants, Madzie se met à trépigner en attendant la réponse de Magnus. C'est leur habitude secrète, le vendredi après l'école, d'aller chercher une glace sur le chemin de la maison, même quand il ne fait pas beau. L'indonésien hoche la tête et se relève, la petite fille lui prend la main et ils partent vers le glacier.

Plus tard dans la journée, alors qu'il aide Catarina en cuisine, elle le gronde.

— Une glace ? Vraiment ?

— Oh mais elle est tellement mignonne ! Je ne résiste pas quand elle me le demande.

— C'est beaucoup trop sucré. Après, elle est intenable.

Magnus se met à rire, c'est vrai qu'elle déborde d'énergie. Mais, honnêtement, il ne sait pas si c'est plus à mettre sur le compte de la glace, ou du week-end qu'elle va aller passer chez les parents de Ragnor.

Soudain, il entend sa sœur pousser un petit son dubitatif. Il se tourne vers elle et s'aperçoit qu'elle regarde par la fenêtre.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Demande-t-il en suivant son regard.

Mais, dans la rue, il n'y a rien. Enfin, rien d'étrange. Catarina fait la moue et s'approche pour regarder de chaque côté.

— J'ai vu une voiture passer.

— Et... Ça te surprend, parce que...?

— Parce qu'elle a déjà fait ça plusieurs fois.

— Hm... C'est peut-être quelqu'un qui cherche une adresse.

Pour quelqu'un qui ne serait pas du coin, trouver une maison par ici peut parfois être un vrai défi. C'est en rentrant ici, seul, pour la première fois qu'il s'en est aperçu. Les noms de rue ne sont pas correctement indiqués, de même que les numéros des logements. Catarina soupire et retourne à sa tâche.

— Tu as sans doute raison. Il vaudrait mieux que je finisse ça.

— Et si tu t'asseyais pour boire le café qui t'attend depuis trente minutes ?

— Ah, mon café !

Magnus pouffe de rire à nouveau alors qu'elle retourne vers la cafetière, à côté de laquelle l'attend une tasse plus très chaude. Elle la passe au micro-onde puis se hisse sur le plan de travail, à côté de son frère. Elle entreprend alors d'en savoir un peu plus sur sa séance du jour. Comme toujours, il est évasif, mais elle a déjà appris beaucoup de choses en un an. Il a fini par lui raconter sa situation à New York et Catarina sent encore à quel point il est amoureux d'Alec. Parfois, il parle de lui, comme si c'était plus fort que lui. Et quand il s'en rend compte, il se tait brusquement et reste silencieux pendant de très longues minutes, comme pour être sûr de ne pas se mettre à hurler de douleur. Mais elle ignore encore ce qui l'a poussé à vouloir se suicider. Plus va et plus elle s'en inquiète, bien que le docteur Rouse, qu'elle connaît personnellement, lui assure qu'elle n'a plus à craindre qu'il redevienne suicidaire.

Un léger silence s'installe, Magnus repense à ce qu'il a échangé avec cette femme désagréable, tout comme Catarina. Son traitement devrait bientôt se terminer, il devrait être capable de se remettre sans avoir besoin d'antidépresseur, en continuant à voir un psychologue si le besoin s'en fait sentir. L'indonésien ne sait pas s'il voit ça comme un accomplissement, ou comme le bord d'un gouffre duquel il s'approche inexorablement sans être certain de pouvoir atteindre l'autre côté.

Des coups sur la porte les sortent de leurs pensées et Catarina descend du plan de travail.

— Je vais ouvrir !

Magnus soupire et pose le couteau qu'il tient dans les mains pour découper les légumes. Ses mains tremblent un peu. De loin, il entend sa sœur discuter avec quelqu'un, un homme car la voix est grave mais il ne la reconnaît pas.

— Magnus ? C'est pour toi.

Il fronce les sourcils, intrigué. Comment ça pour lui ? D'accord, il s'est fait quelques connaissances ici mais aucune qui viendrait expressément le voir.

— J'arrive !

Il essuie ses mains sur un chiffon et part à son tour vers l'entrée. Il passe machinalement une main sur sa nuque en marchant, las de sa journée. Quand il arrive finalement à la porte, ses yeux s'écarquillent quand il voit l'homme qui lui sourit.

— Robert ?

Mais qu'est-ce qu'il fait ici ?

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