& 30 ; Ne pas refaire les mêmes erreurs

Alec descend les escaliers en luttant contre ses larmes, sans se rendre compte qu'elles roulent déjà abondamment sur son visage. C'est pas possible ! Qu'est-ce qui s'est passé ? Le choc est encore intense. Il revoit Magnus assis par terre, sans faire mine de se soucier du sang qui macule sa peau. Et il ne peut s'empêcher de repenser à la peur qui le taraude et qu'il s'était efforcé de mettre de côté depuis plus d'un mois.

« Sinon, tu crois que j'aurais eu envie de mourir ? »

Ces mots ont tourné dans sa tête un nombre incalculable de fois, mais il pensait que ce n'était qu'une façon de parler. Il a espéré que Magnus n'en arriverait jamais là. Maintenant, il n'en est plus certain. Et il imagine à nouveau un monde sans lui.

Non.

Non !

NON !!

Il s'approche de sa voiture mais il n'arrive pas à monter dedans, il n'arrive pas à se convaincre de partir. Il n'arrive pas à se décider à faire quoi que ce soit. Comment peuvent-ils en être arrivés là alors que tout semblait aller si bien ? Magnus semblait aller bien. Ou en tout cas, pas mal au point de se mutiler. Depuis combien de temps est-ce que ça dure ? Et comment n'a-t-il rien vu ?

Alors qu'il se laisse tomber à genoux sur le trottoir, son téléphone se met à sonner dans la poche de son manteau. Il l'attrape rapidement et, voyant le nom de sa sœur s'afficher, il décroche.

— J'espère que je dérange pas, je viens aux nouvelles, dit-elle aussitôt, d'une voix décontractée.

Alec ouvre la bouche pour parler, mais il ne sait pas quoi lui répondre.

— Alec ? Tout va bien ? Demande-t-elle après quelques secondes de silence.

— Non, grogne-t-il en essuyant ses joues de sa main libre.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— J'en sais rien ! Je sais pas ce qui lui a pris...

— Alec, dis-moi ce qui se passe !

À l'autre bout du fil, Izzy commence à paniquer. Elle entend bien les larmes dans la voix de son frère et ce n'est vraiment pas le genre d'Alec de pleurer. Elle commence à imaginer le pire.

— Où est Magnus ?

— Dans son appartement, à se faire du mal...

— À faire quoi ? Bordel, Alec, mais t'es où ?

— En bas de chez lui, j'ai pas pu... Merde, il est taré ! Camille lui manque tellement qu'il... !

— « Qu'il » quoi ? Alec, explique-moi !

— Je sais pas pourquoi il a fait ça ! Pourquoi il s'accroche encore tellement à elle, putain !? Qu'est-ce qui ne va pas chez lui pour donner plus d'importance à une morte que... ?

Il s'interrompt en réalisant ce qu'il est en train de dire. Ce que le monstre lui fait dire. Donner plus d'importance à une morte qu'à moi. Et sa sœur n'en rate rien.

— Alexander Gideon Lightwood ! Crie-t-elle. J'espère que tu n'es pas en train de me dire que tu es jaloux ! Là, maintenant !

— Non, je ne le suis pas ! C'est lui, qui...

— Il n'est pas dans son état normal ! On le connaît, il ne ferait jamais ça ! Pas... pas juste comme ça !

— Qu'est-ce que tu en sais ! Même moi, j'ai l'impression de ne plus le connaître !

— Je te préviens que si tu n'y retournes pas tout de suite, je ne te parle plus jamais ! Il a besoin de toi ! Il a besoin que tu prennes soin de lui ! Ne le laisse pas penser que ton putain d'ego est plus important que lui !

— Izzy, ça suffit !

— S'il lui arrive quoi que ce soit, je te tiendrai pour personnellement responsable !

Les mots font enfin tilt dans son esprit. Magnus n'était pas en train d'essayer de mettre fin à ses jours, il n'y avait pas autant de sang que ça. Mais Alec commence à avoir peur que sa fuite ait provoqué ce qu'il redoute tant. Il raccroche sans répondre à sa sœur et repart en courant vers l'appartement de son amant. Il ne se laisse pas le temps de réfléchir et entre. Avec un léger soulagement, il constate que l'indonésien n'a pas bougé. À ceci près qu'il a remonté ses jambes contre son torse et enfouit son visage dans ses mains. Il pleure toujours. Ses sanglots résonnent plus fort dans la pièce. Après avoir pris une profonde inspiration, Alec retire son manteau pour le poser sur celui de Magnus, puis il le rejoint et se met à genoux près de lui.

Avec précaution, il attrape ses mains mais ne regarde pas son visage. Il n'y arrive pas, pas tout de suite. Au lieu de ça, il jette un œil à son poignet gauche et découvre trois entailles sanglantes qui ont l'air assez peu profondes. Elles recouvrent d'anciennes cicatrices. L'indonésien essaie d'enlever son poignet de la main du brun qui se resserre un peu plus pour l'en empêcher. Il échappe un gémissement de douleur. Il tremble toujours, la crise d'angoisse a fini par avoir raison de lui et il a maintenant du mal à respirer. La honte l'envahit de savoir qu'Alec connaît ce secret. Et il n'arrive pas non plus à regarder son amant. Surtout, il se demande pourquoi il est revenu.

La colère imprègne toujours les gestes d'Alec quand il lâche enfin Magnus pour se relever. Il part dans la salle de bain et l'asiatique l'entend fouiller dans ses affaires. Il repose sa tête contre son lit et essaye de reprendre le contrôle sur ses larmes, mais il sait que c'est peine perdue. Quelques minutes plus tard, le brun revient. Il attrape Magnus par le bras pour le faire s'asseoir sur le lit et s'installe à côté de lui. Toujours sans prononcer le moindre mot, il entreprend de soigner les plaies. Il fait de son mieux pour être doux, sans y parvenir réellement, et il se mord la lèvre à chaque fois qu'il sent Magnus se tendre à côté de lui. Mais il ne sait pas si c'est à cause de la douleur ou... autre chose.

— Six ans, finit par souffler Magnus, les yeux rivés sur son poignet.

— Quoi « six ans » ? Demande Alec, sec, en essayant de ne pas penser que Magnus se fait ça depuis autant de temps.

— La mort de Camille. Aujourd'hui, ça fait six ans.

Tandis qu'il commençait à enrouler un bandage autour du poignet de l'indonésien, le brun se fige et le regarde enfin dans les yeux. Comment est-ce que ça peut faire six ans, alors qu'il y a six ans, il quittait New Haven ?

— Attends, ne me dis pas que...

Si. Alec est rentré à New York à la fin du mois de janvier 2016, un dimanche soir, se sachant incapable de mettre les pieds à la fac le lendemain matin. Hier... Hier, ça faisait six ans. Les sanglots de Magnus repartent de plus belle et il parvient à reprendre son poignet. Il recommence à essuyer son visage de toutes les larmes qui y coulent. Et ça tue Alec de le voir dans cet état.

— L'accident... Quand est-ce que vous avez eu l'accident !? Demande-t-il, agité.

— En rentrant du bar où j'ai rejoint Camille, après notre dispute.

Alec se lève, à la recherche d'air. Une chape de plomb vient de se répandre sur lui. Comment est-ce seulement possible ? Il repense instantanément aux appels qu'il avait reçus le lendemain de son retour et aux paroles de Magnus, la seule et unique fois où ils en ont parlé, près de cinq mois auparavant.

— Après ça, qui a essayé de m'appeler ? Toi, et qui d'autre ?

Si ça avait été Aaron ou les autres, il l'aurait su. Mais ils ne l'avaient pas contacté après qu'il leur ait envoyé un message pour les prévenir qu'il ne reviendrait pas.

— L'hôpital.

Le brun passe ses mains dans ses cheveux en s'empêchant de hurler. Le sentiment de culpabilité commence à s'enrouler autour de son cœur pour le serrer encore, encore, encore. Il avait ignoré les appels de l'hôpital qui voulait le prévenir que Magnus avait eu un accident ? Que Camille était morte ?

— Quand est-ce que tu as su que j'étais parti !?

— Trois semaines après, quand j'ai pu recommencer à travailler. Aaron me l'a appris.

— Pourquoi ne leur as-tu pas demandé de m'appeler ? De me prévenir !?

Magnus tressaille au cri d'Alec. Ses larmes cessent du même coup et son visage reprend un peu de vie quand il regarde Alec.

— Tu ne voulais plus me voir ! J'ai essayé de t'appeler pendant des jours alors même que ça n'aboutissait jamais et que je savais que ça n'arriverait pas ! Je ne pouvais pas continuer comme ça éternellement !

— Tu dis ça comme si je t'avais abandonné...

Leurs yeux se croisent une seconde et l'indonésien se détourne. La douleur n'est plus la même mais elle est tout aussi intense, ses poings se serrent.

— C'est ce que tu penses !? Se récrie Alec.

— Arrête de me crier dessus !

— Tu penses que je t'ai abandonné !

— Mais c'est le cas, tu es parti ! Tu m'as laissé tout seul et je n'ai même pas pu m'expliquer ! Je n'ai rien pu faire pour te retenir !

Ses yeux chocolat sont à nouveau bordés de grosses larmes qui donnent envie à Alec de le prendre dans ses bras pour le consoler. Mais le monstre est toujours là, ainsi qu'un brin de fierté mal placée qui l'empêche de faire face à ses erreurs.

— Non, c'est... Tu l'as choisie ! Elle ! Encore ! J'avais... J'avais préparé une soirée pour toi et tu as choisi Camille !

Magnus fronce légèrement les sourcils, affecté par l'accusation. Contrairement à avant, Alec comprend à quel point sa jalousie était inutile à l'époque. Magnus n'aimait pas Camille comme il le pensait. Alors pourquoi est-ce que ça l'énerve encore ?

— Je n'en savais rien ! Répond Magnus, démuni. Camille m'a appelé en pleurs. Elle était seule et ivre. Son connard de mec venait de la plaquer au téléphone et elle avait besoin de moi. Et je pensais que, malgré ton sale caractère, tu comprendrais ça !

— Tu ne m'as rien dit !

— Mais tu ne m'en as même pas laissé le temps ! Comment est-ce que j'aurais pu te le dire ?

Quand Alec fait un pas vers lui, Magnus sursaute et a un léger mouvement de recul, le cœur serré par la peur. Non, il n'a pas peur d'Alec, seulement des réminiscences de son agression et, visiblement, il n'arrive pas toujours à bien le cacher. Honteux de sa réaction, il baisse les yeux sans voir la larme qui coule sur le visage d'Alec.

— Ok, répond Alec en essuyant prestement sa joue. Je crois que c'est mieux que je te laisse.

Il tourne les talons, il n'a pas envie de s'effondrer devant Magnus. Mais il n'atteint pas le salon que déjà des doigts s'enroulent autour des siens et le forcent à se retourner. Magnus se blottit alors contre son torse, s'accrochant désespérément au pull de son amant. Il a de nouveau du mal à respirer.

— Mais arrête ! Le supplie-t-il, sa voix se brise presque. Arrête de me fuir tout le temps !

Alec se mord la lèvre et passe ses bras autour de l'indonésien qui a recommencé à pleurer de façon incontrôlable.

— C'est... C'est maintenant que j'ai besoin de toi, pas dans six ans ! S'il te plaît... S'il te plaît, ne me laisse pas.

Ces mots sont un véritable choc pour Alec, une gifle n'aurait pas été plus violente. C'est la première fois, dans toute leur relation, que l'un ou l'autre s'autorise à être aussi clair sur ce qu'il ressent et pas juste sur ce qu'il désire. Mais c'est d'autant plus violent qu'Alec a conscience que c'est la vérité, tout comme il a conscience que Magnus est également dans le vrai quand il dit qu'Alec l'a abandonné. Il l'a fait. Il a été trop fier, trop susceptible et il a fui comme un lâche, au lieu d'affronter Magnus comme un adulte.

Il remonte l'une de ses mains sur la joue de son amant pour l'inciter à le regarder et quand leurs regards se croisent, il se penche pour l'embrasser. Avec tendresse, il étreint ses lèvres salées par ses larmes jusqu'à ce qu'il s'apaise, rassuré par sa présence. Il ne partira pas. Il l'entraîne ensuite sur le lit pour finir d'enrouler le bandage sur les plaies, puis ils s'allongent l'un contre l'autre. Alec enlace son amant, le dos de l'indonésien calé contre son torse, et il regarde les doigts vernis jouer avec les siens, encore tremblants.

Pendant longtemps, ils ne parlent pas. Alec se concentre sur la respiration de Magnus, dont les sanglots finissent par s'estomper complètement, et Magnus lutte longtemps pour ne pas se remettre à pleurer à la moindre pensée liée à Camille. Mais la présence d'Alec l'aide, bien plus qu'il aurait imaginé cela possible un jour pareil. Son regard finit par se poser sur le bandage de son poignet et il fait doucement rouler le bracelet de perles dessus, avec un léger sourire.

Et dans la tête d'Alec, les pensées ne cessent de tourner. Pendant cinq mois, Magnus a réussi à lui cacher la date de l'accident. Pendant ces cinq mois, il en a appris toujours plus sur le passé de Magnus. Mais il a encore des questions et elles ne le laissent pas tranquille. Il a peur et, finalement, il décide de ne plus attendre que les événements se révèlent d'eux-mêmes.

— Bébé, souffle-t-il après plusieurs heures. Je peux te poser une question ?

— Une seule ?

Les doigts de l'indonésien se remettent à tracer des arabesques sur ceux d'Alec qui frissonne.

— Peut-être plusieurs, en fait. Je peux ?

Magnus hoche doucement la tête et Alec commence à chercher ses mots, profitant qu'ils ne se regardent pas.

— Est-ce que tu as déjà... Déjà pensé à te suicider ?

— Oui.

La réponse de Magnus est courte, directe, et Alec doit prendre une profonde inspiration pour poser sa question suivante :

— Est-ce que tu as déjà essayé ?

— Oui, murmure l'asiatique avant de continuer quelques instants plus tard, poussé par l'absence de réponse d'Alec : Je t'ai dit que j'ai couché avec une femme, une fois. Je ne l'ai pas supporté. Ça faisait longtemps, déjà, que j'y songeais et... D'en être arrivé là... J'avais l'impression que je ne pourrais plus jamais m'en sortir. J'ai avalé des somnifères mais... Mon propriétaire m'a trouvé à temps.

Un rire triste franchit ses lèvres. Le fait de devoir la vie à cet immonde salopard n'a pas été simple à accepter au début, aujourd'hui c'est juste mélangé au reste. Alec retire l'une de ses mains de celle de Magnus pour aller caresser sa joue, du bout des doigts. Il n'aime pas ce rire. Il le déteste. Il voudrait ne plus jamais l'entendre.

— Et après ? Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Je suis resté presque un mois en psychiatrie et quand je suis sorti, j'avais encore plus de dettes. Mais j'étais suivi alors on m'a aidé à trouver une autre solution. Je suis retourné voir mon père à Chicago.

— Sérieusement ? Il t'a aidé ?

— En un sens... Je lui ai demandé un travail pour pouvoir m'en sortir. Il a préféré m'envoyer un avocat pour acheter mon silence sur notre lien de sang.

— Et tu as accepté.

— J'avais besoin d'argent. Je ne voulais pas retomber dans cet enfer.

— Non, bien sûr. C'était sûrement le mieux à faire, je doute que tu aies envie de le revoir un jour, de toute façon.

— Hm. Je m'étais déjà fait à l'idée d'être orphelin.

Alec resserre un peu plus son étreinte, sans dire à Magnus qu'il entend son mensonge. Et il essaie de ne pas se focaliser sur ce père abject dont l'indonésien a eu le malheur d'hériter. Acheter son silence ? Comme si Magnus pouvait avoir envie d'aller crier sur les toits qu'il est le fils d'un homme pareil. N'empêche, Alec n'est pas aveugle, il sent bien que ce père est un véritable manque pour son amant et il espère qu'il saura un jour s'en remettre.

Le silence revient dans la pièce, Alec tient toujours Magnus dans ses bras et dépose des baisers sur sa nuque. Il inspire longuement son odeur, pour repousser le plus loin possible la peur viscérale de le perdre qu'il commence enfin à admettre. Le monstre ne se fait plus entendre et, même s'il lui est déjà arrivé d'être calme, Alec n'a jamais complètement cessé de sentir sa présence quand Magnus était près de lui. Il avait fallu qu'il rentre à New York pour qu'il finisse par se taire et, à la seconde où il l'avait revu, le monstre s'était réveillé comme s'il n'avait jamais disparu. Il s'était remis à perdre tout bon sens en présence de son amant. Parfois, même lorsqu'il le tenait dans ses bras, il ne pouvait s'empêcher de se demander si Magnus ne pensait pas à quelqu'un d'autre. Pas cette fois, plus maintenant.

— Mags, tu dors ? Finit-il par murmurer.

— Non...

— Comment tu te sens ? Sois sincère, s'il te plaît.

Après une seconde de réflexion, Magnus repousse un peu les bras d'Alec pour pouvoir se tourner vers lui. Il plonge quelques instants dans son regard et sent ses mains se poser dans son dos. Comment est-ce qu'il se sent, à cet instant ? C'est difficile à dire, en réalité. Il souffre. Tellement que c'est à peine supportable. Camille lui manque et, en plus de ce manque qu'il a l'impression de ne pas pouvoir combler, il se sent coupable de ce qui s'est passé. De l'accident. Il n'avait pas l'impression d'avoir trop bu ce soir-là mais peut-être que s'il n'avait pas bu du tout, il aurait pu garder le contrôle de sa voiture et qu'ils se seraient juste fait peur... Et que Camille serait toujours là. Et pourtant... Quand il se retrouve dans les bras d'Alec, quand il sent son cœur battre plus fort, comme il le faisait avant que tout n'arrive, il se sent plus serein.

Il esquisse un petit sourire et l'une de ses mains vient caresser la joue d'Alec avant d'aller se perdre dans ses boucles noires.

— Je me sens mieux... avec toi.

Alec sourit à son tour et vient l'embrasser, rassuré. Magnus se laisse aller à ce sentiment, se forçant à ignorer la douleur sourde qui le transperce toujours. Il voudrait que ça suffise. Il le voudrait tellement.

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