& 08 ; Essayer de faire partie du monde

Magnus s'est finalement décidé, et se convaincre que sortir est une bonne chose n'a vraiment pas été une mince affaire. Depuis combien de temps n'est-il pas allé dans un nightclub ? C'était il y a si longtemps que ça ne se compte plus en mois mais en années. Et en réalité, il pourrait être bien plus précis, tant la date de la dernière fois est gravée dans sa mémoire. Deux ans et presque cinq mois. Depuis lors, il n'a jamais remis les pieds dans un nightclub. Au début, parce qu'il avait peur de croiser certaines personnes, de retomber dans ses mauvais travers, et puis c'est à cette période qu'il a commencé à prendre des antidépresseurs. La première fois. Boire de l'alcool ne faisant pas bon ménage avec les médicaments, c'était une raison de plus pour ne pas sortir et avoir une vie plus calme. Par la suite, avec son travail à la pâtisserie, il n'avait plus le temps ni l'énergie pour ça. Il ne voulait pas, non plus, risquer de tout gâcher. Même si ça n'a pas empêché que ça arrive.

Mais ce soir, il ressort. Pour la première fois depuis deux ans et cinq mois. Il pourrait attendre, au moins, d'avoir fini son traitement, mais c'était plus simple de ne pas sortir quand il était à Boston. Parce qu'il n'était pas toujours seul. Il avait de la compagnie pour passer ses samedi soirs à regarder la télévision, ou à faire des jeux de société chez des couples d'amis mariés. Maintenant qu'il est à New York, il est seul. Izzy et Clary l'ont invité à sortir mais il a refusé. D'autant qu'il les a entendues évoquer le fait que, ce soir, Alec a décidé de leur présenter son petit-copain. Bon, d'accord, c'est peut-être pour ça que Magnus a envie de sortir ce soir, précisément.

Encore une fois, il se flagelle mentalement. Il sait qu'il ne devrait pas être à ce point touché par le fait qu'Alec officialise sa relation amoureuse. Ce n'est pas comme s'ils avaient vraiment une chance, pas avec tout ce qu'ils ont vécu. Il paraît que l'amour est une question de timing. Peut-être qu'ils ont simplement raté leur chance. De toute façon, il n'est pas prêt pour une relation. Il est trop cassé pour que quiconque ait envie de prendre la peine de l'aider à se réparer, il en est persuadé. Alors peut-être qu'il ne sera plus jamais prêt.

Les mains vissées dans les poches de sa veste par cette nuit un peu froide pour un mois de septembre, il arrive dans la rue du Pandemonium, nightclub dont il a entendu parler par des clients. Les basses résonnent déjà et il se demande si ce n'est pas une mauvaise idée. Il serait sans doute tellement mieux au calme chez lui. Il lui faut beaucoup de volonté pour ne pas tourner les talons et rentrer. De la musique trop forte et de trop nombreux inconnus autour de lui, cela ressemble à une vision de l'enfer alors même que c'est ce qu'il préférait il y a dix ans. Il essaie de se dire qu'il va s'amuser, et que cela fait longtemps qu'il n'a pas dansé alors qu'il adore ça. Oui, c'est bien l'unique chose qui arrive encore à le motiver quand, arrivant devant l'entrée, le vigile le dévisage. Comme habituellement, il s'est maquillé. Quoiqu'il y ait sans doute apporté un peu plus de soin que lorsqu'il va simplement travailler, histoire de perdre un peu de temps. Il porte quelques bijoux, une boucle d'oreille, des bagues et des colliers, c'est étrange parce qu'il n'en a plus vraiment l'habitude. Et pourtant, il se sent un peu moins exposé ainsi. Le vigile lui fait un sourire chaleureux en lui souhaitant une bonne soirée.

Magnus passe un épais rideau noir et entre enfin dans l'immense pièce éclairée par des spots roses et bleus. En levant les yeux, il aperçoit la mezzanine qui fait le tour de la pièce, sauf au-dessus du DJ, et qui met en valeur la piste de danse sans doute visible d'à peu près partout. Le bar est à quelques mètres de l'entrée, sur la droite, constitué d'un long comptoir abritant un mur de bouteilles d'alcool. Avec un léger soupir, il décide de s'y diriger. Il est à peine minuit mais il est déjà difficile de se frayer un chemin entre les clients. Il arrive finalement au comptoir et une barmaid s'approche pour le servir. Il commande un cocktail sans alcool puis s'éloigne pour trouver une table autour de la piste de danse.

Être seul dans un lieu public n'a jamais été quelque chose de gênant pour lui, alors il prend le temps de boire son verre en observant le club. C'est ça qui le détendra, se familiariser avec le lieu, puisqu'il ne peut pas vraiment compter sur l'alcool pour ça. Il évite de ne pas prendre son traitement en dehors de rares exceptions, même s'il n'est pas toujours sûr que ça lui soit utile. Donc, pas d'alcool ce soir. Par ailleurs, il sait que s'il commence, il pourrait avoir quelques difficultés à ne pas enquiller plusieurs verres. Mais il est sorti ce soir pour se sortir ses soucis de la tête, par pour encore plus y penser en se rappelant pourquoi il aurait bien envie de boire.

Terminant son cocktail, il passe son doigt sur le bord du verre pour récupérer le sucre avant de le porter à sa bouche. Puis il abandonne son verre et part enfin sur la piste de danse. À peine se retrouve-t-il au milieu de la masse de corps en mouvement que le sien se met à bouger au rythme de la musique. Et, comme si ça faisait partie de son ADN, il retrouve les gestes qui lui étaient si familiers quand il sortait toutes les semaines. Ses bras bougent, ses hanches ondulent et ses pieds le font aller, tourner. Ses pensées se vident et ça lui fait un bien fou. Il n'y a plus que la musique qui semble résonner dans tout son être.

Et puis soudain, un corps se heurte au sien, brusquement. Il baisse les yeux pour apercevoir une jeune femme aux cheveux châtains coupés courts. Elle le regarde à son tour, les joues rougies mais avec une lueur de malice dans ses yeux à la pupille un peu trop dilatée.

— Pardon ! Lance-t-elle sans s'écarter. On m'a bousculée mais, heureusement, tu m'as rattrapée !

— E-euh oui, c'est rien !

Rattrapée ? Elle s'est plutôt jetée contre lui. Il essaie de garder le sourire et de ne pas s'affoler mais quand il essaie de se défaire de son étreinte, elle ne le laisse pas faire. Se redressant un peu, elle emprisonne la taille de l'asiatique entre ses bras menus et tord sa bouche en une moue séductrice.

— Ça te dit, une danse ? Demande-t-elle d'une voix sensuelle. Pour me faire pardonner de t'avoir dérangé.

— Non, ce n'est rien, je t'assure !

Elle fronce un peu les sourcils mais, refusant d'imaginer qu'un homme puisse lui résister, elle prend sa réticence pour de la nervosité. Un homme aussi grand et aussi beau, timide ? C'est adorable ! Elle sourit et glisse un doigt sur la joue de Magnus. Il serre les mâchoires quand elle se hisse sur la pointe des pieds pour essayer de l'embrasser. Il reconnaît l'odeur du whisky dans son haleine. Génial ! En plus, elle est ivre.

— Arrête ça, lui ordonne-t-il, tendu. Je ne suis pas intéressé.

— Quoi !?

Elle le lâche et recule de deux pas, bousculant un homme derrière elle. Magnus profite de la distraction pour tourner les talons et repartir vers le bar. Il aurait dû s'y attendre. Dans les clubs, il n'y a généralement que ceux qui conduisent qui ne boivent pas, alors se faire aborder par des personnes ivres n'est pas surprenant. Mais déjà qu'il n'a pas vraiment l'habitude de se faire draguer, le fait que ce soit une femme ne l'aide vraiment pas à se calmer.

Il se laisse tomber sur un tabouret et laisse courir son regard le long du comptoir à la recherche de la barmaid qui l'a servi plus tôt. Mais la seule personne derrière est un homme, en train de servir une jolie jeune femme qui lui fait les yeux doux. Il se voit déjà attendre une éternité, et soupire longuement en sortant son téléphone de sa poche pour jeter un œil à l'heure qui n'a, évidemment, pas beaucoup avancé depuis son arrivée.

— Quel long soupir !

Magnus sursaute en baissant les yeux sur le barman qui a, en fin de compte, été plus rapide qu'il le pensait. L'homme sourit et s'excuse. Magnus doit bien avouer qu'il est plutôt bel homme, même si pas vraiment son genre. Grand, métis, les yeux rieurs et une barbe un peu trop fournie à son goût.

— Qu'est-ce que je te sers ?

— N'importe quoi sans alcool. Surprenez-moi.

La mauvaise humeur de Magnus fait de nouveau sourire le barman qui se retourne pour lui préparer un verre. L'indonésien n'a pas vraiment envie de discuter. Malheureusement, la jeune femme lui a enlevé l'envie d'aller danser pour le moment. Quelle plaie !

Après quelques assez courts instants, un verre rempli d'un liquide jaune et orange se retrouve devant lui. Magnus hausse les sourcils, un peu surpris de ne pas se retrouver avec un simple soda vu le ton désagréable qu'il a utilisé.

— Virgin sex on the beach, lance le barman d'une voix volontairement enjôleuse.

Cette fois, l'indonésien est obligé de se mettre à rire devant la tentative du barman de le détendre un peu. Il secoue la tête et pose une main sur le verre froid.

— Vraiment ? Répond-il en rentrant dans son jeu. Je pensais que tu étais plus intéressé par la jeune femme de tout à l'heure.

— Oh, je ne suis pas difficile !

— Alors ça, c'est pas très flatteur.

Amusé, il porte le verre à sa bouche pour boire une gorgée alors que le barman se met à rire. Un autre client l'empêche de répondre tout de suite, il lui sert une bière et retourne vers Magnus.

— Désolé, c'est pas ce que je voulais dire. Disons que je n'ai pas de préférence particulière. Contrairement à toi.

— Ah tiens ? Et d'où tiens-tu que je ne suis intéressé que par les hommes ?

Le barman arque un sourcil, comme si c'était évident. Magnus essaye de faire en sorte que ça le soit, pour ne pas avoir à subir de drague de la part de la gent féminine. Mais ça ne fonctionne apparemment pas très bien.

— Dois-je le dire ? Le maquillage, les bijoux. La façon dont tu danses.

— C'est très réducteur. Et puis, je pourrais être bisexuel.

Voilà qu'il se défend d'être gay. Même pour jouer, c'est le monde à l'envers. Il se retient de lever les yeux au ciel, juste parce que les derniers mots du barman viennent de prendre sens. Ses joues se mettent à rougir légèrement.

— Attends, tu m'as vu danser ?

— Et je t'ai vu presque fuir la demoiselle qui a tenté sa chance. Alors je me suis dit que tu es gay. L'autre possibilité aurait été que tu sois vierge et inexpérimenté mais tu bouges trop bien tes hanches pour ça.

— Raj, arrête de flirter et viens m'aider !

La voix de la barmaid fait détourner le regard du dénommé Raj des joues cramoisies de Magnus qui ne s'attendait pas à une remarque aussi directe. Baissant à nouveau les yeux sur son verre, l'asiatique lui fait signe de s'en aller. Il n'a décidément plus l'habitude de se faire draguer, mais il doit bien avouer que ce barman est plutôt divertissant.

Il se tourne un peu vers la salle pour regarder les gens quand, au loin, il aperçoit une silhouette qu'il a l'impression de reconnaître. Mais il la perd vite au milieu de la foule. Il soupire à nouveau. Il y a peu de chance pour qu'elle soit là, ils doivent être au Hunter's Moon à l'heure qu'il est.

— Encore un soupir ? Je vais finir par croire que tu n'as pas envie d'être là !

Magnus se retourne vers le bar, Raj est à nouveau en face de lui, souriant jusqu'aux oreilles. Il n'a pas tort, mais Magnus fait des efforts. Il n'a pas trop le choix s'il ne veut pas finir par rester isolé en permanence.

— Je suis nouveau à New York, et en dehors de mes patronnes, je ne connais pas grand monde.

— C'est vrai ? Il faut arranger ça très vite !

Rapidement, Raj attrape le téléphone de Magnus que celui-ci avait posé sur le comptoir. Il y entre son numéro de portable sans que l'indonésien ne l'en empêche.

— Je t'inviterai à sortir. Promis, c'est pas un rencard, j'inviterai des amis et mon copain, si tu veux.

— Ton copain ?

Magnus ne peut cacher son étonnement. Ce barman est clairement un dragueur, et pas qu'avec lui, puisqu'il a aussi vu draguer la jeune femme en arrivant. Raj sourit, amusé, et rend son portable à Magnus en faisant en sorte d'emprisonner ses doigts vernis.

— On est un couple libre. Ah. Je reviens.

Magnus range son téléphone en le regardant aller servir des clientes avec qui il flirte tout autant. C'est ça, un dragueur. Magnus a du mal à comprendre ce genre de relation, il doit bien l'avouer. Et en prime, pour une fois qu'il avait réussi à se le sortir de la tête, il se remet à penser à Alec. Raj revient finalement.

— Une relation libre, hein ? C'est populaire en ce moment...

— Pas auprès de toi, apparemment, répond Raj en notant le ton légèrement amer de Magnus.

— Non, ce n'est pas mon truc. Mais je ne juge pas, tant qu'on ne m'implique pas.

Ou quand on ne l'implique pas par omission. Il termine son cocktail et sent qu'il commence à avoir envie de boire quelque chose de plus fort. Pour se distraire, il récupère le sucre du verre sur le bout de son doigt et le porte à sa bouche, comme il l'a fait plus tôt. Raj suit son geste des yeux avec un petit rire.

— Mince, j'imagine que j'ai plus aucune chance avec toi, alors...

— Non, désolé.

Magnus sourit à nouveau. D'accord, Raj n'est peut-être pas son style mais il est amusant. Et c'est facile de discuter avec lui, mais c'est presque obligatoire quand on est barman. Il lui demande un autre verre, sans alcool toujours, en essayant d'être encore raisonnable.

— J'ai été trop direct ? Demande Raj, face au silence de son client.

— Non, ton intérêt était plutôt clair, répond Magnus avec un petit sourire.

— Ouch. Moi qui me pensais subtil ! Je devrais peut-être me calmer ou je vais me faire taper sur les doigts par mon copain.

— Il est là ? Et ça ne te fait rien de draguer s'il peut te voir ?

Magnus n'est pas vraiment jaloux, mais il doit bien avouer que s'il voyait sa moitié flirter avec d'autres, ça l'ennuierait. Décidément, ce genre de relation est au-delà de sa compréhension.

— Oui il est là, mais je pensais plutôt à ses amis. Il me les a présentés ce soir et... je ne sais pas s'il leur a dit où on en est.

Présenté. Ce soir. Le cœur de Magnus se serre et une pensée étrange lui traverse l'esprit. Mais c'est peut-être seulement une coïncidence. New York est une grande ville, très grande. Et il sait, de source sûre, qu'ils passent leurs samedis au bar du père de Clary. Au moins un sur deux.

— Mais il n'est vraiment pas jaloux, alors ça ne pose pas de problème.

Magnus retient un soupir de soulagement. Pas jaloux ? C'est impossible que ce soit Alec, alors. Il se souvient trop bien des crises de colère que son ex a pu lui faire quand il discutait avec des femmes, sans aucune arrière pensée. Et qu'ils n'étaient même pas ensemble. Alors voir son mec flirter sous ses yeux ? Même en relation libre, il n'imagine pas qu'il puisse être serein.

Le barman s'éloigne encore, accaparé par ses clients, et Magnus boit tranquillement son verre. Il regarde Raj flirter un peu avec les hommes et les femmes. Cela l'amuse, quelque part ça lui rappelle lui-même, quand il travaillait dans un bar il y a quelques années. Avant que tout ne dégénère, bien sûr. Et que, d'un flirt relativement innocent, il passe à... autre chose.

Quand Raj revient, il dépose un nouveau verre devant Magnus qui lève un regard interrogateur. Le barman lui désigne un homme, plus loin.

— Il t'offre un verre. Je crois qu'il n'a pas encore vu que tu n'as d'yeux que pour moi ce soir.

La remarque fait rire Magnus qui repousse le verre. À la couleur, c'est sans doute du whisky, il ne doit pas boire ça. Raj le prend et avale d'une traite la faible dose avant de lancer un regard à l'autre client. Mécontent, l'homme s'en va. Raj s'apprête à demander à Magnus pourquoi il est si mal à l'aise quand son regard est attiré derrière l'indonésien.

— Oh, Alec !

Magnus se fige à l'entente de ce nom. Cette fois, certain que ça ne peut pas n'être qu'une coïncidence. Le destin ne peut pas être à ce point joueur. Il tourne la tête quand son ex vient s'accouder au comptoir, juste à côté de lui. Sans se rendre compte de la tension qu'il y a entre son client et son petit-ami, Raj continue :

— Je te présente mon copain, Alec.

Les yeux noisette viennent rencontrer le regard chocolat. Magnus essaie toujours de mettre en relation tout ce que Raj lui a dit. Alec, pas jaloux ? Non, il a vraiment du mal à le croire. Il le connaît. Enfin, le connaissait. Mais c'est le genre de trait qu'on ne peut pas faire disparaître.

— Bonsoir, Magnus.

Son visage ne trahit rien, mais sa voix est chargée de colère et Magnus sent un étrange frisson grimper le long de son échine.

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