Chapitre 9

Je n'avais aucune intention de me rendre à la soirée du nouvel an. Je ne me sentais pas prête à faire la fête sans Sophia, encore moins à m'amuser alors que Mégane et Eliott sont encore bouleversés par les récents événements. Je comptais rester auprès d'eux, me contenter d'une soirée simple durant laquelle j'aurais pu prendre soin de ceux que j'aime. Mais une nouvelle fois, mon monde a volé en éclats.

Les révélations de Chase ont tourné en boucle dans ma tête toute la nuit et ce matin, j'ai finalement contacté Armand pour le prévenir que je serai de la partie. Ce n'est sûrement pas une bonne idée mais maintenant que je suis là, devant la porte, je ne peux plus faire demi-tour. Ma vie n'a jamais été simple mais depuis le décès de Sophia, tout part à la dérive. Et puisque je ne sais pas ce que les prochains jours me réservent, autant profiter de ces dernières heures de calme.

Un groupe de jeunes me bousculent dans l'allée, me dépassent et ouvrent la porte pour s'engouffrer dans la maison. Je fais abstraction des souvenirs qui affluent dans ma tête et leur emboîte le pas. Il y a exactement un an, j'entrais dans ce même endroit, entourée de mes amis, et si rien ne semble avoir changé ici, en réalité, tout a basculé. Rien ne sera plus jamais comme avant et c'est encore difficile à encaisser.

Je me fraie un chemin et déambule entre les corps qui bougent en rythme sur la piste de danse. Je jette un coup d'œil autour de moi. Les lumières des spots m'éblouissent et je suis contrainte de plisser les yeux pour observer les alentours. Un peu plus loin, je repère les cheveux châtains de mon ami. Armand rit joyeusement, un verre à la main, entouré de ceux qui ont partagé mes trois premières années de fac. Mon cœur se serre douloureusement et je soupire. Venir ici n'était finalement pas une bonne idée mais je ne me sentais pas capable de passer une heure de plus dans la même pièce que Chase. Il n'a pas l'intention de s'en prendre à moi, ni à mes proches, alors je l'ai laissé avec eux, mais j'ai toujours autant de mal à accepter la vérité. Je suis dans le viseur de quelqu'un. Ça craint.

Je dois fixer le groupe d'Armand depuis un trop long moment car l'un de mes anciens amis relève la tête et nos regards se croisent. Le sourire de Clément se dissipe et il se fige une fraction de seconde. Son verre tombe sur le sol, attirant l'attention de tout le monde. Puis tous les yeux convergent dans ma direction et je suis pétrifiée sur place. Seul Armand sourit franchement et il s'empresse de me rejoindre et de me prendre dans ses bras. Je suis incapable de lui rendre son étreinte.

- Salut ma belle.
- Salut...

Je doute qu'il m'ait entendue mais il ne s'en formalise pas. Il glisse sa main libre dans la mienne et m'embrasse sur la tempe.

- Ne fais pas cette tête, ils ne vont pas te bouffer, m'assure-t-il en criant par-dessus la musique.
- Ils doivent me détester.
- Non, Harmonie. Personne ne t'a jamais détesté, je te le promets. Ils sont simplement surpris de te voir. Je ne les avais pas prévenus parce que je ne savais pas si tu allais vraiment venir.

Il pose une main au creux de mes reins et m'incite à avancer en direction du petit groupe. Mes jambes refusent de coopérer et, perchée sur mes talons, je manque de peu la chute. Je retrouve mon équilibre et prends mon courage à deux mains. Je suis venue, je savais que je croiserais mes amis, je ne peux pas les ignorer. De toute façon, qu'ai-je à perdre de plus ? Ma vie n'a déjà plus aucun sens, que peut-il encore m'arriver ?

Lucie et Élodie m'accueillent avec un mince sourire. Aucun doute sur le fait qu'elles m'en veulent d'être partie sans prévenir et d'avoir bloqué leurs numéros de téléphone. Et comment pourrais-je le leur reprocher ? Je n'aurais peut-être même pas esquissé le moindre sourire si nos situations avaient été inversées. Elles prétextent vouloir remplir leurs verres et s'éclipsent presque aussitôt, ce qui nous évite une conversation gênante. Armand tente de les rattraper mais je l'en empêche en posant une main sur son bras.

- Laisse tomber. Elles ne me détestent pas mais elles m'en veulent, pas vrai ?

Il passe nerveusement une main dans ses cheveux et détourne le regard. Il n'a pas envie de me mentir mais il aimerait me protéger de la vérité, lui aussi. Quelqu'un se montrera-t-il honnête envers moi un jour ? Pourquoi tous mes amis me considèrent-ils comme une petite chose fragile, incapable d'encaisser la réalité qui n'est parfois pas à la hauteur de ce que j'espérais ?

- Tout va bien, le rassuré-je. Ce n'est pas grave.

Je me tourne vers les garçons et leur réaction est bien différente. Martin, le grand frère d'Armand, me fait une rapide accolade et son sourire paraît bien plus sincère.

- Je suis content de te revoir. On se reparle tout à l'heure ? On a sûrement plein de choses à se raconter.

Je hoche la tête et il s'éloigne pour retrouver les filles. Lui non plus ne me déteste pas mais de toute évidence, il a besoin d'un moment pour se faire à l'idée que je suis revenue dans les parages.

Je me tourne vers le seul qui n'a pas encore décroché le moindre mot, le seul qui n'a pas pris ses jambes à son cou. Clément m'observe. Ses iris gris sont chaleureux, bienveillants et remplis de soulagement. Il recoiffe ses cheveux blond miel d'un geste de la main avant de m'attraper par le poignet. Il m'attire contre lui et resserre ses bras autour de mon corps. Fort. Trop fort. Mais cet élan d'affection pourrait me faire fondre en larmes.

- Je m'attendais tellement pas à te voir. T'es revenue pour Matthieu ?
- Oui...
- Viens avec moi, il faut qu'on rattrape le temps perdu pendant que tu es dans le coin.

Je le laisse m'entraîner avec lui vers la cuisine. Je me retourne rapidement vers Armand pour lui adresser un sourire d'excuse et il m'accorde un signe approbateur de la tête. Clément nous sert deux verres et m'en tend un. Je fixe longuement le contenu ambré de mon verre, partagée entre l'envie d'oublier mes problèmes et celle de garder le contrôle de la soirée. J'ai trop avancé ces derniers mois pour faire un retour aussi rapide en arrière. Ça ne m'avait pas manqué parce que je ne m'approchais pas des bouteilles. Maintenant que j'ai cette boisson entre mes mains, je sais que si je trempe mes lèvres dans ce gobelet, je ne serai plus en mesure de m'arrêter. J'ai lutté contre ma peur de perdre à nouveau un de mes proches, j'ai décidé de ne plus boire pour ne plus mettre qui que ce soit en danger, je ne peux pas rebrousser chemin maintenant. J'ai tenu des mois entiers, je ne dois pas tout foutre en l'air à cause de Chase. Je repose mon verre en soupirant.

- Je déteste ce regard, Harmonie.

Je relève la tête et mes yeux s'ancrent aux siens. Il avale une longue gorgée de sa boisson sans me quitter du regard et des souvenirs charnels de nous deux me reviennent en mémoire. Je sens mes joues s'empourprer et je dissimule ma gêne en me concentrant sur la conversation. Ce n'est vraiment pas le bon moment pour me remémorer nos parties de jambes en l'air sous les draps.

- Lequel ?
- Celui qui dit « je vais super mal en ce moment ».
- Je suis un peu chamboulée par mon retour, c'est tout.

Je vois bien qu'il ne me croit pas, mais il se contente de mon mensonge et me fait signe de le suivre. Il me redonne mon verre avant de s'éclipser dans un coin un peu plus tranquille. Durant de longues minutes, nous discutons de nos vies. Je lui raconte la mienne, je lui parle de New Paltz et de mon quotidien là-bas. Je lui confie aussi quelques infos sur mon retour en France puis c'est à son tour de s'étendre sur tout ce que j'ai raté. Il évoque ses études, très brièvement sa famille et, à ma demande, il m'explique comment se sont passées les semaines et les mois qui ont suivi mon départ.
J'apprends que le petit groupe ne s'est pas séparé, malgré les quelques disputes engendrées par ma fuite. Armand a tout de suite pris ma défense, assurant aux autres que si j'étais partie, c'est que je devais en avoir besoin. D'autres, en revanche, n'ont pas apprécié que je coupe tout contact avec eux. Je ne doute pas que ce soit le cas de Lucie et Élodie, mais je ne cherche pas à en avoir la confirmation. J'avais le droit de partir. C'était mon choix. Aujourd'hui, elles ont le droit de m'en vouloir et je dois l'accepter. Je savais ce qui se passerait si je bloquais tout le monde. Il était évident qu'ils n'allaient pas m'accueillir les bras grands ouverts. Je suis encore surprise qu'Armand et Clément se montrent aussi gentils avec moi. Ni l'un, ni l'autre ne m'ont fait le moindre reproche et j'en suis touchée.

- Tu n'as pas l'intention de me dire ce qui ne va pas, n'est-ce pas ?
- Pas vraiment, soupiré-je, un sourire désolé aux lèvres.
- Tu n'as pas changé.
- Bien plus que tu ne le penses.

Son regard intrigué me rend un peu triste et nostalgique. Je réalise doucement que si je rêve secrètement de reprendre l'avion pour New Paltz, ce n'est en aucun cas pour fuir mon destin maudit en France. Ce n'est pas uniquement parce que, ici, tout me rappelle Sophia. Non. En réalité, j'aimerais retourner en Amérique pour la simple et bonne raison que je ne suis plus la même, que je ne serais plus jamais la même, et que seuls mes amis anglophones savent désormais qui je suis.

Je serai toujours un peu celle que j'étais ici. Je serai toujours cette enfant qui rêvait d'attirer l'attention de ses parents. Je serais toujours cette petite fille, en quête d'amour et d'approbation. Je serai toujours cette ado rebelle qui, étouffant sous les montagnes de règles, a choisi de défier l'autorité et de repousser les limites toujours plus loin. Je serai toujours cette jeune femme qui a décidé d'emprunter un chemin différent de celui imposé par ses parents. J'aime toujours autant enfiler de jolies robes, laisser tomber mes cheveux dans mon dos lors des soirées, chausser mes talons et sortir m'amuser. Je suis toujours animée par mon envie de devenir psychologue et par mon besoin de venir en aide aux autres. Je suis et serai toujours tout cela mais le décès de Sophia a causé une rupture. Dans l'accident, je n'ai pas seulement perdu ma meilleure amie, c'est une partie entière de moi qui est morte en même temps qu'elle.

Je ne serai plus jamais cette enfant qui pensait que dans la vie, il faut l'accord des autres pour avancer. Je ne serai plus jamais cette petite fille qui croyait que si ses parents ne lui donnaient pas d'amour, c'était uniquement de sa faute. Je ne serai plus jamais cette ado qui criait constamment pour se faire entendre. Je ne serai plus jamais cette jeune femme qui passait ses soirées à boire et à coucher avec un mec différent chaque soir. Non pas parce que je le regrette, mais parce qu'il faut faire un choix. Je ne veux plus être celle qui ne décroche pas son téléphone. Je veux être celle qui veille sur les autres, quoi qu'il arrive. Je veux être une meilleure version de moi-même.

Non. Je ne serai plus jamais la même. Comment le pourrais-je ? Son décès a fait vriller mon monde. Ma vie a été bouleversée et sans aucune once d'hésitation, je préfère celle que je suis devenue en Amérique.

- Eh bien... Si tu ne veux pas parler, noyer sa tristesse dans l'alcool, c'est vraiment une bonne stratégie pour passer une bonne soirée.
- Merci mais je préfère aller danser.
- Je t'accompagne.
- Comme avant ?
- Comme avant, acquiesce-t-il.

Il me sourit et nous retrouvons la pièce principale. La musique résonne à fond dans la maison et je ferme un instant les yeux, me remémorant ce que j'ai vécu ici.
Dans quelques heures, nous changerons d'année et tout ce que j'espère, c'est qu'elle sera bien meilleure pour moi.

Clément attrape mes mains et me tire au milieu de la piste de danse. Il a certainement consommé quelques verres avant mon arrivée mais pour le moment, il semble aussi sobre que moi. Nous nous balançons l'un à côté de l'autre. Quelques centimètres séparent nos corps et j'ai peur de flancher si je me rapproche. Clément et moi étions très proches avant mon départ. Je ne l'ai jamais considéré comme un sex-friend, nous n'avons couché ensemble que trois fois mais je crois que c'était déjà trop. Je m'en souviens encore comme si c'était hier. Ce n'était jamais prévu, jamais forcé. Entre nous, tout a toujours été simple et naturel. Nous suivions toujours nos envies et nos désirs sans nous poser la moindre question. C'était grisant, même si nous savions que cela pourrait avoir des conséquences sur notre amitié. Mais ce n'est pas le moment de détruire les murs que j'ai érigés. Je dois me tenir loin de lui.

- Je ne sais pas ce qui te tracasse mais ce n'est pas en essayant d'avoir le contrôle sur cette soirée que tu vas pouvoir t'amuser, déclare-t-il en glissant une mèche de mes cheveux derrière mon oreille.

Son simple contact me fait frissonner. Il agite son gobelet devant mes yeux, juste pour me rappeler qu'il y a quelques mois, nous jouions à de nombreux jeux d'alcool sans nous poser la moindre question, et face à la tentation, chacune de mes barrières tombe une à une. Il ne comprend pas, mais comment le pourrait-il ? Il n'a connu qu'une seule version de moi, celle qui n'hésitait pas.

- Tu sais que ça ne va pas te tuer, hein ?

Me tuer. Je prends une longue inspiration et essaye d'empêcher Chase de s'insinuer dans ma tête, en vain. Je revois son regard blessé lorsque je lui ai hurlé à la figure tout ce qu'il ne voulait pas entendre. Ses paroles se mettent à tourner en boucle, chacun des mots qu'il a prononcés s'inscrit sur les murs devant moi. Ce mec joue à la roulette russe pour tuer des gens et moi, je suis dans le viseur d'un des types qui lui donne des ordres. Je lui ai tendu la main et, semblable à un boomerang, ma gentillesse m'est revenue en pleine face. Tout ce que je me suis efforcée de construire ces derniers temps s'est enflammé en un rien de temps. Une simple étincelle qui a embrasé toute ma vie, la réduisant en cendres. Je n'ai plus rien à quoi me raccrocher. Je suis en train de tomber si bas que jamais je ne parviendrai à me relever.

Juste un verre. Ça ne me fera pas de mal.
Mais si je retombe dans mes travers, est-ce que je recommencerai plus tard ?
Et puis merde.

Je prends le gobelet des mains de Clément et le vide sans réfléchir. La boisson me brûle la gorge, puis l'estomac, et j'ai soudainement bien plus chaud qu'en arrivant. Je m'éclipse une seconde, juste le temps de remplir son verre et un second, pour moi, et je le retrouve sur la piste de danse.

Un verre et je le regrette déjà amèrement.

Deux verres et je commence à me détendre.

Puis trois, quatre et je perds le fil de mes pensées.

Cinq. J'oublie Chase, son jeu de hasard, tous ces gens qui ont perdu la vie à cause de lui et le danger imminent qui risquerait bien de mettre un terme à la mienne.

Six et... Je perds le compte.

Mes pensées s'embrouillent. Ma tristesse et ma nervosité se dissipent. Je souris, je ris, je vis. J'oublie tout, de mon prénom au lieu dans lequel je me trouve, en passant par toutes les règles que je m'étais fixées. Seule la musique parvient encore à s'immiscer dans ma tête et je bouge sans me soucier des regards et des gens qui m'entourent. J'ai bien trop bu pour avoir conscience de ce que je fais, mais pas encore suffisamment pour que mon monde se mette à tanguer. Clément m'observe, amusé. Je crois qu'il a arrêté de boire avant moi. Ses mains trouvent refuge dans mes cheveux, nos regards se cherchent puis se rencontrent et j'y lis tout son désir. Ou peut-être est-ce le reflet du mien ?

- Pourquoi on fait encore semblant ? chuchote-t-il au creux de mon oreille.

Je me sens tellement bien entre ses bras que je ne parviens plus à m'éloigner. Au contraire, je suis attirée par lui et avant que je ne réalise réellement ce que je fais, mes lèvres sont déjà posées sur les siennes. Enivrées, nos langues se retrouvent et entament un ballet sensuel. Avides, mes doigts courent le long de sa chemise blanche. Je joue avec les boutons jusqu'à atteindre sa ceinture. Alcool, désir, je me noie dans l'ivresse et vacille, manquant de peu une nouvelle chute. Clément me retient par la taille, puis ses mains glissent le long de mes cuisses et il joue avec l'ourlet de ma robe.

- On monte ?
- Hum mmmh...

Je saute et enroule mes jambes autour de sa taille. Mes doigts se perdent dans ses cheveux et, sans lâcher mes lèvres, Clément entame l'ascension des escaliers.
Arrivés à l'étage, nous ouvrons la première porte et nous pénétrons dans la salle de bain, vide. Il ferme à clé et je souris. Nos gestes sont brouillons, impatients. J'ai le sentiment de faire un bon dans le passé. J'ai fait ça des dizaines de fois mais je n'ai jamais eu l'impression d'être aussi désespérée. Je m'accroche à Clément comme à une bouée de sauvetage. Mes ongles griffent son dos comme si je cherchais quelque chose à quoi me rattraper.

Nos vêtements s'échouent sur le carrelage de la pièce. Nos lèvres ne se quittent plus. Nos souffles se mélangent. Nos corps se redécouvrent et son premier coup de bassin fait disjoncter mon cerveau. Je ne me suis pas sentie aussi apaisée depuis des mois. Je retrouve mon insouciance. Tout semble être redevenu comme avant. C'est comme si je n'étais jamais partie, comme si rien n'avait vraiment changé.

Mais la réalité, c'est que tout est désormais différent. Et je le sais parce que pour la première fois, sous son corps, le mien n'a pas tremblé.

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Hello ! 👋🏻
Comment allez-vous ?
Encore désolée de ne pas avoir posté hier mais je suis là et un peu plus en forme.

La soirée du nouvel an du PDV d'Harmonie me semblait être essentiel ! Elle a lutté mais la tentation était trop forte... Pensez-vous qu'elle regrettera cette soirée ? Et comment va-t-elle se terminer ? 🤷🏻‍♀

Rendez-vous ce week-end pour le savoir ! (avec un nouveau PDV de Chase) 👀💙
Bonne semaine ! 😘

Instagram : mllejustine28_

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