Chapitre 30

J'ai du mal à croire qu'une semaine s'est déjà écoulée depuis la prise d'otage. Une semaine que je prépare mon départ, que je m'assure que tout est en règle avant de rentrer chez moi, en Australie.

Après quelques heures passées à l'hôpital, Harmonie a pu retrouver le cours normal de sa vie. Nous ne nous sommes pas beaucoup vus ces derniers jours. Il faut dire que j'ai été très occupé par mon départ et je sais qu'Ethan prend soin de sa petite amie. Depuis que son appartement a été détruit sous l'assaut du FBI, Harmonie et lui logent chez un ami du jeune homme en attendant de remettre sur pied leur salon.
Ethan a eu si peur qu'il ne la quitte plus des yeux. Il est là pour elle, bien plus que je ne l'ai été, et je suis content pour mon amie. Elle mérite d'être heureuse, d'enfin vivre son rêve américain comme elle l'avait imaginé.

Je vais pouvoir partir l'esprit tranquille. Tout le monde va bien. Physiquement, du moins. Parce que je n'ai aucun doute sur l'impact psychologique que les derniers jours ont dû avoir sur eux. J'espère qu'ils arriveront à oublier toutes ces horreurs, y compris Joe qui est sorti de son coma, à mon plus grand soulagement.

Nos amis suivaient les informations, inquiets à l'idée que la prise d'otage ne vire au drame, et à l'instant où Tom a été menotté, mon meilleur ami a ouvert les yeux. C'était une étrange coïncidence. C'est comme s'il avait attendu d'être en sécurité pour revenir parmi nous. Mon pote m'avait manqué.

Il a eu le droit de quitter l'hôpital ce matin et depuis, il est confortablement installé dans le canapé du salon. Chaque fois qu'il a besoin de quelque chose, il agite une petite clochette que les garçons ont achetée spécialement pour lui. En toute honnêteté, Joe en abuse mais nous sommes tous tellement heureux de le retrouver que nous nous plions en quatre pour satisfaire ses demandes.
Je suis soulagé qu'il aille bien, qu'il s'en sorte avec quelques cicatrices. De nombreuses séances de rééducation l'attendent, certes, mais il est en vie et c'est le plus important. Je me serais senti terriblement coupable de quitter New Paltz en le sachant encore dans ce lit d'hôpital.

J'attrape une pile de vêtements dans l'armoire et la dépose dans ma valise. Au même moment, quelqu'un sonne à la porte. Je tends l'oreille, curieux. La voix de James résonne dans les escaliers. Quelques mots à peine avant que la porte ne claque. Des journalistes, encore et encore.

Ils essayent de savoir pourquoi Tom s'en est pris à notre groupe d'amis. La double fusillade et la prise d'otage, désormais, le pays entier sait que ces histoires sont liées. Depuis que Joe est sorti de l'hôpital, ils veulent son témoignage. Le sien, alors qu'il est le plus naïf de notre bande. Il ne sait toujours rien et c'est mieux ainsi.

Une semaine s'est écoulée et pourtant, l'effervescence autour de l'affaire Tom Colman n'est pas encore retombée. Je ne m'inquiète plus, je sais qu'il va séjourner en prison durant de très longues décennies. J'ai tout balancé, son bureau a été fouillé et grâce aux contrats, ceux qui travaillaient pour lui sont en train de tomber avec leur boss. Le mien a été détruit. C'était le deal avec le FBI. En échange de mes informations, toutes les preuves contre moi sont parties en fumée. Je ne veux plus jamais avoir à affaire de près ou de loin à des personnes comme Tom. Je me suis débarrassé de mes armes, des vêtements de rechange et de camouflage qui traînaient dans le coffre de ma voiture et de tout ce qui me rappelait les meurtres que j'ai commis.

Je veux faire disparaître le côté sombre de ma personnalité. Je veux être quelqu'un de bien. Je veux que ma famille se sente en sécurité, que ma sœur grandisse sereinement, que ma mère n'ait plus besoin de prier chaque soir pour que son fils ne subisse pas le même funeste destin que son mari. Je me dois de leur apporter la stabilité qu'elles n'ont jamais eue et dont elles ont tant besoin.

Je veux être un meilleur grand-frère.
Je veux être un meilleur fils.

Et c'est pour cela que je dois quitter New Paltz et tout ce que j'ai construit ici. De belles amitiés, mes études et mes projets d'avenir. Je savais que ce contrat passé avec Tom ne me permettrait pas de décrocher les diplômes dont je rêvais tant. C'était tout tracé, mais j'y ai quand même cru. Ce n'est qu'une déception de plus. La dernière, je l'espère.

- Chase ! Mec, descends ! Les filles vont arriver ! braille Joe depuis le salon.
- J'arrive !

Pour fêter le retour de Joe, nous avons organisé une soirée en petit comité, juste entre nous. J'étais réticent, je voulais que mon pote se repose, mais il a insisté et finalement, c'est peut-être la dernière fois que je les verrai tous en même temps. Qui sait si je reviendrai en Amérique un jour.

Je termine de vider mon armoire. Une partie de mes affaires est déjà dans ma voiture. J'avais récupéré quelques vêtements lorsque James m'avait mis à la porte. Je ne pouvais pas partir en laissant tout le reste ici, dans cette maison qui habite d'innombrables souvenirs.

Je laisse ma valise en plan et rejoins le salon au moment où Lexie, Harmonie et Ethan arrivent, les bras chargés de boissons et de biscuits apéritifs. Je prends rapidement les filles dans mes bras avant de serrer la main d'Ethan. Je ne sais pas comment il fait pour me sourire aussi sincèrement. Je suis presque persuadé qu'au fond de lui, il rêve de m'enterrer dix pieds sous terre afin que je cesse d'interférer dans sa vie. Il y en a au moins un qui sera ravi de mon départ !

- Ma Harleyyyyy ! Tu m'as trop manqué ! s'enthousiasme Joe en voyant Harmonie s'approcher de lui.
- Je suis passée il y a deux jours.
- Ha... ? C'est vrai. J'ai des problèmes de mémoire depuis mon coma, je crois.
- Bien sûr, rit-elle en lui faisant un câlin.

Il se met à agiter sa clochette dans tous les sens, visiblement très heureux d'avoir de l'animation autour de lui. Tout le monde se bouche les oreilles et Lexie s'empresse de la lui prendre des mains.

- Hé ! C'est à moi, ça ! râle-t-il.
- Je te la rendrai quand je partirai, sourit Lexie, fière d'elle.

Joe croise les bras et se met à bouder. Tout le monde rigole et je souris en observant la scène qui me fait face. Adrian discute joyeusement avec Ethan, James et Lexie remplissent les bols de biscuits, Harmonie s'est assise à côté de Joe et Agustin s'affaire à préparer les boissons.
Que demander de mieux ?

Tout semble être redevenu comme avant. Ne manquent que Linh et Maï Ly. Le décès de l'une et le chagrin de l'autre resteront un poids énorme sur mes épaules. Je ne pourrai jamais me pardonner, ni oublier, ni passer à autre chose, mais je dois continuer à avancer. Pour moi et ma famille.

Je rejoins mes amis et la soirée se déroule dans la bonne humeur. Nous nous amusons, nous mettons de la musique et Joe départage les chorégraphies de ceux qui se sont improvisés danseurs.
Je passe un bon moment. Peut-être le dernier ici. Le dernier en leur compagnie.

Mon cœur se serre douloureusement, à tel point que je pose une main sur ma poitrine et ferme les yeux un instant. Au fond de moi, je n'ai pas vraiment envie de partir. Quitter mes colocs et mes proches est bien plus dur que je ne l'aurais pensé. Je déteste ce que je ressens, cette douleur lancinante et cette soudaine envie de fondre en larmes.
Je n'en ai pas envie, mais j'en ai besoin. Je dois partir.

Les heures défilent à vive allure et je profite qu'ils soient tous occupés pour m'éclipser. Mon avion décolle dans la nuit, je dois boucler mes bagages et prendre la route. L'aéroport est à New York, je ne peux pas prendre le risque d'être en retard et de rater mon vol.

Je retourne dans ma chambre et jette un coup d'œil à ma commode. Vide, comme mon armoire et mon bureau. J'ai fait un tri de tout ce qui traînait dessus. Des papiers sans importance le recouvraient presque entièrement, certains datant même de mon arrivée. Je n'ai jamais été très organisé lorsqu'il s'agit de documents.

Je fais un détour par la salle de bain afin de récupérer mes dernières affaires et je ferme ma valise. Je tourne sur moi-même pour observer les murs de ma chambre. Je n'emporterai rien, les gars n'auront qu'à jeter tout ce qui s'y trouve, à l'exception du pêle-mêle de photos. Une par une, je les décroche. Je veux garder des souvenirs des merveilleux moments que j'ai passés ici.
Je retire les punaises lorsque trois coups sont frappés contre ma porte.

- Chase ? C'est Harmonie, je peux entrer ?
- Bien sûr.

Je me retourne quand elle ouvre. Son regard se pose immédiatement sur la valise sur mon lit, puis sur les photos entre mes mains, avant de trouver mon visage.
Elle referme la porte derrière elle, les sourcils froncés.

- Qu'est-ce que tu fais ? demande-t-elle, un peu sur la réserve.
- Je pars.

Elle s'appuie contre le mur derrière elle, comme si la nouvelle était si difficile à encaisser qu'elle en avait perdu son équilibre. Bordel, elle ne va quand même pas faire ça, si ? Je ne veux pas d'une telle réaction. C'est déjà suffisamment compliqué pour moi de tirer un trait sur New Paltz, je refuse qu'elle rende ce moment encore plus dur.

- Tu pars ? Mais où ça ?
- Je rentre en Australie, auprès de ma famille, confié-je, le sourire aux lèvres en pensant à Jenny qui m'attend sûrement avec impatience.
- D'accord. Et tu comptais nous le dire quand ?

Je hausse les épaules et lui tourne le dos pour décrocher les dernières photos du mur. Je rouvre ma valise pour les déposer au-dessus de mes vêtements.

- Tu n'avais pas l'intention d'en parler, comprend-elle. Ton avion décolle quand ?
- Dans quelques heures.

Je pousse la valise pour m'asseoir sur le lit et lui fais signe de me rejoindre. Elle soupire en s'installant à mes côtés avant de laisser tomber sa tête sur mon épaule.

- J'aurais détesté te chercher toute la soirée, m'inquiéter pour toi et finalement réaliser que tu étais monté dans un avion sans me dire au revoir.
- Je suis désolé.

C'est la seule chose que je suis capable de lui dire. Parce qu'elle a raison, c'est sûrement ce qui ce serait passé et je m'en serais peut-être voulu de ne pas l'avoir prévenue.
Je l'embrasse sur la tempe avant de me relever. Il faut que je file avant que les autres ne remarquent mon absence.

- Je dois y aller, soufflé-je en attrapant ma valise.
- Attends ! Tu ne peux pas partir comme ça, sans prévenir les autres.
- Si je les préviens, ils me demanderont des explications. Ça va durer des heures, des jours peut-être. Mon avion ne m'attendra pas.
- Ils sont tes amis, me réprimande-t-elle.

Je repousse la mèche rebelle qui lui tombe devant les yeux avant de serrer ses mains dans les miennes. Pas question que nous nous quittions sur des reproches. Ce n'est pas digne de notre relation et de tout ce que nous avons partagé. Je veux qu'elle ne garde que les bons souvenirs. J'espère sincèrement que ces dernières semaines ne prédomineront pas dans son esprit.

J'aimerais qu'elle se souvienne de notre rencontre, de la danse que nous avions partagée.
J'aimerais qu'elle se souvienne des longues heures que j'ai passées à la draguer.
J'aimerais qu'elle se souvienne de nos moments de complicité, de ceux durant lesquels nous nous sommes confiés l'un à l'autre. De cette soirée à la plage, des câlins sous les draps, de notre journée au golf, de notre bataille de boules de neige. Je veux qu'elle se souvienne de tout cela, de tout ce qui fait qu'elle est devenue si précieuse à mes yeux.

- Tu sais aussi bien que moi ce que c'est que de faire ce choix, tu l'as fait aussi en quittant Paris. Si je passe mon temps à expliquer pourquoi je pars...
- C'est que tu n'es pas sûr d'avoir le droit de le faire, me coupe-t-elle, un triste sourire au coin des lèvres. Je sais, Chase.

Sans attendre, elle passe ses bras autour de ma taille et cale sa tête dans le creux de mon cou. D'abord surpris, je me fige quelques instants avant de lui rendre son étreinte.

- Je sais à quel point cette décision n'est pas facile à prendre et que tu le fais pour toi, pour ton bien. Je suis fière de toi, même si je suis triste que tu t'en ailles. Tu vas me manquer, chuchote-t-elle.
- Toi aussi, ma belle.

Elle s'écarte doucement et essuie la larme solitaire qui a trouvé le chemin de sa joue. Elle attrape le sac à côté du lit et je récupère ma valise.

Dans le silence, et avec discrétion, nous descendons les escaliers. Une fois dans le hall, je m'empresse de récupérer mon manteau et je sors en compagnie de mon amie.
En deux temps trois mouvements, mes dernières affaires ont rejoint le coffre et après une ultime accolade, je monte au volant de ma voiture.

Je suis prêt. Prêt à partir.

- Hé Chase ! crie Harmonie en frappant contre ma vitre tandis que je m'apprête à démarrer.

Je la baisse et le vent glacial s'engouffre dans ma caisse. Ses cheveux blonds virevoltent et lui barrent la vue. Elle écarte les mèches qui la gênent et se penche sur la portière pour me voir.

- Tu ne m'as jamais dit ce qui était arrivé à ton père.

Je hausse un sourcil, surpris. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle évoque le décès de mon père maintenant, alors que je suis sur le point de disparaître de sa vie. Je ne peux m'empêcher de sourire, amusé. Elle a toujours été comme ça : curieuse. Elle ne lâche rien, jusqu'à la dernière seconde. Cette fille est incroyable.

- C'est vrai, acquiescé-je. Mais je n'ai pas vraiment envie que nous nous quittions sur une telle conversation.
- Alors je ne le saurai jamais ?

Je hausse les épaules avant de planter mon regard dans le sien.

- Ça nous donnera une bonne raison de nous revoir, non ?

Elle me sourit avant de déposer un baiser sur ma joue.

- Prends soin de toi, souffle-t-elle.
- Toi aussi. Et dit aux autres que je les aime, ok ?

Elle hoche la tête, s'écarte de la voiture et enfonce ses mains dans ses poches, puis je referme la vitre. Je démarre et, le cœur lourd, je m'éloigne de la maison dans laquelle j'ai vécu ces dernières années. Dans le rétroviseur, j'aperçois la silhouette d'Harmonie. Son joli visage qui m'a tout de suite attiré, ses cheveux blonds brillants sous la lumière des réverbères et ses courbes que j'ai eu la chance de découvrir.

Ma jolie blonde va me manquer, c'est indéniable.

Je connecte ma clé USB à la voiture, celle qu'elle m'avait offert à mon anniversaire, il y a quelques mois. Une musique française explose dans les hauts-parleurs et, le sourire aux lèvres, je roule en direction de l'aéroport, prêt à démarrer une nouvelle vie.

Mais je suis loin de me douter que mes démons n'ont pas disparu en même temps que Tom.

À suivre...

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