Chapitre 28
J'observe attentivement ceux qui ont pénétré dans le salon. Tom semble s'amuser de la situation
, un immense sourire étire ses lèvres et ses yeux pétillent d'impatience. Les trois hommes qui l'accompagnent, eux, ont le visage fermé et le regard menaçant. Tous ont sorti leurs armes respectives, prêts à me tirer dessus au moindre faux pas.
Dans un bruit strident, Tom tire une chaise au centre de la pièce et m'invite à m'y asseoir d'un geste de la main. Il n'attend pas que je lui obéisse, il en attrape déjà une seconde et la retourne pour s'installer dessus, face à celle que j'occuperai d'ici peu. Ai-je une autre option ? Si je ne fais pas ce qu'il veut, il n'hésitera pas à me tuer. Mais je ne fais que gagner du temps puisqu'il n'a pas l'intention de ressortir d'ici avant de me savoir morte. Mon sablier touche à sa fin. Je le sais et je crois que je l'ai déjà accepté. C'est ici que ma vie va se terminer.
À contrecœur, je me glisse sur la chaise en face de la sienne et soupire. J'ai encore du mal à réaliser tout ce qu'il m'arrive. Parfois, comme aujourd'hui, j'ai l'impression que ces derniers mois ne sont qu'un rêve, ou un cauchemar, je ne parviens même pas à me décider. C'est difficile de voir la vérité en face, de se prendre en pleine figure toutes ces désillusions.
New York était un objectif pour moi. Je n'étais même pas encore au lycée que j'avais annoncé que je partirai un jour. Je voulais faire ma vie ailleurs, étudier et travailler à l'étranger. C'était un rêve, je crois, un but que je pensais inatteignable. Puis tout s'est écroulé, mon quotidien a volé en éclats et chute après chute, ce rêve est devenu un besoin, une nécessité. Il fallait que je parte pour me reconstruire, pour oublier ma famille nocive, mon ex, ma meilleure amie et chacune de mes erreurs. Il le fallait alors je me suis battue. J'ai sacrifié tout ce que j'avais pour réussir.
New Paltz m'a tendu les bras. Une nouvelle vie s'offrait à moi.
Ce qui semblait inimaginable allait enfin se concrétiser.
L'abstrait devenait réalité.
Mais le rêve s'est transformé en cauchemar.
Tout cela n'était qu'un mirage. Je me suis laissée berner par son apparence séduisante, les strass, les paillettes et les lumières de la Grosse Pomme. Je n'y ai vu que du feu. Je me suis faite avoir.
Il aura suffi d'une soirée en boîte de nuit pour que tout parte en vrille. Je voulais devenir quelqu'un de bien, ne plus jouer avec le danger, ne plus risquer la vie de quiconque. J'étais prête à faire des concessions, à m'imposer des limites à ne plus franchir. J'aurais pu y arriver. J'aurais pu, mais à la place, je me suis engagée sur un terrain miné. J'ai rejoint quelqu'un sur un champ de bataille, j'ai voulu lui servir de bouclier, je me suis exposée au danger sans gilet pare-balles. J'ai pris des risques, j'ai même tenu une arme entre mes mains. Tom a voulu la guerre et sans s'en rendre compte, Chase a monté une armée de soldats pour se défendre et qui, un par un, prennent des coups et pire encore. Je suis la prochaine. Les coups de feux vont retentir une nouvelle fois et je serai, cette fois je l'espère, la dernière à tomber.
Je vais m'éteindre avant de savoir ce qui m'a réellement allumée. Quelle a été l'étincelle de l'explosion qui se profile à l'horizon ? Tout aurait pu être si différent si je n'avais pas fait ces choix. Lesquels n'étaient pas les bons ?
- Tu es bien silencieuse, souffle Tom, sceptique.
Je secoue doucement la tête, chassant toutes les erreurs que j'ai commises de mon esprit. À quoi bon regretter maintenant ? Il est trop tard pour cela.
- Je n'ai pas l'intention de vous supplier de me laisser tranquille, ni de promettre que je ne dirai rien, si c'est ce que vous attendiez de moi.
- Je sais... Tu es maligne, et tu as compris que tu ne t'en sortiras pas cette fois. J'admire ton sang-froid, j'aurais pu te proposer un contrat, je suis sûr que tu aurais été parfaite.
- Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?
Un sourire amusé étire le coin de ses lèvres et il passe sa main libre dans ses mèches grisonnantes. Il agite un revolver devant mes yeux et le fixe un moment avant de reporter son attention sur moi.
- Parce que tu es trop imprévisible, admet-il. Jamais je ne pourrai avoir confiance en toi, tu serais capable de te retourner contre moi, contrat ou pas.
Je me contente de hausser les épaules et pour toute réponse, je laisse le silence s'étirer dans la pièce. Je me garde bien de lui dire qu'il n'a pas tort. S'il m'avait engagée, j'aurais saisi la moindre opportunité pour le faire tomber. Je n'aurais pas eu la patience de Chase, c'est certain.
- Bien, je n'ai pas vraiment envie de m'éterniser ici alors, passons à ce qui nous intéresse, reprend Tom. Si mes souvenirs sont bons, Chase et toi n'avez pas terminé la partie de roulette russe que vous aviez débuté. Je t'ai apporté ce qu'il faut pour remédier à ce problème.
Il brandit fièrement l'arme qu'il tenait entre ses mains gantées avant de sortir une balle de sa poche.
J'aurais dû m'en douter. Chase m'avait prévenue. Tom n'aime pas le travail inachevé.
- Malheureusement, tu es toute seule cette fois alors tu vas devoir te contenter d'une variante de la roulette russe. Tu vas y jouer seule, comme une grande. Il y a six chambres à ce revolver, tu tires cinq fois. Si la balle est dans la dernière chambre, je te laisserai tranquille et j'envoie mes hommes descendre Chase.
- Donc c'est lui ou moi, quoi qu'il arrive.
- Exactement, acquiesce-t-il.
Je hoche la tête, consciente que c'est le hasard qui va décider de notre sort. Il y a très peu de chance pour que cette balle ne m'explose pas la cervelle. Je suis foutue et la seule personne à qui je pense à cet instant, c'est Ethan. Il sera sûrement le premier à découvrir mon corps étendu dans l'appartement. Cette image ne quittera peut-être jamais son esprit et juste pour cela, je me sens déjà coupable.
- Comme je suis bon joueur, je te laisse faire tourner le barillet. J'espère pour toi que Chase t'a donné ses petites techniques, ricane-t-il en me tendant l'arme.
Je serre les poings et fixe le revolver avec appréhension. J'ai accepté mon sort, certes, mais j'aurais préféré que l'on en finisse rapidement. Qu'il me tire dessus une bonne fois pour toutes.
- Quand tu seras morte, je ferai passer ça pour un suicide, comme Chase a l'habitude de le faire avec chacune de ses victimes. Il va s'en mordre les doigts. Ce garçon est vraiment brillant. Dommage que ses conneries se retournent contre lui. Il est bien le fils de son père.
- Pourquoi vous faites ça ? demandé-je soudainement, intriguée.
Un éclair de surprise traverse son regard, mais il est si furtif que je pourrais l'avoir imaginé.
- Pourquoi je fais quoi ?
- Pourquoi vous engagez des gens pour en tuer d'autres ? Comment vous en êtes arrivé là ?
- Pourquoi je te raconterai ça ? m'interroge-t-il, méfiant.
- Parce que je vais mourir pour votre plaisir, vous pourriez au moins assouvir ma curiosité.
Il laisse retomber son bras le long de son corps, gardant ainsi l'arme dans sa main. Il appuie ses avants-bras sur le dossier de la chaise et laisse échapper un soupir discret mais qu'il m'est impossible de manquer.
- Je t'ai sous-estimée, Harmonie. Sur le papier, tu n'étais qu'une personne de plus à éliminer, un obstacle sur ma route. Mais je dois admettre que tu es coriace.
- Je vais prendre ça pour un compliment alors... merci. J'avais tapé dans le mille, n'est-ce pas ?
Il relève la tête vers moi et plonge son regard dans le mien. Il n'a même pas besoin de parler, j'ai déjà la réponse à ma question. Ce que j'avais insinué dans l'espoir de le faire craquer pour nous tirer, Chase et moi, de la situation dans laquelle nous nous étions retrouvés était vrai. Tout n'était probablement pas l'exacte vérité, mais une bonne partie de mes suppositions en était très proche.
- J'ai grandi avec un père violent, dominateur, exigeant et éternel insatisfait. Il battait ma mère quand elle faisait ou disait quelque chose qui ne lui plaisait pas. Il passait son temps à lui faire des reproches, je ne sais même pas s'il l'a vraiment aimée un jour.
Il détourne le regard, gêné, et je retiens mon souffle face au paradoxe de la situation. Trois hommes sont prêts à me tirer dessus et devant moi, leur chef est en train de briser sa carapace.
- Ma mère savait que sa relation n'était pas saine mais mon père était un homme de pouvoir, il ne l'aurait pas laissé divorcer sans conséquence. Alors elle s'est tue, elle a encaissé les coups et elle a fait tout ce qu'elle a pu pour me protéger. Elle m'a donné de l'amour pour deux, elle m'a poussé à faire ce qui me plaisait, elle m'encourageait tout le temps. J'étais le centre de son monde, la raison pour laquelle elle continuait de se lever chaque jour. Et puis mon père s'est fait tuer.
Il fronce les sourcils et un long silence succède à son monologue. Je ne sais pas s'il réfléchit à la situation, à ce qu'il ressent, ou s'il revit ces événements. J'ai du mal à déchiffrer ses sentiments mais la colère qui émane de lui ne m'échappe pas.
- Il est mort avant que vous n'ayez eu le temps de le rendre fier, deviné-je.
- Il n'était jamais satisfait, il ne me prêtait aucune attention. Rien de ce que je faisais n'était assez bien pour lui. J'avais besoin de sa reconnaissance et un connard l'a tué avant que je ne l'obtienne. Alors j'ai engagé quelqu'un pour descendre ce type. Je me suis dit que si je faisais payer l'assassin de mon père, il serait reconnaissant et fier de moi.
- Mais ça n'a rien changé puisqu'il était déjà mort.
- Rien du tout. J'ai fait tuer tous ceux avec qui il avait eu des problèmes d'argent, des histoires de merde.
- Son absence prend beaucoup de place, soufflé-je, compatissante. Il n'est plus là mais il vous dicte toujours votre vie.
- Faut croire que ce n'est qu'un cercle vicieux.
Il joue nerveusement avec l'anneau argenté autour de son pouce et contre toute attente, je suis triste pour cet homme. Rien ne pourra jamais excuser tout ce qu'il a fait, mais il n'empêche que je comprends un peu mieux sa colère. Il cherche à rendre fier quelqu'un qui ne pourra jamais l'être. Pourtant, il continue à y croire. Chacune de ses décisions, chacun de ses actes est dicté par son paternel. Je n'ose pas imaginer à quel point ce poids doit peser lourd sur ses épaules au quotidien. En réalité, il n'a même pas le contrôle de sa propre vie.
- Voilà, c'est comme ça que tout a commencé. Tu voulais savoir, maintenant que c'est fait, revenons-en à nos moutons, déclare-t-il en reprenant un ton froid et maîtrisé.
Il a remis son masque de patron. Les confidences sont terminées et elles ne m'auront rien apporté de plus. Je suis condamnée et je commence doucement à réaliser que toutes les questions que je me posais à propos de la mort vont obtenir des réponses.
Déjà.
Trop tôt.
Trop jeune.
Tom me glisse l'arme de force entre les mains et la sensation du métal froid sous mes doigts réveille de mauvais souvenirs. Je ferme les yeux une fraction de seconde et je suis immédiatement projetée dans cette pièce froide, perdue au milieu du labyrinthe que nous avons parcouru à pied. La table, les chaises, l'ordinateur. Tout me revient en mémoire. Le début de la partie. Les détonations. Le film des derniers jours repasse en vitesse accéléré devant moi. L'hôpital, les pleurs, l'hommage. La douleur, les cris, les regrets.
Tout n'était qu'une question d'heures. Chase allait se dénoncer, il allait tout balancer. Mais c'est trop tard.
Trop tard pour moi.
Je prends une longue inspiration et, sans perdre une seconde de plus, je fais tourner le barillet du revolver. La première fois, Chase m'avait conseillé de compter jusqu'à trois, de ne pas réfléchir. C'est ce que je dois faire aujourd'hui, ne pas penser à ce qu'il va se passer, à ce que je m'apprête à faire, sinon, je ne serai plus capable d'appuyer sur la détente.
Le barillet tourne longuement jusqu'à se stabiliser. Le silence retombe et je regrette amèrement que Chase ne m'ait pas appris à jouer. Peut-être que, moi aussi, j'aurais pu savoir où se trouve la balle. Peut-être que j'aurais eu une chance.
Peut-être. Peut-être. Peut-être.
Une avalanche de suppositions sans intérêt.
Mon sort est scellé.
- Désolé de te bousculer mais je n'ai pas toute la soirée devant moi. Si tu pouvais commencer la partie, qu'on gagne un peu de temps, soupire Tom en faisant mine de regarder sa montre.
- Je vais mourir, laissez-moi au moins apprécier le moment, répliqué-je avec sarcasme.
Il esquisse un sourire amusé avant de quitter sa chaise pour la remettre à sa place. Il s'écarte de moi et croise les bras, attendant patiemment que je me lance.
J'ai gagné autant de temps que possible, je crois que j'avais gardé une once d'espoir. Plus on attendait, plus j'avais une chance de m'en tirer. J'ai cru que quelqu'un s'inquiéterait, qu'on me sortirait de là. Mais comment ? Personne ne sait ce qu'il se trame dans cet appartement. Je ne peux plus repousser le moment fatidique. Alors je lève le bras, pointe l'arme contre ma tempe.
Un.
Deux.
Trois.
Clic.
Soupir de soulagement.
- Et de un. Plus que quatre chances, chuchote Tom.
Angoisse.
Peur.
Comment Chase peut-il apprécier ce moment ? Celui où tout est sur le point de basculer, où la vie ne tient plus qu'à un fil. J'ai l'impression d'avoir déjà un pied dans le monde des morts. Je vais mourir, et c'est moi qui aurais appuyé sur la détente. Je ne ressens aucune satisfaction, aucun plaisir, aucune dose d'adrénaline. Rien. Juste de la peur.
Un.
Deux.
Trois.
Clic.
- Plus que trois...
Il prend un plaisir malsain à décompter les chances que j'ai de survivre. Plus vite j'en finirai, plus vite sa voix s'éteindra. Il va atteindre son but et cette situation m'agace plus qu'elle ne m'attriste. Le prochain tir sera peut-être le bon. Qui retrouvera mon corps en premier ? Quelqu'un ouvrira-t-il une enquête ou mon geste passera-t-il réellement pour un suicide ? Chase et Ethan se battront sûrement pour moi. J'ai confiance en eux. Ils ne laisseront personne couvrir Tom.
Un.
Deux.
Bip. Bip. Bip.
Je baisse mon arme, ouvre les yeux et tourne la tête vers Tom. Il extrait son téléphone de sa poche pour découvrir le nom de la personne qui vient de m'interrompre. Un immense sourire se dessine sur ses lèvres lorsqu'il décroche. Il met le haut-parleur et engage la conversation.
- Chase, fiston ! Tu tombes à pic ! Devine avec qui je suis ?
- Désolé de gâcher ton effet de surprise, je sais déjà où tu es et avec qui tu es.
La voix de Chase résonne dans l'appartement. Elle est calme et posée, mais une note d'inquiétude transparaît.
- Tu arrives au bon moment. Elle a déjà tiré deux fois, tu seras aux premières loges quand la balle percutera son crâne. Je peux allumer la caméra si tu veux. Je sais ô combien tu apprécies regarder ce qu'il se passe quand tu gagnes tes parties.
- Je suis en bas de l'immeuble, Tom.
- Je ne te savais pas aussi rapide. Tu veux monter pour lui dire au revoir peut-être ?
Le regard posé sur moi, il ricane comme si sa question était amusante. Je n'ose plus esquisser le moindre geste et j'attends patiemment la suite. Pourquoi Chase est-il ici ? Comment a-t-il su ? Et qu'attend-il pour me sortir de là ?
- Le FBI a fait évacuer tout le monde pendant que tu prenais ton temps pour savourer la situation. L'immeuble est encerclé, ils sont partout autour de toi : dans les escaliers et aux quatre coins du bâtiment. Si tu touches à un seul cheveu d'Harmonie, tu ne sortiras pas de cet appartement en vie. Ils sont prêts à négocier avec toi alors...
Tom met fin à l'appel avant que Chase ne termine sa phrase. À peine ai-je tourné la tête que trois armes se braquent sur moi et je déglutis.
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Hello ! 👋🏻
Comment allez-vous ?
Que va-t-il advenir d'Harmonie ? Va-t-elle s'en sortir ou... Tom va-t-il juste se servir d'elle pour partir avant de la tuer ?
Tom s'en sortira-t-il ? Et comment Chase a-t-il su ce qu'il se passait ? 👀
Désolée, je n'ai pas pris le temps de répondre aux commentaires sur le dernier chapitre mais je les ai tous lu ! Je ferai mieux cette fois. 🙏🏻
On se retrouve le week-end prochain ! 💙💜
Bon courage pour la semaine. 😘
Instagram : Mllejustine28_
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