97 || Warren
« Un malheur c'est une fange glacée, une boue noire,
une escarre de douleur qui nous oblige à faire un choix :
nous y soumettre ou la surmonter. »
Boris CYRULNIK.
Quelques heures plus tôt,
En rentrant de chez Maze, la première personne que je voulais voir n'était autre que ma fille. Je garai la voiture dans le hangar, pris le peu d'affaires que j'avais avec moi et redécouvris le Fief, presque heureux. J'étais bien mieux ici qu'à la Brigade Noire, même si j'appréciais aider les inspecteurs et les capitaines tels que Mazakeen.
Je me mis en route vers ma maison que je n'avais pas vue depuis quelques jours déjà et appréciai de nouveau l'ambiance de mon Fief, à celle de la ville. Le soleil n'était pas totalement caché aujourd'hui et j'appréciai ça. Je retrouvai ma maison et m'arrêtai dans le couloir qui donnait sur la cuisine et le salon, ainsi que la salle à manger. Je découvris encore une fois une portée de louveteaux en plein milieu du salon. Ces gamins n'avaient-ils donc aucun dortoir ?
J'aperçus les cheveux d'Ashika qui dépassait à peine de la couette. Si je regardai bien, je pouvais voir qu'elle était pressée contre le dos de Joshua, tandis qu'Hasna était pressée contre le torse de mon Krig-an. Dans le dos d'Ashika, il y avait Wolfgang qui dormait sur le ventre, la tête enfoncée dans son oreiller, ronflant doucement. Contre la tête d'Ashika, allongée dans l'autre sens, il y avait Ansara, qui se trouvait donc toujours ici. J'aurais dû la renvoyer depuis longtemps au Deity, mais il semblait qu'elle voulait rester un peu plus que prévu. Avait-elle noué une amitié particulière avec ma fille ? Sûrement.
Contre la tête de Joshua, il y avait Loki, dormant à côté d'Ansara. Ils avaient tous repoussé la table pour se faire de la place et les rideaux du salon étaient fermés, prodiguant une petite protection pour gagner quelques heures de sommeil sûrement méritées.
Yuri apparut à la sortie de la salle de bain, frottant encore ses cheveux humides. Il me vit et me sourit, s'approchant de moi en haussant un sourcil.
— De retour parmi nous pour de bon ? souffla-t-il.
Je haussai mes épaules et pointai les enfants du doigt. Yuri grimaça.
— Je n'avais pas à cœur de les renvoyer. Nous tentons de tenir les cours comme nous pouvons, mais sincèrement, ce groupe-là est à part depuis quelques semaines déjà. Je me suis dit que ça ferait un bon soutien à Ashika comme tu n'étais pas encore rentré.
— Tu as bien fait, dis-je en pressant son épaule. Mais ils passeront tous les examens de la même façon. Surtout celui qui me sert de Krig-an.
— Il en a déjà passé la moitié, Warren, admit Yuri. Il ne souhaitait pas qu'on te le dise, mais il nous a quand même demandé les épreuves écrites pour être plus efficace. Nous lui avons fait passer les épreuves écrites des cadets et des Juniors.
Je fis la moue.
— Joshua est vraiment en avance et je pense que tu serais surpris de tout ce qu'Ashika a pu lui apprendre, ou même ce qu'il a pu voir en si peu de temps dans notre Fief un peu en désordre.
— Laissons-les dormir encore un peu.
— J'ai cru comprendre qu'ils voulaient aller se balader, souffla Yuri dans la cuisine.
Je haussai un sourcil.
— Ashika a très bien tenu cette nuit, tu sais ? C'est comme si elle poussait sur ses réserves et je pense que Wolfgang a proposé la balade pour ... s'écarter de tous les regards et de toutes les scènes domestiques qui pourraient réveiller de mauvais souvenirs. Je pense qu'ils en auraient bien besoin.
— Tu sais la balade qu'ils voulaient prendre ?
Yuri acquiesça.
Durant la matinée, j'eus droit à un debrief détaillé de mes instructeurs et appris même qu'Arkan était venu prêter main-forte à mon équipe, comme à son habitude. Je le reçus dans mon bureau, lui expliquant brièvement la situation sans trop de détails. Il parut vraiment inquiet pour Ashika et me demanda ce qu'il pouvait faire d'autre pour aider. J'avais cru comprendre qu'il avait pris la place d'Evy et d'Abel durant les entraînements pour maintenir une stabilité aux enfants. Je l'en remerciai et lui expliquai vaguement que je prévoyais une balade pour ma fille. Arkan me proposa un chemin que j'appréciais énormément.
— En plus s'ils veulent dormir là-bas cette nuit, ils pourront. Gabin maintient cette cabane depuis longtemps non ?
— C'est vrai, acquiesçai-je. Et le chemin est plutôt sécurisé. C'est une bonne idée, merci.
Il me sourit et me dit qu'il devrait rentrer bientôt. J'acquiesçai. Il m'aida à trouver un bon itinéraire pour les enfants et je fus satisfaisait quand il m'indiqua les endroits les plus sécurisés.
— N'hésite pas si tu as besoin de quelqu'un pour les accompagner, me proposa Arkan. Une balade là-haut ne ferait pas de mal, tiens !
— Ma sœur devrait prendre la relève et connaissant les gamins, ils vont refuser par principe pour se débrouiller seuls. Je commence à connaître les engins de ce groupe. Tu peux rentrer si tu veux, je ne veux pas te retenir plus.
— D'accord, acquiesça Arkan, ne bougeant pas pour autant.
Je crus qu'il allait me dire quelque chose, mais Reed débarqua dans mon bureau en courant.
— Abel a réquisitionné des hommes, souffla-t-elle.
Je jetai un coup d'œil à Arkan qui semblait inquiet à présent.
Pourquoi diable Abel avait-il réquisitionné des hommes ?
Mon souffle se coupa. Avait-il découvert quelque chose ?
— Tu peux disposer Arkan. Je te rappellerai si jamais j'ai besoin de ton aide.
Je perçus une légère crispation sur son visage avant qu'il ne m'offre un sourire et se faufile en saluant Reed. Elle haussa un sourcil en fronçant son nez et retourna son attention sur moi quand je claquai des doigts pour la remettre sur le droit chemin.
— Abel ? relevai-je.
— Il a demandé à Todd de se rendre à cette adresse avec une grosse équipe d'intervention pour arrêter une meute.
Un étrange mélange d'émotion s'empara de moi.
Une certaine peur, qui fut suivie par une colère flamboyante.
Je pris une longue inspiration.
Je faisais confiance à Abel.
Je devais lui faire confiance.
Il m'amènerait ma proie.
Il m'amènerait le coupable et il me laisserait le tuer lentement.
Extérioriser tout ce que je devais.
L'adresse ne m'était pas connue et je mis quelque temps à la trouver dans la liste des lycans qu'Abel avait gardés. Les noms étaient barrés, surlignés, entourés.
Celui à côté de l'adresse était Rodrick Mongston.
Je frémis.
J'allais attendre qu'il me le ramène.
Et pour bien savourer ça, j'allais envoyer ma fille dans la nature, pour qu'elle ne sente rien de tout ça.
Je ne voulais pas qu'elle soit ici quand l'un de ses agresseurs allait sûrement venir.
Je déglutis et demandai à Reed de préparer les quartiers des potentielles détentions qu'on pouvait faire.
Je voulais être sûr des faits qui s'offraient à moi sur ce lycan.
Je voulais être sûr que c'était lui qui avait tué l'innocence de ma fille.
Après, j'appellerai Aslander et je lui dirais que j'allais tuer une meute entière de mes propres mains avant qu'il ne pense à lui-même m'exécuter.
Ashika me regardait avec insistance, comme si elle comprenait que je lui cachais quelque chose. Cependant, Wolf et Joshua étaient déterminés à faire cette balade.
— Vous m'avez bien compris ? répétai-je.
— On prend le chemin du lac, énonça Wolf. On monte, on monte, on suit le sentier quarante-six, puis le dix-huit qui remonte vers la montagne qui siffle et on se fait une nuit étoilée à côté de la cabane hurlante.
Je clignai des yeux.
— Ce sont des noms de code, m'expliqua ma fille en fronçant ses sourcils.
— La montagne qui siffle ? La cabane hurlante ? marmonna Ansara. Vous êtes sûr que c'est sécurisé ?
Sa tête n'était pas très rassurée.
— Tu as la trouille ? ricana Loki.
Hasna lui fila un coup de coude pour qu'il cesse d'embêter Ansara. Je regardai le groupe d'adolescents devant moi avant une mine presque patibulaire.
— Je peux vous faire confiance ?
— Bien sûr, Krig, répondit Joshua en se redressant. Je serais capitaine de cette expédition.
— Hors de question ! s'écria Loki. Je ne serais pas ton larbin. Je vote pour Ashika.
Plusieurs mains se levèrent pour annoncer que ma fille serait le maître de cette expédition. Je regardai ma fille, attendant sa réaction.
Elle finit par sourire doucement à Joshua et Wolf et finit par hocher la tête à son tour.
— Tu es sûr qu'une nuit complète dans la forêt ne va pas te...
— Ansara m'a fait dormir, souffla Ashika. Alors oui, je pense que ça ira. J'en ai besoin. Je veux prendre l'air.
Je comprenais cette envie de grandeur. Cette envie de respirer, de ne pas se sentir enfermé. J'avais seulement peur que cela réveille des peurs dues à la dernière attaque au sein du Fief. Le chemin qu'ils empruntaient suivait les balises des gardes forestiers, d'où mon assurance qu'il n'y aurait aucun problème. Seulement, le sentier dix-huit était assez pentu et il fallait qu'il l'atteigne avant la nuit, sinon ce serait dangereux.
— Tata nous suivra ? demanda Ashika.
Evy pénétra dans la maison, le regard sombre. Son visage s'adoucit quand elle embrassa Ashika.
— Louveteau, souffla-t-elle en frottant sa joue à celle de ma fille.
Ashika se pressa contre sa tante.
— Aller préparer vos affaires. Vous devez être à la cabane hurlante avant la nuit, c'est clair ? ordonnai-je.
Tout le monde s'éparpilla pour aller préparer son sac.
— Nous avons un problème, grogna Achilles de l'entrée.
Je soupirai.
Je tapai du pied en voyant Abel débarquer avec le fourgon. Il en avait donc plus d'un avec lui. Qu'est-ce que c'était que ce bordel ? Evy était silencieuse à côté de moi et même si Achilles avait essayé de m'expliquer le point de vue de ma sœur, je ne comprenais pas pourquoi ce doute l'habitait.
Les enfants étaient parties depuis une bonne heure dans la forêt et j'en étais soulagé. A moins, Ashika n'aurait pas vent de tout ce qui se déroulait ici.
Abel bondit hors de la voiture. Je ne le laissai pas parler et lui fis signe de me suivre.
Il cracha quelques ordres et Yuri prit la relève en lui tapant dans l'épaule. Ils échangèrent un long regard de compréhension avant qu'Abel ne me suive.
J'installai tout le monde dans mon bureau. Abel resta debout, le pied battant la mesure sur le sol.
— Tous les indices concordent, Warren, répéta-t-il pour la troisième fois. Nous avons le lycan qui a tué le suspect dans ce van. Il est venu ici, il a pu renseigner ceux qui ont attaqué Ashika. Rodrick faisait partie de ma liste bon sang ! Quand je suis allé le voir avant la dernière agression d'Ashika, il m'a menti ouvertement. J'aurais dû l'arrêter. Je suis sûr qu'il a donné l'aval pour attaquer Ashika dans le bureau du psy.
— Ils surveillaient le bureau depuis quelques semaines déjà, ça ne veut rien dire, remarqua Achilles.
Evy secouait la tête à chaque fois qu'Abel recommençait à parler.
— Bon sang ! cracha Abel. Il a envoyé un de ses hommes pour éliminer les suspects qu'il pouvait, ou à qui il avait donné son identité. Ce n'est pas dénué de sens. D'où le fait qu'il ait tué celui à l'hôpital et non les deux au commissariat.
— Ou simplement parce que les deux autres sont entourés de flics et non pas de soignants, remarqua Achilles en grinçant des dents.
Abel soupira bruyamment et s'approcha de moi. J'étais resté silencieux jusque-là, mais pouvais-je continuer à rester ainsi sans agir ? Abel me ramenait le suspect parfait sur un plateau, qu'étais-je censé faire ?
Refuser ?
— Ce n'est pas lui, trancha Evy en se levant.
— Pourquoi répètes-tu ça ? cria Abel. Tu n'en sais rien !
— Pourquoi ? soufflai-je.
Evy me regarda un instant et haussa un sourcil.
— Parce qu'il est faible.
Je fermai les yeux, me frottant les tempes en grognant et en marmonnant des gros mots.
Les deux personnes en qui je croyais le plus avaient des arguments opposés et les deux tenaient la route.
Du moins, ce n'était pas parce qu'Evy n'arrivait pas à formuler plus que je ne la croyais pas. Elle n'avait pas tort.
Rodrick Mongston n'avait pas le profil d'un commanditaire.
Abel s'en rendait-il compte ?
D'un autre côté, Abel avait raison sur tellement de points que je bouillonnais d'impatience.
Je pouvais simplement aller interroger l'homme, lui arracher quelques membres et savoir si c'était lui.
Même si ce n'était pas le commanditaire, il avait participé à tout ça. Il avait participé au kidnapping, au viol de ma fille.
Alors, juste pour ça, je pouvais tout simplement...
Le talkie-walkie grésilla et le Junior à l'entrée m'annonça l'arrivée de Mazakeen.
Je fronçai les sourcils.
Que se passait-il encore ?
— Warren, je suis sûr que c'est lui, me souffla Abel.
— Alors pourquoi Mazakeen est là, Abel ? soupirai-je.
— Pour te dire je t'aime ? ricana Achilles à l'autre bout de la pièce.
Abel le fusilla du regard, Evy soupira et je lui fis un doigt d'honneur.
Je sortis de la maison, prêt à affronter les demandes de Mazakeen.
Et si elle me demandait d'épargner cet homme ?
Et si je ne pouvais pas le lui rendre ?
Il fallait que la vérité éclate.
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