96 || Abel

« Entre le désir et le spasme,

entre la puissance et l'existence, 

entre l'essence et la décence se glisse l'ombre. 

C'est ainsi que finit le monde. »

T.S. Eliot.

La salle qui gérait toutes les caméras de l'hôpital était gardée par un flic de la Brigade Noire. Voilà pourquoi j'avais pu entrer en lui présentant simplement ma tronche. J'avais besoin de visionner les vidéos. J'avais besoin de trouver la preuve que c'était bien ce Freiherr qui avait tout géré. Qui avait tout manigancé.

J'avais besoin d'un coupable.

J'avais besoin de réponses.

J'avais besoin de tuer quelqu'un et ça, ce n'était pas négociable.

Je ne pouvais pas rester sans venger Ashika.

Je ne pouvais pas rester sans rien faire plus longtemps.

Mon lycan sentait que je me rapprochais du but, que j'avais des pistes. Celle-là ne devait pas tomber dans les limbes de l'oubli juste parce qu'il n'y avait rien de plus derrière qu'une impasse. Je ne pourrais pas le supporter une nouvelle fois.

Je remontai au moment de l'arrivée d'Ashika dans l'hôpital. Je vis Warren la transporter, tirant tant bien que mal le psy derrière lui. Je grognai un peu plus fort en voyant le brancard arrivé avec notre homme.

Je passai plusieurs heures avant de tomber sur le moment que je voulais. J'avançais et reculai la piste encore et encore, tentant d'apercevoir un visage, mais le lycan qui se baladait actuellement sous mes yeux avait très bien gardé sa capuche. Je sautai d'une caméra à l'autre pour suivre sa trajectoire. Il avait profité que Mazakeen débarque blessée et ravagée pour agir. Les flics avaient été distraits pendant quelques minutes avant de revenir à leur poste, ce qui était en soit inacceptable, mais qui était bien arrivée. Je ne perdais pas de temps à ruminer cet état de fait et suivis son chemin inverse vers la sortie.

J'enfonçai mon doigt sur le bouton pause quand sa capuche tomba à cause d'une embardée avec une infirmière. Je zoomai et fus satisfait que les caméras de surveillance soient de bonne qualité. Je pris une longue inspiration et me levai lentement.

Mon cerveau fit directement la connexion, car j'avais feuilleté les dossiers de Warren. J'avais feuilleté encore et encore les lycans qui avaient été intégrés dans le Fief, malgré toutes les règles qui l'interdisaient normalement.

Je savais de quelle meute il faisait partie.

Je savais qui était son putain de Freiherr.

Il était mort.

Aussi mort que l'innocence d'Ashika.

J'allais me lever pour sortir de la salle quand Evy m'appela sur le portable que je lui avais donné en cas de besoin. Elle n'était pas directement reliée à la conscience collective et j'en tremblais rien que de penser à la contacter avec autre chose que le lien de meute. Je décrochai.

— Commissariat, grommela-t-elle avant de raccrocher.

Je pris ma veste et l'enfilai, sortant brusquement de la salle. Je tapai le numéro de Todd et il décrocha rapidement.

Je lui donnai plusieurs ordres et il acquiesça.

Je ne laisserai plus rien passer.

Je n'étais pas n'importe qui.

Je n'étais pas arrivé à ma position en regardant les choses se dérouler sous mes yeux sans agir.

J'avais tué, torturé, dévoré.

J'avais anéanti des gens d'une simple discussion venimeuse.

J'avais détruit des personnes d'une simple pression malsaine.

Parfois, j'oubliais tout ce qui avait pu m'arriver.

Tout ce qui avait pu arriver à Ashika, à Warren.

Et à d'autres personnes qui tenaient à moi et à qui je tenais.

Parfois, j'oubliais.

Et parfois, la rage brûlait en moi devenant ainsi mon seul combustible.

Je ne souhaitais pas changer les choses.

Je souhaitais simplement les rectifier.

Et s'il fallait tuer pour ça, alors il n'y aurait aucune pitié.

En arrivant au commissariat, Evy apparut rapidement au bout d'un couloir et m'attira vers les escaliers qui menaient vers les salles d'interrogatoires. Je me détachai d'elle, pressé d'aller récolter mon dû.

— Je suis pressé, sifflai-je.

Achilles apparut à son tour en sortant de la cage d'escalier et raccrocha. Je ne sus avec qui il avait discuté, mais je ne voulais pas perdre de temps. J'étais la main droite de Warren, j'avais un grade militaire équivalent à celui de Todd, voir légèrement supérieur dans le sens où je pouvais conduire les troupes sur le terrain pendant que Warren nous donnait des ordres. Je pouvais très bien conduire une arrestation, surtout sur des lycans. J'étais dans mes droits et j'allais agir le plus vite possible.

— Nous avons de nouvelles informations, remarqua Evy. Il faut que nous en parlions.

— J'ai un suspect à arrêter, grognai-je. Parle vite.

— De quoi parles-tu ? s'inquiéta Achilles. Il n'y a aucune arrestation en cours.

— J'ai visionné les vidéos de surveillance de l'hôpital. L'homme qui est venu tuer notre suspect est un des lycans de Richard Mongston, le Freiherr que je soupçonne depuis que nous avons récupéré nos indices. Tout concorde. Il a envoyé cet homme pour qu'on ne crache pas son nom. Il faut que j'aille le récupérer et le faire parler.

— Abel, souffla Achilles en fronçant ses sourcils.

— Ce n'est pas lui, soupira Evy.

Je posai mon regard sur elle et haussai un sourcil.

— Qu'est-ce que tu racontes ? soufflai-je, énervé d'être retenu inutilement. Bien sûr que c'est lui ! L'homme qui est venu tuer le suspect est un des hommes qui étaient au Fief, j'ai sa photo ici.

Mon doigt tapota ma tempe.

— Tout concorde. Le terrain. Le mensonge. L'assassinat du suspect pour ne pas pris la main dans le sac. Que te faut-il de plus ? Moi rien. Todd est en chemin avec plusieurs hommes pour immobiliser la meute et commencer à interroger des gens.

— Tu n'as pas le droit de faire ça, remarqua Achilles. Tu n'es pas responsable de cette affaire.

Je me positionnai en face de lui, nez contre nez.

— Ashika Archeon est une lycan et sous l'autorité de Warren Archeon, Krig du Kaizer. Elle est donc sous ma responsabilité. En cas de problème majeur, je suis en droit de faire intervenir les forces armées de mon Krig. Si tu as un jugement particulier à avoir sur mes actions, je t'en prie, retourne vers ton Sire et demande de lui de m'arrêter.

Je pivotai mon regard sur Evy. Elle me fusillait du regard, consciente que je ne changerais pas d'avis et que j'avais avancé mes pions.

— Je t'en prie, élabore ton propos. Pourquoi ne serait-ce pas lui ?

— Ce n'est pas lui, Abel, répéta-t-elle, en vain.

— Si tu as des preuves, je suis ouvert, en attendant laissez-moi faire mon travail. On dirait qu'il n'y a que moi qui veux arrêter le coupable pour venger Ashika.

Sur ce, je fis demi-tour et retournai vers ma voiture, encore plus énervé qu'à l'arrivée.

Le chemin jusqu'à la maison de Rodrick fut court. Je surveillai l'entrée durant une heure de plus, le temps que les soldats débarquent. Todd me vit et hocha la tête, suivi par une dizaine d'hommes qui débarquèrent d'un gros véhicule tout terrain. Ils s'éparpillèrent autour de la maison.

Je grimpai les marches du perron et repoussai la porte du pied. Plusieurs cris retentirent quand nous entrâmes d'un seul homme dans la maison et que les enfants se réfugièrent vers leurs parents.

Rodrick tenait un bébé dans les bras. Un bébé putain.

Il était celui qui avait commandité le viol d'Ashika.

Comment pouvait-il avoir un bébé bordel ? Ce n'était pas possible.

Émotionnellement parlant, comment faisait-il hein ? Quand on avait des enfants, on savait le mal que ça nous ferait de les blesser. Que la chair de notre chair soit blessée, n'est-ce pas ?

Je déglutis, repoussant les souvenirs.

Ce n'était pas le moment.

— Rodrick Mongston, vous devez me suivre au Fief de Canberra. Vous serez interrogé par nos forces et vous répondrez à nos questions sous serment. Tout ce que vous pourriez dire dès à présent pourrait être retenu contre vous lors de votre jugement rendu par notre Kaizer.

— Rod ? murmura sa femme, assise dans le canapé, presque cachée par ses trois enfants qui se pressaient contre elle.

— Vous devez dès à présent demander à toute votre meute de revenir ici, dans cette maison et qu'elle se soumette à l'autorité de l'Aster présent qui sera le chef de cette arrestation. Votre meute sera interrogée concernant l'affaire Ashika Archeon.

Un petit cri échappa à Marissa.

— Si des membres de votre meute tentaient de fuir, nous serions dans l'obligation de les poursuivre et de les abattre s'ils ne se soumettaient pas à notre autorité. Avez-vous compris mes demandes ?

Rodrick Mongston était à présent très pâle. Un des hommes de Todd tendit ses bras vers le bébé. Le père de l'enfant eut un mouvement de recul avant de se rendre compte à quel point il était entouré et à quel point il était dans la merde à partir de maintenant.

Je ne lui laisserai aucune chance.

— Annoncez à votre meute qu'ils doivent tous venir ici se soumettre à l'autorité de l'Empereur, sous peine de sanction, voire d'exécution.

Il le fit.

Bien sûr qu'il le fit.

Il était obligé.

Quelques heures plus tard, j'étais sur la route du Fief avec plusieurs prisonniers et plusieurs personnes à interroger. Toutes trier sur le volet, certains avaient avoué d'eux-mêmes, les autres je les avais moi-même choisis à l'odeur de leur mensonge.

Toute cette meute était pourrie de l'intérieur.

Toute la meute entière était sûrement au courant de ce que leur Freiherr avait fait à la seule enfant que j'aurais dans cette vie.

J'étais conscient que je devais agir vite et que je devais sortir la vérité de la bouche de cet homme.

Je le devais.

Pour Ashika.

Pour Warren.

Pour notre vengeance et notre paix.

En arrivant au Fief, j'aperçus Warren devant le grand garage qui abritait tous les véhicules du Fief. Autour de lui, il y avait Yuri, Evy et même ce connard d'Achilles.

La colère flamba en moi.

On jouait donc à celui qui donnerait son avis en dernier ?

Je garai le fourgon et bondis en atterrissant brusquement sur le sol. J'en fis le tour et fus prêt à brailler pour qu'on m'entende, et surtout pour ne pas montrer à quel point cela me blessait qu'Evy soit venu voir son frère pour se faire entendre.

Warren leva sa main et secoua la tête.

Il pointa le chemin qui nous ramènerait vers son bureau et claqua des doigts.

Putain de merde. 

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