91 || Joshua

« Qui néglige de punir le mal le cautionne. »

Léonard de Vinci

Wolf étant sous sa forme de lycan, j'avais hérité du fauteuil et avait réussi à l'allonger complètement pour me placer à côté d'Ashika. Elle avait tendu sa main dans son sommeil et je n'avais rien fait pour l'en empêcher. Des rumeurs couraient comme quoi Mazakeen avait eu des problèmes et se trouvaient dans l'enceinte de l'hôpital. Warren était revenu avec une tronche à faire peur, mais n'avait rien dit, ne voulant sûrement pas remuer le couteau dans la plaie. Il avait cependant prévenu Ashika que Mazakeen avait eu des soucis au travail et qu'elle viendrait lui en parler dès qu'elle le pourrait.

J'avais donc mené mon enquête de mon côté et je savais déjà où était Mazakeen. Et elle n'avait pas eu de simples problèmes au travail, non. Elle s'était fait agresser par un suspect. Les risques du métier me direz-vous.

— Tu ne dors pas ? souffla Hachi.

Je bâillai, conscient de la dizaine de lycans endormis autour de nous, dont Wolf, sur les pieds d'Ashika. Encore une fois, nous avions mis du temps à arriver. Nous avions mis du temps à la rejoindre et à la protéger. Avions-nous d'une quelconque façon failli une fois de plus à notre tâche ? À la promesse que nous étions tous faits inconsciemment ? Cela était la seconde agression qu'Ashika subissait depuis son retour ici, comme si toutes les autres, avant, n'avaient pas suffi. Tout cela me rendait fou. Nous étions donc incapables d'avoir une longueur d'avance sur nos ennemis et pour cela, Ashika en subissait les retombées.

— Calder ronfle, marmonnai-je.

Un grognement nous parvint de sous le lit et je ris doucement. Ashika ferma les yeux un instant avant de les rouvrir sur moi.

— Merci d'être là, souffla-t-elle.

Je pressai sa main.

— Pas de merci. Et si tu as besoin que tous ces lycans aillent faire un tour, tu n'as qu'un mot à dire.

Ashika haussa ses épaules.

— Non, ça va, ils ne me dérangent pas.

Calder émit un autre grognement et cela tira un sourire à Hachi.

Il était tard et l'hôpital était plutôt calme, donc si elle souhaitait faire une balade, c'était sûrement le meilleur moment, mais je savais que Warren n'apprécierait pas. Et que tous les lycans présents étaient ici pour une simple raison.

— Tu crois que Maze va bien ? souffla-t-elle.

— J'en suis sûr. Ton père est avec elle. D'après Abel qui est arrivé en début de soirée, elle était déjà sur le pied de guerre pour repartir avant d'avoir un sermon par le doc.

— Elle reste toute la nuit pour être surveillée ?

Ashika savait très bien que j'avais laissé trainer mes oreilles quand Abel était revenu du commissariat en début de soirée. Evy traînait dans le coin, observant, chuchotant. Elle avait été très énervée plus tôt dans la soirée, car apparemment, l'un des seuls agresseurs d'Ashika qui s'était trouvé ici avait été retrouvé mort à la suite de l'agitation que l'arrivée de Maze avait créée. Alors même qu'il y avait de la surveillance partout, l'homme avait réussi à s'infiltrer et à tuer l'agresseur. D'où le calme de l'hôpital, personne n'avait le droit de se balader sans un passe-droit et les flics faisaient des rondes à tous les étages. C'était l'une des raisons pour lesquelles Mazakeen avait souhaité partir le plus vite, pour ne pas perdre d'autres agresseurs qui pourraient nous donner des pistes concernant l'affaire d'Ashika.

C'était aussi une des raisons pour laquelle Warren faisait des allers-retours entre cette chambre et la chambre de Mazakeen. Il semblait vraiment remué par l'état du Capitaine et c'était compréhensible. Je ne savais pas bien comment, mais j'avais réussi à convaincre Ashika d'y aller seulement demain matin. Elles avaient toutes les deux besoins de repos et j'avais peur de la réaction d'Ashika face au visage tuméfié de Maze que j'avais entraperçu à un moment où Warren l'avait ramené de nouveau dans sa chambre en grommelant sur les têtes de mule.

— Je pense qu'elle a pris un coup à la tête qui ne plaît pas au médecin, admis-je. Abel a parlé d'un traumatisme crânien.

Ashika hocha la tête.

— Oui, il faut qu'elle soit réveillée toutes les deux heures. C'est pour ça que Papa y retourne. Je pense qu'il a peur qu'elle panique quand elle ouvre les yeux sur un endroit inconnu.

— On ira la voir à la première heure demain, promis-je de nouveau.

Il y eut un petit silence et je vis le visage d'Ashika se fissurer doucement. Une larme glissa de son œil à son nez puis goutta sur l'oreille.

— Hey, hey, murmurai-je en caressant sa joue. Ne pleure pas.

— J'ai eu si peur, souffla Hachi en pressant ma main contre son nez humide. J'ai vraiment cru que le doc allait mourir et que je n'allais pas réussir à vous appeler tous. Je pensais que je–

Je posai un doigt sur sa bouche et souris doucement. Elle s'écarta au bout du lit et je la rejoignis en crapahutant, frôlant la truffe de Wolf de mon pied. Ce dernier s'étendit comme un chat entre nos cuisses et souffla. Ashika posa sa main sur son museau et le pressa doucement, acceptant aussi mon bisou sur son front.

— Ils ont été attrapés, Hachi, murmurai-je. Ce n'est pas comme la fois où on n'avait pas de pistes, ou Bebel ne trouvait pas de quoi relier les éléments. Il a relié quelque chose, les évènements s'enchaînent et les erreurs se font. Nous allons profiter des erreurs de nos ennemis. Comme sur un champ de bataille.

Ashika sourit doucement et son doigt suivit ma pommette et tapota mon nez.

— Tu parles comme un vrai Krig-an, chuchota-t-elle.

Mon cœur se serra doucement. Je voyais comment Warren se tendait vers Mazakeen quand celle-ci était mal en point. Comme si une force immuable nous tirait vers notre Anchor pour qu'elle se trouve de nouveau en sécurité. J'avais l'impression que rien ne pourrait m'écarter d'Ashika en ce moment même et cela me brisait le cœur un peu plus à chaque fois. Comment ne pas aimer cette fille ? Comment ne pas comprendre à quel point elle comptait pour moi ?

Comment ne pas voir à quel point toutes ses agressions laissait des marques sur elle ? Même si elles étaient invisibles.

Comment faisait-on pour protéger les gens qu'on aimait ?

Comment allais-je faire pour protéger Ashika toute ma vie ?

Je déglutis, la gorge serrée. Je pressai mon front contre le sien.

— Tu ne peux pas mourir, chuchotai-je, son nez contre le mien. Tu ne peux pas mourir, parce que si tu meurs, je vais mourir avec toi et je–

— Je ne compte pas mourir, grogna Ashika en posant sa main entière sur ma bouche. Je compte me battre. Je veux me battre, Joshua.

Je poussai un soupir tremblant.

— Je vais me battre à tes côtés, insistai-je en pressant sa main.

Wolf émit un autre grognement.

— Nous ne sommes pas dramatiques, ronchonna Ashika en tapotant son nez. Nous sommes réalistes.

Ashika releva son regard sur moi.

— Je m'en suis sortie de justesse encore aujourd'hui, murmura-t-elle.

— Et si jamais ce genre d'évènement devait se reproduire, tu t'en sortirais de nouveau. Parce que je suis là.

Wolf émit un bruit de babines.

— Et que Wolf est là. Et que nous sommes tous là pour toi. Nous t'apporterons toute la force que tu pourrais ne plus avoir.

Elle pressa son front contre mon torse et je lui murmurais une histoire que Raphael me racontait plus petit. De ce petit bonhomme, qui rencontrait des alliés et qui grâce à cela, devenait bien plus fort que ses ennemis ne l'auraient jamais pensé. Ashika finit par s'endormir et je regardais Wolf.

J'articulais silencieusement quelques mots et le lycan de Wolf se redressa, les oreilles toutes folles. Il couina doucement et je tapotai son museau.

Oui, c'était dur de voir son Anchor comme ça.

Et oui, c'était dur de ne pas pouvoir la protéger de tout et surtout de subvenir à tous ses besoins.

Je ne savais pas pourquoi j'avais eu besoin de le dire à Wolf. Peut-être parce que je lui faisais confiance. Peut-être parce que j'avais besoin de le dire à quelqu'un.

Et qu'il savait.

Il savait ce que c'était que de prendre soin d'Ashika.

Il l'avait fait pour moi durant toutes ces années. Et c'était à mon tour maintenant.


Ashika regardait avec une moue le plateau-repas qu'on lui avait apporté. Sa chambre était un peu plus calme, car certains lycans avaient été envoyés ailleurs par Warren avant qu'on se réveille. Il restait cependant toujours Calder sous le lit et il menait la vie dure à tout le personnel soignant qui osait passer les portes de la chambre.

C'était toujours très drôle de voir Ashika se pencher sous le lit et tapoter la tête du gros lycan caché là pour le rassurer et le calmer, afin qu'il ne mange pas le personnel de l'hôpital. Warren n'avait pas réussi à le déloger de là, tout comme Evy qui était allongée de tout son long sur la banquette installée là dans la nuit. J'avais entendu Abel venir lui parler ce matin et ils avaient échangé quelques baisers avant qu'Abel disparaisse de nouveau, nous laissant sous la surveillance de son Anchor.

— Aller mange, marmonnai-je.

Elle ouvrit le petit pot de yaourt bizarre et me tendit la cuillère.

— Toi d'abord, grogna-t-elle. La consistance à l'air... étrange.

Je ricanai avant d'y plonger mon doigt et de goûter le yaourt. Je grimaçai et Ashika reposa le petit pot en secouant la tête. Cela me fit sourire tendrement, car les souvenirs d'elle et moi, tentant de deviner ses goûts me revinrent.

— Quoi ? demanda-t-elle en s'étirant.

Elle grimaça un peu, encore courbaturée de ses blessures.

— Tu te rappelles quand on essayait de deviner tes goûts ? minaudai-je. Tu as goûté plein de trucs que tu détestais.

— Cette mangue que tu m'as fait goûter était particulièrement affreuse, remarqua-t-elle pour sa défense.

Je ris et tendis le pot de yaourt au lycan de Wolf. Il le renifla et y fourra sa langue pour le terminer en grognant.

— Un peu de tenue, marmottai-je.

Ashika picora les quelques bouts de pomme, mais éventuellement, elle ne mangea pas beaucoup. Elle regarda la porte plusieurs secondes sans dire un mot, espérant sûrement que Maze passerait les portes, mais rien ne se passa.

Hachi me regarda et fit la moue.

— Est-ce qu'on peut aller la voir maintenant ? soupira-t-elle.

— Impatiente petite chose, grommelai-je en descendant du lit et en m'étirant à mon tour.

Wolf bondit par terre et s'ébroua avant de trottiner vers la sortie. Il fila dans l'ouverture quand Warren ouvrit.

— Ma chérie, tu as réussi à manger un peu ?

— Non. Je veux voir Maze, papa.

— La nourriture est pas terrible, remarquai-je en pointant le plateau. Et je pense que notre estomac mérite de la vraie nourriture.

Warren tapota ma tête en ayant un demi-sourire.

— Je vais aller signer tes papiers concernant ta sortie, je pense que tu peux prendre ce temps pour aller faire un bisou à Maze. Elle est encore un peu groggy, mais je devrais pouvoir la ramener elle aussi à la maison.

— Elle vient avec nous ? s'égaya Ashika.

— Non. Elle retourne à son appartement, car elle a des dépositions à faire à son travail. On lui demandera de venir quand elle sera remise. Comme toi. Vous avez, toutes les deux, besoin de repos, expliqua Warren d'une voix douce.

Ashika fit la moue une nouvelle fois, mais finit par hocher la tête. Elle descendit de son lit, tentant de ne pas grimacer en marchant.

— Calder, ordonna Warren. Tu ne la quittes pas d'une semelle. Evy, viens avec moi s'il te plaît.

La lycan s'approcha d'Ashika et elles se firent un gros câlin avant qu'Evy ne rejoigne Warren. Wolf revint vers nous et d'un bon pas, nous suivit jusqu'à la chambre que nous indiqua Yuri. Calder s'assit devant la chambre, la queue battante, tout comme Wolf.

— Quelle discrétion, maugréa Ashika. Donnez-nous un peu d'air les garçons !

— Je reste, rassurai-je Calder et Wolf.

Les deux lycans se levèrent et marchèrent vers le bout du couloir, mais n'allèrent pas bien plus loin. Ashika me laissa déposer un bisou sur sa joue avant de frapper doucement à la porte de Mazakeen. Cette dernière nous invita à entrer. Je lui signe de loin, déglutissant en voyant sa tête encore enflée des coups qu'elle avait reçus, mais bien moins moche que quand je l'avais aperçue la veille. Au moins, les médicaments faisaient effet visiblement.

Je refermai la porte derrière Ashika, l'apercevant grimper sur le lit pour prendre Maze dans ses bras. Je me mis à faire les cent pas, tentant de ne pas écouter ce que les filles se disaient. C'était leur conversation privée et j'essayais le plus possible de ne pas écouter ce genre de conversation.

— Joshua ? m'appela Yuri vers les garçons.

Je fis quelques pas, m'éloignant à peine de la pièce. Ashika et Maze avaient arrêté de sangloter doucement pour parler entre elles. Les retrouvailles devaient être dures.

— Oui ?

— Nous allons rentrer au Fief. La plupart des lycans sous leur forme feront la route à pied. Nous allons embarquer Ashika, Wolf et Calder dans le pick-up d'Abel.

— Warren ne revient pas avec nous ? dis-je surpris.

Ce dernier réapparut à ce moment-là, glissant des papiers dans sa poche de jean.

— Non, je dois ramener Mazakeen chez elle et veillez à ce qu'elle prenne ses médicaments. Je m'occupe de ça, je fais un tour par le commissariat et je rentre. Ashika n'a pas à rester plus longtemps compte tenu des circonstances, donc je veux que vous la rameniez et que vous me confirmiez que le Fief est clos. Je serais là dans la journée. C'est compris ?

— Oui, Krig, répondis-je.

Je retournai vers la chambre de Mazakeen, prêt à annoncer à Ashika notre retour quand une bribe de conversation me vint aux oreilles.

— Ne le dis pas à ton père. Disons que tu as utilisé un peu de ton pouvoir. D'accord ma chérie ? C'est notre secret.

— Tout ce que tu voudras, Maze, répondit Ashika d'une voix basse.

Je fronçai les sourcils, mais ne relevai pas. Warren me rejoignit et nous entrâmes dans la chambre. Warren se figea en voyant le visage bien plus dégonflé et grogna doucement.

Ce n'était donc pas normal qu'elle ressemble à quelque chose, n'est-ce pas ? Je ne relevai pas la conversation des filles, écoutant vaguement Warren gronder sa fille pour avoir utilisé son énergie en sachant qu'elle ne devait pas forcer.

Je croisai le regard de Maze et je sus très bien lui montrer que j'étais au courant de leur petit secret.

Qu'est-ce que Mazakeen Fairfax pouvait bien cacher comme secret pour forcer Ashika à mentir pour elle ? C'était bien plus tentant que n'importe quel autre secret.

Mazakeen me fit signe de me taire, son doigt frôlant à peine sa bouche.

Warren s'approcha du lit, embrassa sa fille et pressa l'épaule de Mazakeen.

Cette simple scène me montra, me souffla doucement, les nombreuses années que ces trois-là avaient passées ensemble.

À quel point ils étaient liés !

À quel point la chute de l'un pouvait impacter les autres.

À quel point cette famille tenait par la force des personnes qui la composait.

Voilà ce que Warren essayait tant de m'expliquer depuis des jours.

À quel point cette valeur même de la famille pouvait me faire prendre conscience de toutes les responsabilités qui allaient avec mon futur rôle !

À quel point ma propre valeur pouvait impacter non pas seulement ma vie, mais toutes les vies qui étaient reliées à la mienne !

Il était temps de nous prendre en main.

De faire payer nos ennemis. Et d'avancer, sans baisser la tête et sans courber les épaules face aux épreuves qu'on nous présentait.

J'avais confiance en Abel, en Mazakeen et en Warren. Bientôt, les coupables seraient amenés au bûcher.

Nous ne cautionnerons pas plus les actes violents dont nous étions victimes. Nous allions combattre le mal et nous allions le punir.

Car c'était ce qu'un Krig-an devait apprendre. C'était ce qu'un Krig se devait d'inculquer à ses Ritters.

Protéger et punir.

J'étais prêt.  

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top