81 || Abel
Every man I meet wants to protect me.
I can't figure out what from.
Mae West.
Evy me regardait avec de grands yeux, comme si je venais de dire une énormité. Elle portait un legging d'Hachi qui lui moulait outrageusement le cul et ça me dépassait d'être redevenu un adolescent qui découvrait enfin le sexe. Elle portait son bras en écharpe, ce qui me rappelait constamment le fait qu'elle avait échappé de peu à la mort. Cela réussit à me ramener sur le droit chemin.
— Pourquoi les hommes pensent-ils que nous avons besoin d'aide ? grogna-t-elle en me tendant un poivron qu'elle venait de rincer.
Les rires des gosses me poussèrent à me pencher vers le couloir pour apercevoir des têtes s'agiter dans le salon. Il y avait Ashika, Ansara, Joshua et Wolf. Ils jouaient sur la console. Je haussai mes épaules.
— Ce n'est pas de devoir vous protéger, mais nos instincts ont tendance à nous pousser à le faire.
— J'en n'ai pas besoin, rétorqua Evy en montrant ses crocs.
Je retins un sourire.
— Ce n'est pas tant que vous en avez besoin, mais nous, on aime faire ça.
— Si je te protégeais alors que tu n'en avais pas besoin, tu n'aimeras pas ça non plus, grogna-t-elle.
Je m'approchai d'elle et lui léchai la bouche. Elle faillit me mordre, mais je me reculais avant et continuai de découper les poivrons pour la soirée fajitas.
— Les femelles et les enfants sont ceux qu'on protège en premier. C'est donc normal qu'on veuille tout le temps être derrière vos fesses.
— Donc c'est notre faute ? releva Evy en agitant le second poivron vers moi.
Je me dandinai avant de l'observer du coin de l'œil.
— Tu sais que n'importe quelle autre femme apprécierait que je m'occupe d'elle.
Evy déposa le poivron à côté du premier et posa sa main valide sur mon bras. Sa prise se fit légèrement plus forte et je me figeai. Elle pressa son bassin contre ma hanche droite et souffla contre mon oreille. Je fermai les yeux, me tendant presque vers elle, mais luttant encore un peu à la fois.
— Tu veux une autre femme, lycan ? gronda la voix de l'animal dans mon oreille.
— Non, rétorqua mon lycan à son tour affamé.
Evy ricana et s'écarta, me laissant respirer. Maudite bonne femme.
— Besoin d'aide ? demanda Hachi en apparaissant dans la cuisine.
— Je ne compte pas le manger tout de suite, répondit Evy naturellement.
Je m'étouffai à moitié et Hachi fit la moue.
— Tu peux préparer la viande si tu veux, remarquai-je.
— Louveteau, l'appela Evy.
Hachi, tout en ouvrant le frigo pour attraper le nécessaire, regarda sa tante.
— Pourquoi les hommes comme lui se sentent-ils obliger de nous protéger, nous les femmes ?
— Tu veux dire les femmes en général ou les femmes comme toi ?
Evy fronça les sourcils et me jeta un coup d'œil. Je retins un rire de peur qu'elle me frappe.
— Quelle différence ?
— Tu sais te battre, les autres non, lui expliqua très simplement la gamine.
— Toutes les femmes devraient savoir se battre, trancha mon Anchor.
Je souris en entendant ce commentaire. Elle avait appris à se battre dès son plus jeune âge. C'était normal qu'elle pense ainsi. Et son idée n'était pas sans but. Après tout, Ashika devait apprendre à se défendre, bien plus à se débrouiller dans une situation qui lui volait un certain libre arbitre.
— Je ne sais pas me battre, admit Ansara en arrivant à son tour, suivie par Josh et Wolf.
— Ce n'est pas mal, remarqua Joshua. Se battre et se défendre, ce n'est pas inné. Il faut apprendre.
Hachi et lui échangèrent un long regard qui me poussa à observer Evy. Elle aussi les épiait de son coin et pendant un instant, une horrible pensée me traversa. Et si Joshua était bien plus qu'un simple sauveur pour Ashika ? Et si, d'une funeste façon, le destin les avait réunis dans leur pire épreuve ?
Evy sentit mon trouble et pivota vers moi. Elle eut une petite moue qui me fit comprendre qu'elle savait déjà ce que je venais seulement de réaliser.
— Apprendre à se défendre est une base fondamentale dans la vie, commenta Wolf à son tour. Tu devrais demander à la Garde Royale de te donner des cours.
— Je suis une Earhja, remarqua Ansara. Je ne souhaite pas me battre. Je ne suis pas faite pour le combat. Je suis faite pour soigner. Frapper quelqu'un serait aller à l'encontre de mes principes et des valeurs que Tamsyn essaye de nous transmettre.
— Nous ne nous résumons pas à un poste ou à une fonction, assenai-je en me redressant.
Evy voulut ouvrir sa bouche pour protester, mais j'y claquai un baiser et secouai la tête.
— Nous ne devrions pas nous résumer à un poste ou une fonction, me corrigeai-je. Si nous souhaitons aller au-delà de ce qu'on nous demande, on devrait le faire. Ansara, je sais qu'il y a des Chevaliers autour de toi au Deity. N'hésite pas à leur demander de te donner des conseils ou simplement quelques techniques d'auto-défense. Tu n'as peut-être pas envie de te battre, mais si tu te retrouves dans une situation qui nécessite que tu défendes, ton agresseur ne regardera pas ton poste ou ta fonction en se disant qu'il ne peut pas t'attaquer.
Ashika vint se presser entre Evy et moi et nous lui fîmes un gros câlin tous les deux. Joshua posa son menton sur ses mains, nous observant avec envie.
Ce fut sur ces mots joyeux que Hasna et Loki finirent par nous rejoindre. Il s'était avéré que Loki était un très bon élément et j'étais persuadé qu'il donnait tout de lui pour pouvoir suivre Joshua un jour. Je ne savais pas si le Krig-an s'en rendait compte, mais il établissait une certaine équipe autour de lui et j'allais le faire remarquer à Warren. Il était celui qui pouvait recommander à Aslander les personnes à placer aux côtés de Joshua pour lui faciliter la tâche, mais sincèrement ? Joshua en avait encore pour plus d'une dizaine d'années aux côtés de Warren. Il allait passer par tous les stades ici, au Fief, prenant un rôle puis un autre.
C'est ainsi que je me retrouvai avec tous les gosses à table, une dose impensable de fajitas préparées par tous nos soins. L'ambiance était légère et c'était sûrement la première fois que je voyais Ashika d'aussi bonne humeur en étant entouré de jeunes de son âge. Evy installée sur mes cuisses, je me détendis, comprenant qu'avec un peu de travail, et beaucoup de volonté, on s'en sortirait tous d'une certaine façon.
Joshua apprenait à vivre par lui-même, sans Raphael.
Ashika apprenait à vivre en ayant perdu une partie d'elle-même, trouvant ainsi une nouvelle identité et une nouvelle personnalité.
Evy, quant à elle, ne pourrait plus partir.
Car elle était à moi. Je le sentais tandis qu'elle se détendait entre mes bras, avalant la dernière fajitas de la plâtrée devant nous.
— Bebel on peut faire une soirée pyjama ? me demanda Ashika en faisant une petite moue.
— Allez choisir un film, marmonnai-je en pressant ma joue contre la poitrine d'Evy.
Les jeunes bondirent de leur place, mais Ansara resta un instant en retrait. Elle nous observa, Evy et moi, puis regarda l'ancienne Godi.
— Vous pensez vraiment qu'il faut savoir se battre, n'est-ce pas ?
— Chaque animal dans ce monde a un jour à se défendre, énonça Evy. Abel a raison. Ton rang ne te sauvera pas d'agresseurs qui te veulent du mal. Ça n'a pas sauvé le louveteau.
— Mais l'Empereur–, commença Ansara.
Evy émit un son qui ressemblait vaguement à un aboiement qui fit sursauter l'Earhja. Je glissai ma main autour du cou d'Evy et la forçai à me regarder.
— Pas maintenant, soufflai-je.
Evy renâcla avant de bondir sur ses pieds et de disparaître à l'étage. Je soupirai et tapotai le comptoir de mes doigts.
— Je ne voulais pas, tenta de s'excuser Ansara.
— Ne t'inquiètes pas. Elle est grognon sur ce sujet, rien de grave. Sache juste que pour Evy, une femme devrait savoir se protéger seule et ne pas attendre des hommes à ce qu'ils la protègent. Elle pense que c'est pour ça que nous jouons tous au Chevalier servant.
— Elle n'a peut-être pas tort, chuchota Ansara.
— Ashika aurait pu connaître nombres de techniques d'auto-défense, elle n'aurait pas pu se défendre contre des hommes qui faisaient trois fois sa taille et quatre fois son poids. Il faut être réaliste. La survie passe aussi par l'immobilité ou l'inaction.
— Reculer pour mieux sauter ? reformula la jeune femme.
Je hochai la tête.
— L'animal en toi trouvera toujours la façon pour se protéger le mieux d'une menace imminente. A toi d'avoir des techniques pour t'échapper. Nous n'avions pas assez préparé Ashika sur ce plan-là. Nous en sommes tous conscients. A nous d'apprendre de nos erreurs.
Ansara pencha doucement la tête sur le côté.
— Je ne te voyais pas aussi intelligent, admit-elle. Au Deity, tu es vu comme un rustre, Ritter.
Je me levai et m'étirai, terminant de débarrasser la tasse d'Ashika et de ranger ses médicaments.
— Fais en sorte que ça dure, remarquai-je. Après, on me demandera trop de trucs.
Ansara émit un rire avant d'agiter sa main et de rejoindre les autres.
Je montai rejoindre Evy et passai l'heure suivante à lui faire faire ses exercices et à lui masser le bras et la jambe avec les huiles qu'on nous avait donné. Elle se laissa faire, mais réclama quand même quelques galipettes à la fin.
Quand je descendis pour voir si les jeunes étaient retournés à leur dortoir respectifs, je découvris une scène qui eut le don de me serrer la gorge. Si Wolf et Loki avaient pris leurs formes de lycans, Hasna, Joshua, Ansara et Hachi étaient emmitouflées dans des épaisses couvertures. Les lycans tenaient chauds aux petits humains. Ne voulant pas les réveiller pour leur rappeler le protocole de ce Fief, je les laissai là et éteignis la lumière. J'embrassai la tempe d'Ashika et remontai la couverture sur ses épaules.
Nous pouvions y arriver.
Ensemble.
Je regardai Ashika, les cheveux encore ébouriffés de sa nuit. Elle tenait sa tasse d'une main et tentai de m'expliquer le problème de l'autre.
— Non, répondis-je une nouvelle fois.
Et puis quoi encore ? La faire sortir du Fief après tout ce temps ? Sans Warren ? Je n'étais pas fou et encore moins suicidaire. Je savais que Warren avait évoqué cette possibilité à long terme pour qu'Ashika reprenne pied dans la réalité, mais je pensais que ce serait lui qui gérerait cette étape, pas moi.
— Mais Bebel ! Je dois pas louper de séances ! Et papa avait dit que je pourrais éventuellement finir par y aller !
— Non, insistai-je.
Ashika posa sa tasse et s'approcha de moi. Ce matin, tous les jeunes avaient repris leurs quartiers au moment où je m'étais levé et Hachi, ainsi qu'Ansara, avaient préparé le petit déjeuner pour tout le monde. Avoir l'Earhja à la maison facilitait drastiquement mon propre travail, mais avouons-le, Ashika restait encore instable.
— Bebel, reprit-elle. Je suis prête. Et j'ai besoin de cette séance.
Je la regardai, croyant en elle et en ses capacités. On avait toujours été honnête tous les deux et je pouvais lire dans son regard qu'elle était motivée pour aller faire sa séance en dehors du Fief.
— Ton psy fait chier, grognai-je.
— Mon psy est top.
— Je lui aurais bien bouffer un bout de fesses.
— A qui voudrais-tu bouffer un bout de fesses ? s'horrifia Ansara en entrant dans la cuisine.
Je levai les yeux au ciel.
— Appelle ton père. Je ne sors pas d'ici, avec toi dans la voiture, sans son aval. Tu le sais, gamine.
— Si je l'ai tu m'amènes ?
— Je peux t'accompagner ? s'exclama Ansara.
Ashika accepta et s'enfuit pour appeler son père.
— C'est une mauvaise idée ? me demanda Ansara, franche.
Je serrai les dents.
Nous allions vite le savoir, non ?
* * *
Je regardai l'immense propriété devant moi. C'était une veille ferme, abandonnée pour l'endroit où elle se trouvait. Il y avait quelques traces de passage, mais rien qui datait des derniers mois. J'en étais presque sûr.
C'était à l'adresse que la proie d'Evy nous avait donné. L'homme qu'elle avait traîné jusqu'à presque mourir nous avait donné ce maudit endroit.
Le seul indice qu'Evy avait réussi à trouver était en train de se réduire à néant.
Evy était sur son arrière-train, battant de la queue comme si cela pouvait calmer sa colère.
— Il n'y a rien, crachai-je. Pas besoin d'aller dedans pour savoir qu'il n'y a rien ! Ce gars nous a filé une adresse au hasard et nous voilà comme des connards devant RIEN !
Evy se leva et commença à trottiner pour aller vers la bâtisse. Cet enfoiré ne nous avait rien filé.
Rien filé du tout.
Il nous avait enculé et nous n'avions plus rien pour remonter une seule piste.
Nous étions à quoi ? Quelques kilomètres du territoire d'Arkan et de trois autres Freiherrs. Rien de concluant. Rien qui pourrait incriminer plus qu'un autre.
Bordel de merde.
Bordel. De. Merde.
Merde.
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