78 || Joshua

« Quelqu'un a dit un jour que la mort n'est pas la pire chose dans la vie :

le pire, c'est ce qui meurt en nous quand on vit. »


Lili tourna le téléphone sur Harper et je découvris le visage de ma nièce avec bonheur. Elle avait déjà changé, c'était incroyable et ça me serrait un peu le cœur aussi. J'aurais aimé être avec elles, mais je devais rester ici pour tellement de raisons que je n'arrivais même plus à trouver d'excuses pour partir.

_ Elle a encore grandi, dis-je en posant ma tête sur l'oreiller.

J'étais tout seul dans le dortoir, car c'était la journée et que personne ne traînait ici. Tout le monde était à l'entraînement ou plonger dans les cours. Il y avait des examens bientôt et tous les Cadets étaient sur le pied de guerre. Les Benjamins n'avaient que très rarement des examens et les Juniors avaient plus d'examens pratiques que d'examens théoriques. Warren voulait quand même je passe les mêmes contrôles que les autres, mais j'avais quatre à cinq chapitres d'avance sur ce que Warren avait prévu pour moi. Durant le prochain mois, j'étais censé passer du temps avec les Asters pour connaître les forces armées de l'Empereur. Je devais aussi continuer les surveillances du Fief.

C'était juste qu'aujourd'hui, cela faisait un mois de plus que Raphael avait disparu. Ce n'était pas une bonne date. D'ordinaire, je serais allé voir Hachi, mais elle était occupée depuis hier avec une nouvelle venue. Tous les garçons avaient parlé sur elle, mais personnellement j'avais eu la tête ailleurs. Évidemment, quand une fille arrivait ici, les garçons ne savaient plus comment ils s'appelaient, si j'avais trouvé ça assez drôle sur le coup, je m'étais rendu compte que je n'aurais pas apprécié qu'Ashika soit regardée de cette façon si elle avait été dans un autre Fief.

_ Elle a pris un peu de poids et elle a gagné deux centimètres depuis la dernière fois d'après maman, remarqua Lili en souriant.

Elle était derrière Harper, allongée sur un lit, coincée entre des oreillers. Ma nièce était endormie contre sa mère, le visage paisible et la respiration régulière. Elle avait repris un peu de poids et de vie, mais son regard restait éteint. Comme si quelque chose n'arrivait pas à se rallumer.

Raphael me manquait.

Il me manquait atrocement, mais je n'osai plus le dire à Lilibeth. J'avais trop peur que cela remue des trucs en elle. Trop de trucs. Je ne voulais pas être une autre source d'inquiétude pour elle.

_ Elle te ressemble de plus en plus, lui confiai-je en lui rendant son sourire.

Lilibeth n'était pas dupe cependant. Elle poussa un long soupir, mais laissa le téléphone où il était pour que je puisse continuer de voir Harper. Je n'avais pas eu assez son odeur de bébé pour qu'elle s'imprime en moi, mais j'avais envie de la ressentir. D'être apaisée par sa présence. De me dire que Raphael était encore un peu vivant à travers elle. Qu'il était encore un peu là, avec nous et pas complètement disparu, annihilé par le temps, réduit à l'état de poussière.

_ Joshy, souffla-t-elle. Comment tu te sens ?

_ Pas en forme, admis-je d'une petite voix.

_ Ne reste pas tout seul, d'accord ? me demanda-t-elle, ses yeux brillants de larmes.

_ Promis, acquiesçai-je. Ne t'inquiète pas, c'est juste un jour sans.

_ Je sais. Je sais bien.

_ Est-ce qu'on peut rester un peu comme ça ? chuchotai-je au téléphone.

Lilibeth renifla un peu et je vis quelques larmes coulées en silence, mais nous restâmes ainsi encore plusieurs minutes.

Une main dans mes cheveux me fit sursauter. Je clignai des yeux, un peu désorienté. Je ne dormais pas beaucoup en ce moment, donc je m'endormais n'importe comment, n'importe où et n'importe quand. Le visage d'Hasna était à la hauteur du lit superposé, preuve qu'elle devait avoir ses pieds sur son matelas qui était celui sous le mien.

_ Lilibeth m'a dit que tu t'étais endormi et qu'elle n'avait pas osé te réveiller, souffla ma petite amie.

Je me frottai les yeux, profitant de la caresse de ses doigts dans mes cheveux rebelles. Il faudrait que je demande à Abel de les couper, apparemment il le faisait souvent aux autres.

_ C'est comment aujourd'hui ? chuchota Hasna en déposant un baiser sur mon front.

Je haussai mes épaules, la gorge nouée.

_ Un bon huit, lui confiai-je en jouant avec un de ses bracelets.

Elle fit une petite moue et repoussa ses cheveux bouclés sur le côté.

_ Qu'est-ce que tu dirais d'une balade ? me proposa-t-elle en tapotant mon nez. Ça nous ferait du bien.

_ Juste tous les deux ?

Elle m'embrassa rapidement sur la bouche et recula avec un sourire tendre.

_ Juste tous les deux, acquiesça-t-elle.

Elle me tira du lit et me fit enfiler un t-shirt et une veste. Pas du tout l'uniforme. Même en sachant que nous étions en semaine. Tant pis. Elle enfila sa veste, ses cheveux longs s'agitant dans son dos. Elle me tendit sa main que je pris et m'embarqua.

Nous nous retrouvâmes à l'entrée du Fief, là où la route menait vers le premier poste de garde. Ici, la route était dans un vieux béton, mais j'étais presque sûr que Warren voulait l'enlever si la Réserve ne rouvrait pas.

_ Tu as déjà pensé à ce que tu aurais pu faire si tu n'avais pas choisi le Fief ? soufflai-je.

Hasna glissa son nez dans mon cou, ses bras sur mes épaules, se tenant à moi. Ses seins et son ventre étaient plaqués contre mon dos et je la tenais par la taille pour qu'elle tienne dessus. Ses cheveux effleurèrent ma joue quand elle poussa un petit soupir.

_ Dans ma famille, m'expliqua-t-elle, si tu n'es pas un Ritter, tu n'es rien. Alors, il fallait bien répondre à des attentes.

_ Tu n'as jamais eu envie de plus ? De partir ? De voir d'autres horizons ?

Hasna descendit de mon dos et se plaça devant moi. Je regardai le ciel dégagé pour l'instant. Les quelques nuages noirs à l'horizon changeraient ça bientôt.

_ Si, bien sûr. J'ai juste fait le choix qui me semblait être le bon.

_ Celui que ta famille pensait être le bon non ? la corrigeai-je.

Elle prit mes mains dans les siennes et pencha doucement la tête sur le côté.

_ Ma famille m'a déconseillé de venir au Fief. Ma mère voulait que je trouve ma propre voix, même si ce n'était pas pour devenir Ritter. Et même si je pense qu'elle voulait que je le fasse, au fond d'elle, elle a été rassurée quand je me suis inscrite au Fief.

_ Je ne sais pas si je veux être un Krig, admis-je en regardant nos quatre mains liées.

J'avais déjà eu une pseudo conversation comme celle-ci avec Wolfgang il y a quelques jours. Ça me remuait. D'être ici. De voir Hachi se débattre avec tous ses problèmes et d'y arriver. Même s'il y avait des jours sans, même si parfois elle commettait des erreurs, qui aurait pu dire qu'elle ne s'en sortait pas ? Pas moi. Surtout pas moi.

_ Je ne sais pas si je vais réussir à le devenir, ajoutai-je, inquiet.

_ Je ne sais pas non plus si je conviendrais pour devenir un Ritter, me confia Hasna. On est jeunes, on a le temps de penser au fait qu'on deviendra ou non une figure particulière, tu crois pas ?

Je soupirai.

_ Pas moi, répondis-je, sérieux. J'ai déjà pris la décision de devenir Krig-an. Je suis déjà en position d'apprentissage. Si j'arrête tout maintenant, je perdrai le seul but dans ma vie qui me fasse tenir bon.

_ C'est-à-dire ? releva Hasna.

_ Devenir ce que mon frère voulait de moi.

Hasna secoua la tête.

_ Il n'y a pas que ça dans ta vie, Josh, remarqua-t-elle en embrassant ma joue. Il y a Lili, Harper, Hachi, Wolf–

_ Et toi, l'interrompis-je en l'attirant à moi.

Elle rit doucement et embrassa mon nez, puis mes lèvres.

_ Plein de gens ont besoin de savoir que tu avances pour avancer eux-mêmes. Ce n'est pas une mauvaise chose et ça te donne un but supplémentaire. Enfin, c'est comme ça que je le vois. Et je pense que si tu ne voulais pas devenir Krig, tu aurais déjà dit non à Warren. Et tu lui aurais expliqué ça point par point.

Ce fut à mon tour de pencher la tête doucement. Je me penchai sur elle et l'embrassai avec envie.

Hasna commençait à me connaître et j'aimais ça. Elle était franche avec moi et on se disait ce qu'on pensait. Ce n'était pas comme avec Ashika et ça ne le serait jamais. Néanmoins, je pouvais profiter de ses instants.

Je pouvais avancer de mon côté.

Hachi le ferait aussi et nous nous retrouverions au moment voulu. N'est-ce pas ?

* * *

Wolfgang sauta et son corps vola dans le vide pendant un instant. Je tendis mon bras pour le rattraper au vol et nos corps heurtèrent l'épaisse muraille que nous devions grimper, recouverte de boue et de flotte. Le bras tremblant, le corps collé au bois du mur d'obstacle, je sifflai d'effort.

_ Lâche pas, grogna Wolf.

_ Trouve une prise, crachai-je, en soufflant bruyamment.

Il regarda autour de lui, aussi immobile que possible, pendu dans le vide.

_ On perd du temps, siffla Wolf.

_ Gauche, couinai-je, sentant mon bras se cramper.

Wolfgang jeta un coup d'œil à notre gauche et vit la petite prise dans le bois. Ce truc était tellement glissant que j'étais persuadé que Wolfgang allait se retaper un tour. Nous ne pouvions passer cet obstacle sans notre binôme et c'était la troisième fois que Wolf et moi avions échoué.

_ Dernière fois, grommela mon camarade.

Je hochai la tête. Je pris une longue inspiration et bandai mon bras. Avec une poussée, je fis voler Wolfgang à la prise, qui n'était qu'à quelques centimètres, mais ça me paraissait être des kilomètres de là où j'étais. Wolfgang réussit à s'agripper et resta en extension sur ses bras, le corps gigotant à peine dans le vide.

_ Vous comptez vous dorer la pilule encore longtemps ? beugla Abel en contrebas du parcours.

_ Réponds pas, siffla Wolf. Il essaye de nous déconcentrer.

_ Je vais lâcher, chuchotai-je, les bras tremblants.

_ Non ! s'exclama mon ami. On avance ensemble, compris ?

Je croisai son regard et quelque chose chez lui me donna la force de crier pour atteindre la prise suivante. Il réussit à me rejoindre à son tour et nous hissâmes nos corps tremblants sur le haut du mur. Wolfgang me tendit son poing et j'y cognai le mien.

_ J'ai faim et vos fessiers sont encore assez moelleux pour que je les croque, souffla la voix d'Evy non loin de nous.

Nous nous redressâmes en même temps et filâmes sur la fin du parcours. Il y eut deux autres endroits qui nécessitèrent notre coopération. Le second fut le plus compliqué. Nous devions nous passer une corde qui nous permettait d'avancer sur chaque plot éloigner de plusieurs mètres les uns des autres. Parfois, la corde nous échappait et nous tombions dans la boue, obligée de recommencer et à deux évidemment.

Les jambes tremblantes, je sortis du parcours sous le regard perçant de Todd, l'Aster le plus influençant du Fief. Il était le leader sur les trois, je le savais. Tout le monde le savait. Il était mon mentor pour le mois à venir et parfois, j'avouais qu'il me foutait la trouille. Moins qu'Evy cependant.

_ Il y a encore du travail, souffla-t-il.

_ Je trouve qu'ils se débrouillent bien tous les deux, remarqua la voix d'Ashika.

Je pivotai sur la droite et aperçus Ashika et l'Earhja, Ansara, à ses côtés, les yeux grands ouverts. Elle applaudit en éclatant de rire.

_ Les gars, c'était de la performance ça ! s'écria-t-elle, visiblement impressionnée.

Je regardai mes vêtements, imbibés de boues. Je n'étais pas franchement impressionnant, mais que voulez-vous. J'avais très vite compris qu'il n'était pas compliqué d'impressionner Ansara. Elle semblait s'émerveiller d'un rien.

_ Si tu veux voir de la performance, regarde-le faire lui ! s'exclama Wolf en pointant Todd du doigt.

Je rentrai ma tête dans mes épaules quand Abel débarqua dans notre dos. Il m'observa un instant. Qu'avait-il fait du dossier d'Ashika ? Il l'avait brûlé ? Ramené à Maze ? Je n'avais pas posé la question, parce que moi-même je savais plus de détails qu'Ashika sur sa propre santé. Sur ce qu'elle avait vécu. Et je ne pouvais rien lui dire, car ce n'était pas à moi de le faire.

_ Vous avez mis une minute quarante de plus que la dernière fois, remarqua-t-il en me montrant le chrono.

Wolfgang grogna de rage. Je me laissai tomber sur le cul, la tête non loin des pieds d'Ashika. Elle se pencha sur les gradins et tapota ma tête. Je croisai son regard. Oui, aujourd'hui c'était un bon jour.

_ On est nul ! s'écria Wolf.

_ Je ne dirais pas ça, marmonna Ansara.

Je lui jetai un coup d'œil, détachant mon regard d'Ashika. Ansara était plutôt une jolie fille et très jovial. C'était agréable de parler avec elle et bizarrement, j'avais l'impression qu'elle était comme moi. Elle faisait du bien à Ashika. Il n'y avait pas de jugement chez elle, seulement une soif d'apprendre des notions sur les Fiefs. Ashika étant une très bonne prof là-dessus, elles avaient trouvé chaussure à leurs pieds.

_ On est nul ! répéta Wolf.

_ Vous voulez en refaire un ? s'enquit Abel en faisant la moue.

_ Bien sûr que non !

On rigola avec Wolf, car on avait hurlé en même temps. J'avais personnellement bien besoin d'une douche et d'habits secs et propres. Je ne supportai plus d'être dans ses fringues humides.

_ J'espérai plus de vous, remarqua mollement Abel.

Wolf leva les yeux au ciel.

_ Si quelqu'un fait un meilleur temps que nous, fais-le-nous savoir, rétorqua Wolgang en se laissant tomber à côté de moi.

Abel ricana.

_ Quoi ? grognai-je.

_ Hasna et Loki ont fait mieux que vous sur le même parcours.

_ Quoi ? m'écriai-je.

On échangea un regard avec Wolf.

Et merde.

J'appuyai de nouveau sur le bouton de la douche. Les vestiaires étaient ouverts à tout le monde et ça semblait ne gêner personne de faire sa douche avec les autres. Je n'y avais jamais vraiment réfléchi, car quand vous viviez dans une meute vous appreniez rapidement à vous balader à poil.

L'eau chaude dénoua une bonne partie de mes muscles. J'étais en train de rincer mes cheveux de tout le shampoing que j'avais dû mettre à cause de la boue quand la porte des vestiaires s'ouvrit pour se refermer.

Je levai mon regard pour aviser Hasna qui était elle aussi recouverte de boue. Elle haussa un sourcil.

_ Alors comme ça, vous nous avez battus ? dit-elle en souriant.

Elle jeta un rapide coup d'œil à mon corps, le connaissant déjà. Je savais déjà quoi faire pour avoir son pardon et qu'elle ne prenne pas ça pour de la compétition, mais avouons-le : c'était un pur esprit de compétition.

Elle retira son jogging et son haut. En sous-vêtement et avec sa petite trousse de toilette, elle alla dans une des cabines de douches qu'elle laissa entrouverte. Je regardai autour de nous et ne vis personne d'autre dans les vestiaires.

Je récupérai ma serviette que je pendis à la porte de la douche et la fermai. Hasna se jeta sur moi en rigolant et nous nous embrassâmes comme deux idiots qu'on était.

Je l'aidai à retirer ses sous-vêtements avec quelques mains baladeuses et bientôt, elle se nettoya vigoureusement pour enlever la boue. Je lui massai un peu la tête et lui lavai les cheveux.

Quand elle finit par se tourner pour me regarder avec des pupilles brillantes de désir, je glissai mes bras autour de sa taille et laissai mes mains glisser sur ses fesses.

_ Vous avez gagné une bataille, mais pas la guerre, murmura-t-elle dans mon oreille.

Je grognai doucement, mais déjà sa main glissait dans sa trousse de toilette pour en sortir un préservatif. Il y en avait toujours à disposition à l'infirmerie.

_ Une trêve pour l'instant, alors ? ricanai-je.

Elle se mordit la lèvre pour retenir un rire et je lui pris le préservatif des mains pour l'ouvrir.

_ Espérons que tu tiendras aussi bien la distance, me taquina-t-elle.

Je haussai un sourcil et m'exécutai avec plaisir.

Parfois, il y avait du bon à la compétition. 

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