72 || Warren
« Chacun de nous est une lune, avec une face cachée que personne ne voit. »
Mark Twain
Je n'entrai pas dans la salle où Evelyn se trouvait. Je ne faisais qu'écouter son frère la rassurer, encore et encore. Il lui proposait d'avoir de l'aide du côté de la psychologue avec qui elle avait parlé, mais elle ne cessait de lui répéter qu'elle voulait rentrer à la maison.
Je devais attendre qu'Eliott veuille bien sortir pour que je lui explique la situation, que je lui fasse entendre que les agresseurs auraient pu être des lycans qui détestent les humains, que peut-être il n'avait pas besoin d'être encore plus véhément avec les humains maintenant que sa sœur avait été violée par deux hommes. Je devrais le faire surveiller de plus près encore. Je devais aussi lui expliquer que le Capitaine Fairfax allait le suivre de loin maintenant qu'elle savait ses antécédents et qu'il allait devoir faire avec. Toutes ces choses en sachant que sa sœur s'était fait violer la veille et qu'elle voulait simplement rentrer. Était-ce le bon moment ? On m'aurait parlé de tout ça le lendemain de la disparition d'Ashika, j'aurais tué la personne qui aurait seulement osé s'approcher. Je ne pouvais pas lui imposer ça et en même temps, j'étais son Krig. S'il devait écouter les ordres de quelqu'un, ce serait moi ou tout simplement son Koning. Après tout, j'étais celui qui devait régler le problème puisqu'il se trouvait sur mon territoire, mais parfois le Koning était plus à même de gérer les répercussions.
Je me redressai et longeai le couloir qui me ramena vers les salles d'interrogatoires. Il n'y avait ni Mazakeen ni Mak en vue. Je me faufilai dans la salle d'Andy et je le trouvai en train de faire les cent pas derrière la table. Il me vit et se figea.
Son regard me communiqua toute la haine qui débordait de lui. ! Toute cette colère dirigée directement non pas vers moi, mais vers ma nature profonde.
_ T'as pas le droit d'être là, cracha-t-il.
_ Tu m'as donc reconnu, murmurai-je, croisant les bras sur mon torse.
_ Normal que tu viennes t'occuper de cette chienne. Et Fairfax, tu comptes la baiser encore ? Tu devrais t'en tenir à ta race.
Était-il complètement fou ou suicidaire ? Voulait-il que je réagisse à ça ? Je contournai la table et m'approchai de lui. Je ne le touchai pas, ne voulais pas me salir en le faisant. Un homme comme lui avait fait subir les pires atrocités à ma fille, flinguant une partie de son avenir. Andy lui-même l'avait fait avec Evelyn. Une jeune femme qui n'avait rien demandé à la vie, rien du tout. Surtout pas de se faire chasser comme un vulgaire animal, comme une vulgaire proie.
Je voulais qu'il ressente la peur.
La peur de la proie.
Sentir au fond de ses entrailles qu'il pourrait mourir sous mes crocs si seulement je prenais le temps de l'entailler pour qu'il sente la douleur.
Je voulais qu'il sache ce que ça faisait de se retrouver au bout du tunnel en se demandant si on verrait un autre jour.
De se pisser dessus, car il ne pouvait plus contenir la frayeur qui s'imprégnait dans ses membres, l'empêchant de bouger, de respirer.
Un petit animal prit dans les phares d'une voiture.
Réussirait-il à s'échapper ?
Réussirait-il à se sauver ? À survivre ?
Ou finirait-il tremblant sur le bas-côté, se vidant de son sang pour perdre la vie ?
Andy heurta le mur derrière lui, le regard écarquillé, sentant la pression de mon aura. Je voulais qu'il tremble, qu'il soit si effrayé qu'il hurle pour tenter de sauver sa vie.
Je me penchai lentement vers sa joue et mon lycan grogna à travers ma gorge, forçant Andy à adopter le premier comportement qui potentiellement pourrait lui sauver la vie. Il baissa les yeux se soumettant au prédateur devant lui.
_ Tu lui as pris quelque chose, Andy, murmurai-je. Quelque chose que tu ne seras jamais capable de lui rendre, même si tu le voulais bien.
Il frémit quand ma voix heurta son oreille, rauque et tendue. Rêche. Si j'avais pu le blesser rien qu'en utilisant cette arme, je l'aurais fait. Sans y réfléchir à deux fois.
_ Je n'ai rien fait, couina-t-il en secouant la tête.
_ Sois sûr que je te prendrais quelque chose. Quelque chose que je ne te rendrais jamais, Andy. Jamais.
J'eus un mouvement en avant qui fit tellement à Andy qu'il se recroquevilla au sol, tremblant et gémissant. Je roulai mes épaules, sentant mon lycan dans tous mes membres.
_ Voilà ce qui ne changera jamais, Andy, soufflai-je en m'accroupissant. Nous serons toujours les prédateurs et vous serez toujours les proies. Tu ne toucheras plus jamais une seule femme sur cette terre.
Un dernier sursaut quand mon lycan lui grogna dans l'horreur, un grognement d'attaque, qui suggérait une fin imminente. Je me redressai, dépliant lentement mon corps. Je sortis de la salle d'interrogatoire, ne faisant pas attention à l'odeur de pisse qui s'était installée.
En retournant vers Eliott et Evelyn, je trouvai le frère et la sœur en mouvement. Eliott paraissait maître de lui, mais je pouvais sentir à quel point la colère était là, sous sa peau.
_ Krig.
_ Rentrez, ordonnai-je. Je viendrai vous rendre visite. Soyez sûrs que cette affaire est prise en charge par la Brigade et qu'elle sera jugée le plus rapidement possible.
_ Vont-ils être remis en liberté ? demanda Eliott, le regard brillant de l'animal en lui.
Evelyn frémit et se pressa un peu plus contre le torse de son Freiherr. Je pris une longue inspiration.
_ Non. Ils vont être jugés. Nous avons des aveux. Les circonstances sont aggravantes pour eux. Evelyn, dis-je en me tournant vers elle, tu seras appelée à la barre pour témoigner. Nous ne pouvons éviter cette étape, ni ton Koning, ni moi et encore moins ton Freiherr. Il faut que tu te prépares. Je t'en prie, prends soin de toi et n'hésite pas à demander de l'aide. Compris ?
Elle hocha plusieurs fois la tête. Je déposai un baiser sur leur front avant de les remettre aux lycans d'Eliott qui étaient eux aussi venus. Balil les raccompagna à l'entrée du commissariat.
Mak apparut au bout du couloir et me fusilla du regard. Sûrement parce que j'avais laissé un enfoiré se pisser dessus n'est-ce pas ?
Durant l'heure suivante, je pris contact avec plusieurs personnes. Le Koning surtout, puisque dans un cas comme celui-ci, il serait dépositaire de la sentence à proclamer. Je passai plusieurs minutes au téléphone avec les Freiherrs qui se trouvaient autour du territoire d'Eliott. Sans leur donner de détails morbides, je leur ordonnais de me faire plusieurs rapports au Koning et à moi, sur le comportement d'Eliott. J'irais le voir dans les jours à venir pour m'assurer qu'il n'avait pas lancé une vendetta.
J'étais dans le bureau de Mazakeen, plongé dans les informations qui constituaient l'affaire d'Ashika quand le téléphone sonna. Le capitaine Fairfax déboula rapidement et décrocha, me jetant un coup d'œil acéré.
Elle perdit son expression grognon et sembla instantanément nerveuse et inquiète. Elle garda un ton cependant très professionnel qui me poussa à pivoter vers elle.
_ Donnez-moi l'adresse, nous arrivons tout de suite, grogna-t-elle.
Elle la nota et arracha le papier de son carnet. Elle raccrocha rapidement et m'observa quelques secondes avant de soupirer.
_ Il va falloir que tu viennes pour celle-ci aussi, admit-elle.
_ À ce point-là ? marmonnai-je, mécontent de voir qu'il n'y avait pas qu'une seule affaire déplaisante, mais bien plusieurs.
Mazakeen me fit signe de la suivre et c'est ce que je fis. Elle m'ouvrit la porte d'une des salles de réunions de l'étage et je m'arrêtai sur le seuil, impressionné par le nombre de tableaux qui se trouvaient ici. Celui qui était directement accroché au mur présentait une longue frise chronologique avec des dates, mais surtout des années différentes. Je compris rapidement aussi qu'une partie s'était déroulée aux États-Unis, car les noms des villes ne m'étaient pas inconnues.
Il y avait deux personnes dans la pièce, mais au vu des différents espaces de travail, je compris que tout le monde n'était pas présent. Je levai ma main à l'encontre de Raife et Natasa, des lycans déployées uniquement ici. Elles se levèrent et s'inclinèrent rapidement, mais j'agitai ma main pour qu'elles se remettent au travail. Elles étaient sous le commandement de Mazakeen, pas du mien.
Mazakeen s'approcha rapidement du l'immense tableau au mur, ainsi que les autres petits qui indiquaient deux nouvelles victimes, ici, en Nouvelles-Galles du Sud. Je déglutis en voyant le nombre de victimes, mais aussi les années sur lesquelles s'étalaient ses crimes.
_ La Chasse est arrivée ici ? murmurai-je en reconnaissant soudain l'un des visages, tristement célèbre d'une des victimes.
Elle avait été la fille d'un des Vice-Présidents des États-Unis. Kidnappée, visiblement utilisée comme trophée d'une chasse, son corps avait été retrouvé parmi d'autres. L'histoire avait fait mouche aux États-Unis, mais il n'y avait eu aucune piste. Rien du tout.
_ Je déteste ce nom, mais visiblement nous allons commencer à l'utiliser ici aussi. Cette affaire faisait partie de mes attributions quand j'étais aux États-Unis. Cinquante-six ans et douze mois de meurtres. Même mode opératoire, mais tueurs différents au fur et à mesure des années. Nous avions espéré que cette affaire, ou du moins le tueur en question serait cantonné aux États-Unis, mais ce n'est pas le cas.
Mazakeen se déplaça vers le premier tableau annexe sur des roulettes et me présenta la victime comme étant une jeune femme tout à fait normale, une humaine, pas d'historique particulier. Elle avait été kidnappée en début d'année et seulement retrouvée il y a un mois et demi. Visiblement, le corps avait été retrouvé à côté d'un autre. Jeune homme humain, d'une vingtaine d'années, type caucasien, cheveux blonds, et pourtant je ne pouvais pas détourner mon regard de son visage à moitié arraché par une balle de plomb qui explosait souvent pour éclater la chair autour de son impact. Ce n'était évidemment pas sa seule blessure par balle ou autre objet contondant.
_ Ces deux dernières victimes ont été retrouvées ici, en Nouvelles Galles du Sud, à Tumut.
Mazakeen soupira et se frotta le front.
_ Et je viens de recevoir un appel qui m'annonce quatre cadavres de plus. Tous entassés dans un endroit où on n'aurait pas dû les trouver.
J'enroulai mes bras autour de mon torse, tapotant mon menton. Ce n'était pas une petite affaire à négliger.
_ Dans les victimes, il semblerait qu'il y a deux lycans, ajouta Mazakeen en m'observant attentivement.
_ J'aurais été au courant des disparitions.
_ Ce n'était pas des lycans de l'Empereur apparemment, grimaça Mazakeen. Ils portaient des bracelets pour les distinguer.
_ Des Terras ? murmurai-je, très inquiet à présent.
_ Ça y ressemble, marmonna Mazakeen. Il faut que tu saches que nous avons un témoin capital pour cette affaire, mais que rien n'a été ébruité. Elle a été soignée et mise en sureté. Elle est surveillée constamment par les forces de la Brigade.
Je la regardai avec de grands yeux. Il y avait une survivante ?
_ Elle est traumatisée, admit Maze. Ce qui rend le travail d'identification très compliqué.
Je ne relevai pas. J'avais ma propre fille de traumatisé, je n'allais pas prendre sur mes épaules le poids de toutes les jeunes filles traumatisées.
_ Où sont les corps ? soupirai-je.
_ Ils sont à quarante kilomètres des autres corps. En plein milieu d'une zone forestière. À quelques minutes de Talbingo. Je hochai la tête, repérant déjà l'endroit. C'était à la limite d'une Réserve, comme la mienne, sauf qu'elle n'était pas habitée. Il devait rester peut-être une Réserve indigène, mais pas plus. Et il y avait effectivement une poche Terra non loin de là.
_ Il faut prévenir l'Empereur, soufflai-je. Ou au moins son Conseiller. Je ne peux pas m'interposer sur une ligne Terra sans avoir leur aval. Aslander aurait ma peau.
_ Appelle-le. Nous avons un trajet d'une heure en hélicoptère.
Je hochai la tête et filai de la pièce, ne cherchant même pas à me poser des questions. Certaines poches de Terras qui étaient pacifistes avaient en sorte d'être reconnu par les autorités lycans pour lesquelles ils ne rendaient aucun compte. Nous avions réclamé cette seule précaution, car ils n'étaient répertoriés nulle part. Même pas dans un livret de naissance, ce qui pouvait être compliqué à gérer pour nous.
Je pris le chemin du toit directement, sachant que Mazakeen me suivrait. Je sortis mon téléphone et me mis en communication avec Arzhel. Ce dernier répondit avec son flegme habituel.
_ Conseiller, soufflai-je.
_ Krig, me salua-t-il.
_ Nous avons une urgence. Affaire d'homicide. Il se pourrait que deux Terras soient concernés.
_ Deux meurtres ? gronda Arzhel.
_ Oui, acquiesçai-je. Je suis en chemin. Il semblerait que ces deux homicides fassent partie d'une affaire plus sombre que prévu, et surtout bien plus vieille.
_ C'est pour ça que la Brigade a accueilli un membre du BFIS, n'est-ce pas ? comprit notre Conseiller.
Je retins un grognement. Ce n'était pas le moment de faire un concours sur qui remporterait Maze. J'étais son Anchor. Il ne pouvait pas en être autrement, même si concrètement nous allions encore ramer quelque temps.
_ Va sur place. Fais-nous un rapport. Tu as carte blanche.
_ N'hésite pas à appeler ton frère, chuchotai-je. C'est une affaire de meurtre en série. Qu'il mette les siens à l'abri.
Un léger silence avant un soupir.
_ Merci, Warren.
Je raccrochai. Le vent fouetta mon visage quand j'ouvris la porte qui menait au toit. Je pris une longue inspiration et entendis le bruit de l'hélicoptère.
Mazakeen se faufila par la porte et me fit signe de la suivre au milieu de la piste. Nous attendîmes l'un à côté de l'autre que la machine se pose. Je grognai en rentrant dedans. Ce n'était pas mon moyen de locomotion préféré. Je prévins Balil et Nylo de mon mouvement.
Le trajet fut rapide, car Mazakeen en profita pour me mettre à jour sur certaines notions de cette affaire. Le nombre de victimes, le nombre de potentiels meurtriers différents. Elle m'expliqua qu'aux États-Unis les meurtres s'étaient déplacés au fur et à mesure, rendant la localisation impossible. Par ailleurs, elle avait peur que ce soit un héritage. Qu'une famille se transmette ça et que cela rendrait la chose encore plus horrible si cela pouvait l'être.
L'hélicoptère atterrit quand elle commença à me parler du témoin, mais elle n'eut pas le temps d'en dire plus. On nous ouvrit la porte. Une main agrippa le poignet de Mazakeen qui se laissa tirer sans broncher. Je descendis moi-même de l'hélicoptère, suivant le dos de Mazakeen.
L'homme devant elle avait une démarche assurée et il resta plié le temps de s'éloigner des pales de l'hélicoptère. Il se redressa quand l'appareil cessa de faire un boucan innommable pour mes oreilles sensibles et je reconnus immédiatement l'agent du BFIS. Hadar me tendit sa main et je la serrai en insistant sur ma prise.
_ Merci d'être venu avec le Capitaine Fairfax, me dit-il sur un ton neutre.
Il avait un visage plutôt fermé actuellement, comme s'il ne voulait pas nous influencer dans l'appréciation de la prochaine scène que nous allions découvrir.
_ Il y a quatre corps, énonça Hadar calmement. Dont deux Terras identifiés par un de nos effectifs lycans. Il nous a expliqué la notion des bracelets.
Je hochai la tête, satisfait de cette information.
_ Les deux autres sont des humains. Ils sont dans le même état que les victimes précédentes et présentent les mêmes caractéristiques post-mortem.
Je fronçai les sourcils. Hadar vit mon regard interrogateur vers Mazakeen. Elle voulut ouvrir la bouche pour expliquer, mais Hadar la prit de cours.
_ Une fois que les victimes ont été chassées et tuées, elles sont traînées par des voitures d'après nos conclusions. Sur plusieurs kilomètres.
Je déglutis, cherchant cette place froide chez moi qui m'avait toujours permis de suivre des enquêtes sans perdre un peu trop de mon âme.
_ Je ne voulais pas vous influencer, mais je dois vous prévenir. Il y a une enfant humaine de douze ans environ. Et une lycan d'une vingtaine d'années.
_ Allons-y, ordonna Mazakeen.
Je me retins de la toucher, ou de la rassurer. Hadar pressa son épaule quand ils furent au même niveau.
Je serrai les dents.
L'enquête d'abord.
* * *
On va enchaîner quelques PDV sur cette fameuse enquête : elle ne sera pas très poussée et elle sera relativement assez vite réglée donc ne soyez pas surpris.es. C'était la façon la plus simple de faire beaucoup de Warren et Maze ensemble... 😎😇
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