70 || Warren
« Il n'y a pas d'autre amour que celui qui consiste à donner sa vie pour ceux qu'on aime.»
Léon Tolstoï
Plongé dans des papiers du Fief, je ne vis pas tout de suite Abel debout à l'entrée de mon bureau. Je relevai mon regard sur lui. Il avait ses bras croisés sur son torse et paraissait soucieux. Je jetai un coup d'œil au tableau qui concernait l'emploi du temps de tout le monde. Il ne semblait pas y avoir d'erreurs dessus, ce n'était donc pas une affaire sur le Fief.
Mon lycan remua doucement en moi, me poussant à sentir la bête en Abel. Aslander avait ramené Gawain à Sydney. Loin de mon Ritter dangereusement proche de la rupture.
Je connaissais le passif qui liait Abel à son frère et le passé qui liait Evy à Gawain. Ce n'était pas forcément une étape que ma sœur voulait garder en tête et cela m'avait réclamé énormément de promesses pour qu'elle reste ici, dans cette forêt, loin de l'homme qu'elle avait failli tuer. L'homme qui était aussi mon Empereur, la personne que je protégerais de ma vie. Je n'avais pas tiré de promesses à ma sœur pour qu'elle ne retente pas sa chance avec Aslander, disons que je lui avais fait plus du chantage affectif qu'autre chose. Je lui avais clairement dit que si Aslander mourait, alors je le suivrais dans la tombe, car la seule mission qui m'importait dans ce monde était de la maintenir en vie.
Je devais aussi me rappeler que chaque homme sous mon commandement nécessitait mon attention. Abel était contrarié de toute façon. Je ne pourrais pas deviner de quoi il s'agissait hormis s'il me le disait. Evy ? Gawain ? Ashika ?
_ Notre théorie est confirmée, murmura-t-il enfin.
Lentement, je me dressai, posant mes deux mains à plat sur mon bureau. La douleur qui s'infiltra dans mes côtes jusqu'à mon cœur me fit grimacer.
_ Qu'as-tu trouvé ?
_ Ce n'est pas moi qui ai trouvé quelque chose, mais bien Ashika, soupira Abel en fermant la porte derrière lui.
Je tentai de contenir ma colère et me rappelai qu'Ashika était en séance avec son psy et que j'étais le suivant sur la liste. J'en avais marre de refouler tout ça. Je voulais venger ma fille et faire en sorte qu'elle ne soit plus jamais en danger. Pas tant que je respirais.
_ Il l'a appelé petite Hachi, s'expliqua-t-il en s'arrêtant devant mon bureau.
Tous les souvenirs qui affluèrent me firent mal à la gorge. Peu de personnes appelaient Ashika par son surnom et encore moins avec l'adjectif qui se voulait tendre, intime et affectueux.
Ne voulant pas fracasser mon ordinateur, je fis le tour de mon bureau pour me poster à la fenêtre. Je pris une longue inspiration. Ashika nous donnait un indice très important. La personne qui était derrière tout ça la connaissait, me connaissait.
Et il l'avait fait en connaissance de cause.
Ce n'était pas simplement un règlement de compte.
Il avait souhaité éliminer la seule personne, hormis Aslander, qui pourrait m'emmener dans sa mort.
On avait désiré m'éliminer et pour ça on avait utilisé Ashika en lui faisant subir les pires horreurs.
Toute cette culpabilité ne faisait qu'enfler en moi, mais je la maîtrisai par un contrôle tout particulier qui me permettait de tuer des gens, de les traquer dans le seul but de déchirer leurs corps et de m'en nourrir.
La main d'Abel sur mon épaule fit grogner mon lycan qui était très présent dans ma tête. Je réfléchissais comme un animal blessé qui ne souhaitait que rendre œil pour œil et dent pour dent.
_ Est-ce que cela élimine des personnes dans ta liste ? soufflai-je.
J'étais au courant de la liste qu'Abel tenait. Après avoir suivi tous les lycans qui étaient entrés dans le Fief, nous avions réduit l'espace-temps à l'arrivée d'Ashika, mais aussi à ma prise de poste dans une certaine mesure. Ce second filtre n'avait pas permis à Abel de trouver quelque chose. Par ailleurs, Evy dans cet état, elle n'avait pas pu définir qui des employés de Gabin, le garde forestier, pouvaient être responsables de certaines informations vendues.
_ Une seule, admit Abel en grimaçant. Ce qui n'aide pas vraiment, mais qui me permet de resserrer mon périmètre de recherche.
_ Je veux que tu accélères la cadence, grognai-je.
_ Evy n'est pas encore remise. Je ne peux pas me permettre de partir.
_ Très bien, dis-je en prenant une autre inspiration. Une fois qu'Evy sera de nouveau sur pied, je veux que vous vous replongiez dans vos recherches. Que ce soit du côté des gardes forestiers, comme des lycans qui connaissent Ashika de façon assez personnelle pour employer ses mots.
Abel émit une pression sur mon épaule et s'écarta lentement. Les informations récupérées par Evy nous aideraient aussi, mais je voulais qu'Abel se rende à l'adresse que nous avions récupérée. Si Evy allait avec lui, ce ne serait que mieux, mais j'avais peur que Gawain ne l'attaque si elle sortait du Fief.
Au moment où la porte se referma derrière Abel, me crispant un peu plus, le téléphone sur mon bureau sonna. Je me frottai le visage et allai décrocher, ne faisant pas attention à l'identifiant sur la ligne fixe du Fief.
_ Allo ? grognai-je.
_ Warren, me salua Mazakeen d'une voix tendue.
Je me redressai et me laissai aller dans mon siège.
_ Capitaine Fairfax, marmonnai-je en jetant un coup d'œil au cadre sur mon bureau où il y avait Maze, Hachi et moi dessus.
_ Je suis désolée de devoir t'obliger à sortir du Fief, mais il faut que tu viennes. C'est urgent. Et potentiellement sujet à risque.
_ Quel genre de risque ?
_ Polémique, grogna-t-elle.
_ Je suis là dans une heure, répondis-je.
Nous raccrochâmes en même temps.
En chemin pour le commissariat de la Brigade Noire, j'eus la possibilité d'embarquer deux de mes Ritters. Notre petite équipe était donc composée de Balil et Nylo. Notre route fut rapide et en arrivant à la Brigade, je reconnus plusieurs de mes lycans. Certains avaient accepté l'offre de se détacher du Fief pour répondre pleinement au besoin de la Brigade Noire. Il n'y avait eu aucun débordement depuis et je comptais bien garder cette fragile paix en place.
Une polémique maintenant n'aiderait personne. Surtout pas notre équilibre précaire.
Balil, Nylo et moi eûmes droit à des poignées de mains, que ce soit des lycans ou des humains présents. J'arrivai au bureau de Mazakeen en étant légèrement tendu face à toute cette attention.
Je me figeai en voyant dans un coin de son bureau un tableau avec comme élément central la photo d'Ashika. Il y avait beaucoup de données autour dont la plupart m'étaient connues. Le reste n'était que fausse piste et désir de trouver un élément. Je déglutis, détournant mon regard de la preuve réelle que Mazakeen cherchait toujours.
Je pivotai pour la voir derrière son bureau, le visage fermé et une expression soucieuse qui plissait son front. Mak fit son entrée à notre suite et il me serra la main un poil trop fort. Mon lycan n'aima pas, mais je maîtrisai le dominant en moi, faisant croire à Mak que cela ne me dérangeait pas qu'il impose sa volonté et limite mon champ d'action hors de son territoire. Traduction : ne pas approcher Maze sous ses yeux.
_ Krig, soupira-t-elle.
_ Capitaine, répondis-je.
_ Warren, grogna Mak.
Je lui adressai un rapide hochement de tête. Balil et Nylo restèrent debout dans mon dos quand je m'assis sur la chaise en face de Mazakeen.
_ Nous avons un problème, remarqua-t-elle.
_ Je t'écoute.
Je ne savais pas si j'appréciai qu'elle me contacte pour reprendre les affaires en sachant que nous n'avions pas eu de contact depuis notre dernière rencontre.
Dernière rencontre où je lui avais fait clairement comprendre qu'une fois que nous aurions réglé certaines choses, je concentrerais toute mon attention sur elle. Si Abel s'occupait d'Evy, alors je m'occuperais de mon Anchor en temps voulu. Je savais acculer ma proie, surtout celle-là.
_ Ce matin, une jeune lycan est arrivée au commissariat en demandant à voir le Krig, car elle voulait porter plainte contre deux policiers.
Je tendis mon oreille, conscient que Maze ne m'avait appelé que vers midi. Elle avait donc tenté de régler l'affaire sans moi, preuve que cela concernait aussi des humains.
_ Pour quel motif ? demanda Balil, soucieux.
_ Pour viol, répondit Mazakeen les épaules tendues.
Tout mon corps se tendit et je sentis mon lycan grogner à travers ma gorge. La main de Balil puis celle de Nylo pressèrent mes épaules pour me rappeler au calme. J'aurais aimé ne pas échanger un regard avec Mazakeen où la profondeur de nos blessures n'était pas si criante, si présente, jusque dans nos muscles.
Je levai une main et mes deux Ritters me relâchèrent lentement. Je pris une longue inspiration et me levai, posant mes deux mains sur le bureau de Mazakeen. J'aperçus Mak dans mon champ de vision faire un pas en avant.
_ Où est-elle ? soufflai-je.
_ Je t'en prie, Warren, réclama Maze, assieds-toi et laisse-moi finir.
Mon pouvoir fit onduler ses cheveux, mais elle maintint le contact visuel jusqu'à ce que je pose mes fesses dans son putain de siège. Une lycan violée par deux flics ? Qu'est-ce que c'était que ce bordel ?
_ J'attends, grinçai-je.
_ Elle est actuellement dans une pièce sécurisée, ici au commissariat. Les deux flics en question sont des humains et font partie des forces de police d'Australie. Ils ne font pas partie de la Brigade Noire.
_ Pourquoi prends-tu déjà leur défense ? souffla Balil, en tentant de rester calme.
Je grognai doucement et il ferma sa bouche à contrecœur. Je me frottai le visage et tentai de calmer le tressaut de mon pied. Je n'avais franchement pas envie d'un tel problème. Surtout pas maintenant. Surtout pas avec tout ce qu'on avait vécu.
Néanmoins, si elle était une lycan, alors je devais en prendre soin. Elle était l'une des miennes. Et le Krig du territoire était celui qui gérait les lycans. Malheureusement, si des humains étaient impliqués, alors la Brigade Noire allait devoir y mettre son nez. C'était ce que j'avais toujours voulu pour que les relations entre les humains et les lycans soient facilitées. Visiblement, ce n'était pas le cas. Cependant, je savais que tout cas de viol, qu'il concerne des lycans ou des humains, était à prendre très au sérieux.
_ Hier soir, Evelyn Thunderson était en train de rentrer chez elle à pied quand deux hommes l'ont interpellée. Elle pensait les avoir semés, mais ils l'ont suivi jusque chez l'amie où elle allait passer sa soirée. Ils l'ont attendue et quand elle est ressortie pour rentrer, ils l'ont emmenée dans une impasse pour la violer. À ce moment-là, elle ne savait pas leur identité.
Les images qui me venaient étaient toutes aussi troublantes que celles que j'avais pu vivre à travers les yeux de ma propre fille. Je tentai de les écarter pour me concentrer. Les mots de Mazakeen résonnèrent en moi.
_ À ce moment-là ? relevai-je.
Mak et Maze échangèrent un regard nerveux avant de se concentrer de nouveau sur nous.
_ Quand Evelyn a voulu aller porter plainte au commissariat de sa ville, elle a identifié un de ses agresseurs.
_ Putain, souffla Nylo.
_ Elle a immédiatement fui le commissariat pour venir ici. Elle vit dans une petite commune à côté de Canberra. Elle connaît le système de la Brigade, car elle vit justement à côté de nous. Il semblerait que son Freiherr ait donné des consignes à sa meute au cas où ils auraient des problèmes graves. Qui contacter, où aller. Nous étions en seconde position après le commissariat de proximité.
Je hochai la tête. C'était une alternative que j'appréciais. Nous étions dans une zone d'expérimentation sur mon territoire, celui de la capitale. La Brigade noire devait être introduite à beaucoup d'acteurs pour être utilisée à sa juste valeur.
_ Je ne vois pas son Freiherr, remarquai-je. Est-il ici ?
Mazakeen soupira et secoua la tête.
_ Evelyn, malgré son traumatisme, a pensé qu'il ne fallait pas prévenir les siens, seulement toi pour régler le problème. Elle nous a expliqué que sa meute a eu quelques interférences avec des humains et qu'elle ne voulait pas créer plus de problèmes.
_ Lui as-tu fait passer des examens médicaux ? Pris des photos de ses blessures ? dis-je en me remettant dans ma peau de Krig.
_ Oui. Ils viennent d'être terminés. Elle a subi des prélèvements, mais il n'y a pas de traces de coups. Les résultats arriveront plus tard.
_ Et les deux hommes ?
_ Néanmoins, reprit Maze en se levant, rien ne montre qu'il y a eu viol, Warren. Ce sont ses paroles contre celles des deux policiers qui sont en salles d'interrogatoire, séparés.
Je me redressai et jetai un coup d'œil à mes hommes. Sans un mot, ils sortirent de la pièce. Mak resta planté sur ses deux pieds malgré le geste de tête de Mazakeen.
_ Mak, finit-elle par gronder.
Il sortit à contrecœur, non sans m'avoir fusillé du regard.
_ Ton avis ? soufflai-je, les bras croisés sur mon torse.
_ Elle était terrorisée et ne s'est pas débattue. Elle est venue aussi vite que possible passer la première terreur du commissariat et les prélèvements nous aideront sûrement. Néanmoins, les deux hommes maintiennent que c'était consenti.
Mon corps frémit. Mazakeen contourna son bureau pour me faire face.
_ Il faut que nous soyons scrupuleux sur cette affaire, Warren. Que ce soit pour les annonces publiques ou les prochaines actions que nous allons mener contre ses deux hommes.
_ Je veux la voir. Je suis son Krig. Elle doit savoir que je la soutiens dans sa démarche et que je la protégerais.
Je me dirigeai déjà vers la porte, mais la main de Maze se referma sur mon poignet. Elle me fit doucement pivoter vers elle et déglutit.
_ Ce n'est pas Ashika. Ne mélangeons pas les affaires.
Je me défis de sa prise en sentant la brûlure de son toucher. Comment osait-elle seulement ramener ça à ma fille ? À ce que ma fille avait vécu ? Ça n'avait rien à voir !
_ Capitaine, repris-je en m'écartant d'un pas. Tous les lycans de ce périmètre sont sous ma protection. Je me dois de les protéger. Je ne permettrai pas que la position de ses deux agresseurs les couvre de cet acte. Suis-je assez clair ?
_ Limpide, grinça Mazakeen.
_ Maintenant, si vous voulez bien m'indiquer la direction de la salle où se trouve Evelyn, je vous en prie, ouvrez la voie.
_ Nous devons être alliés sur cette affaire, Warren.
_ Deux hommes sont soupçonnés de viol, Mazakeen. Je ne serais l'allié que de la victime. Et de personne d'autre.
Elle voulut me retenir une nouvelle fois, mais j'ouvrais déjà la porte pour qu'elle passe le seuil. Elle se mit en marche et dépassa Mak, Balil et Nylo. Ils nous suivirent rapidement.
Mazakeen nous conduisit jusqu'aux différentes salles d'interrogatoires qui étaient faites pour les victimes. Nous évitions de placer les témoins dans des salles d'interrogatoires trop froides et faites pour impressionner. Néanmoins, il y avait toujours cet espace où un miroir nous permettait de voir les victimes et d'enregistrer tous leurs faits et gestes.
Le Capitaine Fairfax frappa doucement deux fois à la porte, faisant un simple signe de tête à l'homme qui tenait la garde. Je le saluai, reconnaissant un lycan qui avait travaillé très brièvement au Fief et plus à la Brigade noire depuis son commencement.
_ Evelyn ? souffla la voix douce de Mazakeen.
Il y avait deux femmes dans la pièce aux couleurs chaudes et rassurantes où différents fauteuils s'enchaînaient. Deux fenêtres apportaient une douce lumière, quelques plantes poussaient ici et là et il y avait même un petit coin restauration. Je posai mon regard sur la première femme qui était une vague réplique du Capitaine Fairfax. Freya Sampi était une femme musclée, dans la trentaine, des cheveux bruns épais et bouclé sur le haut de sa tête, de magnifiques billes vertes. Elle était inspectrice, humaine comme Mazakeen. Elle faisait partie de ses femmes qui se sentaient le devoir de montrer aux hommes qu'elle pouvait faire mieux qu'eux et avoir une meilleure carrière. Je m'entendais plutôt bien avec elle, avant tout ça.
Depuis, je savais qu'elle ne me respectait plus et qu'elle avait aidé Maze à poser le mandat sur ma tête et à le maintenir. Elle se redressa et m'aperçut. Son visage jusque-là ouvert, franc et plutôt chaleureux perdit un peu de sa contenance. Elle pinça ses lèvres en me dévisageant avant de me saluer par mon titre. Ce que je lui rendis dans la mesure du possible.
La seconde femme qui se trouvait sur un des sièges était enroulée dans un manteau qui semblait de trop dans cette pièce où la température était bonne. Elle portait un jean foncé, un pull lâche avec un col roulé. Ses cheveux étaient noués à la va-vite sur sa tête et son teint était blafard. Elle était méconnaissable par rapport à mon souvenir d'elle. Elle ressemblait énormément à son frère, le Freiherr de sa meute, Eliott Thunderson. Elle releva son regard sur moi et se leva maladroitement, posant sa tasse sur la table basse devant elle.
_ Krig, souffla-t-elle en s'inclinant brièvement.
Je fis quelques pas lents et assurés jusqu'à elle pour qu'elle comprenne que je n'étais pas un danger, au contraire. Elle tint quelques secondes face à moi avant d'éclater en sanglots et de se réfugier contre mon torse. J'enroulai mes bras autour de sa tête et la pressai contre moi avec douceur.
_ Je suis là, murmurai-je. Je suis là, Evelyn.
Je croisai le regard de Mazakeen qui était elle aussi émue face à cette scène. Elle déglutit et cligna plusieurs fois des yeux avant de se détourner pour parler à voix basse avec Freya.
Je poussai Evelyn à se rasseoir et lui tendis plusieurs mouchoirs avant que ses sanglots ne se calment enfin.
_ Evelyn ? l'appelai-je doucement pour qu'elle se reconnecte à nous.
Elle frémit, mais sa main serra la mienne jusqu'à m'en faire mal. Je la laissai faire, la laissai s'accrocher à ce qui lui semblait bon pour elle. Si elle avait eu des examens médicaux, elle avait dû avoir un entretien avec un psychologue aussi. Freya avait dû être le soutien après.
_ Je suis si soulagée que tu sois là, chuchota Evelyn d'une voix fragile. Je ne savais pas où aller après tout ça.
_ Tout va bien. Respire un peu. Je ne vais nulle part à partir de maintenant. Je suis désolé de ne pas être venu plus tôt.
Evelyn essuya ses larmes avec son mouchoir en secouant la tête.
_ Capitaine Fairfax a été très présente. Elle a fait tout ce qu'il fallait.
Evelyn était une personne très altruiste et pensait bien trop aux autres. Même dans les pires moments visiblement. Eliott avait toujours eu peur que ça lui attire des ennuis. Je me frottai le visage avant de prendre une longue inspiration. Je jetai un coup d'œil aux deux femmes à côté de la porte et au loin, j'aperçus le visage blafard de Balil. Evelyn connaissait très bien sa femme, Anouchka. Nous avions tous retenu notre souffle quand Mazakeen nous avait annoncé l'identité de la victime, tout simplement parce que nous la connaissions. Ce n'était pas une amie, mais c'était une personne que j'appréciais. Eliott avait pris Ashika en immersion une fois et l'expérience s'était déroulée de la meilleure des façons, surtout qu'Evelyn avait aidé ma fille tout au long de son séjour.
_ Pouvez-vous nous donner un moment ? soufflai-je. Si cela te convient, Evelyn.
Elle hocha la tête, échangeant un rapide regard de consentement avec Mazakeen. Cette dernière referma la porte. Je me redressai, gardant la main d'Evelyn dans la mienne.
_ Il va falloir que tu me racontes tout en détail, Evelyn, murmurai-je. Je veux tout savoir. Jusqu'à l'odeur même que tu as sentie sur eux. Je veux être capable de les reconnaître pour toi. Tu comprends ?
_ Je ne sais pas si je vais pouvoir être si précise, haleta-t-elle en se recroquevillant un peu plus sur elle-même. Tout a été si... violent. Je ne–
Elle trembla et lâcha ma main pour enrouler ses bras autour de son corps. Je m'agenouillai en face d'elle pour qu'elle me regarde par-dessus. Je pris ses mains entre les miennes et plongeai mon regard dans le sien.
_ Respire un peu avec moi. Je sais ce que tu traverses et je veux que justice soit faite.
Elle hocha plusieurs fois la tête avant d'accepter l'exercice de respiration.
Je ressortis de la pièce vidé et vaguement nauséeux.
Je ressortis de la pièce plein de colère et de rage à peine contrôlée. Il fallait que je me calme.
Ils avaient attendu. Ils avaient attendu qu'elle sorte de l'immeuble pour l'attirer dans l'impasse. Ils avaient prémédité ce viol. Et cet aspect même de l'agression était le pire.
La préméditation.
L'acte réfléchi de violence.
Maze s'approcha lentement de moi. Je pouvais sentir son besoin de me rassurer et de faire tomber la pression, mais je n'avais pas besoin de ça pour l'instant. Je voulais son esprit acéré et je voulais son profilage des agresseurs.
_ Il y a eu préméditation, remarquai-je.
_ Oui, acquiesça Mazakeen. Cependant, ce n'est pas mon plus gros problème sur cette affaire. L'argument repris par l'avocat d'un des deux flics est difficile à contrer en jugement.
_ C'est-à-dire ? grognai-je.
_ L'un des deux flics oppose le fait qu'ils ne sont qu'humains et qu'étant donné sa nature lycan, elle aurait très bien pu les arrêter si cela n'avait pas été consenti.
Des bruits de colère nous vinrent des hommes présents dans le couloir. Qu'ils soient humains ou lycans.
_ Quand les résultats des prélèvements arriveront-ils ? soufflai-je.
_ Cela ne fera que prouver qu'il y a eu acte sexuel, Warren. Pas qu'il y a eu viol.
Les joies d'une agression sexuelle. Si pas de preuve de violence, alors il y avait témoignage. Mais qu'est-ce que le témoignage d'Evelyn valait face à ceux de deux flics respectés dans leur boulot ?
Je devais régler cette affaire en faisant cracher leur culpabilité aux coupables, pas en forçant la victime à faire entendre raison sur ce qu'elle avait vécu.
_ Il faut appeler son Freiherr, qu'elle le veuille ou non, soupirai-je. Balil, Nylo, vous allez avec elle. Balil, fais-lui entendre raison. Eliott doit être au courant. Vous ne la quittez pas des yeux, même si c'est pour qu'elle aille aux toilettes. C'est clair ?
Ils s'exécutèrent. Une fois que la porte fut refermée derrière eux, de nouveaux sanglots résonnèrent et j'entendis la voix douce de Balil prendre le relais de la mienne.
_ Tu connais son Freiherr ?
_ Oui, c'est un Freiherr à qui j'ai confié Ashika plus d'une fois. Il a eu quelques problèmes avec des humains il y a deux ans et cela lui a valu un avertissement par moi. Evelyn le sait très bien et c'est aussi une des raisons pour lesquelles elle est venue à toi, car elle ne voulait pas qu'Eliott se charge lui-même de ses deux agresseurs.
_ C'est un homme violent ? s'enquit Mazakeen en s'arrêtant devant la porte des salles d'interrogatoires.
_ C'est un homme loyal, honnête et qui ne supporte pas l'injustice, remarquai-je. Il est fils d'Asters. Il a été élevé par des militaires. Que ferait un militaire s'il apprenait que sa sœur avait été violée, Mazakeen ?
_ Il utiliserait les armes qu'il sait manier, admit-elle.
Je hochai la tête.
_ Nous voulons garder Eliott sous contrôle et pour ça, quoi de mieux que de rendre justice en punissant les coupables ?
Mazakeen me lança un regard vaguement mauvais. Le méchant, je l'avais été à ses yeux et je l'étais peut-être encore.
Cela ne m'empêchait pas de vouloir rendre justice à ma fille.
La forme de cette justice ne regardait que moi.
* * *
On enchaîne avec Warren et Maze pour les prochains PDV !
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