59 || Abel


It doesn't take a lot of strength to hang on.

It takes a lot of strength to let go.

J.C. Watts



Le premier jour avait été stressant. C'était un jour entier sans la voir, sans ressentir sa présence dans mes os et encore renifler son odeur foutrement bonne à chaque fois qu'elle osait agiter ses fesses galbées devant moi.

Le second jour avait été inquiétant. Ne pas la voir et évidemment être conscient de sa situation précaire n'avaient franchement pas arrangé mon état. C'était ce jour-là que Warren m'avait interdit d'y aller. De partir à sa recherche, car elle ne revenait pas bon sang ! Elle ne revenait pas et elle ne donnait aucun signe de vie.

Le troisième jour fut ma descente aux enfers personnelle. Hachi avait beau être ma bouée dans ce désert d'émotion, je me sentais atrocement mal. Comme si je tentais de me remettre d'une putain de blessure et que mon lycan tirait encore et encore sur mon énergie, qu'elle soit physique ou mentale. Ça me faisait peur à cause de deux choses : je ressentais ce qu'Evy avait et mon lycan ne pouvait déjà plus fonctionner correctement sans elle. Donc il la cherchait et tirait mon énergie pour le faire. Ce qui n'était pas franchement dénué de sens, mais qui me donnait encore plus envie de vomir.

Le quatrième jour était actuellement éprouvant. Hachi était six pieds sous terre parce que Lilibeth était partie avec Harper et que Joshua était dans un état pire que le mien. J'avais installé Hachi devant un film idiot. Comme si le départ de Lilibeth n'était pas suffisant, Mazakeen s'était aussi barrée, énervée comme jamais. Ou seulement excitée par ce que lui faisait subir Warren. C'était une bonne vieille chasse à l'ancienne pour qu'au moment où elle serait à bout, elle craque avec lui. C'était le lycan de Warren qui le poussait à faire ça. Car quand un dominant avait l'attention d'une femelle, alors le jour des chaleurs, il était le premier vers qui elle se tournait. Nous étions des animaux après tout. Le mien végétait au creux de mon ventre, comme si nous avions perdu notre raison de vivre.

Je ne pouvais pas être à ce point dans la merde.

Franchement, ça craignait.

Hachi roula sur le canapé et tendit son bras pour me pousser du doigt. J'étais allongé sur le tapis du salon, me demandant combien de temps j'allais être dans cet état et si j'étais vraiment foutu, voire déjà lié à un animal. Car je ne me voilais pas la face, j'étais un connard, mais Evy était un putain d'animal. Elle ne me verrait jamais comme je la voyais.

_ Bebel, murmura Hachi.

Je grognai, n'ouvrant même pas un œil sur son petit visage qui avait repris un peu de forme. Son doigt me poussa de nouveau.

_ Bebel, va le voir, s'il te plaît.

_ Pas envie, grondai-je.

_ Pour moi ?

J'ouvris un œil sur son visage tendre. Elle allait mieux. Non, rectification, elle avait repris son combat et pour ça, je ne la respecterais jamais assez. Elle était parfaite à mes yeux et le resterait. Son côté battant, qu'elle avait sûrement endurci grâce à sa vie ici, revenait à la surface, me prouvant à quel point j'avais eu raison de tenir la baraque et de ne pas l'abandonner dans la tempête.

_ Démon, marmonnai-je en me redressant.

Je me levai et remis mon t-shirt en place. Je me grattai la hanche, le bord de mon short juste en dessous. Pieds nus, je sortis dehors, à la recherche de Joshua. Il n'avait pas adressé la parole à Warren depuis hier quand celui-ci lui avait donné un ultimatum. Un ultimatum qu'il devait respecter. Ça craignait pour lui.

Je longeai rapidement la maison pour aller jeter un coup d'œil dans le jardin, mais rien. Je pris la direction des terrains d'entraînement, croisant quelques jeunes, mais toujours rien. Pendant un instant, je frémis ayant trop peur de croire que Marcellus aurait pu revenir nous la mettre à l'envers. Avec ce qu'il avait mis dans la tronche de Warren, je n'étais pas sûr de vouloir le croiser de nouveau. Ce lycan était traumatisant à lui tout seul.

Je trouvai Joshua dans un endroit qu'Hachi m'avait fait découvert il y a quelques années de ça déjà et qui était plutôt bien quand on cherchait à être seul.

Le toit de la bibliothèque. Je grimpai l'échelle et bondis souplement sur le bois de la charpente. Joshua était assis sur le bord du toit, les pieds dans le vide, le regard plongé dans l'étendue nord de la Réserve.

_ Josh, grognai-je en m'installant à ses côtés.

Il ne dit rien, ses mâchoires serrées et ses lèvres blanches d'être pincées. Je lui donnai un petit coup d'épaule et toujours rien. Je me frottai la nuque et soupirai.

_ Crois-moi, je sais ce que c'est et ça n'a rien de drôle, murmurai-je. Ou de simple et de facile à gérer. Mais nous pensons tous à ton futur. Que ce soit Lilibeth, Warren et les autres membres du Fief.

_ Je ne voulais pas devenir Krig-an, chuchota Joshua en me jetant un coup d'œil vaguement dégouté. Je ne voulais pas devenir Freiherr ou Ritter. Je ne le voulais pas. C'est Raphaël qui m'a fait passer des tests. C'est à cause de lui que je suis là et c'est à cause de lui que je ne peux pas protéger la famille qu'il m'a laissée. C'est quoi mon futur, Abel ? Commander un endroit comme ça ? On sait tous les deux que ce sera pas le cas.

Je me figeai et haussai un sourcil.

_ Qu'est-ce que tu racontes, gamin ? On perd pas notre temps à t'apprendre des trucs juste pour notre petit plaisir personnel. Crois-moi. Tu veux offrir à ta famille un pays où elle peut vivre sans crainte de ce qui rôde autour d'elle ? Deviens Krig, participe à l'intérêt général.

_ Hachi s'est fait kidnapper alors qu'elle était au mariage de l'Empereur de notre pays, Abel. Putain tu crois encore qu'on est en sécurité ? Avec ce qu'il s'est passé il y a deux jours ?

_ Les gens malintentionnés existent, Joshua, rétorquai-je. Le danger existe. La peur est présente, mais nous sommes là pour protéger les nôtres. Nous sommes là pour nous mettre entre le bonheur de nos familles et ce danger.

_ Tu parles comme Warren, grimaça Joshua en se détournant.

_ Parce que parfois, je lui accorde certains points, dis-je en retenant une nausée. Parce que parfois, être celui qui commande c'est chiant.

_ Je veux pas devenir Krig, souffla Joshua.

_ Personne n'a envie de devenir Krig, remarquai-je, taquin. Tu te farcis des militaires coincés du cul, des petits chieurs qui savent pas quoi faire de leur vie et surtout tu as une équipe de bras cassés en tant que meute. Rien de fou, je te l'accorde.

Joshua croisa ses bras sur son torse et m'observa d'un air vaguement intéressé. Ouais, il savait que je mentais. Et alors ? J'étais pas un saint et j'étais en manque. Littéralement.

_ Au-delà de ça, ajoutai-je, tu es un Chef de guerre. Tu es celui qui conduira l'armée à ton Empereur grâce aux Asters et aux Mihrs qui auront fait grandir tes hommes. Tu es celui qui protégera les milliers de lycans et d'humains qui habitent sur ce territoire. Tu es celui qu'on regardera pour établir des plans, élaborer des stratégies. Tu es celui à qui on confiera les jeunes lycans pour leur inculquer notre philosophie de vie. Notre culture. Tu auras des décisions à prendre pour chacun de tes lycans, pour chacun de tes bataillons, pour le bien commun.

_ Je ne veux pas de tout ça, insista Joshua.

Je frottai ma barbe, plutôt longue et pas très bien entretenue ces jours-ci.

_ Que dis-tu de ça ? Joshua Silva, Krig de l'Empereur. Assisté par Wolfgang, son Ritter, et Ashika, son Earhja personnelle.

Le sourire qui étira les lèvres de Joshua fut sincère. Je haussai un sourcil, attendant sa réponse.

_ Wolfgang ne voudra sûrement pas rester à mes côtés, m'indiqua le gamin rabat-joie, et Hachi restera au Deity, là où sont toutes les Earhjas.

Je plongeai ma main dans ses cheveux et les secouai jusqu'à ce qu'il se libère de ma prise.

_ Gamin, tu crois encore que tu pourras choisir ton équipe, mais elle te choisira. Si Ashika veut être à tes côtés, elle le sera. Et si Wolfgang décide de t'offrir ses services, tu seras incapable de les refuser. Tu sais pourquoi ?

Joshua fronça ses sourcils et leva son regard sur moi quand je me redressai jusqu'à être debout sur le bord du toit.

_ Pourquoi ? soupira le gamin.

_ Parce que tu seras Krig et que tu voudras les meilleurs à tes côtés.

Sur ce, je me laissai tomber. Joshua cria, mais déjà je roulai pour atterrir sans me casser une côte.

Je rentrai pour aller récupérer Hachi et lui proposer une balade, quand j'aperçus deux personnes penchées l'une vers l'autre sur les marches de la maison. Un homme et une femme. Mon cerveau mit plusieurs secondes, voire une minute entière avant de les reconnaître.

Les emmerdes continuaient, génial.

Je m'approchai lentement des deux personnes, qui étaient aussi vieux que moi voire même un peu plus, ce qui en disait long sur leur identité.

La femme, une lycan, m'aperçut en première et se redressa. Sa longue robe suivit ses jambes interminables et vola avec le vent, lui donnant des allures de magicienne. Mais elle était plus mortelle qu'Evy elle-même. J'en savais quelque chose. Je m'étais déjà battu contre elle et j'avais pris la raclée de ma vie. Ses cheveux, d'un blond platine, étaient ondulés et souples autour de son visage ovale. Elle avait une expression vaguement amusée, même si son regard était observateur et mélancolique. Son teint était lumineux, presque clair par rapport à l'homme qui se tenait à ses côtés. Ce dernier avait un faciès très fin, presque angulaire, il avait un nez aquilin qui était rehaussé par son front altier. Ses lèvres charnues étaient pincées tandis qu'il m'observait approcher. Il portait une tenue plutôt standard à côté de celle de sa compagne. Compagne qui n'en était pas vraiment une, bien que vu le temps qui était passé depuis que je les avais vus pour la dernière fois, ils avaient peut-être sauté le pas.

_ Yuri était à l'entrée, c'est ça ? grognai-je.

Le sourire de la femme s'agrandit. Elle me tendit sa main, ses longs doigts fins se posant lentement sur ma nuque. Comme elle était sur la seconde marche, elle faisait ma taille et nos yeux se croisèrent à la même hauteur.

_ Le temps n'a pas été sévère avec toi, Abel, souffla-t-elle d'une voix profonde qui réveilla quelques souvenirs.

_ Je dirais même qu'il a été plutôt clément, admis-je.

Je regardai ces deux magnifiques personnages en me demandant ce qu'ils faisaient ici. Et soudain, le tatouage qu'ils avaient chacun sur leur avant-bras droit me rappela une personne.

_ Vous êtes là pour Evy ? murmurai-je.

_ Où est-elle ? me demanda l'homme à ma droite.

Je croisai son regard avant que les deux mains de la femme ne recouvrent mes joues pour que je pivote entièrement vers elle. Je la laissais lire dans mon regard, sur mon visage mon terrible secret. Que je ne pourrais bientôt plus cacher.

_ Il était temps que nous revenions, annonça-t-elle.

Je fis revenir Warren à la maison. Hachi observait nos nouveaux arrivants avec curiosité, mêlée d'une certaine fascination. Elle était assise à côté de moi, appuyée sur le bar, ne cessant de détailler les deux nouveaux venus.

Ce ne fut pas Warren qui entra en premier, mais bien Mera. L'homme se leva en la découvrant et un sourire tendre illumina son visage. Ils s'observèrent un instant avant que Mera ne se jette sur lui. Il la récupéra d'une façon si familière que je me demandais s'il ne l'avait pas élevée quand elle avait rejoint la garde de Nokomis. Lui n'était pas lycan.

Warren entra à son tour et il fut ému par la scène qui se déroula sous ses yeux. Mera était prise en sandwich par les deux personnes qui la connaissaient très bien. Tout comme ils connaissaient Evy, car ils avaient été les Gwards de Nokomis, la sœur d'Aslander, la Princesse depuis longtemps disparue aux yeux du peuple, mais toujours aimée et chérie à travers nos traditions et nos rites.

_ Shady, Raad, les salua Warren en s'approchant doucement.

Shady, la lycan, s'écarta lentement de Mera et pivota pour présenter sa nuque à Warren. Il la redressa et l'attira contre lui. Elle sembla surprise, mais finit par lui rendre son étreinte en caressant son dos.

_ Cela faisait si longtemps qu'on ne vous avait vu, murmura mon Krig, visiblement ému.

Raad recula doucement Mera pour laisser Warren l'étreindre à son tour. Tout comme Aslander avait son équipe de fous, les Tricksters, Nokomis avait eu droit à sa garde personnelle. Evy et Mera en avaient fait partie. Shady et Raad avaient été les gardes personnelles de la Princesse. Une fois que celle-ci avait disparu, eux aussi s'étaient volatilisés.

_ Que faites-vous ici ? souffla Warren.

_ Nous souhaitons voir Evy, nous annonça Shady. Nous avons senti qu'elle avait des problèmes, alors nous sommes venus.

_ Ils font partie de la Garde de Nokomis ? souffla Hachi dans mon oreille en s'accrochant à mes épaules.

Je ris doucement et hochai la tête. Elle laissa échapper un ouah plutôt équivoque.

_ Peux-tu nous dire où elle est, Krig ? Où se trouve notre sœur d'armes ?

Je déglutis, conscient que j'allais bientôt vomir comme une merde si on continuait de parler d'elle. Je glissai de mon tabouret et m'éclipsai rapidement de la pièce. Warren me rappela, mais déjà je bondis hors de la maison, cherchant de l'air.

La main de mon Krig me rattrapa et il me tira pour me faire pivoter vers lui. Il ouvrit la bouche, mais rencontra mon expression torturée.

_ Abel, souffla Warren.

_ Je n'en peux plus ! sifflai-je entre mes dents. Je vais la chercher.

_ Les entraînements reprennent aujourd'hui, gronda Warren. Hors de question que tu t'aventures là-bas. La présence de Shady et Raad n'est pas anodine. Ani est ici et il –

_ Qu'as-tu dit ? releva Aslander à quelques mètres de nous.

Warren déglutit avant de pivoter vers moi en grimaçant.

_ Gère la reprise, m'ordonna-t-il.

Dans l'après-midi, n'ayant pas revu Hachi ni Warren ni Aslander et encore moins les deux nouveaux, je commençais à sérieusement ronger mon frein. Les Cadets étaient heureux de reprendre les cours, même si Joshua ne semblait pas ultra concentré. Ce qui me foutait encore plus en rogne.

Nous étions réunis sur les terrains d'entraînement, recouverts de tapis, car le soleil nous permettait de faire ça dehors. Sinon, ça aurait été la boue à gogo. Je grognai quand Wolf se rétama par terre et que Joshua le maîtrisa sans qu'il puisse y faire quelque chose. Des imbéciles incapables. Des incapables, tout court.

_ Si vous êtes là pour faire de la merde, je vais vous en donner de la merde ! hurlai-je dans leurs oreilles. En position pompe ! Vous m'en donnez cinquante ou j'envoie votre cul poilu dans l'arène !

Aucun ne grogna, conscient de mon état psychologique proche de la rupture. Calder vint se frotter à mes jambes en grognant, la queue claquant l'air, comme s'il était énervé. Je grattai son oreille avant de chanceler, une main sur mon cœur.

La douleur qui me tiraillait me coupa le souffle et m'arracha un léger cri que je coinçais derrière mes lèvres pincées. Je secouai la tête, ne comprenant même pas ce que criait Joshua. Wolfgang et lui agitaient leurs mains et leurs bras dans une direction opposée à la mienne.

Tout le groupe de Cadets était figé de terreur.

Calder mordit mon poignet pour me tirer vers la source de ce bordel.

Pendant un instant, je ne compris pas pourquoi ma douleur s'intensifiait.

Pendant un instant, je crus encore être libre. Libre de mes mouvements. Libre de mes émotions. Libre de tout ce que je voulais faire ou non.

Et mon cerveau m'envoya l'information.

Mon Anchor se tenait là.

Evy. Evy. Evy. 

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top