55 || Warren

« Le seul moyen de se débarrasser d'une ombre est d'éteindre la lumière

et d'affronter ce qui nous fait peur. »

Grey's Anatomy, Meredith.



Gabin faisait les cent pas, se tirant les cheveux et le visage aussi pâle que le mien quelques heures plus tôt. Une partie de son équipe se trouvait mélangée à celle du Contingent, ainsi que de mes hommes à moi. Principalement des surveillants et des instructeurs. Les soldats étaient tendus et ne souhaitaient pas rester ici, au centre du Fief. Ils voulaient aller patrouiller et je comprenais très bien leur nervosité.

Todd était plutôt immobile à côté de moi. Reed était partie avec trois équipes en reconnaissance sur tout le territoire de la Réserve. Le quadrillage allait commencer et ça allait nous prendre plusieurs jours. En attendant, personne ne se baladait dans la forêt et les visites à la Réserve étaient suspendues dans la partie visible du public.

Malgré le nombre incalculable de choses à faire, il fallait bien que je commence par quelque chose. Donner des ordres à mes troupes était sûrement la meilleure chose à faire pour occuper tout le monde et faire en sorte que la quarantaine soit maintenue pendant quelques jours. Les plus jeunes trouveraient le temps long, mais il était hors de question que je les mette en danger en les envoyant en patrouille. Les Seniors et les Juniors avaient déjà été répartis avec des hommes du Contingent et allaient partir bientôt pour quadriller le reste de la réserve. Les roulements avaient déjà été lancés par Yuri qui gérait tout ça d'une main de fer. Je ne savais vraiment pas comment j'aurais pu gérer sans lui. Abel était dans un état déplorable et presque incontrôlable à ce stade. Il avait passé la nuit à me demander d'aller chercher Evy, mais je ne pouvais pas le laisser aller dans cette crevasse. J'avais besoin de lui ici et même s'il ne le comprenait pas encore, j'avais espoir que ma sœur ne soit pas morte.

Elle ne pouvait pas l'être. Je l'aurais senti au creux de moi. Et même si une certaine peur me tiraillait de l'intérieur, je devais prendre en main le reste de mon Fief qui ne semblait plus aussi sécurisé qu'avant. La défense était un gruyère et je ne pouvais pas l'accepter. Pas alors que des hommes venaient tuer ma fille, ici, chez elle. Mon lycan frémit dans tout mon corps et voulut prendre le dessus, mais je devais prendre la parole devant tout le monde et ce n'était franchement pas le moment de partir en vrille. Vraiment pas.

Je devais retourner au plus vite dans la maison et m'occuper d'Ashika, de Lilibeth et de Joshua. Tout comme le bébé qui venait de naître dans ce monde, bercé entre les larmes de joies de sa mère et l'inquiétude de son oncle. Joshua m'avait fait comprendre qu'il ne se sentait pas en sécurité et que pour Ashika cela devait être pire. Encore plus dérangeant, c'est que mon Krig-an lui-même m'avait dit qu'il ne voulait pas que sa famille soit ici si ce n'était pas un endroit où il pouvait les savoir en paix et protégé. Sinon, il allait devoir aller les emmener ailleurs. Qu'il se confie à moi, avec un regard si sérieux, me faisait comprendre qu'il avait grandi en quelque temps et qu'avec la naissance de sa nièce, il était devenu un adulte. Un adulte qui devait protéger les siens. Comme je le comprenais actuellement. Comme j'aurais aimé que mon enfant soit en sécurité.

Qu'elle ne sache pas quelque chose qui la compromettait à un tel point que sa vie était en danger.

Je me devais de tenir la face. Je me devais de me redresser et de donner des ordres.

Je me devais de protéger les miens.

_ Krig, souffla Todd à côté de moi.

Je hochai la tête et m'avançai devant la foule compacte qui se trouvait dans la principale cour du Fief. Un long silence s'étendit sur les personnes présentes, pratiquement tout l'effectif du Fief. C'était étrange de l'avoir ici.

_ Comme vous l'avez tous compris, nous avons subi une attaque. Difficile à encaisser, car les intrus ont réussi à pénétrer dans notre périmètre. La priorité numéro 1 des prochains jours sera le quadrillage de la Réserve, entière. Je veux que chaque buisson soit ratissé. Je veux que chaque clôture soit vérifiée. Je veux que cet endroit soit un putain de coffre-fort. Pas une seule sortie, qu'une seule entrée. Je ne permettrai pas une nouvelle intrusion.

Un long silence accueillit cette annonce. Je me frottai la nuque avant de faire rouler mes épaules.

_ Vous devez tous savoir que cette attaque était dirigée contre ma fille, Ashika. Et qu'au même titre que n'importe lequel d'entre vous ici, elle a le droit à une protection de premier ordre. Yuri a donné des ordres et des indications à chaque équipe. Je demanderais surtout aux Benjamins et aux Cadets de rester très prudents et de ne pas sortir de leur dortoir sans accompagnement. Vos déplacements en seront réduits, mais cela vous apprendra à réagir en situation de crise à l'avenir.

J'aperçus Wolfgang se dandiner, non loin de l'amie de Joshua qui semblait très inquiète aussi. Je soupirai et secouai la tête. Il fallait vraiment que je rentre. Mon lycan me poussait à aller vérifier l'état de santé de Lilibeth et du nouveau-né.

_ Les équipes seront formées avec des membres du Contingent. Les patrouilles devront être méticuleuses. Les intrus ont pu déposer des pièges ou des armes dans la Réserve. Je veux que le moindre de leur piste, ou de leurs cheveux soit retrouvé et retiré de notre territoire. Est-ce bien clair ?

Leur cri résonna dans la cour du Fief. Je sentis mon lycan grogner en retour.

_ Yuri, soufflai-je.

Ce dernier bondit en avant et énonça plusieurs règles les unes à la suite des autres.

Mera vint à ma rencontre, contournant Todd qui semblait tout aussi nerveux que moi à présent.

_ Où est Evy ? souffla la lycan.

_ Pas là, répondis-je d'une voix grave.

Mera claqua sa langue et se positionna devant moi, me barrant la route. Je plongeai mon regard dans le sien, prêt à devenir mauvais si elle me poussait dans mes retranchements. Ce n'était ni le sujet ni l'endroit.

_ Dis-moi où tu l'as vue pour la dernière fois et j'irais la chercher.

Je pinçai mon nez pendant une demi-seconde avant de faire un pas, rapprochant mon torse de la poitrine de Mera. Elle garda notre contact visuel jusqu'à ce que mon lycan grogne pour imposer sa dominance. Mera baissa lentement ses yeux sur mon torse, les joues légèrement rouges.

_ Je crois avoir entendu ton nom être nommé, lycan. Une équipe attend donc tes instructions pour partir à la recherche d'indices concernant les hommes qui ont voulu tuer Ashika. N'ai-je pas été assez clair sur les priorités de cette intrusion ? Evy, elle, semble l'avoir compris puisqu'elle est en mission et toi non.

Je vis ses mâchoires se serrer pendant quelques secondes avant de lentement se relâcher. Ses épaules restèrent bien droites cependant et elle hocha sa tête. Ses yeux mordorés tentaient de ne pas me défier et je sus qu'elle venait d'utiliser toute sa réserve de self-control pour désamorcer cette situation.

_ Oui, Krig, acquiesça-t-elle.

_ Alors, exécute les ordres qu'on te donne, ajouta mon lycan.

Il n'aimait pas que Mera s'inquiète plus pour un animal qui pouvait très bien se défendre seul, plutôt que pour une gamine qui avait déjà vu des jours meilleurs.

Je jetai un coup d'œil morne à Todd qui n'eut aucune réaction particulière.

Je retournai vers la maison, le corps encore plus tendu que quand je l'avais quittée. Je fis un signe de tête aux deux Ritters qui se trouvaient de chaque côté de l'entrée, surveillant. Je bondis sur les marches et pénétrai dans ma maison, qui aurait dû être un endroit hors de portée de n'importe quelle personne souhaitant nous faire du mal.

Le salon avait été remis en place et j'y trouvais Tamsyn et Aslander qui discutaient à voix basse. Ils semblaient en désaccord et ne firent pas attention à ma présence. Je passai dans la cuisine et ici, il y avait un peu plus de personnes. Des membres de ma meute essentiellement qui s'inquiétait pour Ashika. Imy vint me prendre dans ses bras. Elle avait mis au monde la petite fille de Lilibeth comme une cheffe et semblait encore inquiète de l'état vaguement sombre d'Ashika. Je tendis l'oreille tandis que d'autres membres de ma meute me pressaient contre eux. Siobhane discutait avec Ashika en haut.

Je grimpai les escaliers pour arriver sur le premier palier. Je poussai doucement la porte de la chambre de Lilibeth. Je fus surpris d'y trouver une nouvelle personne. Risteard était assis dans le fauteuil à côté du lit où dormaient Lilibeth, Joshua et Harper. Ils étaient visiblement tous les trois épuisés par la nuit très courte qu'ils avaient eue.

Harper avait presque un jour et semblait très calme comme bébé. Nous ne l'avions pas entendu beaucoup pleurer, mais cela n'inquiétait ni la maman ni la grand-mère.

Quant au grand-père, je n'avais pas encore discuté avec lui de tout ça, mais je savais que Lilibeth ne s'entendait pas extrêmement bien avec. Donc, ça pouvait compliquer certaines choses.

Harper Silva était emmaillotée dans une couverture d'un bleu pâle et toute douce. Le front de Joshua était pressé contre son flanc gauche. Lilibeth était sur le flanc, le visage creusé et ses cils noirs s'étalaient sur ses joues pâles. Elle avait pleuré une bonne partie de la nuit, sûrement en pensant au fait que Raphaël n'était pas là pour voir sa petite fille. Harper était le prénom qu'il avait souhaité lui donner. Le bébé était comme tout nouveau-né, sans trop de cheveux, même s'ils étaient déjà plus sombres que ceux de sa mère. Joshua avait posé une main sur le ventre du bébé tandis que Lilibeth avait dû s'endormir en lui caressant le crâne, car c'était là que reposaient ses doigts. Joshua portait un vieux short et son pull de Cadet. Lilibeth avait encore son ventre légèrement gonflé de la naissance de sa fille. Quelqu'un avait remonté une polaire sur elle.

L'homme sombre qui se trouvait à quelques mètres en était sûrement le responsable. Risteard semblait aussi consterné que nerveux. Il n'oscillait pas vraiment vers une bonne humeur, ce qui me semblait difficile à supporter pour Lilibeth qui était déjà dans un état très instable.

Peut-être que je me trompais et qu'il tirait cette tronche d'enterrement à cause des hommes qui s'étaient introduits sur le territoire présentement sécurisé qu'était censé être le Fief. C'était même sûrement ça à bien y réfléchir.

Il se pencha lentement en avant, posant ses coudes sur ses genoux et caressant doucement son menton de ses longs doigts. Risteard n'avait jamais eu un facies facile à observer. Ses traits n'avaient rien de doux, et il avait une mâchoire prononcée, ce qui lui donnait cette expression mauvaise en permanence. Je me demandais souvent comment il avait réussi à charmer Tamsyn, mais ils étaient très réservés tous les deux.

Je pris une longue inspiration et m'approchai du lit. J'embrassai doucement la tempe de Lilibeth, caressai les cheveux de Joshua, puis de Harper et enfin me redressai. Leurs respirations à tous les trois avaient suffi à calmer la bête en moi.

Même si Harper était arrivée légèrement en avance, Tamsyn n'avait pas souhaité qu'elle aille à l'hôpital, car elle allait bien. Cependant, je savais que si Risteard se trouvait ici, alors Lilibeth avait pris sa décision.

Elle allait rentrer avec Tamsyn pour quelques semaines, afin de veiller sur le bébé avec sa mère. Risteard était là pour les embarquer loin d'ici. Loin de ce coin dangereux que j'osais encore appeler maison.

Joshua partirait-il avec elles ? Je n'en savais rien et je ne savais pas non plus comment le retenir ici.

Ni pour quelle raison je le ferais.

Pour son apprentissage ?

Pour Ashika ?

Je secouai la tête.

Étais-je encore capable d'apporter une quelconque sécurité à un membre de ma meute ? De ma famille ?

Dans d'autres circonstances, j'aurais appelé Maze. J'en aurais parlé avec elle, car elle savait toujours trouver les mots pour me remettre sur le droit chemin et arrêter de culpabiliser pour aucune raison valable.

Comme ce temps était loin.

Risteard se leva et fit un signe de la tête, m'invitant à le suivre en dehors de la chambre. Il referma doucement la porte. Je lui fis signe de venir dans ma chambre. Il ne fit que pousser la porte cette fois-ci, pour garder une oreille vers les trois personnes vulnérables dans l'autre pièce. Je déglutis, prêt à recevoir un sermon de sa part. Aslander ne l'avait pas fait, mais parfois, Risteard se le permettait, alors que nous étions pratiquement au même niveau hiérarchique.

_ Elle va rentrer avec nous, m'annonça-t-il. Je ne permettrai pas qu'elle reste dans un endroit où des hommes armés peuvent venir impunément tuer des gens sans défense.

_ Ma fille était visée, Risteard. Ne crois-tu pas que je porte assez de responsabilités comme ça ?

_ Ma fille était ici aussi, cracha-t-il d'une voix très basse. Et elle aurait pu mourir, avec son bébé et le frère de son défunt mari. Sa famille était sous ta protection et je ne crois pas pouvoir te faire confiance là-dessus.

C'était une claque, légitime certes, mais elle faisait plus mal que je ne le pensais au début. Je pris une longue inspiration, tentant de me calmer et de ne pas devenir véhément face à ses propos.

_ Ashika est ta priorité, j'en conviens, admit Risteard. Lilibeth est la mienne, tout comme Harper. Elles ne sont pas en sécurité ici et tu devrais réfléchir au fait qu'Ashika ne l'est pas non plus.

Je sentis mon cœur se serrer au creux de ma poitrine. Je le regardai, un instant confus. Puis, je compris son sous-entendu. Était-ce pour ça qu'Ani et Tamsyn n'étaient pas d'accord ? Ramener Ashika au Deity ? Pour sa protection ?

_ Elle serait en sécurité avec nous, souffla Risteard.

_ Laisse-moi m'occuper de ma fille, gronda mon lycan.

_ Alors, je m'occuperai de la mienne.

Son ton tranchant me fit bien plus mal encore une fois que je ne le souhaitais. Lilibeth avait déjà sûrement pris sa décision et je devais la respecter.

Risteard n'en dit pas plus, me lançant un dernier regard accusateur avant de sortir de la chambre et de retourner dans celle de Lilibeth. Je déglutis et pivotai vers ma fenêtre. Mes poings serrés le long de mon corps, je pris quelques secondes pour ne pas hurler et me mettre à tout fracasser autour de moi.

Je grimpai à l'étage et ouvris doucement la porte de la chambre de ma propre fille. Siobhane, toujours aussi magnifique dans une longue robe beige et ses cheveux dorés relevés sur le dessus de son crâne, caressait doucement la tête de ma fille, qui reposait contre elle. Abel était étendu sur le lit d'Ashika, sa tête contre la sienne, la soutenant silencieusement. Il était en mauvais état, les cernes s'assombrissant de nouveau sous ses yeux. Sa barbe bouffait une bonne partie de son visage, comme s'il n'avait pas pris le temps de la brosser et de bien s'en occuper durant notre nuit blanche.

Mon cœur tomba de nouveau dans mes pieds quand je vis les yeux bouffis d'Ashika. Elle avait encore des traces de sa lutte d'hier. Elle portait un de mes t-shirts et un vieux jogging à elle. Pas de leggings multicolores. Pas de pull de Joshua. Elle semblait lessivée et je ne pouvais rien faire pour la protéger des cauchemars nouveaux qui allaient peupler son subconscient.

J'avais appelé le docteur il y a un peu plus d'une heure pour le faire venir en urgence et il avait répondu présent. Je savais que j'aurais dû prévenir Mazakeen, mais Abel l'avait fait dans la nuit. Elle ne devrait plus tarder. Apparemment, elle avait une affaire en cours assez importante pour ne pas pouvoir bouger sans quelques aménagements d'heures de travail. Elle retrouvait sa vie et je retrouvai la mienne. Comme c'était étrange.

Et comme c'était frustrant de traverser toutes ses épreuves sans elle.

_ Mon cœur, soufflai-je en m'asseyant devant elle.

Elle renifla, se redressa et vint se rouler en boule contre mon torse, sa main toujours dans celle de Siobhane qui nous observa, le cœur lourd. J'enroulai mes deux bras autour de la silhouette amaigrie de ma fille et laissai mon lycan l'entourer de notre chaleur.

_ Est-ce que Lili va partir ? murmura Hachi dans le creux de mon cou, là où elle avait fourré son petit nez froid.

Je caressai doucement son dos pour la réchauffer, mais aussi pour me rassurer.

_ Je ne sais pas. C'est à elle de prendre cette décision.

Siobhane pencha doucement sa tête, son regard mélancolique me cisaillant de l'intérieur.

_ Je veux voir tante Evy, murmura Ashika en s'accrochant à mon t-shirt.

Je resserrai ma prise et reniflai l'odeur de son shampoing. J'échangeai un long regard avec Siobhane. Cette dernière secoua doucement la tête. Evy n'était pas morte. Evy allait revenir.

Elle devait revenir.

Je croisai le regard brillant du lycan d'Abel.

Lui aussi était sur une corde raide.

Lui aussi pourrait basculer à n'importe quel moment du mauvais côté.

Et si je le faisais ?

Et si je basculai de l'autre côté de la pente ? Et que je devenais aussi sombre que Marcellus l'avait été ? Et si je me délestais de toute cette culpabilité pour aller tuer les gens que je devais tuer ? Pour évacuer tout ce poison de mes veines ?

Devais-je le faire ?

La petite main d'Ashika se posa sur mon cœur, là où les battements s'étaient calmés. Comme quand je me préparais à me battre.

Ce n'était pas un calme positif, bien sûr que non.

Je voulais tuer des gens.

Je voulais avoir ma vengeance.

Et surtout, je voulais faire tout ce qui était en mon pouvoir pour protéger les miens ?

Quitte à devenir l'ombre de quelqu'un autant que ce soit la mienne.

_ Marcellus est vraiment vivant ? souffla soudain Siobhane.

_ Le Krig de l'Empereur en personne, grogna Abel. Caché dans la forêt, comme Evy. À croire qu'une personne ne veut pas les voir, ni l'un ni l'autre.

Ashika regarda Siobhane avant de se redresser et d'appuyer sur mon torse pour croiser mon regard.

_ Pourquoi Aslander n'aime pas tante Evy ?

_ Ce n'est pas ça, remarqua Siobhane.

Je lâchai un rire tendu avant de secouer la tête. Abel se laissa glisser du lit et tendit ses bras à Ashika qui s'y réfugia à son tour.

_ C'est une histoire compliquée, mon cœur. J'aimerais que ce soit tante Evy qui t'en parle.

Ashika soupira et se pressa contre le torse d'Abel. Siobhane posa sa main sur le crâne de ma fille et soudain, la respiration d'Ashika se fit douce et lente.

_ Elle est épuisée, murmura Siobhane. Et sa lycan... pourquoi tu n'en as parlé à personne, Warren ?

_ J'en ai assez des reproches à longueur de journée, cinglai-je en me redressant. Je fais comme je peux avec les armes que j'ai.

_ Ta fille n'est pas en guerre.

_ Non ! C'est un champ de bataille ! Dès qu'une défense est en place, l'autre s'effondre. Je veux que ma fille soit en paix avec elle-même. Je veux qu'elle puisse vivre comme elle le souhaite.

_ Warren, gronda Abel.

Je grognai et sortis de la chambre, énervé.

Je me retrouvai dehors, faisant les cent pas non loin de la maison. J'aperçus la voiture de Mazakeen s'avancer sur le petit sentier. Elle s'arrêta non loin de la baraque et m'avisa en sortant du côté conducteur. Elle fronça les sourcils et claqua sa portière.

Elle avait natté ses cheveux bruns dans son dos, mais je pouvais l'apercevoir tandis qu'elle marchait vers moi. Mon lycan se roula contre ma peau, toujours attiré par son énergie à elle. Toujours à la chercher partout où qu'il soit.

Elle portait un jean sombre qui suivait la courbe musclée de ses cuisses et de ses mollets. Elle n'avait pas ses éternelles bottes de cowboy, mais bien des baskets. Sa veste en cuir ne cachait pas le petit haut bleu marine qu'elle portait. J'aperçus sa plaque sur sa ceinture, ainsi que son flingue sur sa gauche. Je pris une profonde inspiration, tentant de ne pas la dévisager, mais c'était peine perdue.

Mon corps n'attendait qu'une seule chose ; être délivrée de sa présence, pour être mieux emprisonné à chaque fois qu'il la voyait.

C'était une plaie vivante et elle était à la fois le baume et le sel. Je tirai sur mes cheveux recommençant mes cent pas, évitant de trop m'attarder sur sa silhouette plus fine qu'avant et sur ses cernes qui n'avaient pas complètement disparu.

_ Warren, souffla-t-elle en arrivant à mon niveau.

Je fermai un instant mes paupières. D'ordinaire, elle m'aurait touché et ça m'aurait sûrement calmé. Mais quand je pivotai vers elle brusquement, elle eut un mouvement de recul.

Je ricanai, d'un rire sec et dur.

J'étais en train d'imploser.

_ Des reproches particuliers à me faire ? gronda ma voix, peu familière même pour moi. C'est le jour et je suis plutôt ouvert à la culpabilité.

_ De quoi parles-tu ?

Je fis un pas vers elle, mais cette fois-ci elle me tint tête et ne recula pas. Même sa main ne s'approcha pas de son arme. Bon point.

_ Est-ce que tu as peur de moi, Mazakeen ? Après tout ce temps ? Toi non plus tu n'as plus confiance en moi, alors je suppose que ta réaction est légitime.

_ Si tu veux te défouler, je t'en prie, vraiment, marmonna-t-elle en soutenant mon regard.

Mon torse se soulevait à cause de ma respiration haletante. Elle n'était qu'à quelques centimètres de moi et son odeur appelait chaque cellule de mon corps.

J'étais à vif et je voulais m'énerver contre quelqu'un.

Maze était la dernière personne que je voulais me mettre à dos.

Je levai ma main vers son visage et un éclair de peur tinté de culpabilité traversa son regard. La mienne était à un tel niveau et mon lycan était tellement en colère, qu'il ne se retint pas. Ma paume se posa lentement sur sa joue, sa peau était chaude et douce. Comme dans mes souvenirs.

_ Warren, souffla Maze.

Son épaule eut un léger mouvement de recul. Mon autre main se referma sur mon bras et la panique fut un peu plus grande dans son regard.

_ Tu as peur de moi, grondai-je.

_ Tu veux vraiment jouer à ça maintenant ? me menaça-t-elle.

Mon nez frôla le sien et j'aurais voulu me frotter contre elle. Mon lycan voulait le faire. Il rapprocha nos corps de façon plus intime, allant même jusqu'à enrouler sa main sur la nuque de Maze. Cette dernière ne s'y attendait pas et elle sursauta, prête à me repousser.

Ses deux mains étaient posées à plat contre mon torse.

_ Je le vois dans tes yeux, sifflai-je, mauvais. Je le sens dans tout langage corporel. Vas-y. Repousse-moi, Maze.

_ Tu cherches la bagarre, Krig.

_ Ton regard me hurle d'arrêter de te toucher, mais tu ne comprends pas, Maze. Tu ne comprends pas qu'un jour je n'y arriverais plus. Qu'il y ait quelqu'un dans ta vie ou non, je reprendrais ma place.

_ Tais-toi, s'étrangla-t-elle.

Mes doigts agrippèrent sa natte et je tirai dessus assez fort pour qu'elle soit obligée de pencher sa tête en arrière, m'offrant son cou. Son pouls battait là, sous sa peau mate.

Mon lycan voulait lécher, mordiller, sucer.

Il voulait se nourrir de cette peau.

_ La culpabilité n'a aucun attrait pour les gens qui n'en ont rien à foutre, murmurai-je, tendu au-delà du raisonnable. Un jour, je n'éprouverai plus rien et je réclamerai tout ce qui est à moi.

Je sentis dans mon dos une présence que je détestai par-dessus tout. La puissance de Marcellus s'enroula autour de moi.

Maze écarquilla ses yeux en voyant une personne dans mon dos. La main de mon Krig s'abattit sur mon épaule et la serra si fort que je grimaçai et dus retenir un grognement de souffrance. Je vis Maze avancer sa main vers son flingue.

_ C'est elle, n'est-ce pas ? murmura Marcellus à mon oreille.

Je claquai des dents vers son visage, mais il m'esquiva en rigolant. J'enroulai mes bras autour de Maze et la déplaçai légèrement pour que mon corps protège le sien. Marcellus était nu et offrait un corps absolument meurtrier à quiconque pouvait le comprendre. Il était tout en muscles, large d'épaules, et ses hanches n'étaient pas franchement étroites. Toute sa peau était hâlée et il n'y avait pas une once de graisse. C'était du muscle, seulement du muscle. Du muscle entraîné et solide.

_ La petite humaine, insinua Marcellus. Quoique...

Il pencha doucement la tête, reniflant l'air.

_ Rentre dans la maison, grondai-je à l'oreille de Maze.

Elle frémit quand ma bouche se pressa contre sa joue.

_ Rentre, ordonnai-je d'une voix sèche.

Mes bras la relâchèrent.

Pendant un moment, elle hésita.

Et Marcellus commença à rire.

Je sentis la puissance d'Abel dans mon dos, ainsi que celle de Yuri, plus proche de la maison. Je sentis plus que je ne vis Abel récupérer Maze qui semblait incapable de tourner le dos à la bête qu'était Marcellus.

_ Warren, souffla Abel.

_ À l'intérieur ! aboyai-je.

_ Tes ordres ne résonnent plus dans les oreilles de tes lycans, Krig ! beugla Marcellus. Comment peux-tu te présenter à eux comme chef ?

Il pivota son visage vers l'entrée de la maison et l'énergie d'Aslander grimpa le long de mes jambes.

_ Non ! criai-je.

_ Forêt ! vociféra Marcellus. Maintenant !

Mon lycan frémit et jeta un coup d'œil au visage pâle de notre Anchor. Maze tirait sur les bras d'Abel pour se libérer. Il la retenait.

_ Kaizer ! s'écria Marcellus. Laissez-moi remettre à niveau mon élève.

_ Il n'est plus tien depuis longtemps, Krig, s'éleva la voix de l'Empereur.

_ Rien qu'une toute petite correction. Je vous le rends quand il aura compris ce que cela veut dire que de protéger son territoire.

_ Warren, gronda Aslander en me voyant bouger vers la forêt.

Je le regardai lui, plutôt que Maze.

_ Je reviens, murmurai-je. Ashika reste votre priorité.

Je savais que Marcellus voulait se venger de mon intervention pour Joshua. Je savais qu'il n'avait pas aimé que des intrus viennent ici. Et je savais que c'était la seule façon que j'avais de protéger Mazakeen à l'heure actuelle.

Il l'avait vue.

Il savait à quoi elle ressemblait.

Elle était ma faiblesse, même loin de moi.

La main de Marcellus se referma sur ma nuque et il me tira vers la forêt.

J'entendis à peine le cri de Mazakeen. 

* * *

Un premier chapitre en fanfare pour cette deuxième partie ! Pas le temps de dire ouf que tout le monde est sur le pied de guerre ! Et Marcellus en profite pour venir emporter Ren pour une petite leçon... profitable ou non, nous le saurons très vite ! 

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