45 | Evy

Nos cicatrices ont le mérite de nous rappeler

Que le passé n'a pas été qu'un rêve.

Ramenant une jambe contre moi, j'observai Abel allongé dans son lit, sa tasse de café à côté de lui, dans un équilibre précaire sur le matelas. Il était sur le ventre et je crois qu'enfin, il avait trouvé le sommeil. Sa position ne me semblait pas être la meilleure pour dormir, mais ça ne constituait pas un obstacle pour lui. Tant mieux.

Sa chambre débordait d'un bordel sans nom, preuve qu'il ne faisait qu'y passer et qu'il ne prenait pas le temps de ranger. Des livres dégueulaient de ses étagères, se mêlant aux cadres photo, la plupart montrant le louveteau à tous les âges. Il y avait l'humaine de Ren aussi. Bizarre.

La pièce croulait sous l'odeur du lycan, dans laquelle je me sentais bien. Calme. D'où ma présence alors même que j'aurais dû être occupée ailleurs. Comme renifler le cul des humains de la meute de Gabin. Histoire de leur mettre la pression. L'un des trois était coupable. J'allais vite trouver lequel. Et Warren s'occuperait de le faire parler, se délectant de la douleur qu'il dépenserait. Rien de moins. Nous étions encore loin du but, mais chaque miette ramassée constituait un indice suffisant. Jusqu'à ce que le louveteau se rappelle, nous tenterions d'avancer sans elle.

Pour elle.

Je ne quittai pas la chambre de toute la journée, observant la lente descente du soleil, jusqu'à ce que la nuit tombe et que la pièce soit plongée dans l'obscurité. Même si les Cadets avaient bien moins douillé que la première fois, Warren leur avait laissé quelques jours pour récupérer. Je fronçai les sourcils en repensant à l'intervention d'Abel, menant les petits lycans idiots sur le bon chemin. Malheureusement pour eux, même s'ils avaient enfin compris le sens de l'exercice, nos escapades sur plusieurs jours ne s'arrêteraient pas pour autant. Très formateur pour eux et Ren le savait, tout comme les autres Ritters et instructeurs du Fief. Joshua, plus que les autres, devait prendre conscience de son rôle. Il allait devenir Krig, alors il était temps qu'il agisse en conséquence.

Marcellus n'avait pas été loin de s'approcher. S'il avait choppé Joshua pour l'amener avec lui, aurais-je tenté de le retenir ? Personne ne le saurait. Je souris. Ma folie couvait sous ma peau, imbibant mes veines et éventrant le peu d'humanité que j'avais.

J'étais une lycan dans un corps humain. Ma partie humaine morte depuis des siècles, depuis si longtemps que j'avais oublié à quoi avait bien pu ressembler mon alter ego. Si tant est que j'en aie eu une. Je n'avais pas demandé à Ren. Pour quoi faire ?

— Evy ?

Le grognement d'Abel me parvint. Il émergeait après une journée entière à dormir. Je le regardai frotter son nez contre son oreiller et cesser de bouger un instant. Il ne portait qu'un boxer, me laissant voir son dos mangé par ses muscles, cisaillé par ses cicatrices.

Je me levai et m'avançai vers lui, grimpant sur le matelas et l'enfourchant après qu'il ait roulé sur le dos. Ses mains se posèrent sur mes cuisses et je plongeai dans son regard encore embrumé par la fatigue. Les cernes mangeaient encore ses yeux, mais bien moins que ce week-end. Son corps ne me semblait plus aussi tendu. En alerte. Ou alors d'une tout autre façon. Que je pouvais gérer.

— J'ai dormi longtemps ? grommela-t-il, la bouche pâteuse.

— Un peu plus de dix heures. Il fait nuit.

Il se frotta le visage avec un soupir, mais ne sembla pas plus surpris que ça.

— Tu en avais besoin, dis-je.

— Ouais.

Quand il manquait de sommeil, Abel était bizarre. Irascible était le mot. Tendu, mais moins alerte. Pas passif, juste en retrait.

— Tu es restée ici ?

Je hochai la tête. Sa main passa sous mon t-shirt et agrippa ma hanche.

— Toute la journée ?

Mon assentiment.

— À me regarder dormir ?

— Tu deviens agaçant, lycan, soufflai-je.

Il ricana et soudain, je me retrouvai plaquée contre le matelas, son corps me surplombant, ses yeux me dévorant le visage.

— Je trouve juste ça... bizarre venant de ta part.

— Pourquoi ?

— Parce que tu n'agis jamais sans raison, Evy, répondit-il.

Faux. Avec Nokomis, c'était arrivé. Comme maintenant. Comme avec lui.

— Il me faut une raison pour vouloir rester avec toi ?

Sa surprise. J'étais peut-être un animal, mais je comprenais les choses. Dans ma propre mesure bien entendu. Pas toujours facile d'ailleurs.

— Et toi, tu comprends pourquoi tu agis comme ça ? murmura-t-il.

— Je n'y ai pas réfléchi.

Et n'étais pas en train de le faire. Mais ça ne parut par le déranger plus que ça. Il se pencha, en extension sur ses bras et m'embrassa. J'avais compris qu'il ne suffisait pas de le faire avant d'avoir un rapport ou pendant, mais qu'on pouvait embrasser lorsqu'on le voulait. Abel le faisait souvent. Moi, j'analysai encore ça. Peut-être que ça fonctionnait comme les câlins. Et j'aimais lui en faire. Tout le temps. Sans raison. Juste parce que... je le voulais.

— Reste ici cette nuit.

— Tu vas encore dormir ? répliquai-je.

Sa main remontant ma cuisse. Hummm.

— J'ai une tout autre occupation en tête...

* * *

— Tu es sûre ? demanda une énième fois Warren, me donnant envie de lui mordre le mollet.

Très fort, juste pour qu'il arrête. Le louveteau soupira, mais réussi à sourire. Je grommelai.

— Oui, p'pa. Je suis juste fatiguée, d'accord ? Je viendrais plus tard.

Mon regard dissuada Ren de l'ouvrir encore. Il pinça ses lèvres et tapota le bout de sa chaussure contre le parquet du salon.

— Je ne te laisserais pas te débiner, finit-il par dire. Je viens te chercher dans une heure trente.

Le louveteau hocha la tête et laissa Ren l'embrasser sur la tempe avant de partir. Depuis hier se déroulait tout un événement du côté Contingent, attirant la moitié du Fief là-bas, dont les Cadets qui allaient en avoir plein la vue. Voir des Soldats se rouler au sol et suer, rien de très intéressant, même si on parlait de lycans surentraînés. Peut-être irais-je avec le louveteau pour voir Mera. Ou pas. Il s'agissait d'une gosse session d'entraînements sur trois jours, préparant à un truc plus officiel, propre à l'Armée d'Aslander. Un système de points et des lycans qui montaient en grade. Certains quitteraient le Contingent pour rejoindre Sydney aussi. Ren l'avait encore une fois très bien expliqué, mais je n'avais écouté que d'une oreille, ne trouvant pas ça très intéressant. Ce qui tombait plutôt bien ; ainsi je pouvais rester avec Hachi, plongée dans un dossier que Ren lui avait donné plus tôt dans la journée. J'avais interdiction d'y fourrer mon nez, devant laisser le louveteau se débrouiller. De toute façon j'étais bien meilleure pour les travaux manuels. Oh, les arts de la guerre n'avaient aucun secret pour moi, mais si j'étais rodée, ce n'était pas le cas pour le louveteau. En tant que fille de Krig, elle se devait d'avoir un certain niveau de compétences sur différents sujets plus importants les uns que les autres.

Si la maison était assez calme, nous n'étions pourtant pas les seules à y être. Lilibeth était à l'étage avec deux lycans femelles de Ren. Dom ne devait pas être bien loin lui non plus.

— On peut aller se mettre dans le bureau de papa ? demanda Hachi.

Je hochai la tête, m'en fichant bien, tant qu'elle était bien. Je l'y suivis et elle s'installa après avoir poussé les affaires de son père sans trop déranger le tout. Ren, n'étant pas stupide et sachant que beaucoup de monde passait par là, n'avait rien laissé comme informations concernant ses recherches sur les personnes impliquées dans la disparition et le viol du louveteau. Je m'avançai vers la fenêtre et observai dehors, les mains dans le dos. Tout était calme. Tranquille. Au loin, mes yeux perçurent une nuée d'oiseaux qui venaient de s'envoler.

Un grésillement se fit alors entendre.

— Gabin pour Warren. Gabin pour Warren.

Je croisai le regard du louveteau qui avait relevé la tête en entendant le déclenchement du talkie-walkie. Mieux valait que je ne réponde pas à l'humain ; il ne m'aimait pas beaucoup après ces dernières semaines collée à son cul. Hachi se leva et porta le talkie à ses lèvres en appuyant sur le bouton.

— C'est Ashika, dit-elle d'une voix posée. Papa est au Contingent avec les autres.

— Hachi ? Abel est aussi là-bas ? Je n'arrive pas à le joindre.

— Il a dû laisser son talkie dans un coin, répondit-elle en souriant.

Idiot de lycan celui-là.

— Bon, ce n'est pas très grave. J'ai découvert une ouverture dans la clôture, au Nord. Difficile de dire si elle a été faite par une main humaine ou animale.

— J'y vais, grommelai-je.

Le louveteau fronça les sourcils avant de hocher la tête.

— Evy propose d'aller voir ça. Pour euh... renifler et tout.

— Ça me va.

Gabin coupa la communication et Hachi posa le talkie sur le bureau.

— Je t'attends ici, c'est ça ?

Je hochai la tête, hésitant tout de même.

— C'est bon, souffla-t-elle. Je reste dans le bureau de papa. Vas-y.

Ce n'était probablement rien, mais vérifier ne coûtait rien. Ren y serait allé. Parce qu'on ne rigolait pas avec ça. Je quittai la maison presque en courant et me Changeai, mes quatre pattes foulant le sol à une vitesse folle, m'amenant à m'enfoncer dans les bois. La partie Nord n'était pas la porte à côté et il me faudrait compter une bonne vingtaine de minutes pour y arriver. Cet environnement m'étant bien plus familier que tout le reste, je ne tardai pas à sentir qu'un truc n'allait pas. J'étais à mi-chemin entre mon point de départ et mon point d'arrivée.

Je ralentis ma course, jusqu'à l'arrêt, truffe fourrée au sol. Mes oreilles se dressèrent, écoutant chacun des sons autour de moi.

Les feuilles dans les arbres. Les animaux. L'écoulement de la petite rivière qui serpentait non loin.

Un craquement.

Un bruit métallique, le même que celui que produisait le briquet d'Abel lorsqu'il s'amusait avec.

Il y avait des intrus sur nos terres.

Gueule en direction de la cime des arbres, mon hurlement jaillit. 




* * *

Préparez vous... Dans la suite tout s'enchaîne 😎😈😱

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