41 | Ashika
"Il y a certaines choses que l'on apprend mieux dans le calme
et d'autres dans la tempête."
Willa Cather
J'essuyai mon front et exhalai un soupir avant de pincer mes lèvres. L'infirmerie n'avait jamais été aussi bondée, un rappel qu'elle n'était pas vraiment faite pour ça, même si nous nous trouvions au cœur névralgique du Fief. Et à bien des égards. Beaucoup de cadets dormaient du sommeil du juste, juste après avoir pu bénéficier d'un repas copieux. Ils n'étaient partis que trois jours, mais à les voir, ça s'apparentait à des semaines. Je m'étais focalisée sur chaque blessure, chaque fracture, occultant mon environnement et le résultat me semblait positif. Aucune crise de panique, aucune peur me prenant à la gorge. Oui, un pari réussi. Pour le moment. Je me sentais fière. Démesurément fière.
— Merci.
Je relevai les yeux vers Hasna, allongée dans son lit, le visage tuméfié et la bouche un peu pâteuse. Du moins d'après son élocution. Je l'observai quelques secondes, mes doigts sur le bord du matelas.
— C'est normal.
Étant une Earhja, ce genre de situation constituait clairement le moment où j'étais le plus à même d'intervenir.
Utile. Voilà ce que je ressentais. Voilà ce qui me trottait dans la tête depuis des heures. Après des semaines à stagner tout en faisant des efforts, je me sentais utile. Et ça, ce n'était pas rien. D'enfin mettre des mots dessus était galvanisant. Et libérateur d'une certaine façon. J'eus envie d'aller voir le docteur Pratt pour lui dire. Ça attendrait le début de semaine.
— Tu crois ? Elle haussa les épaules. Je tenais quand même à te remercier. Je me doute que... ça ne doit pas être facile pour toi d'être là, avec nous tous.
Je préférai garder les yeux baissés, ne me sentant pas très à l'aise dans cette conversation.
— On ne se connait pas beaucoup toi et moi, mais j'aimerais qu'on devienne amie.
Ma surprise. Je la fixai, un peu bêtement peut-être, et son sourire se fit gêné, tout en gardant sa douceur. Ses joues se colorèrent. Cette conversation la mettait autant mal à l'aise que moi.
Qu'est-ce qui me retenait de lui répondre ?
— Réfléchis-y au moins. D'accord ?
Le docteur Pratt avait parlé de socialisation. D'échanger avec les autres, pas seulement les gens que je connaissais depuis toujours. Non. Il voulait plus. Que je réapprenne à être une jeune fille de mon âge ? C'était une bonne idée, logique et appuyée sur des faits. Néanmoins, c'était me pousser très fort dans une direction qui me faisait encore freiner des quatre fers. Pas à pas.
Je m'éloignai pour la laisser se reposer et m'avançai vers le lit de Joshua, où sur une chaise, se tenait Wolf, sa main appuyée contre son torse. Tous les deux étaient pâles. Ils avaient refusé que je les soigne avant tous les autres. Maintenant que c'était chose faite, je pouvais enfin alléger leur douleur. Wolf se redressa en me voyant, encore éveillé quand son voisin semblait avoir trouvé le sommeil malgré la douleur de son genou. Wolf tenta un coucou de la main, mais grimaça. Je m'arrêtai devant lui et attendit qu'il me tende son bras pour que je puisse enfin faire mon travail. Sa peau était très chaude contre la mienne et d'une simple pression, j'évaluai les dégâts à la saignée de son avant-bras. Evy n'avait pas fait dans la dentelle, mettant toute son énergie dans cet exercice, au grand malheur de Lilibeth qui, après son éclat de colère, avait dû aller s'allonger. Elle avait tendance à oublier qu'elle était enceinte, mais nous, nous étions là pour le lui rappeler, grognements de sa part ou non. Le terme était proche, alors il fallait veiller.
— Tu peux plier les doigts ?
Il n'essaya pas ; ne cherchant pas à faire le fanfaron avec moi. Il secoua la tête et grimaça lorsque je pris sa main dans la mienne. Je fermai les yeux et une image parfaite de la main, composée de tous ses os et de tout son cartilage apparut avec une netteté acquise au fil de mon apprentissage.
C'était un peu comme voir une représentation 3D. Wolf étouffa un juron lorsque je soignais sa main, réalignant ses doigts.
— Elle sera gonflée quelques jours, soufflai-je.
Il se contenta d'un hochement de tête.
Je m'occupai de son autre main, bien moins blessée et tout de suite, le résultat fut visible sur le visage du lycan, dont les traits se détendirent et dont un soupir d'aise s'échappa de sa bouche.
— T'es la meilleure, Hachi.
Il me tendit une barre de céréales avec un sourire triomphant, sachant à quel point je brûlais mon énergie lorsque j'usais de mon habileté. Il aurait été mal vu que je m'effondre pour si peu, entourée de Cadets qui avaient trimé dans les bois pendant trois jours. Je coupai cette dernière en deux et Wolf ne refusa pas la moitié. Mon regard coula sur Joshua. Son visage était recouvert d'une fine pellicule de transpiration et son souffle se voulait laborieux, un peu haché. Je coinçai la barre entre mes dents et en quelques minutes, soignais le genou de mon ami. Il lui faudrait le protéger pour les jours à venir, histoire qu'il ne se refasse pas plus mal.
— Tu devrais aller dormir maintenant, dis-je à Wolf.
— Je suis encore bien trop excité pour ça, avoua-t-il, un sourire aux lèvres. Ces trois jours, Hachi, j'te jure, c'était de la folie.
— Elle ne vous a pas loupé, soufflai-je.
— Dingue, hein ? Je dois être un tantinet maso, parce que j'ai hâte de retourner dans la forêt avec elle. Même si Calder est dur, même Abel, ça n'avait rien à voir. Elle nous a mis à un niveau qu'on n'avait jamais touché, même du bout des doigts.
— Il va falloir penser à se reposer avant quoi que ce soit, sinon dans l'état actuel des choses, vous serez des loques avant même de recommencer l'immersion.
Il ricana :
— J'avoue. C'est vrai que Todd va s'occuper de ton entraînement ?
— Il l'a proposé, oui.
— C'est bien ça. Je trouve ça cool que... bah que tu reprennes pied, tu vois ?
Il se gratta le menton, détournant le regard quelques secondes.
— J'me doute que ça doit pas être facile, mais... je suis content que tu me laisses revenir un peu dans ta vie. Tout ça, ça me manquait. Tu me manquais.
Je reniflai, consciente que si je ne me maîtrisais pas, les larmes couleraient. Wolf avait toujours été quelqu'un de franc, n'ayant pas peur de dévoiler ses pensées, ses sentiments.
— Tu m'as manqué aussi, avouai-je dans un murmure.
Tout doucement, hein ? Pas à pas. Je pouvais y arriver.
Il finit par aller s'allonger et ne tarda pas à s'endormir. Bientôt, il n'y eut plus que les souffles profonds des Cadets. Je notai mes derniers soins sur le calepin de Lilibeth et refermai la porte de l'infirmerie derrière moi, laissant tout le monde dans le calme.
La nuit n'était pas profonde, le ciel parsemé de quelques milliers d'étoiles. Ça me rappela ce conte sur le premier chasseur des steppes, qui avait blessé le soleil pour l'empêcher de se coucher, lui qui n'avait peur de rien était terrorisé par la nuit sombre. Lorsque le chasseur avait rendu sa liberté au soleil, sa blessure avait éclaboussé, créant la Voie lactée ; créant les étoiles. Le Fief semblait dormir lui aussi.
Abel m'attendait, un livre à la main.
— Enfin finis gamine ? demanda-t-il.
Je le rejoignis et il m'ébouriffa les cheveux.
— On peut passer quelque part avant de rentrer ?
Sa curiosité ne le poussa pas à me demander où ; il se contenta de me suivre et bientôt je perçus le murmure de la présence d'un lycan dans notre dos. Evy. Nous prîmes la direction de la partie de la Réserve où se trouvait le Contingent, plus spécifiquement le bâtiment où vivaient les plus hauts gradés. Dont Todd. C'était le même fonctionnement que pour les Ritters de papa, qui avaient le droit à leur propre appartement. Comme Abel. Même si nous vivions en communauté quatre-vingt-quinze pour cent du temps, il fallait bien pouvoir avoir un endroit à soi au Fief. Je trouvais ça important et ça comptait aussi dans l'équilibre des plus jeunes. Il était important de montrer la différence entre la meute et la famille.
— Je t'attends en bas, dit Abel.
Je tapai le code à l'entrée et grimpai au deuxième étage. Il régnait dans la cage d'escalier une bonne odeur de nourriture, de celle qui fit gronder mon ventre et me mit l'eau à la bouche. Des rires me parvinrent de derrière une porte ainsi que le murmure de la télé. Je m'arrêtai devant l'appartement de Todd et appuyai sur la sonnette qui retentit plusieurs secondes. Je n'eus pas le temps d'attendre que l'Asters se tenait déjà devant moi. Il portait un vieux jogging et un t-shirt blanc sans aucun motif.
— Ashika ?
Il sembla surpris de me trouver là, surtout à cette heure. Forcément, il devait savoir qu'Abel était en bas, attendant dehors. Je me sentis un peu stupide, mais repoussai bien vite cet état d'âme.
— Je-je pense que je suis prête, dis-je d'une voix assurée.
Ou presque.
— Pour commencer l'entraînement avec toi.
Toute cette fin de journée et cette soirée avaient été comme un déclencheur pour moi. Je voulais reprendre le contrôle sur mes doutes et mes peurs. Je voulais avancer.
Aller de l'avant.
Todd m'avait dit qu'il souhaitait m'aider et que la seule façon de le faire pour lui était de prendre en main mon entraînement. Je ne savais pas ce que ça donnerait ni même si j'allais réussir, mais tant que j'aurais l'envie de le faire, ça devrait aller. Non ? Peut-être que j'essayais de me convaincre. Peut-être que je voulais me donner l'impression de reprendre le contrôle.
J'étais resté trop longtemps dans l'inertie. Vivant comme un fantôme. Ce n'était pas moi.
Ce. N'était. Pas. Moi.
— Lundi, tu viendras en tenue.
Mon sourire risqua de crever les plafonds. Je hochai vigoureusement la tête.
— Merci. Merci !
Todd sourit. C'était rare de sa part. Tout de suite, son visage se modifia, lui octroyant de la douceur.
— Ne me remercie pas trop vite, tu risques vite de me maudire.
Peut-être bien, mais pour l'instant, je m'en fichais bien. Il me souhaita une bonne soirée et je redescendis les deux étages en courant, me sentant étrangement sereine.
Et légère.
J'avançai sur la voie de la guérison. Il me manquait encore un pan entier de ma mémoire et je ne serais peut-être plus jamais la même, mais je n'avais pas tout abandonné. Je me battais.
Je continuerais de lefaire, parce que peut-être, oui peut-être, c'était là la clé de mon bonheur. Nerien lâcher. Et continuer à vivre.
* * *
Bonjour vous 😊 ça va ? Vous êtes chez vous ? Moi ça y est j'ai été mise en télétravail avec pas grand chose à faire, mais bon on va pas se plaindre non plus... Bref j'ai décidé vu la situation de poster tant que j'ai de quoi faire : peut-être pas tous les jours mais pourquoi pas tous les deux ou trois jours 😁 je pense que ça vous dérange pas trop hein... 😳😇
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