39 | Joshua

 « Le deuil n'existe pas. On se souvient.

On se souviendra toujours de tout. Dans les moindres détails.»

Bertrand Betsch


Jour 1. 20h15.

Je retins un cri de douleur quand mon bras protesta. Je restai accroché à l'arbre, préférant ça aux crocs de la lycan d'Evy. J'avais déjà deux belles marques à la cheville droite. Elle ne voulait pas qu'on glisse de nos perchoirs, quitte à avoir les bras ankylosés.

Je ne lâcherai pas.

Depuis qu'elle nous avait réveillé à 3h ce matin, je m'étais fait la promesse de ne pas lâcher. Même les cadets qui avaient pris cher dans le parcours d'Endurement du Contingent étaient encore avec nous, malgré les larmes et la douleur.

Evy nous testait. Mon lycan en avait conscience et pour rien au monde il ne lâcherait.

Je sentis ma prise se défaire sur la droite et Wolf réussit à me rattraper avant que je ne lâche tout. Mon bras était crampé et je changeai ma position pour me percher d'une manière différente.

Je remerciai Wolf d'un geste de la tête. Il y répondit, le visage recouvert de terre et un peu de sang. Il s'était viandé un peu plus tôt quand Evy nous avait fait courir dans des rapides. Wolf et deux autres cadets étaient tombés dedans et c'était pris des rochers. Pas beau, mais il semblait tenir quand même.


Jour 1. 23h53.

La faim était sûrement la pensée la plus fixe que je n'avais jamais eu en plus de la douleur. Mon ventre se tordait et des gargouillements résonnaient dans tout le groupe. Nous étions immergés dans de l'eau glacée depuis deux heures, les uns collés contre les autres en file indienne, tremblant et frissonnant.

Evy longeait les quatre files indiennes différentes et boufferaient sûrement le premier qui voudraient sortir de l'eau.

Les bruits de la forêt résonnaient autour de nous, mais ça ne me faisait plus peur. Mon lycan était complètement immergé dans l'ambiance.

Son but : ne plus sentir la faim.


Jour 2. 03h45.

Je m'étais fait mal aux pieds quand Evy nous avait fait grimper à flanc de montagne. Wolf et Peter avaient cachés leurs poignets enflés et semblaient parfois à deux doigts de hurler quand ils tiraient sur le mauvais bras.

Mon genou était en sang car j'avais rattrapé Wolf sur mes épaules quand il avait loupé un appui. Ce n'était pas mes mains qui avaient pris cher bizarrement, mais mes genoux. J'étais resté camper sur mes appuis tellement fort que je n'osais pas regarder ma blessure, de peur de voir l'os apparaître.

La douleur pulsait.

Bien plus forte que la faim à présent.


Jour 2. 08h22.

On avait perdu deux Cadets qu'Evy avait laissé dans le fossé. Elle les avait simplement regardés, déçue et avait craché à côté d'eux.

Elle avait même murmuré à celui qui était en larmes :

_ Sais-tu ce qu'on fait des faibles dans une meute ?

Et le Cadet, qui avait quand même dix-huit ans, avait fondu en larmes, son bras cassé en écharpe contre son torse.


Jour 2. 11h02.

Les plus vieux Cadets avaient profité de la pause accordée par Evy pour panser certaines de leurs blessures. J'avais fait en sorte de trouver de la nourriture et Wolf était venu avec moi. Peter avait même réussi à tuer un animal. Pour l'instant, Evy ne nous permettait pas de nous transformer, mais plusieurs d'entre nous ce serait senti plus à l'aise si ça avait été le cas.

Wolf avait tenté d'enrouler mon genou dans mon t-shirt mais ça faisait trop mal à cause du frottement. Mes baskets étaient imbibées d'eau, mon short avait plusieurs trous.

Hasna avait vomi deux fois déjà et semblait à bout de forces. On l'avait nourrie en première pour qu'elle puisse reprendre un peu du poil de la bête.

Wolf m'avait avoué qu'Ashika lui manquait.

Moi, c'était mon frère qui me manquait.

Et il me manquait atrocement.


Jour 2. 15h06.

Amon avait chuté de si haut qu'il ne s'était pas relevé quand il avait heurté le sol. Nous étions à plusieurs mètres d'altitude et même si sa chute avait été ralentie quand il avait réussi à se rattraper un peu, il était quand même resté au sol plusieurs minutes sans bouger.

Wolf et moi, on a failli se pisser dessus.

Parce qu'Evy était juste à côté de nous et a simplement soupiré. Comme si nous avions eu une putain de mauvaise note.

Wolf m'avait demandé de ne pas descendre, mais j'étais quand même redescendu en sens inverse, sous les grognements d'Evy.

J'étais descendu car un des Cadets, un mec avec qui je m'entendais bien était tombé d'une putain de falaise.

J'avais les mains en sang en arrivant en bas et je m'étais presque démis l'épaule une heure plus tôt.

Amon toussa et se recroquevilla sur le côté avant de grogner quand je l'aidais à s'asseoir. Ses yeux brillaient de son lycan et je dus me soumettre à lui pour qu'il ne m'attaque pas.

_ Joshua ! cria Evy. Les faibles restent derrière. Les autres avancent. Tu veux être un faible ?

Je ne répondis rien et attendis qu'Amon soit de nouveau apte à marcher. En regardant son dos, j'avais vu une très grosse brûlure et il s'était cassé un doigt, qu'il enroula dans un reste de son t-shirt.

_ Meurs pas, soufflai-je en recommençant à grimper.


Jour 2. 20h02.

La nuit tombait.

Et Evy était de plus en plus silencieuse.

Elle parlait déjà pas beaucoup, mais là franchement, ça n'annonça rien de bon.


Jour 3. 00h02.

Evy venait de lancer un « jeu ».

Le dernier qui atteignait le checkpoint se ferait défoncer par les autres.

C'est fou comme on devenait rapide.


Jour 3. 02h03.

Je m'étais décollé la plèvre et j'avais arrêté de respirer le temps de reprendre mon souffle. Wolf était à deux doigts de péter un câble. Tout comme quatre-vingt pourcent de notre groupe. Les plus vieux Cadets étaient en galère et certains nous aidaient, mais le meilleur restait Dax, qui avait vingt-deux ans et était le fils d'un autre Krig. Il était venu ici pour avoir le meilleur Krig, Warren Archeon. Et pour lui, le niveau avait été médiocre depuis l'enlèvement d'Ashika. Il était donc surexcité d'avoir Evy en instructrice et il le lui rendait bien. Il avait défoncé un des cadets les plus jeunes et je m'étais promis de me louper sur un des checkpoints pour qu'il tente de me défoncer


Jour 3. 02h45.

Dax m'observa pendant une seconde, son doigt touchant sa lèvre en sang.

Je souris et lui fis un clin d'œil.


Jour 3. 03h14.

Wolf tira d'un coup sec sur mon bras. Mon épaule se replaça au bon endroit tandis que mon cri restait bloqué derrière le morceau de bois que j'avais dans la bouche. J'avais l'arcade qui pissait encore le sang et Evy regardait Dax défoncer un autre Cadet.

On était loin de l'entraide entre nous, hein ?


Jour 3. 04h46.

Il y a eu des grognements pendant plusieurs minutes pendant que tout le monde se changeait sous sa forme animale. Je n'étais jamais resté plus d'une nuit entière comme ça, mais Evy fut clair sur un point : nous devions rester sous notre forme animale jusqu'à notre retour.


Jour 3. 05h12.

Mon lycan venait d'arrêter de couiner. Il n'arrêtait pas d'appeler Raphael. Jappant et couinant.

Encore et encore.

Je n'avais réussi à le calmer et vu qu'il était sous sa forme et que j'étais épuisé, ma volonté n'avait plus franchement d'impact.

Nous n'avions pas dormi depuis plus de 48h.

J'avais peur que mon lycan attaque des cadets.

J'avais peur de ne pas réussir à le contrôler.

Raphael avait toujours réussi à le maintenir.

Mais il n'était plus là.

Il n'était plus là.

J'étais seul.

Et je ne pouvais compter que sur moi.

Comme quand j'étais enfant.

Comme quand j'étais encore avec ma mère.

Comme quand je prenais encore des coups par les mecs qui venaient la voir.


Jour 3. 06h12.

Faim.

La faim nous tiraillait.

À manger.

Il fallait trouver de la nourriture.

Lapin. Viscères. Entrailles.

Chaud.


Jour 3. 08h15.

Le soleil se levait.

Nouvelle journée.

Attaquer.

Se défendre.

Attaque.


Jour 3. 18h43.

Un cri nous sortit de notre torpeur.

Nous étions en train de rentrer.

Il manquait beaucoup de Cadets.

Un autre cri. Celui-là traversa la psyché de mon lycan pour m'atteindre.

Lilibeth.

C'est Lilibeth.

Mon lycan couinait, rampait, tentait de se rapprocher.

_ JOSHUA !

Nouveau cri.

La seconde suivante, mon lycan fut heurté par une personne qu'il connaissait.

Hachi. C'était Hachi.

Il me laissa la place, mais ce n'était franchement pas l'idée du siècle.


Jour 3. 19h15.

Lilibeth n'était plus dans mon champ de vision. Si j'en croyais les cris qui résonnaient dehors, elle hurlait sur Warren et Evy. J'avais dit à Ashika de ne pas s'occuper de moi, mais de prendre soin des autres. Au bout de mon lit de camp, Peter était encore sous sa forme de lycan. Il ne voulait pas rebasculer en humain pour l'instant. Mais c'était dangereux pour nous de rester aussi longtemps sans pause. J'avais passé plus de treize heures d'affilée sous cette forme. Jamais je n'avais autant abusé de la forme de mon lycan. Et pour ça, je n'arrivais pas à guérir de certaines de mes blessures. D'après Hachi, c'était parce que j'avais changé avant qu'elles ne soient guéries.

C'était la première fois que je voyais Ashika entourée d'autant de Cadets. Elle n'avait rien à craindre car tous, nous étions des déchets ambulants. Le loup de Peter couinait encore et encore, des petits sons qui me poussaient à rouler dans le lit et à lui tapoter l'encolure pour le rassurer.

Wolf était assis dans un siège à côté de mon lit, et à se droite, il y avait Hasna. Nous étions tous ultra silencieux et c'était peut-être aussi ce qui me faisait peur.

Mon épaule était atrocement sensible et je peinais à garder les yeux ouverts. J'observai Ashika aller et venir entre les lits. Yuri aidait aussi. Maze était venu aider vu que la Brigade Noire était là pour leur entraînement. Elle s'approcha de moi et me tendit une poche de glaçon. Je la posai sur la partie droite de mon visage que Dax avait explosé.

_ Qui t'a fait ça ? souffla Maze. C'est elle ?

_ Non. On s'est tous fracassé la gueule, marmonna Wolf à ma place.

J'avais une ou deux dents de cassés et ma mâchoire me faisait vraiment mal. Mon lycan s'était vraiment raté.

_ Laisse tomber, grognai-je derrière le sachet avec ma mâchoire branlante.

_ Non, Joshua. Je ne laisserai pas tomber, soupira Maze. Ashika était inquiète.

_ Elle se sent utile, rectifia Wolf. Ça ne peut que lui faire du bien.

_ Tu es prêt à te faire fracasser la gueule pour qu'elle se sente utile, Wolf ?

Il détourna le regard, mais son sourire...

_ Wolf, grondai-je.

Maze contourna le lit pour aller dehors.

C'est là que les cris redoublèrent.

Et merde. 



* * *


Quand Evy s'en mêle voilà ce que ça donne... des gosses traumatisés ! Mais qu'est-ce que j'aime cette lycan quand même ma parole ! Ce sera le dernier chapitre de la semaine, on se retrouve semaine pro pour la suite :)

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