3 | Evy
« Je suis la plaie et le couteau
La victime et le bourreau »
Baudelaire.
Dans ses bras, ça n'arrêtait pas de bouger. Ça gesticulait. Les petits bruits qui provenaient de cette chose si chétive n'étaient pas dérangeants.
La curiosité prit le pas sur le reste. Ma puissance coula dans chacun de mes membres et je me relevai, consciente que ce serait pire à chaque fois ; prendre forme humaine était plus compliqué, ça demandait plus d'énergie et ça me rappelait que j'étais seule maintenant. Il n'y avait plus rien d'humain en moi, hormis le comportement que je devais prendre. C'était de plus en plus rare.
J'étais dans cette forêt depuis longtemps.
À côté de ma famille ; aussi proche que possible. J'étais moi-même.
Ren sourit. Ses yeux se plissèrent un peu et ils brillèrent.
Heureux. C'était ça que je sentais. Que je percevais, par effluve. Je m'avançai vers lui, peu assurée. N'étant pas habitée à cette peau. C'était plus douloureux. Moins pratique. Je m'arrêtai devant ma famille et Ren me laissa frotter mon nez contre sa joue. Il avait mon odeur.
Il sentait nous.
Ça me rassurait toujours.
Il était à moi.
Mes yeux se posèrent sur le bébé.
Tout petit.
Fragile.
Danger. Il babillait. Trop petit encore pour pouvoir ouvrir les yeux et y voir quoi que ce soit. J'aurais pu le tenir dans ma main.
Cette chose.
— Prends-la.
Ren n'avait pas peur. Il savait. Il avait toujours su. Depuis que nous étions enfants. Depuis que nous étions ensemble.
Ce n'était pas de la confiance. Nous étions des animaux avant d'être des humains.
Il me passa le bébé.
Le poids était léger. Comme si je portais un amas de feuilles. Rien de plus. Je baissai mon visage et mon nez effleura celui de l'enfant.
— Ashika, soufflai-je. Ashika.
Ren sourit. Il y avait bien longtemps que je ne l'avais pas vu aussi apaisé. Aussi heureux.
Son louveteau.
Sa vie était dans cette enfant qui grandirait et qui deviendrait une belle femme.
Ren. Evy. Ashika.
Famille.
Ma famille.
Ma meute.
Il faisait nuit. La bâtisse était plongée dans le noir et seule la lueur de l'écran diffusait une lumière toute relative.
Les images défilaient. En continu. Mais je n'avais pas besoin de les regarder, parce qu'elles étaient toutes gravées sur ma rétine depuis la première fois que j'avais visionnée cette vidéo.
Les cris du louveteau.
Les rires des hommes.
Je connaissais leurs timbres. Je n'avais qu'à fermer les yeux et me concentrer. Maintenant et pour toujours, je n'oublierai pas.
N'oublierai jamais.
Mes proies.
Ils étaient mon but. Chacun d'entre eux. Je les retrouverai. Un par un. Et ils hurleraient la vérité. Pour Ren.
Pour Ren, je les dépècerais. Les éviscérais.
Un par un.
La pièce qu'on voyait était le sous-sol de cette maison. Tout était arrivé ici.
On avait volé l'innocence du louveteau dans cette pièce.
Alors, je faucherais des vies.
Sans aucun remords. Sans un regard en arrière. Ce que Ren ne pouvait faire, je le faisais à sa place.
J'étais son arme.
Il était ma famille.
À moi.
On avait attaqué les miens.
Je mis l'image sur pause et me levai, étirant mes muscles, étirant mon corps. Cette forme n'était pas ma préférée.
J'avais encore du mal à me mouvoir.
À penser. Car un animal ne réfléchissait pas. Il agissait selon des besoins. Des instincts. Sans Ren, c'était compliqué de trouver la balance.
Mais je me débrouillais. Plus par choix que par envie.
J'avais une mission.
C'est tout ce qu'il fallait à quelqu'un comme moi.
J'avais été une Godi de l'Empereur.
J'avais été la Godi de Nokomis.
Et j'avais échoué. Lamentablement.
J'étais retournée avec Ren. Il m'avait cachée dans la forêt. Mais ne m'avait pas oubliée. J'avais été son secret. Et j'avais pu vivre.
Sans un bruit, je descendis lentement au sous-sol. Il y avait bien des odeurs. Mais pas les bonnes.
Raphaël Silva.
Dom Butler.
Et d'autres membres de la meute. Quand ils avaient réussi à remonter jusqu'ici, quand ils avaient trouvé le louveteau.
Yona.
— Je suis toute seule.
Je m'agenouillai. Touchais le sol du bout des doigts.
Je traquais.
Je trouvais.
Et je tuais.
Avant, je n'en aurais pas eu le droit. Avant, nous ne dispensions aucune forme de justice qui n'ait pas été approuvée par le Kaizer.
Je ne lui devais plus rien.
Lui, il avait abandonné sa famille.
Je levai les yeux vers la fenêtre qu'Ashika avait brisée. Me glissai jusque là-bas. Cette partie-là appartenait au louveteau, à Ren et au reste de sa meute.
Mon doigt effleura un morceau encore accroché. Je regardai mes pieds.
Il y en avait beaucoup à cet endroit. On avait marché dessus. Il y avait des gouttes de sang séché. Celui du louveteau. J'humidifiai le bout de mon doigt et essuyai une marque avec. Avant de goûter avec ma langue.
Il n'y avait plus rien ici.
Mais ça ne voulait pas dire que je ne trouverai rien.
Des traces. Des pistes.
Des odeurs.
J'allais trouver. J'allais... Du bruit à l'étage. La vidéo avait été relancée. Je reniflai avec dédain, sachant très bien qui était là. Je trouvai le Godi dans ce qui avait été le salon. Il avait coupé le son et son ombre se détachait contre le mur. Grand. Puissant.
— Ça faisait longtemps, Evy.
Sa voix était profonde et chaude. Pas douce. Rocailleuse comme la mienne. Porteuse du temps passé.
— Le murmure de ta présence s'est répandu comme une traînée de poudre. Tu as survécu.
Il figea les images à la télé.
— Tu es venu tout seul ? grognai-je.
— À ton avis ? répliqua Achilles, faisant un pas pour se montrer.
Je le regardai. Il était le même. Nous ne changions pas. Nous étions des lycans ; nous ne changions pas.
Pour le meilleur et pour le pire.
— Tu es là pour lui ?
Son sourire. Un air de charognard collé au visage. Parler d'Aslander me chauffait le sang. M'aliénais.
Achilles remonta sa manche. Sa marque, semblable à la mienne m'apparut. Nette sur sa peau.
Symbole de notre unique allégeance.
Nous étions la Garde de Nokomis.
Et nous le serions toujours.
* * *
Et voilà notre Evy, qui aura une place importante dans ce tome et qui nous dévoile déjà l'un de ses plus grands secrets : elle faisait partie de la Garde de Nokomis, soeur disparue d'Aslander et Princesse d'Australie donc ! Et Achilles en fait partie aussi ! Mais qui sont donc les autres ?
Comme on peut le voir, Evy est sur les traces de ceux qui ont fait du mal à son louveteau et croyez-moi, elle ne va pas lâcher l'affaire de sitôt ; ce sera si mal la connaitre...
On se retrouve demain ou mercredi pour la suite ; cette fois du côté de Warren !
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