16 | Warren
"Le monde est une lutte sans fin entre un souvenir
et un autre souvenir, qui lui est opposé"
Haruki MURAKAMI
Mon corps était tendu. Tendu, prêt à bondir, comme lorsqu'une attaque était proche. La première fois que j'avais senti ce besoin d'attaquer, c'était quand les hommes de la tribu ennemie à la nôtre étaient venus pour tuer tout le monde.
Brûler tout le monde.
Jusqu'au dernier.
Ils ne nous avaient pas eus. Evy avait été blessée, mais je l'avais sauvée. Comme je l'avais toujours fait.
J'avais toujours réussi à la sauver, elle.
Pourquoi n'y arrivais-je pas avec ma propre fille ? Mon propre enfant ? Pourquoi Ashika ne cessait-elle pas d'être à ce point bousillé par mes actes ?
Evy était à genou, à côté du canapé, son regard rivé sur Ashika. Elle s'était endormie sous le bras protecteur de Joshua. Tous les deux avaient couru des heures pour rejoindre le commissariat à pied. Tous les deux avaient lutté contre leur fatigue pour nous atteindre, pour chercher une sécurité.
Ou simplement une explication ?
J'avais lu dans le regard de Joshua à quel point je l'avais déçu. Je n'avais pas eu conscience d'avoir autant déclenché d'attentes chez lui. Des attentes que j'aurais dû remplir en étant Krig et lui mon Krig-an. J'aurais dû être présent pour eux.
Je n'aurais pas dû laisser Elisheva me convaincre.
Je n'aurais pas dû laisser ma Ritter me dicter ma conduite.
Je n'aurais pas dû quitter ma fille des yeux.
JAMAIS.
Il était temps d'être clair avec le reste de ma meute.
Il était temps d'être clair avec ceux qui étaient miens.
Je n'étais pas faible.
Je n'étais pas fou.
Et je n'étais pas influençable.
Ma pitié pour les autres allait se réduire à un tel minimum que personne n'ouvrirait la bouche sans me demander la permission en se soumettant.
Joshua se pressa contre le dos d'Ashika et cette dernière se fit plus petite dans son étreinte, comme si elle souhaitait même dans son sommeil, être protégé par l'énergie qui débordait du lycan.
_ Désolée p'pa, désolée ... je suis désolée... Je te jure je vais aller mieux. J'te jure que j'essaye... Me mets pas là-bas. Je veux pas aller là-bas. J'te jure que je vais faire des efforts.
Je fermai les yeux, pressant mes poings contre mon front. J'avais lu dans le regard écarquillé d'Ashika à quel point cette trahison l'avait touché. À quel point elle avait eu peur que je sois capable de l'abandonner de nouveau.
ENCORE.
Comme si je la laissais aux mains de ces hommes qui lui avaient fait tant de mal.
Marcellus avait toujours été clair. L'homme qui m'avait formé à devenir Krig m'avait toujours mis en garde sur mon côté magnanime. Je pouvais l'être dans une certaine mesure, mais il arrivait un temps où je devais devenir le leader. Et non pas me laisser faire par mes propres lycans. Marcellus avait tenté d'écraser ce côté doux qui me caractérisait sur certains points, quand je voulais régler des conflits de manière pacifiste. Pendant des années, il avait tenté de supprimer cette partie de moi et il n'y était jamais arrivé.
Et comme un mauvais karma, cela venait me mordre le cul d'une façon tout à fait appropriée.
Il était temps que je fasse comprendre à mes lycans qui étaient le chef ici. J'avais peut-être disparu pendant plusieurs mois. J'avais peut-être perdu une partie de moi, voire plusieurs, mais j'étais Warren Archeon.
J'étais le Krig de ce Fief.
La porte d'entrée de la maison s'ouvrit sur Yuri. Il passa dans le salon et me lança un regard plein de courroux. Il était temps de punir.
Je me redressai, entendant moi aussi la voiture se garer devant.
Evy se leva à son tour et me suivit, comme mon ombre. Je savais qu'elle s'en voulait de ne pas avoir suivi Hachi.
Et je savais aussi qu'il fallait que je la surveille.
La vengeance chez un lycan rimait souvent avec homicide.
Qu'il soit volontaire ou involontaire.
_ Que vas-tu faire ? souffla Yuri.
_ Ce que j'aurais dû faire dès le début, crachai-je. Imy a-t-elle eu le juge ?
_ Oui, acquiesça Yuri. Elle a déjà envoyé les papiers pour que tu aies la garde complète d'Ashika et qu'Ainsley n'ait plus de droits sur votre fille. Le juge peut les signer demain dans la journée pour que ce soit effectif.
_ Commençons par-là, grondai-je.
Innocemment, j'avais laissé à Ainsley des droits lors de notre divorce.
La garde avait été partagée et je n'avais pas réclamé la pleine responsabilité d'Ashika. Idiot, borné comme j'étais, et oh combien gentil, j'avais réfléchi à l'impact que cela aurait sur mon ex-femme. Sur la mère de ma fille. Elle était partie d'elle-même alors pour moi, il n'y avait pas de problèmes à ce qu'elle ait un semblant de garde qu'elle n'utiliserait pas.
Je ne lui avais pas retiré son autorité parentale parce que j'avais été tendre. Je n'avais pas souhaité être sévère envers elle pour lui permettre de garder un vrai lien avec sa fille.
J'allais commencer immédiatement par reprendre les pleins pouvoirs sur les besoins de ma fille. Hors de question que sa mère ne l'interne contre son gré. La guérison était un travail qui partait avant tout de la personne. Plongé quelqu'un dans la solitude et l'oubli ? JA-MAIS.
Pas ma fille.
Pas tant que je respirais.
Pas tant que je foulais cette terre.
Imy, qui était avocate, avait donc pris en charge ce plan-là de l'histoire. Retirer tous les droits d'Ainsley, jusqu'aux moindres centimes s'il le fallait. Si la gentillesse ne fonctionnait pas, nous allions utiliser le pouvoir et la coercition.
Je laissai Yuri fermer la porte de la maison et la surveiller. À partir de maintenant, j'allais choisir qui était de garde pour ma fille. Qu'elle ait quelqu'un de confiance avec elle.
MA meute aurait dû être un endroit sécurisé.
Une famille en qui elle aurait pu avoir confiance.
Alors, j'allais éliminer tous les doutes.
Tous.
Evy produit un courant d'air en passant à côté de moi pour foncer sur Ainsley en premier. Cette dernière ne vit pas l'attaque venir et elle était trop fragile pour y faire quoi que ce soit, même esquiver un minimum.
Elisheva n'eut pas le temps de la protéger, comme tout Ritter aurait dû faire pour la femme de son Krig, mais Abel lui fit un croche-patte qui l'envoya à terre directement. Elle resta à terre, son visage tourné vers le sol, sans un bruit.
Ainsley, quant à elle, eut le réflexe de crier. Mais le son fut coupé brusquement par la main d'Evy qui s'abattait sur sa joue, la soulevant de terre à cause de l'élan de la lycan. Mon ex-femme roula au sol et ne bougea plus.
Je sifflai avant qu'Evy ne lui saute dessus pour la bouffer. Ma sœur feula et revint à mes côtés, mais je sentais la tension dans son corps.
Si elle avait pu bouffer Ainsley, elle l'aurait fait sans y penser à deux fois. Et une partie de moi aurait souhaité qu'elle le fasse. Mais j'en avais assez des faux semblants, je voulais qu'elle sorte de la vie de ma fille et qu'elle y revienne que si cette dernière l'y autorisait.
Je croisai le regard de certains de mes lycans, membres du Fief à part entière, et qui pour la plupart étaient des instructeurs du Contingent. Tous m'étaient loyaux. Et j'attendais ça d'eux plus que de n'importe qui. Je devais leur rappeler à qui allait leur allégeance.
_ Donne-moi une seule bonne raison de ne pas te tuer de mes propres mains Elisheva, gronda mon lycan.
Elle frémit et pressa son front contre le sol avant de parler.
_ Je ne visais que le bien d'Ashika.
_ Avait-elle l'air d'aller bien ? vociféra Abel dans son oreille.
Je levai une main et il s'écarta, le torse se soulevant de sa respiration erratique. Je m'agenouillai lentement devant elle, observant le corps d'Ainsley. Son cœur battait et elle semblait vivante.
_ À qui va ta loyauté, Ritter ?
_ À mon Krig.
_ T'avais-je donné l'ordre de mettre Hachi dans un hôpital psychiatrique ?
_ Je t'ai promis de prendre soin d'elle et je...
Ma main s'abattit brusquement sur sa joue et elle heurta le sol de façon assez brutale pour que j'entende au moins un os craquer dans son visage.
_ AI-JE DONNÉ UN ORDRE ? hurlai-je à son visage.
Un long silence s'étendit autour de nous. Dans mon dos, je sentis Yuri, Abel et Evy. Tous me soutenaient. Tous protégeraient Ashika de leur vie s'il le fallait.
Aucun. Aucun ne m'aurait trahi de la sorte.
AUCUN.
Je me mis à faire les cent pas devant le corps tremblant d'Elisheva. Elle était avec moi depuis des années, même des siècles maintenant. Et elle me... Elle me trahissait de la sorte.
_ Aurais-tu livré Ashika à ses ravisseurs ? criai-je. Aurais-tu tendu ce bébé à des pédophiles ?
Mon hurlement déchira l'air. Mon lycan s'agita sous ma peau et je sentis certains de mes membres prendre une autre forme, avant de la ravaler.
Je ne voulais pas la déchiqueter tout de suite.
_ QUI CROYAIS-TU AIDER RITTER ? brailla mon lycan. QUI ? VOULAIS-TU M'ENLEVER MA FILLE ? MA FILLE ! LA MIENNE !
Dans une colère sourde, mon lycan agrippa les cheveux de la Ritter pour la dresser sur ses genoux. Il pencha son visage vers le sien. Elle sentait la peur.
Ça dégoulinait de son corps.
C'était ignoble à voir et pourtant, mon lycan allait s'en repaître.
_ Tu m'as trahi, Elisheva, soufflai-je lentement.
Elle ouvrit sa bouche pour protester, mais je m'écartai et ce fut Abel qui frappa brusquement la Ritter. De nouveau à terre, elle cracha du sang. Abel s'arrêta à mes côtés, attendant.
Il était celui qui punissait, tout comme moi.
Tout comme Yuri.
Nous étions les maîtres d'œuvre ici.
Et si un seul composant venait à faiblir, il fallait l'éliminer.
_ QUI TRAHIT SON KRIG ? QUI ? POUR UNE HUMAINE ?
_ Krig, haleta Elisheva.
Ma main la frappa une fois de plus, ce qui la projeta à quelques mètres de nous. Son corps termina de rouler et je sentis ma poitrine se gonfler, des poils frôlant mes vêtements, mes côtes devenant plus nombreuses et se remodelant.
Je poussai un nouveau hurlement pour laisser ma colère s'échapper, assez pour reprendre le dessus.
_ La trahison est punie parmi nous, soufflai-je enfin en regardant le ciel sombre au-dessus de notre Fief.
Abel s'avança vers le corps d'Elisheva qu'il traîna jusqu'à moi. Il la jeta à mes pieds et je regardai avec dégout le Ritter que j'avais cru sûr. En qui j'avais eu confiance !
De mon pied, je fis basculer son corps sur le dos.
_ À genoux, Ritter, crachai-je.
Elisheva, avec ses dernières forces et amochée, se dressa sur ses genoux, les poings sur ses cuisses, la tête basse.
_ Aujourd'hui, je te répudie de ce Fief !
_ NON ! cria Dario.
Je pivotai mon visage vers Yuri. Ce dernier alla à la rencontre de notre Soumis et le fit reculer brusquement.
Je pouvais sentir la terreur qui habitait à présent Elisheva. Elle n'avait pas pensé que j'irais jusque-là.
Et pourtant !
_ Tu ne fais plus partie de ce Fief. Le Kaizer prendra acte de ta trahison et choisira ton destin.
Je pivotai, ne jetant même pas un coup d'œil à mon ancien Ritter. Elle n'était plus rien pour moi.
Personne n'osait me trahir.
Et si c'était le cas, j'appliquai les sentences qui étaient à ma disposition.
Plus jamais elle ne serait respectée au sein d'une hiérarchie.
Plus jamais elle n'aurait ma confiance, ni ma dévotion.
Rien.
Elle n'aurait rien de moi.
* * *
Je refermai doucement la porte de la chambre d'Ashika. Joshua et elle dormaient profondément, cachés par les couvertures malgré la chaleur qui s'installait pour la journée. Je voulus pivoter, mais mon pied heurta un carton, je glapis de douleur avant de reconnaître les affaires de Lilibeth. Elle n'avait pas encore réussi à défaire tous ses cartons et je la comprenais, mais bon sang, c'était déjà assez difficile de garder une maison propre, rajoutée à ça des dizaines de cartons et voilà ce que ça donnait.
Je descendis les escaliers et découvris la personne que je cherchais à cet endroit même. Lilibeth tenait le rebord du plan de travail à deux mains et des sanglots me parvenaient d'elle.
Bordel.
Elle pivota vers moi, des larmes recouvrant son visage. Je fus sur elle la seconde suivante et agrippai les deux mains qu'elle me tendait.
_ Je... je saigne, haleta-t-elle.
Je fronçai les sourcils avant de comprendre. Elle avait eu des saignements dans la nuit ? Elle était médecin, elle savait ce que cela voulait dire ou ne pas dire.
Et merde.
_ Ne... n'inquiète pas Joshua, sanglota Lilibeth. Je t'en prie, ne...
_ Chut. Reste calme. Nous allons t'amener à l'hôpital le plus proche, d'accord ? Donne ton portable.
Elle obéit. Je la pris dans mes bras, le portable calé entre mon oreille et mon épaule. Lilibeth sanglotait dans mes bras, son nez contre mon cou.
_ Dom ? grondai-je quand ce dernier décrocha. J'ai besoin de toi immédiatement. Va au garage et passe me chercher à la maison.
Il raccrocha sans même demander pourquoi. Quand il débarqua quelques secondes plus tard en me voyant porter une Lilibeth en larmes, son visage pâlit.
Yuri.
Mon Ritter apparut sous sa forme de lycan en quelques secondes lui aussi. Il battit de la queue, inquiet de voir Lilibeth en larmes dans la voiture. Dom s'installa à ses côtés et boucla leurs ceintures.
_ Problème avec le bébé. Tu me surveilles cette maison. Personne ne sort, personne ne rentre. D'accord ? Je reviens.
Je pris le volant et me mis en route. Dom tenta de rassurer Lilibeth, mais cette dernière se plaignait de contractions à présent que nous étions en chemin. Elle répétait qu'elle ne pouvait pas perdre le bébé et je souhaitais que ce soit vrai.
Cet enfant méritait de vivre.
Après une consultation avec les deux gynécologues du plus proche hôpital, le diagnostic fut assez clair. Lilibeth avait presque enclenché une fausse couche. Si elle ne voulait pas perdre le bébé, elle devrait rester aliter chez elle. Il n'y avait pas d'autres solutions pour rassurer tout le monde.
Dom était avec elle quand Abel m'appela, inquiet de ne pas nous voir de retour après trois heures d'attente. Je décrochai, anxieux à la fois pour Lilibeth, pour Joshua et pour Ashika évidemment. Si ces trois-là tombaient dans une mauvaise spirale maintenant, je n'arriverais pas à les en sortir tout seul.
_ Dis-moi, haleta Abel.
Je savais très bien ce qu'il avait été en train de faire. Elisheva avait été puni de la même manière que les traitres l'étaient. Abel y avait pris du plaisir et c'était aussi pour cette raison que je l'avais laissé se charger de ça. Ainsley avait été envoyée chez une de ses amies et toutes ses affaires n'étaient plus dans le Fief depuis sept heures ce matin. Le juge avait signé les papiers pour m'accorder la garde complète d'Ashika, ne laissant pas à sa mère la possibilité de signer des papiers d'internements la concernant.
Avec toutes ces conneries, je n'avais pas fait attention à Lilibeth. Cela faisait trois mois qu'elle était avec nous et pourtant, j'avais toujours pensé qu'elle était la plus forte. Mais la voir aussi désarmée par cette situation me retournait l'estomac. J'avais été affreux ces deux derniers jours avec elle et je m'en voulais énormément. Et si c'était de ma faute ? Et si j'avais mis trop de pression sur ses épaules ?
_ Les médecins ont dit qu'elle avait possiblement débuté une fausse couche, dis-je d'une voix rauque. Mais il semblerait que ça se soit stabilisé avec les médicaments. Il faut qu'elle évite le stress et qu'elle se repose.
Lilibeth avait pris en charge l'infirmerie du Fief dès son arrivée. Elle avait cherché à être occupée pour la simple et bonne raison que l'homme qu'elle aimait était mort et qu'elle était seule avec un presque deux enfants à charge sur les bras. Elle avait cherché un but pour ne pas penser à tout ça.
Pour ne pas penser à la perte.
À la solitude.
À l'absence même de Raphael et je n'avais rien vu.
Rien du tout.
Je l'avais vue s'enfermer dans des heures de travail, ne se reposant que brièvement.
Je l'avais vue éviter les moments de calme, préférant s'occuper au lieu de se reposer et de laisser le petit être qui grandissant en elle s'épanouir dans le ventre de sa mère.
_ Elle va rester alitée jusqu'à la fin ? s'inquiéta Abel.
Je me raclai la gorge, l'émotion me tenaillant de l'intérieur. Je déglutis et finis par répondre un vague oui. Je pressai le portable de Lilibeth contre mon front et pris une longue inspiration.
_ Personne ne pouvait le prévoir, Warren, souffla Abel.
Cet évènement avec Elisheva avait eu le don de pousser Abel vers moi et j'en étais grandement soulagé. Je savais qu'il était du côté d'Ashika depuis le début.
Tout comme Mazakeen l'aurait été si elle avait été ici, avec nous.
Je reniflai bruyamment et me redressai.
Je n'avais été que l'ombre de moi-même jusqu'à maintenant. Les miens avaient besoin d'un Krig, pas d'une ombre. Je devais reprendre le dessus.
Pour Ashika.
Pour Lilibeth.
Pour Joshua.
Pour Abel.
Pour tous ceux qui étaient avec moi et qui dépendaient de moi.
_ Je vais la ramener à la maison et elle restera dans son lit ou dans le canapé pour le reste de ces trois mois. Ce bébé vivra et verra la lumière du jour.
_ Oui, Krig, acquiesça Abel.
_ As-tu délivré Elisheva à Anzo ?
_ Le Godi est passé la prendre oui. Il la donnera à Aslander. Je pense cependant qu'il serait bien que tu lui donnes un coup de fil, pour le préparer.
_ Pas besoin. Il est mon Sire. Je suis son Krig. Il aura foi en mon jugement.
_ Bien, Krig.
_ Les autres Ritters sont-ils arrivés ? m'enquis-je, grave.
_ Certains oui. Les autres seront là demain matin au plus tard. Tous répondront à ton appel.
Un silence, puis Abel me demanda :
_ Es-tu sûr de vouloir faire ça, Krig ?
_ Je le suis, répondis-je. Si des maillons faibles et des traîtres se cachent dans mes rangs, je veux être le premier au courant. Et je veux les éliminer de notre Fief. Tu comprends cela, Ritter ?
_ Oui, Krig.
_ Alors agit comme je te l'ai ordonné, grondai-je avant de raccrocher.
Je regardai dans les contacts de Lilibeth plusieurs numéros, avant de tomber sur le nom que je voulais. Je pris une longue inspiration et appelai Tamsyn. Elle serait la seule à pouvoir déchiffrer le mal qui habitait sa fille en ce moment difficile.
Le retour à la maison se fit plus rapidement que je ne le pensais. Tamsyn fut du voyage et ne quitta pas un seul instant le chevet de sa fille. Tout comme Joshua qui était sur le point de faire une crise d'apoplexie quand nous étions enfin rentrés en plein milieu d'après-midi. Lilibeth et lui avaient beaucoup parlé et je crois même que Tamsyn avait poussé ces deux-là à discuter de Raphael.
Il était facile de s'occuper la tête pour ne pas penser à l'essentiel, mais il était bien plus dur d'accepter certaines réalités comme la perte d'un proche.
Je trouvai Ashika dans la cuisine en train de préparer des desserts avec Tori et Abel. Je penchai ma tête vers ma fille, observant son teint un peu cireux. Elle avait eu peur pour Lilibeth, bien plus que pour son propre bien j'avais l'impression.
_ Désolée p'pa. Désolée, sanglotait ma fille.
Tori releva son regard en premier sur moi. Elle eut un petit sourire tendre qui comprima un peu ma poitrine. Je voulus prendre une inspiration, mais échouai. Cette femme me rendait un peu trop fragile à mon goût.
_ Que préparez-vous ? soufflai-je.
Abel s'occupait de découper des fruits qui semblaient tous divins. Hachi touillait une mixture claire et Tori chauffait du lait sur la plaque. Ma fille se redressa.
_ Une tarte aux fruits, dit-elle. Lilibeth aime les fruits doux en ce moment.
_ C'est gentil, soufflai-je. Tu as deux minutes ma chérie ?
Tori prit la relève d'Ashika et cette dernière me rejoignit dans le salon. Je tapotai la place à côté de moi sur le canapé.
_ Je ne voulais pas qu'Eli parte, souffla soudain Ashika en tortillant ses mains.
Je posai mes doigts sur les siens et les pressai.
_ Les décisions qu'Elisheva a prises étaient mauvaises. Elle ne pouvait plus rester ici. Tu te souviens de ce que je t'ai appris ?
_ Loyauté, confiance et honnêteté.
Je hochai la tête embrassant sa tempe dans mon élan. Elle se pressa contre mon flanc et cela me fit énormément de bien. J'enroulai mon bras sur ses épaules et frottai ma joue contre son crâne.
_ Ce sont les piliers que chaque Ritter doit porter pour élever un Fief à sa plus haute valeur. Si je ne peux pas avoir confiance dans mes Ritters, alors comment puis-je protéger les miens ?
_ Elisheva a dit que tu étais d'accord, murmura Ashika.
Elle s'écarta légèrement et leva son regard sur moi.
_ Et je continuerais de te répéter que je n'avais pris aucune décision concernant cette demande de traitement. Je n'étais pas pour, tout comme Abel. Peut-être était-ce égoïste de ma part, mais je ne voulais pas qu'on te sépare de moi, ni de ta famille qui se trouve ici.
Elle hocha la tête puis reprit sa position, avant de me demander de répéter ce que je venais de dire. Je le fis, avec des mots différents, des émotions précises pour tenter de réveiller la lycan d'Ashika. Mais aucun retour, seulement le corps de ma fille qui se détendit au fur et à mesure que je répétais à quel point je l'aimais et que je tenais à sa sécurité.
Tamsyn, comme certains de mes Ritters que j'avais rapatriés ici, mangea avec nous ce soir-là dans une ambiance qui me rappela la belle époque. Quand Ashika n'était encore qu'un bébé qui passait entre les bras de toutes les personnes présentes. Elle était restée avec nous le début de soirée, avait réussi à manger quelques maigres victuailles et avait fini par rejoindre Joshua et Lilibeth.
J'étais resté devant la porte de la chambre de la jeune femme une bonne partie de la nuit, jusqu'à ce que mon dos rende grâce. En ouvrant à demi la porte, j'avais découvert Lilibeth entourée de Joshua et Hachi, dormant profondément. J'avais laissé ma chambre à Tamsyn, mais cette dernière n'allait pas traîner. Elle avait soigné Lilibeth dans la mesure du possible pour éviter tout nouveau risque de fausse couche. Lilibeth pourrait marcher, mais en aucun cas elle ne pourrait aller travailler. J'avais promis à Tam de veiller sur elle jusqu'au bout.
En me levant, je décidai de prendre une douche rapide et d'aller faire un tour dans le Fief. Il devait être quatre et demi du matin. J'avais une annonce à faire aujourd'hui. Une annonce importante qui pourrait chambouler le fonctionnement de mon Fief que j'avais mis tant de temps à stabiliser. Mais il n'était plus question que l'un des miens ne me trahisse.
Pas sur la vie d'Ashika.
Pas sur son bien-être.
J'enfilai un short, des baskets et sortis de la maison en prenant une grande inspiration. D'ici quelques heures, la plupart des membres de ma meute seraient là et je pourrais dire ce que j'avais tant retenu jusque-là. Aslander était celui qui plaçait les lycans dans les Fiefs pour épauler le Krig, mais parfois, le courant ne passait pas. C'était déjà arrivé et je n'avais jamais compris pourquoi, mais à présent je ne pouvais me targuer de comprendre tout aux relations entre lycans. Subordonné ou non.
Evy était restée dans la maison, donc j'eus du mal à tenir le rythme. Abel avait élu domicile sur le canapé et dormait encore sûrement. Avais-je entendu Evy et Abel échanger des commentaires hier soir ? Oui.
Bien plus que des commentaires ? Oui encore.
Voulais-je intervenir ? Sûrement pas.
J'arrivai en nage une heure plus tard devant ma maison où reposaient énormément de personnes. D'ailleurs, je fus surpris de voir Tori, encore à moitié en pyjama monter les quelques marches qui menaient au porche.
Si tôt ? Elle devait vraiment être inquiète.
Elle pivota en m'entendant souffler comme un buffle. Son regard endormi fut soudain bien réveillé et elle détailla rapidement mon corps transpirant et musclé. Mon ego en fut un peu gonflé et je me mis à pavaner devant elle comme un idiot.
_ Toi, debout de si bonne heure ? minaudai-je en frottant mon nez contre le sien.
Elle rit doucement et agita sa main devant mon torse.
_ C'est peut-être bien trop pour moi dès le matin. Suis-je encore en train de rêver ?
_ Je suis sûr que tu as vu des hommes bien plus musclés que moi, remarquai-je en repoussant une mèche de ses cheveux.
Elle fronça son nez, l'air d'acquiescer et finit par hausser les épaules. J'enroulai mon bras dans son dos, mais elle posa son doigt contre mon torse pour me repousser.
_ J'adore te voir comme ça et j'adorai sûrement ta sueur, mais là comme ça, je crois que tu as besoin d'une douche.
_ C'est une proposition ? grognai-je.
Tori rit avant de détourner son visage dans mon dos. Elle reprit une façade polie, du moins celle que je lui reconnaissais facilement quand elle ne connaissait pas la personne. Je ne fis attention au bruit dans la maison, car soudain mon lycan s'agita pour me pousser à pivoter.
Mon cerveau mit un temps fou à assimiler ce qu'il voyait.
_ Peut-on vous aider ? s'enquit Tori, toujours aussi poliment.
Je ne compris que trop tard que le bruit que j'entendais était les pas d'Abel. Il ouvrit la porte et me força à m'écarter de Tori, nous bousculant au passage.
_ Oh putain c'est pas possible ! s'écria-t-il. Je croyais pas ton putain de sms mais putain t'es vraiment là !
Il courut jusqu'à la femme qui attendait là et la souleva dans ses bras. Mon lycan grogna brusquement quand Abel claqua un baiser sur la bouche de Mazakeen.
Que... Que faisait-elle ici ?
Pourquoi était-elle là ?
Et pourquoi diable Abel l'embrassait-il sur la bouche ?
Mon cerveau ne comprenait pas et ne voulait pas comprendre.
Je descendis une première marche, avant de me figer en voyant le regard qu'Abel et Maze échangèrent.
Ils avaient parlé tous les jours.
Ils avaient parlé, discuté, échangé tous les jours.
Quand je n'avais eu que des appels sans réponse, des SMS sans retour et une messagerie vocale pleine de mes messages vocaux.
_ Je devais être là pour Ashika, dit Mazakeen quand Abel la déposa sur la terre ferme. Tu avais raison. Tu n'as pas à être tout seul. Et elle non plus.
À ce moment-là, elle releva son regard sur moi.
Et quelque chose en moi termina de se fissurer.
Mazakeen était rentrée et pourtant, la distance entre nous ne m'avait jamais semblé aussi grande.
Immense.
Infranchissable.
Et réelle.
* * *
J'avais envie de vous mettre la suite aujourd'hui, donc... 2 chapitres pour le prix d'un !
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