116 || Maze
« On n'est pas celui que l'on voit dans le miroir.
On est celui qui brille
dans le regard d'autrui. »
T.J. TEJPAL
— Et donc, ça ira, détective Archeon ? me moquai-je devant l'air très – trop ? – sérieux d'Ashika.
Elle haussa les épaules et voulu prendre un air plutôt détaché, un peu aux antipodes de ce qu'elle éprouvait en réalité.
— Je m'en contenterais, Capitaine Fairfax.
Je rattroupai donc mes billets, mais lui laissai le reste, avec les dates de mon retour et les coordonnées de qui joindre si par malheur je ne décrochais pas à mon propre téléphone et ce, dès les premières sonneries. Je sentais à quel point c'était difficile pour elle. Ansara était repartie au Deity depuis quelques jours déjà et c'était maintenant à mon tour. Seulement, moi, je quittais le pays, pas juste le Fief. Mais cette fois, j'avais une date précise de retour. J'avais vu large, sans le dire à la gamine, préférant garder l'effet de surprise pour moi au cas où je pourrais revenir plus tôt que prévu. Et honnêtement, c'est ce que j'espérai.
Le temps avec elle devenait précieux et rare. Nous avions fait une soirée filles ; juste elle et moi, sans aucun mâle dans les pattes. Ni de Warren, ni de Joshua, ni même d'Abel. Alors nous avions pu parler. Presque toute la nuit d'ailleurs, d'où nos tronches à faire un peu peur. J'enchaînai les cafés en attendant que Warren débarque et Hachi baillait aux corneilles. Une fois de retour au Fief, elle irait roupiller tranquille. La veinarde !
Nous avions abordé des sujets tels que Joshua, les derniers événements survenus et la suite surtout. Ashika se projetait. Enfin. Après des mois dans le brouillard, après des années sans trop savoir, Ansara avait été l'électrochoc qu'il fallait à ma gamine. Et j'étais foutrement heureuse de ce changement, même si ça me terrorisait. De la savoir loin du Fief, loin de son père. Mais cette fois, c'est ce qu'elle voulait. Elle avait trop subi ces derniers temps et avait besoin de reprendre le contrôle de sa vie. Et ça passait par le contrôle de ce qu'elle était. Une forte et belle Earhja de l'Empereur. Je voulais profiter du temps qu'il nous restait et pour ça, il ne fallait pas que je traîne aux États-Unis. J'y allais pour continuer cette sordide affaire de secte et tenter de régler certaines affaires en cours. Quand je reviendrais en Australie, je ne bougerais plus. J'étais le Capitaine de la Brigade Noire après tout alors il était temps que je reprenne ce poste à temps plein.
Hachi alla récupérer son sac d'affaires et quand elle le posa dans l'entrée, l'interphone résonna.
— Tu dis à ton père qu'on descend ? m'exclamai-je.
Je l'entendis échanger avec son père pendant que je m'éclipsai dans la salle de bain. Je me brossai les dents à la va-vite et récupérai mes affaires sur le canapé. Je fis le tour de l'appartement pour être sûre que tout était bien fermé. Lorsque je fermai à clé derrière-moi, j'inspirai un bon goût. Ce départ me faisait un drôle d'effet.
Pour tout un tas de raison.
Allant de Warren à Hachi, en passant par Hadar. Je n'avais pas eu besoin de m'expliquer face à lui. Je ne savais trop comment, mais il avait compris d'un simple regard. Et son sourire ne s'en était pas trouvé teinté de rancune. Loin de là. Cet homme était gentil. Notre histoire avait fait son petit bout de chemin, mais nous avions toujours su où cela nous mènerait d'une certaine façon.
Hachi était déjà dans la voiture et Warren me pris mes sacs des mains pour les fourrer dans le coffre.
— Vous avez fait une soirée mecs, alors ?
— Bières, malbouffe et quelques paires de couilles, ouaip.
— Papa !
Warren rit et je secouai la tête. Il se glissa derrière le volant et prit la direction de l'aéroport. Le trajet dura un certain temps, rythmé par une discussion entre Warren et moi et la musique en sourdine d'Ashika. Mak me laissa plusieurs SMS et je découvris un message vocal d'Abel qui durait presque dix putains de minutes ! Grand malade, celui-là !
Warren se gara dans le parking des visiteurs et Hachi se glissa entre nous. L'aéroport, immense, était un véritable labyrinthe pour tous ceux n'y étant pas familier. Après les étapes obliges, nous attendîmes pour l'embarquement, entourés de nombreuses personnes.
Je serrai Ashika dans mes bras un long, très long moment, n'ayant pas envie que ça se termine déjà. Je ne retins pas quelques larmes, parce que je vivais cet instant comme un maudit déchirement. Pourtant, il n'était question que d'un mois et demi, tout au plus. Dans une vie de lycan, ce n'était rien. Et dans mon cas...
Hachi se recula et essuya ses joues.
— Tu appelles en arrivant, hein ?
— Croix de bois, croix de fer, gamine. Je t'aime.
— J't'aime aussi, Maze.
Un dernier câlin et elle s'écarta, pour nous laisser de l'espace à Warren et moi. Petite maligne.
— N'hésite pas à nous contacter pour l'enquête.
Je retrouvai bien le Krig, tiens.
— J'y penserais, le taquinai-je gentiment.
Son sourire se logea dans mon bas ventre et l'enfoiré le vis très clairement. C'était encore difficile de savoir où nous allions... foutaises ! Je voulais reculer pour mieux sauter, mais au bout d'un moment, ça ne fonctionnerait plus.
J'avais fait la paix avec moi-même.
Tournant les pages du passé. Ne restait plus que l'avenir, regorgeant de nouveaux jours, n'attendant que nous.
— Fais attention à tes fesses, Capitaine, souffla Warren, sa main sur ma hanche.
— Ne sois pas trop présomptueux, Krig, tu veux ? répliquai-je, amusée.
Je l'embrassai la première. Et il me rendit ce baiser avec toute la tendresse dont il était capable.
Et l'amour aussi. Surtout l'amour.
— Tu reviendras seule, hein Mazakeen ?
Il le chuchota dans mon oreille. Son souffle rauque, son énergie de lycan. D'homme.
— Sois-là à mon arrivée et tu auras ta réponse.
Un dernier regard. Qui s'éternisa. Qui s'étira.
Il tint ma main jusqu'à la dernière seconde. Jusqu'à la toute, toute dernière seconde. Son regard me souffla mille choses.
Qu'elles soient cochonnes ou taquines.
Des confidences sur l'oreiller.
Mon sourire fut éblouissant. Hachi vint se presser contre son père et nos mains s'envolèrent pour se saluer. Je leur tournai le dos et m'éloignai, rejoignant les autres passagers. Je fus avalée par ce flux, par cette masse presque étouffante. Billet en main, je suivis le pas des autres, avançant lentement.
Un long frisson remonta mon épine dorsale.
Une impression.
Une sensation. Se logeant au creux de mes os, inondant mon âme d'un mauvais, très mauvais pressentiment.
— Mazakeen.
La voix... Cette voix, m'enveloppa. Je tournai ma tête et le vis.
James. Une identité qu'il présentait au reste du monde, une identité savamment travaillée pour le commun des mortels.
Pour moi, il n'avait jamais été James.
Un nom murmuré.
Une ombre parmi les ombres.
— Ghost.
Son sourire s'élargissant à mesure qu'il s'approchait, vêtu impeccablement. Tiré à quatre épingles. Se mêlant parfaitement au quidam.
— Je crois que nous rentrons tous les deux à la maison.
La peur précéda un sentiment familier.
Mon passé venait entacher mon présent.
Lorsqu'il m'offrit son bras avec un naturel désarmant, je ne luttai pas.
On ne reculait pas devant cet homme.
Je fermai les yeux en inspirant. Personne ne devait savoir.
Personne ne saurait jamais.
Pas même Warren.
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