103 || Evy
« Le monde signifie soudain quelque chose pour moi,
tout l'univers se fige et tourne dans l'autre sens et je suis l'oiseau.
Je suis l'oiseau et je prends mon envol. »
Tahereh Mafi
Je donnai un coup de museau dans le mollet de Joshua pour lui faire comprendre qu'il fallait avancer. Il fit la grimace et le louveteau vint glisser ses doigts dans mon pelage, comme pour m'apaiser. Ils avaient encore du temps devant eux, mais mes réflexions me rendaient mauvaise. Je réfléchissais, ma queue battant l'air, les mouches me prenant pour la jument du coin à venir m'emmerder.
J'étais de mauvais poil. Alors que le louveteau était bien. Il fallait que je me calme. Je m'assis sur mon train arrière et les laissai s'éloigner, les sons, les odeurs et tout le reste venant m'accompagner et combler le soudain silence.
Cette odeur étrange flottait par-ci par-là. Je n'arrivais pas à mettre le doigt dessus, mais mon esprit animal comprenait qu'elle n'aurait pas dû être là. Tout comme Marcellus ne devait pas traîner dans le coin et pourtant, il ne nous lâchait pas depuis la veille. Il voulait voir si je finirais par comprendre.
Qu'avait-il dit ?
Au loin, des hurlements résonnèrent. D'autres leur répondirent et mes oreilles se rabattirent. L'odeur était partout.
Impossible.
Cette personne ne pouvait pas être ici et là-bas à la fois. À moins qu'il s'agisse de simples résidus. Mais même dans ce cas-là, comment ce quelqu'un avait-il pu parcourir autant de kilomètres en si peu de temps ?
Je secouai la tête pour chasser les mouches et grondai. Impossible, même sous forme de lycan. Impossible de parcourir une si grande distance. Pourtant, les loups ne se trompaient pas. Nous avions tous senti la même chose.
Mais à quel degré de différence au juste ? Je tournai ma gueule vers Marcellus, installé à l'ombre, me fixant de ses orbes, attentif et quelque peu mesquin.
Il savait. Mais il ne dirait rien. Parce que je ne le lui demanderais pas. Personne ne lui avait rien demandé. Une erreur de notre part ? J'étais un prédateur. Je chassai mes proies, on ne me les apportait pas toute crue dans la bouche. Et ça, ce foutu Krig le savait.
Il avait énoncé les faits et maintenant, il s'attendait à ce que je règle le problème, comme avant.
Pourquoi cette odeur me dérangeait-elle autant ? Et pourtant était-elle si prégnante sur le trajet des jeunes ?
Je me relevai et trottinai sur le chemin de terre avant de bifurquer dans les bois.
Hasna cria quelque chose et les autres lui répondirent en chantant, recouvrant tout le reste de leurs voix mal accordées. Je ralentis l'allure, les écoutant d'une oreille, reniflant.
Pourquoi ? Pourquoi est-ce que ça me dérangeait à ce point ? Pourquoi une simple odeur ne quittait plus ma tête depuis des heures ? Quel sens derrière cet entêtement ?
Parce que je la... connaissais sans le savoir ? Sans parvenir à bien m'en souvenir. Cela aurait donc voulu dire que je côtoyai la personne depuis un moment, sans lui avoir prêté attention jusque-là. Je me faufilai entre les arbres, prenant de l'avance sur les jeunes.
Le soleil continua sa course un moment, me laissant ruminer, revenir sur mes pas pour entendre de nouveau les jeunes.
Qui aurait pu traîner dans le Fief pour laisser sa trace partout ? Pas quelqu'un de l'intérieur. Je connaissais l'amour des uns pour Ashika et la loyauté des autres pour Ren.
Ce n'était pas ça.
Il me manquait quelque chose.
Il fallait que je comprenne cette odeur. Que je la remette.
Quelqu'un qui venait souvent, mais sur qui mon regard ne s'était jamais vraiment posé.
Une erreur ? Un oubli ?
Que disait la liste d'Abel ? Des noms. Tous des lycans.
— Moi je dis, une fois là-haut, on gratte une dernière nuit, lâcha Loki.
— Pas sûr que Warren soit d'accord pour ça, répliqua Wolf.
— Qui ne tente rien n'a rien !
Le sentier menait à la fameuse cabane. Et cette odeur... Je quittai le couvert des bois et observai le précipice sur le côté. Un endroit dangereux si on n'y prêtait pas plus attention. Un simple éboulement pouvait tout détruire, vous précipiter en bas et vous ensevelir. Pour autant, ce n'était encore jamais arrivé. Le sentier serpentait entre deux flancs, donnant l'impression d'être avalé par une grotte avant de déboucher sur la cabane.
Un précipice à gauche, un flanc de montagne à droite. Le vent ici, dégagé, apportait des bourrasques puissantes. Je m'accroupis et pris de la terre entre mes doigts, à peine consciente que j'avais repris forme humaine.
Une odeur que je reniflais depuis des mois.
Une présence.
Qu'avait dit Marcellus ?
La paume d'Hachi sur mon épaule avant qu'elle ne me dépasse, en tête de leur petit cortège. Joshua passa en courant pour la rejoindre et j'entendis Loki demandé à Ansara s'il voulait qu'il la porte sur son dos. Wolf discutait avec Hasna.
« — Quelqu'un court dans nos bois, petite lycan. Une recrue s'approprie nos terres. »
Il n'avait pas dit un étranger.
Une recrue.
— Vous pourriez nous attendre ! cria Loki.
Pas un étranger. Une recrue. Il avait dit... une recrue.
La liste d'Abel défila. À toute vitesse. Les noms se superposant.
Marcellus.
Le Krig. Ses recrues.
Des noms s'effacèrent parce qu'ils n'étaient pas passés par la case Marcellus.
L'un après l'autre, comme des verrous qu'on fait sauter.
L'odeur.
Cette maudite odeur.
Là. Plus forte que jamais. Charrier par le vent. Je levai les yeux vers le sommet du flanc. Mes yeux glissèrent jusqu'au louveteau qui patientait un peu plus haut avec Joshua.
Nos regards se croisèrent.
Une recrue.
Une recrue.
— Eh, Evy, tu pou–
L'explosion fit vibrer la terre et le ciel. Les yeux d'Ashika s'écarquillèrent et les cris des enfants éclatèrent. Je vis un morceau entier du flanc se détacher et tomber.
Droit sur moi.
Une ombre à mes côtés. J'attrapai Wolf par la nuque et dans un mouvement vain, désespéré, je le balançai dans le vide au moment où les rochers me heurtèrent.
La douleur explosa en même temps que mes os se brisaient net sous l'impact. Je fus précipitée par la force de l'éboulement et tout devint limpide.
Arkan.
Arkan.
Mon lien – unique – avec Abel vibra.
C'était forcément...
ARKAN !
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