Chapitre 1

Passé 23 ans, je faisais une course. Une course contre personne d'autre que moi-même. Rendu à cet âge, je sentais déjà le besoin de tout avoir en ordre. L'école devait être complétée, le premier vrai boulot en entreprise devait être décroché, la première maison devait être achetée. Et enfin, ma vie pouvait débuter.

Bien-sûr, le jour de mes 24 ans, l'école était réellement complétée, le premier boulot dans une entreprise de planification financière était décroché et la maison, même si aussi petite qu'une boîte de chaussure, était achetée. À mon grand étonnement, ma vie n'avait pas débuté. Je veux dire, absolument rien n'avait changé. Je me sentais encore comme une gamine à qui on n'avait pas donné tout l'amour qu'elle aurait dû recevoir pour avoir une vie épanouie.

Mais c'était correct. Enfin, c'était correct quand j'avais eu une semaine assez chargé au travail et que je rentrais dans ma petite maison silencieuse et je me permettais de respirer, aussi bruyamment que nécessaire pour enlever tout stresse de la semaine sur mes épaules. C'est moins correct, par contre, quand je soupe avec ma famille et que tout le monde assis autour de moi est accompagné, heureux et rempli d'amour.

Regarder ma famille interagir a toujours été mon passe-temps préféré. En quelque sorte, j'avais toujours eu l'impression que je n'appartenais pas à ce clan, puisque je me sentais assez différente de tout et chacun. J'avais peut-être les grands yeux de ma mère, les cheveux doux et le sourire de mon père, je me sentais quand même comme si je n'étais pas leur enfant. On avait qu'à regarder mes trois frères pour comprendre ce que j'insinue. 

Mes parents ont élevé trois hommes formidables, attentionnés, protecteurs, gentils et surtout charmants. Moi, j'avais l'impression d'être tout le contraire. Ni formidable, ni attentionnée, peut-être un peu protectrice et gentille, mais aucunement charmante. Donc, après ces soupers, pendant lesquels je passais mon temps à écouter tout le monde et à les regarder, je me sentais assez seule je dois l'avouer. Et rentrer dans ma petite maison silencieuse, toute seule, me rendait assez triste. Triste mais en sécurité.

Quelques jours après avoir eu mes 24 ans, le sentiment de solitude était fort présent. Maintenant, rendu à mes 25 ans, ce sentiment est devenu insupportable. Même après une semaine de boulot chargée, il me reste encore assez d'énergie pour penser au fait que je suis probablement seule au monde, même si bien entourée...

- Linny, je te parle depuis tout à l'heure! Valérie dit impatiente.

Je lève enfin les yeux du café que je regardais avec un intérêt presque maladif.

- Pardon! Tu disais? Je demande à la jeune femme assise en face de moi, un sourcil en arc.

Elle roule des yeux et me tend un papier.

- Ça c'est son numéro!

J'écarquille les yeux, avant de prendre le bout de papier de ses mains.

- Tu t'attends à ce que je l'appelle? Je lui demande paniquée.

- Non niaiseuse! Il va t'appeler, mais te connaissant, je sais que tu peux ne pas répondre parce que tu ne connais pas le numéro affiché.

Elle soupire et prend une longue gorgée de son thé.

- C'est un bon gars Linny! Enfin, je pense! Je veux dire...c'est un voisin, mais...

- Mais pourquoi? Je la demande en la coupant. Pourquoi je dois contacter un homme que ma belle-soeur me présente.

- Écoute, je lui ai donné ton numéro parce qu'il me l'a demandé. Je me suis dit que tu seras moins gênée si tu n'es pas surprise, elle lâche en souriant. Réponds au téléphone s'il t'appelle et regarde c'est comment l'ambiance.

Je reste impassible en regardant le morceau de papier.

- Écoute, ton frère me tuerait s'il savait. Mais, je pense que t'as besoin de rencontrer du nouveau monde. Ne serait-ce que pour parler, elle conclut en buvant son café.

Elle regarde l'heure dans sa montre et fais des gros yeux en se levant  abruptement de sa chaise.

- Je n'ai vraiment pas vu le temps passé, elle dit en ramassant ses affaires à la hâte. Vendredi passé, je n'ai pas pu m'empêcher de voir ton regard triste au souper, elle lâche brusquement. Si je l'ai remarquée, tes trois frères exagérément protecteurs l'ont remarqué aussi. Karl pense que t'as des ennuis au bureau et s'inquiète. Je ne veux même pas savoir ce que les deux autres têtes en l'air pensent, elle ajoute en riant.

- Je n'avais pas de regard triste.

- Ouin, elle répond simplement. Bonne fin de journée à toi petite belle-soeur.

Et elle s'éclipse.

Est-ce que je ne peux plus cacher ma peine?

***

La semaine au travail n'était pas du tout fatiguant étant donné que la période d'impôts vient de finir, pourtant en rentrant du travail aujourd'hui, je me suis sentie comme si un Bulldozer a fait des va-et-vient sur mes épaules.

J'accroche mon sac et mes clés dans le meuble d'entré une fois à l'intérieur et je m'empresse pour aller me chercher un verre d'eau frais. Je bois une gorgée d'eau, je ferme les yeux et j'inspire longuement.

La sonnerie de mon cellulaire me sort sauvagement de mon petit moment de paix. Je m'empresse de me diriger vers ma sacoche pour sortir l'appareil. À ma grande surprise, mon coeur se serre quand je vois que ce n'est que Karl.

- Tu es où? Il me demande à la seconde que je dis allo.

- Je viens d'arriver à la maison, je lui réponds simplement.

-Elle vient de rentrer chez elle, je l'entends crier à quelqu'un d'autre. Veux-tu qu'on passe te chercher avant d'aller chez maman? Il me questionne. 

- Non, je vais prendre le train. Je pensais prendre un long bain avant d'y aller.

- Hm okay! Essaie de ne pas arriver en retard.

- Ok, je réponds simplement avant de raccrocher

Bizarrement, je regarde mon cellulaire voir si je n'ai pas raté l'appel d'un numéro non enregistré. Le petit pincement au coeur réapparaît quand je remarque que je n'ai raté aucun appel et Dieu seul en connait la raison. 

Je serais très bête d'être déçue qu'un inconnu -voisin de mon grand-frère et ma belle-soeur- ne m'appelle pas.

Je soupire longuement. Ce sentiment de solitude me fait délirer et je devrais sincèrement penser à consulter un psychologue parce que ce n'est absolument pas normal! J'ai été toute seule toute ma vie...bon, pendant 24 ans et huit mois sur 25 ans et un mois...parce que j'ai gaspillé cinq mois avec un...Ne parlons pas de ça.

- En tout cas, je lâche dans l'air avant de me diriger vers le bain. Un psychologue, je répète, je dois consulter un psychologue.

Mon cellulaire sonne et me sort rapidement d'un gros délire pour me rentrer dans un autre.

Un numéro non enregistré est affiché sur l'écran de mon téléphone.



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