Ok... je suis un peu folle.
Je balaye ma pensée et me refais un petit film de ces derniers mois. La boule dans ma gorge me chatouille tout de suite, mais je la chasse aussitôt. Je préfère laisser Colère s'exprimer, refusant de perdre de vue mon objectif du jour. L'heure que j'observe sur mon tableau de bord me fait soupirer.
Plus que dix minutes...
Cynique me toise, amusée par cette pensée. Plus encore lorsque passe la chanson de mon CD du moment : Big Girl Don't Cry. Elle m'agace un peu, mais elle n'a pas tort : ça fait tellement pathétique et triste. Je l'arrête aussitôt et allume la radio. Il faut que je sois préparée autrement. Je dois rassembler toute ma haine pour l'affronter. Alors je zappe machinalement sur chaque station pour trouver une musique plus virulente. Plus violente, plus bruyante, plus méchante qui pourrait me ressaisir.
Du Heavy Metal ? Ou du Death Metal ?
Ou tout ce qui crie et donne envie de péter un câble. Pas Fergie, je l'adore oui, mais là, il faut que je me motive un peu. Je réfléchis un instant en cherchant quel est le chanteur le plus fêlé.
Kurt Cobain ?
Ouais... trop de drogue... mais pas assez fou.
Marilyn Manson ?
Pas mal... mais non, il manque quelque chose.
Je souris bêtement en visualisant Iggy Pop. Ils doivent être au moins cinquante dans sa tête à celui-là. C'est lui qui doit être le premier des chanteurs les plus dingues. Et puis, je trouve aussi qu'il a un corps bizarre, rien que pour ça ce doit être lui. Mon sourire s'élargit en l'imaginant se parler à lui-même, pour revenir subitement à la réalité lorsqu'une voiture approche.
Merde ! Coupé sport en plus ! Ça devait être cette voiture ! Pas une autre, hein ? On a l'air fine là, dans ma Panda jaune pipi !
La colère me grimpe dans les mains et je les crispe nerveusement. Nos regards se croisent, j'ai juste envie de hurler tout un tas d'insultes, mais il ne me voit pas. Il sort de sa nouvelle voiture. Nonchalant, il s'avance dans la rue et attend devant la porte de notre appartement. Ses yeux se bloquent enfin sur les miens et il me dévisage dans la foulée.
Alors là ! Tu rêves...
S'il croit que je vais sortir discuter avec lui pour savoir si sa journée s'est bien passée et s'il a bien fait caca ce matin.
C'est sans moi !
Les Douze hochent la tête avec vigueur. Pour une fois que j'ai réussi à les mettre d'accord. Ce n'est jamais évident d'être en symbiose avec moi-même. Une minute plus tard, c'est la propriétaire que je vois débarquer et ça sonne le gong. Mon esprit délirant s'imagine tout de suite cet instant comme le combat ultime.
Ladies and gentlemen...
C'est le jour de la dernière humiliation !
Accueillez sans plus attendre son adversaire...
1m90, brun, beau, j'ai nommé son ex !
Maaatt !
Ouais !
Foule en délire...
Hystérie générale...
Popcorn qui volent...
Merde !
Je crois que je vais bientôt refaire une crise...
Je soupire. Ma dernière humiliation ? Ça, c'est sûr. C'est terminé. Fini de me prendre la tête, fini la souffrance, fini de croire aux contes de fées et fini de me voir comme une stupide princesse.
Plus jamais on ne me prendra pour une idiote !
Je sors de ma voiture, rassemble tout le courage que je trouve à portée de main et me dirige dans leur direction. Ma propriétaire, Mme Sand, me fait un large sourire. J'aime bien cette femme, même si elle a plus l'allure d'un garçon manqué que d'une dame. Elle est petite, fine, avec des cheveux courts et méchés. Je m'approche d'eux en m'agrippant à mon sac à main comme si ce geste stupide suffirait à me donner de l'aplomb. Une fois devant eux, elle me salue avec une bonne poignée de main bien virile, puis nous invite à entrer pour faire l'état des lieux de sortie. J'acquiesce et le toise du coin de l'œil.
Matt est égal à lui-même, le beau gosse par excellence. Toujours bien coiffé et bien habillé. Il porte comme d'habitude un jean foncé et une chemise blanche. Je sais exactement pourquoi il porte ce genre de vêtements. Ces chemises vont si bien avec son sourire Colgate que je ne supporte plus. Il se redresse d'ailleurs une fois que je suis à sa hauteur, je lis de la culpabilité dans ses iris bleus mais je me dérobe.
— Salut...
— Salut.
Ma réponse est plus froide et je perçois Colère se débattre, retenue par les onze autres. Mon esprit est envahi de haine et d'envie de torture sans sommation. Elle a peut-être raison, je devrais l'insulter plutôt que de répondre à sa salutation. Je le regarde à peine et m'avance dans le hall d'entrée pour monter rapidement ces marches pour la dernière fois. Je veux surtout en finir très vite. J'entre dans ce petit appartement sans boule au ventre. Je l'ai déjà vu vide, puisque c'est moi qui ai tout déménagé avec l'aide de ma sœur et de ma mère.
Bien sûr, lui, n'a rien foutu. Je suis même persuadée que la cave est encore blindée de son bordel. Déjà qu'il m'agace au plus haut point, Monsieur Con n'a pas daigné payer le dernier mois de loyer. Ce qui m'a valu au passage une petite bagarre avec la propriétaire, lui expliquant que je n'allais certainement pas régler à sa place et que je donnerai juste ma part. Elle était tenace, mais Justice a gagné. La victoire reste et sera toujours un point crucial de ma personnalité. Je déteste avoir tort. Rare sont les fois où je m'avoue vaincue. Alors, je lui ai proposé une alliance.
Enfin, je lui ai promis que tout serait réglé aujourd'hui. Qu'on lui rendrait les clefs et qu'elle aurait tout le loisir de voir avec mon ex cette histoire de chèque. C'est étrange de l'appeler comme ça maintenant. Matt est bien un con, mais je n'imaginais pas lui donner ce surnom stupide.
Même si je me juge nerveuse, nous passons les pièces au peigne fin les unes après les autres. Il sourit régulièrement à Mme Sand d'ailleurs. Je sais que c'est un homme très poli, sauf qu'en l'observant, je rêve de lui arracher toutes ses dents avec une pince. Heureusement pour moi ou pour lui, je suis plus préoccupée par ce que la propriétaire nous raconte. Elle ne laisse rien passer, farfouillant dans les recoins de l'appartement pour en arriver à la conclusion qu'il n'y a rien de cassé ou de crade.
Bah ouais, banane !
Je ne suis pas un animal !
Je sais me servir d'un aspirateur et d'un grattoir !
Ma colère est tellement décuplée en présence de Matt que j'en viens à détester un peu tout le monde. Ça m'agace d'être sans cesse en rogne comme ça. D'ordinaire, je suis plus souvent de bonne humeur qu'en pétard. Je sais que je n'y peux rien pour le moment. À vrai dire, je bascule entre deux émotions : la colère et la tristesse.
Oh !
En fait non, trois...
Cynique me rappelle régulièrement à l'ordre, me rappelant que je suis pitoyable. Elle craint et pourrit mon esprit, mais comme elle a raison, je la ferme.
J'attends la fin de ce calvaire en trépignant lorsque Mme Sand sort tous les papiers et nous les donne. Parfait, je retrouve un peu d'oxygène. Il me reste plus qu'à signer tout en bas et je me sentirai apaisé. Ça fait trois mois que j'espère cet instant. Je saisis donc ma feuille et apporte ma griffe avant de la refiler à Matt du bout des doigts.
Monsieur Con décide de lire chaque page, ce qui a le don de m'exaspérer de plus belle pendant que Mme Sand en profite pour calculer le restant des charges. Elle calcule plutôt bruyamment, en énonçant chaque virgule dans les montants.
Ça moins ça, plus ça, en enlevant ceci ou cela.
Comme si l'autre ne suffisait pas.
Ça me gonfle, Impatiente va bientôt faire un petit trou dans le sol à force de taper du pied. Je veux juste mon chèque et partir pour ne plus jamais revoir cet endroit. J'essaie de calmer Impatiente en fixant le mur devant moi et m'égare comme toujours dans mes pensées.
Je me souviens du jour où l'on l'a peint. C'était une bonne journée où nous avions bien ri. J'étais surexcitée à l'idée de refaire toute la décoration de notre chez nous. Je savais quelle couleur serait idéale pour chacun de ses murs. Un faible rictus s'incruste sur mes lèvres en me rappelant de notre première dispute. Matt voulait du blanc, moi, je l'imaginais gris. Ça aurait dû me mettre la puce à l'oreille de vouloir ternir notre nid, une image peut être involontaire de la dégradation de notre couple ?
Je me surprends à faire la grimace.
Du dégout ?
C'est ce que je ressens d'un coup, mais heureusement pour moi, ma nausée n'est que passagère parce que Colère reprend du poil de la bête. La propriétaire vient de finir ses calculs et elle reporte son regard sur nous.
— Voilà, je vous dois six cent. Sauf qu'en comptant la moitié du dernier loyer qui n'a pas été payé, il ne reste plus que quatre cent cinquante. Je fais un chèque à quel nom, Madame ou Monsieur ?
— Madame !
— Monsieur !
Nous avons répondu en chœur. Je ne peux pas m'empêcher de me tourner vers lui en lui jetant un œil noir.
Quelle naïve je fais !
J'aurais dû me méfier et écouter Colère quand elle m'a suggéré d'éclater sa télé à coup de batte de baseball ou de verser du vin rouge sur toutes ses chemises blanches. Je claquerais bien des doigts pour revenir à cet instant précis où j'avais devant moi notre armoire grande ouverte. Si j'avais su qu'il n'aurait aucun scrupule.... Je n'ai pas le temps d'échafauder un plan de vengeance ou de m'en vouloir davantage, qu'il revient à la charge.
— Non ! J'ai aussi mis de l'argent dans cette caution !
C'est une blague !
Mais on va le tuer, ce mec !
— Tu délires là ! Tu n'as pas payé le dernier mois de loyer ! Sans compter que tu n'as rien foutu ! J'ai tout fais pendant que t'étais où, hein ? Hors de question que...
La propriétaire me coupe, sans doute consciente que je suis à deux doigts d'exploser et de lui arracher les yeux. Monsieur se pavanait, insouciant, pendant que moi, je ravalais mes larmes avec mes cartons sous le bras. Si je pouvais, je laisserais claquer ma main sur sa joue. J'en ai cruellement envie, au point de n'écouter que d'une oreille notre propriétaire. Je prête tout de même un peu plus d'attention au regard compatissant qui me fait face.
— Je fais un chèque de trois cent cinquante à Madame et pour Monsieur en comptant le loyer, la caution et les charges, il vous reste un peu moins de cent.
Ah !
Il n'a pas le temps de réagir que j'ajoute :
— Parfait !
— Bien...
Je sens que là, bizarrement, elle est mon alliée et j'apprécie pour une fois cette solidarité féminine. Il ne dit rien et se contente d'un signe de tête agacé. On ne doit pas être le premier couple qui se sépare dans cet appartement, mais je m'en fiche. Ce qui compte maintenant, c'est qu'il paie pour ce qu'il a fait. Je le regarde d'ailleurs à la dérobée.
Alors ? Rien à ajouter là... ?
Gros con !
Mme Sand me tend le chèque que je récupère en vitesse. Elle me sourit un peu amusée, mais Matt ne le remarque pas. Nous nous dirigeons vers la sortie et je fonce dans les escaliers. Je veux quitter cet endroit au plus vite. J'étouffe là-dedans. Une fois dehors, je me sens enfin soulagée.
C'est fini.
Je savoure cet instant. Depuis trois mois, j'avais l'impression d'être en sursit. Piégée et en colère. Toujours liée à lui par ce stupide appartement. Je peux désormais continuer ma vie sans lui. L'air que je respire est même plus frais, plus doux. Un parfum de liberté.
J'entends Matt marmonner quelque chose à la propriétaire pendant que je prends une nouvelle bouffée. Curieuse ne peut pas s'empêcher de pointer discrètement l'oreille. Il lui explique qu'il repassera cette semaine pour enlever le reste et lui déposera les clefs au plus vite.
Pff... Je le savais qu'il n'avait pas vidé la cave...
J'arque un sourcil dans sa direction. Il n'a même pas besoin de me répondre. Je le traite en silence d'incapable. Mais qu'à cela ne tienne, je ne verrai plus son visage, et j'en suis ravie. Je fais volte-face vers Mme Sand, la salue en lui souhaitant une bonne continuation. Elle me rend la pareille et je file vers ma voiture sans un regard en arrière. Je ne suis pas le genre de fille peste, mais ma colère débarque et mes bonnes manières disparaissent lorsque l'on me ment, me trompe, et me fait croire que je suis folle.
Ok... je suis un peu folle...
Mais ça, il n'y a que moi qui ai le droit de le dire !
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