Ne lâchez pas le fil de la folie...

Accrochez-vous...

Ça en vaut la peine.

Bonne lecture...

__________________________

Ça y est, on y est.

Je tire sur le frein à main et coupe le moteur. Je regarde un instant autour de moi et la rue me semble différente. Je crois surtout que je ne réalise pas très bien que je ne verrai plus cette petite rue. Je me détourne vers l'école maternelle sur ma droite pour me changer les idées, observant les enfants courir et jouer dans cette cour.

Ils ne m'amusent même plus.

Pourtant, il y a quelques semaines, je ne voulais surtout pas louper le petit brun qui s'accroche au grillage et s'époumone à faire croire qu'il est en prison. Je pense qu'en réalité, il a été mon dernier fou rire sincère. La bonne humeur m'a quitté depuis peu. Elle a été remplacée par un melting-pot de toutes les émotions négatives et quand bien même j'ai l'impression d'être folle depuis longtemps, en ce moment, cette folie s'est décuplée.

Parfois, ça me fait peur, parce qu'en une journée je peux passer d'un éclat de rire nerveux à des sanglots, à la honte, pour enfin terminer verte de rage en ayant envie de tout casser autour de moi. De toutes ces émotions, c'est encore Colère que je préfère. Je ne supporte plus cet état, mais je sais qu'aujourd'hui je mets fin ces crises.

Enfin... j'espère.

Je me secoue la tête pour éviter d'y penser et observe cette porte d'entrée. Je suis figée et me sens perdue. J'ai le sentiment d'être un légume qui attend de se faire découper en morceau et bouillir dans une casserole. Je soupire, l'attente est trop longue, mais bien sûr ! Il a fallu que je sois en avance.

Bravo ! Je te félicite ! Comme d'habitude...

Oh, ça va !

Je maudis la partie de moi qui a cette fichue manie. Si j'avais pour une fois choisi d'être en retard, je ne serais pas là, à trépigner dans ma voiture comme une idiote. Ça m'agace, c'est toujours la même histoire : j'arrive dix minutes avant l'heure, scrute les alentours en me mâchouillant le petit doigt. Toujours le droit en plus. Je le plains quand je réalise que ma peau commence à friper. Ça m'embête vraiment, mais je sais aussi que je ne peux rien y faire : la ponctualité, enfin, l'extrême ponctualité est ancrée dans mes gênes.

Ça et le fait que je n'arrive pas à mentir. J'ai l'impression que si je sors un bobard, une pancarte illuminée s'affiche dans mon dos en clignotant : coupable !

Aussitôt nerveuse, je me mets à paniquer. Je craque et révèle tout. C'est exaspérant... j'aimerais bien cacher certaines choses.

Enfin, choses...

Garder mon jardin un peu secret. J'y travaille un peu plus chaque jour, mais c'est difficile de se débarrasser de ces deux automatismes.

D'ailleurs, mon doigt commence à être un peu mou...

Je délaisse mon auriculaire et regarde mon tableau de bord.

Plus que vingt minutes et tu te sentira mieux...

Mouais....

J'essaie de ne pas le remettre en bouche et reporte mon attention à l'extérieur. La rue est vide et les enfants sont en train de rentrer en classe. La maitresse les appelle en faisant de grands signes de bras.

On ne l'aime pas.

J'ai assez observé cette petite cour pour constater qu'aux récréations, cette dernière ne pensait qu'à fumer sa cigarette dans son coin sans surveiller les petits. J'en ai vu plus d'un à l'autre bout, pleurer à chaudes larmes parce qu'il était tombé.

Mais bon...

C'est vrai que les deux extrémités de cette place sont à dix kilomètres l'une de l'autre : c'est donc très compliqué de se déplacer !

Égoïste !

Mon côté dingue refait des siennes et je distingue mon émotion du moment Mme Colère, un bazooka à la main en train de la viser.

Feu !

Les onze autres facettes de ma personnalité se recroquevillent sur elles-mêmes en se bouchant les oreilles.

J'ai fini par les surnommer les Douze.

Elles sont toutes à mon image, mais chacune a son trait de caractère. Leur donner un surnom est normal aussi. Je n'imagine pas être la seule personne au monde à ne pas être seule dans sa tête.

Elle était bizarre cette phrase.... La seule... personne... au monde... à ne pas être... seule... dans sa tête.

Trop complexe ?

Mouais...

Quoi qu'il en soit, j'estime que Douze est un nombre correct. Il regroupe la plupart des traits de ma personnalité. Je ne crois pas être schizophrène pour autant. J'ai lu un article là-dessus expliquant que cette maladie se résumait principalement à des changements brutaux de personnalités. Il serait souvent question de deux caractères opposées qui se partagent les commandes. D'un certain côté, ça me rassure parce que ce n'est pas mon cas. Il s'agit surtout d'un joyeux bordel.

Ou peut-être... d'une organisation folle de mon esprit.

Ouais... folle !

NON !

Je préfère dire « joyeux bordel », ça fait moins peur que de se prétendre « folle ». Et puis, il faut dire que ces petits personnages fictifs de mon esprit m'ont aidé plus d'une fois à tenir le coup. Je les aime bien et en plus de leur donner un nom, je les ai même classés.

Inutile ou débile... mais drôle...

En première position, c'est Mme Impatiente. Celle-là, je m'en passerais bien, mais elle fait quand même quelques apparitions. Et quand elle ne mâchouille pas mon petit doigt, elle tapote très souvent du pied, les bras croisés avec une mine boudeuse. Je conçois que la patience n'est pas mon fort et c'est pour cette raison qu'elle a sa place parmi les Douze.

La deuxième, Mme Peureuse est un personnage important. Il m'arrive souvent de flipper de tout ou de rien. Elle est très forte en scénarios déjantés. Elle imaginera toujours le pire. Elle me fait sourire là, maintenant, mais une fois qu'elle prend le contrôle, ma paranoïa peut aller très loin.

Ensuite, il y a Mme Tristesse. Elle était omniprésente ces derniers temps... je n'apprécie pas vraiment sa compagnie. Sauf que je lui demande rarement son avis lorsqu'elle se pointe dans ma tête. Je la visualise toujours avec son maquillage noir qui dégouline sous les yeux et son regard vide. Un cliché à elle toute seule.

Encore une fois complexe !

Roh ! C'est bon...

Le plus exaspérant après Tristesse est le duo Amour et Rêveuse. Ces deux-là, me font penser à Starsky et Hutch, elles sont comme cul et chemise. Elles n'ont pas une voiture de dingue, mais une robe avec un imprimé pâquerette et des barrettes dans les cheveux.

Deux petites filles naïves.

Ces derniers temps, elles font pas mal de messes basses. Je sais qu'elles jalousent Colère qui a pris le contrôle, mais cette pause me fait du bien. Elles ont un peu trop dirigé ma vie après tout.

Vient Mme Curieuse en sixième position. Alors elle, c'est un de mes plus grands traits de caractère. Je ne supporte pas de ne pas tout savoir. C'est idiot quand on y pense. Ça ne me sert à pas grand-chose... quoi que ça a du bon de connaître tous les détails. Elle peut faire preuve de beaucoup de malice pour arriver à ses fins.

Et en parlant de malice, la suivante est gratinée dans son genre, mais c'est aussi celle que je préfère : elle me fait bien marrer dans le fond. Mme Bêtise fait tout le temps des bourdes. J'ai calculé dernièrement, et j'en suis à au moins une par jour. En règle générale, elle débarque, dit ou touche ce qu'il ne faut pas et repart aussi sec.

Honte, Cynique et Justice la détestent. Ce sont ces trois-là qui apparaissent après ses conneries.

Mes conneries.

Honte vient toujours après Bêtise. Elle ne pense qu'à creuser un trou profond pour s'y foutre dedans dès son arrivée. Elle ne parle pas beaucoup, mais elle excelle dans l'art de l'autruche.

Puis, c'est Cynique qui reprend la main. D'abord l'une qui a envie de disparaître, puis l'autre qui se fout ouvertement de moi, me traitant de « pauvre petite princesse » ou de « nana pathétique ». Mme Cynique compose une grande partie de ma personnalité. Elle me permet de me remettre sur le droit chemin de temps à autre, et il faut admettre que sa tenue lui va parfaitement bien. Mon esprit me l'affiche souvent dans son peignoir avec son regard hautain. Elle passe peut-être ses journées à m'insulter, mais j'ai quand même besoin d'elle pour ne pas dérailler à plein tube.

Tu dérailles déjà...

Oh ça va !

Mon Cynisme me met quelques fois des claques, à forte raison. En tout cas, j'ai appris à vivre avec.

Heureusement, celle qui est un bonheur au quotidien, c'est Mme Justice. S'il y en a bien une des Douze dont je sois fière, c'est elle. C'est ma meilleure partie : elle est très soignée, porte la toge et a les cheveux tirés en arrière en un parfait chignon. Elle maîtrise et analyse tout. Rien ne lui échappe. Et elle sait y faire pour gagner. Si on cherche à la doubler ou lui faire croire qu'elle a tort, elle retournera la situation à son avantage en un clin d'œil, un sourire sournois aux lèvres la seconde suivante. C'est un adversaire redoutable faisant en sorte de toujours gagner le procès. Je suis consciente que c'est un très fort trait de mon caractère.

Je n'aime pas perdre.

Et enfin, il y a Mme Sexy et Mme Colère. Sexy, c'est ma partie la plus féminine. Une vraie Pin-up avec sa robe de soirée très moulante, ses gants et son boa noir. C'est elle aussi qui fait flamber ma carte bleue dans les magasins de lingeries. Si elle décide de prendre le pouvoir, rien ne l'arrête, pas même moi.

C'est une version bêta et bestiale de mon corps.

Je veux ! Maintenant !

Je tente au maximum de ne pas la suivre. Si je l'écoute rien qu'un peu, elle se déverse dans ma tête comme un tsunami. À l'image des deux pâquerettes, son alliée est Mme Bêtise. Alors quand les deux plantent leurs griffes, les dix autres luttent pour reprendre le pouvoir sur mes hormones.

Mouais...

Quant à la douzième, Mme Colère, c'est ma meilleure amie depuis quelques semaines. Elle n'arrête pas de s'énerver contre les onze autres, mais personne n'ose lui tenir tête. Elle a la niaque, il ne faut pas trop la chercher, me chercher. Elle a beau faire 1m60 et 55 kg tout mouillé, si on la taquine, on la trouve. Elle n'hésitera pas à sauter pour arracher les yeux sauvagement.

Sans compter qu'en ce moment, elle a ses raisons d'avoir le contrôle sur moi.

Ça craint un peu, mais...

Aussi complexe qu'il soit, mon esprit est mon refuge quand bien même il m'effraie parfois. J'aime mon imagination sans limite.

C'est certain, t'as aucune limite...

Et puis, zut !

Je vis très bien ce côté dingue et je ne pense pas être folle non plus.

Enfin...

Non ! Je ne suis pas folle !

____________________

Je sais que ce chapitre est bien lourd et dure à digérer mais il est important pour moi de le placer tout de suite.

Les douze font partie d'Emma et de sa folie.

Donc, je ne peux que vous dire :

Bienvenue dans sa tête !
😏😏😏😏