Louise-029

Je crois que je tiens un début d'histoire. Ce serait un homme fou amoureux d'une femme mais celle-ci ne l'aimera jamais. Parce qu'elle est lesbienne. Je vais garder Candace pour jouer le rôle de cette femme parce qu'en y réfléchissant ça me parait évident : ça lui colle à la peau. Je n'ai qu'une envie c'est de commencer à poser quelques mots sur mon carnet mais je suis coincée ici. Je garde l'idée précieusement dans ma tête si bien qu'elle prend quasiment toute la place. Quelques titres me viennent, j'aimerais savoir ce que Laurène en pense. Puisque Garance n'est pas disponible pour le moment : tant pis pour elle, elle n'aura pas le plaisir de m'aider à choisir mon titre en exclusivité... tant pis pour moi aussi...

‒ Laurène ? je dis.

Mais ma voix se heurte aux murs du hall. Il n'y a plus personne. J'étais tellement obnubilée par ma nouvelle idée de roman que je ne me suis pas rendue compte que tout le monde a déserté à l'étage. J'empreinte les escaliers pour rejoindre ma chambre et faire une sieste avant de commencer « le boulot ».

J'oublie de frapper avant d'entrer. Trop tard je suis à l'intérieur mais aucune surprise. Laurène est assise au fond du lit en train de pianoter sur son écran. J'aurais préféré la surprendre en train de se changer (s'aurait pu être drôle). Au lieu de ça je me demande, par simple curiosité, avec qui elle est en train de parler. Je vais m'installer à côté pour lui parler de ma nouvelle idée de roman.

‒ Ça va ? je demande pour faire une brèche dans le silence avant d'entamer la conversation.

Note à moi-même : ne pas faire de dialogue aussi naze dans mon roman, les banalités ça va deux secondes.

‒ Bien et toi, elle répond en levant les yeux vers moi.

‒ Super merci ! Dis... j'ai eu une nouvelle idée de roman et quelques titres me trottent dans la tête, j'aurais besoin que tu m'aides.

‒ D'accord, elle dit le plus naturellement du monde.

Je me perds quelques secondes dans son regard de braise si bien que je ne prononce aucun mot pendant ce laps de temps où nous n'avons finalement pas besoin de parler.

‒ Tu vas te moquer de moi, je glousse tout d'un coup.

Son sourire s'élargit.

‒ Mais pas du tout, pourquoi tu dis ça ? elle se défend.

‒ Parce que je suis sûre que tu n'aimes pas lire et que ce dont je vais te parler va te sembler ri-di-cule.

Soudain je me rends compte qu'avec Garance c'est facile de parler d'écriture, mais pas avec les autres. Je ne saurais pas l'expliquer.

‒ T'as encore d'autres clichés comme ça, elle demande.

Sa phrase sonne comme un reproche et je me mordille la lèvre inférieure, à cette idée.

J'ai l'impression que tout devient palpable entre nous.

Chacun de ses mots provoquent en moi une décharge.

Chacun de ses soupirs ou de ses sourires.

Ce qu'elle pense de moi.

Je ne sais pas ce qu'elle pense de moi.

Mais je vais d'abord lui demander ce qu'elle pense de mes titres.

‒ J'avais pensé à « amour impossible ».

Elle me regarde avec des yeux ronds.

‒ Il faut que tu me dises un peu de quoi ça parle pour que je puisse t'aider, souffle-t-elle.

Je n'avais pas encore remarqué notre proximité, nos mains pourraient se toucher sans difficulté et son souffle caresse mon épaule. Elle est un peu plus affalée que moi si bien que ses lèvres sont à hauteur de mon cou. Moi je me raidis, adossée au mur car il n'y a pas de tête de lit. Elle a glissé un coussin derrière sa nuque et je fais de même pour ne pas avoir mal au dos et tenter de reprendre une contenance. Je déglutis silencieusement pour ne pas m'étouffer dès que je vais prendre la parole. C'est beaucoup plus difficile qu'en classe, je n'ai pas de réponse juste ou fausse, de bon ou de mauvais comportement.

‒ Ce sera l'histoire d'un homme fou amoureux d'une femme. Mais elle ne l'aimera jamais parce qu'elle est lesbienne. C'est un amour impossible.

‒ C'est David qui t'a inspiré ? demande-t-elle amusé.

Elle fait référence au rôle que j'ai joué plus tôt donc non ce n'est pas lui qui m'a inspiré.

‒ C'est lui qui est inspiré de moi, je dis.

Elle me regarde, interdite.

‒ Mais tu n'es pas un homme, elle répond.

Je me mets à rire.

Nerveusement.

Elle m'observe.

Sans jugement.

Fidèle à elle-même.

Je ne sais pas ce que je fais mais je me laisse porter par notre conversation.

‒ Je ne fais pas référence à ça, j'articule péniblement.

Mais plus je parle, plus je me libère d'une prison dont je n'avais pas conscience de l'existence. Chaque mot de plus qui sort est un tour dans la serrure de ma cellule. Et un coup de pied au geôlier. Ça fait du bien de donner des coups de pieds. Est-ce des éléments à introduire dans mon histoire ? Candace m'accapare de nouveau mais la voix de Laurène me ramène sur terre.

‒ De quoi tu parles ? elle me questionne simplement.

‒ De moi. Je suis amoureuse d'une lesbienne.

Mon souffle se coupe. J'ai l'impression que je viens de lâcher une bombe. J'attends les dégâts. Elle reste muette. A-t-elle compris ? Bien sûr qu'elle a compris. Est-ce que moi j'ai compris ? Je crois que je viens de réaliser. Je suis un peu sonnée. Comme si j'étais dans un autre monde ou tout serait possible. Que l'amour serait possible. Mais je suis bien dans la réalité. Et tout semble se dérober autant que tout se reconstruit autour de moi. Tous les monuments s'effondrent. La poussière me fait mal aux yeux. Le ciel est gris. Puis tout rejaillit de la terre une nouvelle fois. Tout est comme rénové. Les couleurs redeviennent ce qu'elles étaient quand j'avais dix ans de moins. La magie qui avait disparu au collège, réinvesti notre monde alors que je suis sortie du lycée.

Et tout ça, c'est parce que ses lèvres se sont emmêlées aux miennes. 

Avis ? Les détails arrivent :)

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