Laurène-013
PDV Laurène
‒ JE NE SUIS PAS LESBIENNE.
Voilà les mots avec lesquels je suis accueillie dans ce Starbucks. Ils ne me sont pas destinés mais je ne peux m'empêcher de les prendre comme une attaque personnelle. Mais ce qui me fait le plus mal, c'est qu'ils ont traversés les lèvres de Louise. Je devrais pourtant avoir l'habitude de les entendre. Combien de lèvres peintes de rouge, violet ou rose ont prononcées cette phrase ? Je ne suis clairement plus à ça près mais venant de Louise c'est différent. Ça résonne en moi avec la même intensité que lorsque j'ai entendu cette phrase pour la première fois. Lorsque je venais de me découvrir et que je commençais à m'assumer. Ça m'avait fait mal. Et avec le temps, la douleur s'était estompée. Mais il a suffi que ce soit Louise articule, sans peine, ces quelques syllabes pour que tout se ranime. Comme une fureur de « premiers jours ».
C'est surement parce que je rêvais mon nouveau départ sans ce genre de réflexions. Bien qu'elles m'agacent plus qu'elles ne me font de peine. Mais au risque de me répéter, cette fois ci, c'est de la peine que je ressens. Je crois que c'était une mauvaise idée de venir dans ce café. Je ressors après avoir choisis un expresso et savoure l'oxygène qui me manquait à l'intérieur. Je marche vite comme si ça pouvait me faire oublier ce qu'il vient de se passer. Comme pour semer ce futur souvenir avant qu'il ne s'accroche trop à ma mémoire.
Une voix me fait sursauter, me stoppant dans mon élan, cette même voix à l'origine de mon empressement.
‒ Laurène !
Je me retourne, un peu à contre-cœur. Je n'ai vraiment pas envie de lui parler.
‒ Je... Je suis désolée, je n'avais aucune raison de m'énerver ! Je répondais seulement à Garance, tu sais c'est un mélange de tout ! C'est plus compliqué que ça en a l'air ! Il faut toujours tenir compte du contexte !
Je balaie cette phrase d'un geste de la main.
‒ S'il te plait, ne me donne pas de leçon de morale ! Ce n'est pas le moment, affirmai-je, excédée.
Il n'y a rien à comprendre, quel que soit le contexte, il y avait du mépris dans sa voix lorsqu'elle a clamé haut et fort qu'elle n'était pas lesbienne. Je n'ai rien envie d'entendre de plus je crois avoir compris l'essentiel de ce qu'elle avait à annoncer : on ne joue pas dans la même catégorie et elle en est fière car le contraire aurait été rabaissant pour elle. C'est tout ce qu'il y a à savoir. C'est aussi ce que j'ai retenu des autres filles, et je l'ai déjà payé en perdant mon emploi.
Maintenant c'est clair : mon seul et unique objectif est de retrouver @vingt-cinq-ans. J'avale une gorgée de ma boisson chaude et poursuit ma route après avoir aperçu Garance au loin, courant derrière sa meilleure amie. Je pars avant que l'on se donne en spectacle : ce n'est vraiment pas mon style.
Soudain, je suis de nouveau retenue. Et c'est la main délicate de Louise agrippée à mon poignet. Je feins de renverser mon café et lui en veut d'autant plus. Et le pire dans tout ça c'est que je ne comprends pas pourquoi toute cette histoire m'atteint autant : mon détachement habituel semble en danger.
Je suis en terrain inconnu dans tous les sens du terme. Garance parvient à notre hauteur, essoufflée, tandis que Louise a toujours sa main sur mon poignet. Nos regards se croisent et une seule pensée me vient en tête : détachement. Comme une alerte que je ne peux ignorer. Détachement est pour moi le synonyme de liberté. Alors je me dégage de son étreinte en ayant plus mal au cœur encore et poursuit ma trajectoire. La fusée ne doit plus être très loin. Du moins je l'espère.
Détachement sera mon maître mot. Je dois me détacher de son regard qui m'influence. De ses mots qui résonnent en moi comme des confidences. Je me détache, et les morceaux de mon cœur aussi, j'ai l'impression qu'ils s'éparpillent.
Je dois effectivement, remettre les choses dans leur contexte comme elle vient de me le suggérer. Nous avons la même « âme-sœur », Louise est donc ma rivale dans ma quête du bonheur. Et je ne dois pas m'en détourner. J'ai connu trop de filles dans son genre : du genre « pas lesbienne ». Et ça finit toujours mal. Pour moi.
Je me suis si souvent oublier pour aimer, maintenant c'est à mon tour de l'être. Soudain, l'image du Starbucks me glace le sang : tout simplement parce que je ne suis pas censée le voir. Le problème c'est qu'il se trouve en face de moi : ça me barre la route. Ce qui veut dire que je suis perdue, et que je tourne en rond depuis tout à l'heure. Génial. Il ne manquerait plus que je rate le départ. Je regarde l'heure. Ce que je n'aurais pas dû faire : il me reste une minute pour retrouver ma route et la fusée.
Je jette avec frustration mon gobelet vide dans la poubelle à l'effigie du café. Si je savais relativiser je dirais qu'au moins je n'ai pas a cherché de poubelle : mais encore une fois ce n'est pas mon style. Je préfère dramatiser pour le moment. Parce que franchement je ne vois pas ce qu'il y a de bien à ce moment précis. J'ai beau réfléchir, les sens en alertes, je ne sais pas quel chemin emprunter. J'étais pourtant sûre d'être sur le bon. Comment j'ai pu me retrouver ici de nouveau ?
Il me reste 30 secondes, c'est impossible. Tout à coup la porte du Starbucks s'ouvre ce qui me pousse à reculer d'un bon mètre. Une vague de soulagement m'envahit lorsque je remarque que la personne qui en sort est un garçon qui était dans la fusée. Je vais pouvoir le suivre : discrètement, il en convient.
Je souffle comme si j'avais été en apnée tout ce temps et réalise ma mission avec succès. Il ne remarque même pas que je le suis et j'aperçois la fusée à l'horizon. Alors cette fois soit j'ai des hallucinations, soit je la vois avancer. Non ! Elle démarre. Sans moi ! Sans nous ! Ça ne leur pose pas de problème qu'il manque des passagers ?
Je vais devoir me taper un sprint en talon. Juste derrière le garçon qui me fait office de boussole. Il a dû remarquer mon ombre trop proche de la sienne puisque cette fois il se retourne et me lance un regard intrigué avec un sourcil arqué. Je hausse les épaules en guise de réponse : je n'ai pas trouvé mieux et j'ai la bouche trop sèche pour pouvoir parler.
Nous arrivons enfin à hauteur de la fusée lorsque j'entends des cris provenant de celle-ci. Et je reconnais cette voix.
‒ Arrêtez-vous, bordel ! Il manque une personne à bord ! Il manque Laurène je vous dis !
Et c'est la même voix qui a clamé un peu plus tôt qu'elle n'était pas lesbienne et pourtant sur ce même ton, cette fois ça me fait l'effet inverse. Elle vient de dire ça au chauffeur avec la même rage qu'elle a déclaré ne pas être lesbienne.
Louise est différente des autres « pas lesbiennes ».
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