Chapitre 9-Louise (réécrit)

Est-ce que je suis vraiment en train de taper un scandale parce que ma nouvelle amie manque à l'appel ? Garance se tient derrière moi, cette séquence la fait marrer. Tant mieux pour elle mais moi je ne ris pas du tout. Encore moins lorsque je vois que la première personne à monter dans la fusée est Vivian, mais je me détends puisqu'il est suivi de Laurène. C'est à ce moment que je dois déclarer forfait et retourner sagement à ma place sans avoir de compte à rendre à personne. Je m'exécute, talonnée par Laurène.

Ma meilleure amie reste figée sur l'image de son ex, et je les laisse se débrouiller avec ça.

‒ Merci, murmure Laurène.

Je l'ignore. Je ne voulais pas qu'elle voit que j'ai retenu Christian pour ne pas la laisser là. Pourtant elle m'a vue ou entendue puisque j'ai crié comme une furie. Je ne voulais pas qu'elle soit témoin de mon acte de solidarité amical, parce qu'elle m'a rejetée juste avant. Qui aurait la conscience tranquille de laisser une passagère déambuler malgré elle dans une ville qu'elle ne connaît pas ?

‒ Démarrage dans 3, 2, 1, déclare Christian, agacé.

Mais je m'en fiche. Laurène est là, et c'est ce que je voulais. Je jette tout de même un œil en direction de Garance et le fleuriste pour voir s'il n'y a pas de meurtre : je n'ai aucune envie d'être témoin de ça. Notre chauffeur supplie ma meilleure amie de regagner sa place pour que l'on puisse enfin démarrer. Celle-ci n'y prête aucune attention, trop plongée dans le regard de son fleuriste, dans ses souvenirs, des parfums d'un temps révolu.

Quand est-ce que toute cette histoire va me retomber dessus ? Laissez-moi juste souffler cinq minutes. Les deux fantômes du passé restent muets : leurs lèvres restent immobiles. Je ne suis pas trop mal non plus question enquête... même si je n'arrive pas à la cheville de notre grande Garance.

Celle-ci prend les devants, et tire le pauvre Vivian jusqu'à nous. Elle reprend sa place à ma gauche et lui propose de s'assoir à sa gauche. Il faut suivre. Mais, ce n'est pas en espionnant ma meilleure amie que je vais m'échapper de ma propre vie, de ma propre histoire. En effet, si Vivian est à la gauche de Garance, Laurène est à ma droite. Et Candace a rompu avec Mathieu. OK, ça n'a aucun sens. Tout est pire que dans un premier jet. Le problème c'est que dans la réalité, on ne peut pas prendre des choses qui ne nous plaisent pas et les chiffonner pour ensuite les lancer d'un revers de la main en ratant la poubelle. Ici, la poubelle c'est un peu notre mémoire. Et peu de souvenirs passent à côté.

Et si Garance et Vivian restent muets pour le moment c'est aussi le cas pour Laurène et moi. Et c'est un peu de ma faute. Il n'y a plus qu'à regarder droit devant et attendre que le plus courageux d'entre nous brise la glace. Malheureusement, je constate qu'aucun d'entre nous n'a cette qualité puisque dix minutes plus tard nous en sommes toujours au même point et que nous n'avons fait que déglutir dans un malaise de plus en plus étouffant.

Tout à coup, le peuple est violemment réveillé par un cri perçant et aigu de Garance. Mon cœur à fait un bon et je suis sûre que celui de Laurène aussi. La glace est brisée presque autant que mes tympans. Le personnel en violet s'affole et accourt jusqu'à ma meilleure amie. Des questionnements fusent dans tous les sens. Est-ce que j'ose jeter un œil ? C'est inévitable. Je n'aurais pas dû car une vague de dégout s'empare de ma gorge. Je pardonne à Garance son cri puisque Vivian a vomi sur les chaussures de celle-ci. Le front des employés se plissent : ils auraient adoré éviter cette situation. Mais c'est trop tard. Le petit déjeuner du fleuriste est déjà dehors : et ça ne sent pas la rose si je puis me permettre. J'essaie de respirer principalement par la bouche : question de survie. Certains passagers portent une main à leur bouche, d'autres ne peuvent s'empêcher de ricaner dans leur barbe. Rien de méchant, c'est nerveux. Il faut que cette image disparaisse de mes pupilles. Je crois le regard de Laurène qui cherche aussi une échappatoire, alors on se fixe. Ça marche plutôt bien comme technique.

‒ Sérieux, tu aurais pu me dire que tu étais malade à l'arrière ! hurle Garance à cause de la panique, tandis que Clara s'affaire à nettoyer le carnage.

Laurène n'en rate pas une miette.

Vivian semble trop faible pour rouspéter trahi par son estomac. Quelles étranges retrouvailles ! Au moins avec ça, on oubliera le fait que je n'ai pas mentionné la présence du fleuriste à Garance. Tout ce qui restera dans les esprits, c'est la trace de ce vomi. Le fait que Garance s'énerve et l'absurdité de la situation fait que les yeux de Laurène rougissent et je crois que les miens aussi. Nos joues se gonflent jusqu'à ne plus pouvoir contenir ce rire qui nous chatouille la gorge.

Je sens le regard noir de Garance dans mon dos mais je me décharge de tout ce qui me fait mal au ventre. Je suis exclusivement tournée vers Laurène quand soudain une secousse nous pousse vers le fond de nos sièges : heureusement tout le monde est attaché mis à part le personnel qui se rattrape comme il le peut.

Un sursaut général s'est fait ressentir. Apparemment ce n'était rien et le trajet reprend normalement. Clara propose une nouvelle paire de chaussures à Garance qui n'a pas vraiment d'autre choix que d'accepter. Elles sont presque identiques aux anciennes.

Le nettoyage est fait et j'ai l'impression que les hostilités entre les deux anciens amoureux viennent tout juste de commencer. Le silence reprend mais une phrase me brûle les lèvres :

‒ Dis, heureusement que tu es plutôt du genre à être malade à l'avant, soufflé-je à Laurène.

Celle-ci esquisse un large sourire.

Et la fusée s'arrête. Que se passe-t-il encore ? Instinctivement mon regard va vers Christian : c'est tout de même lui qui conduit l'engin. Il a convoqué ses deux collègues. Les trois chuchotent, l'air désemparé. Des passagers rouspètent. Le personnel hésite visiblement à nous dévoiler quelque chose.

Quand soudain une annonce au micro :

‒ Mesdames et Messieurs, j'ai le privilège (on note l'ironie) de vous annoncer que la fusée est en panne.

C'est le soufflé qui s'essouffle, si je puis me permettre.

11h00, toujours lundi.

La fusée est toujours en panne. Nous sommes garés dans un parking perdu au milieu de nulle part. Aucun véhicule ne circule. Le ciel est d'un bleu clair absolument absorbant, traversé par quelques nuages blancs.

L'épisode du vomi est presque refoulé. Et les deux boulets ne parviennent toujours pas à formuler des retrouvailles, alors chacun plonge dans son téléphone. Il y a un calme général provoqué par un épuisement : ce début de journée n'est pas banal. Ce n'est pas un vulgaire lundi qu'on accable de tous les noms. En réalité je pense que nous avons tous cette peur du lundi parce qu'il signifie la routine. Le manque d'envie. Et il n'y a rien de pire que le manque d'envie : c'est un symptôme violent et virulent qui peut tuer dans les cas les plus graves.

Mais si on y réfléchit, le lundi c'est le début de quelque chose. Le début des ennuis et des cauchemars pour la plupart. Pourtant on pourrait changer les choses : parce qu'un début ça reste un début. Une toile vierge, une page blanche. Et qui nous empêche d'en faire quelque chose de bien ? La peur. C'est toujours flippant de poser les premiers mots d'un roman et pourtant j'en connais qui ont fait des œuvres d'art. En parlant de toile, je me sens prisonnière de celle qui s'affiche sur mon profil, tous ces liens qui me relient avec toutes ces filles...

Soudain une question vient me hanter de la tête au pied : est-ce qu'un coming-out est un peu comme un lundi ?

C'est vrai, tout le monde en parle dans des vidéos, dans les livres mais je me demande comment Laurène a vécu la chose. Comme un lundi ou un vendredi ? Un cauchemar ou un commencement ? Un début ou une fin ?

L'a-t-elle simplement fait ? Je ne connais rien d'elle et elle m'intrigue. Et tout le monde (Garance) sait que j'ai un fameux penchant pour les intrigues.

‒ Laurène ? Est-ce que ton coming-out a été un lundi ?

Elle plonge ses yeux dans les miens et j'ai l'impression d'être décortiquée comme une crevette, comme si elle essayait de me creuser pour me comprendre, en vain.

J'ai aussi un penchant pour la maladresse... j'oublie quelque fois que les gens ne lisent pas dans mes pensées. Ce que j'apprécie c'est que d'autres n'auraient même pas cherché à comprendre mais ce qui est inévitable c'est qu'elle se moque de moi.

‒ C'était un vendredi.

Et sans le vouloir, elle vient de répondre à ma question. Et cette réponse me convient. J'aime mieux penser que ce fut tranquille, fatiguant au début et libérateur à la fin : un peu comme un vendredi. Alors je souris, satisfaite.

‒ Donc, ça s'est bien passé ? murmuré-je.

De nouveau ce regard qui me détaille.

‒ Je ne vois pas le rapport, poursuit-elle.

Je la regarde et je regrette d'avoir lancé le sujet. En réalité je n'ai peut-être pas envie de savoir. Mais maintenant que je suis lancée...

‒ Bah, si on part du principe que tout le monde déteste le lundi et attend le vendredi, le vendredi est un bon jour... (ma théorie s'essouffle au fur et à mesure que les mots sortent) donc : ton coming-out s'est bien passé !

Je rougis à cette conclusion que je n'ai pas le droit de tirer.

Son regard s'assombrit quelques secondes, et comme si le soleil avait chassé les nuages noirs, elle éclate de rire.

‒ Ecoute Louise, si tu n'as pas envie d'entendre ma réponse, ne pose pas la question, me conseille-t-elle d'une voix calme et posée. Je vois bien que tu n'arrives même pas à formuler clairement ce que tu veux me dire alors....

Je frémis : j'aurais dû me taire.

Avant qu'un silence ne s'installe, Laurène reprend :

‒ Tout ce que tu as à savoir sur le coming-out c'est que ce n'est pas l'amour qui brise les cœurs : c'est l'ignorance.

Cette phrase me glace l'échine.

Pourquoi est-ce qu'elle me dit ça ?

‒ Et tu fais ce que tu veux de ce que je viens de te dire, me lance-t-elle. Il y a des assassins partout autour de nous. Nous en sommes peut-être nous-même. Les gens élèvent leurs petits dans la haine et l'ignorance et ils en font des méchants qui portent nos visages. Et qui nous empêchent d'avoir des enfants par peur qu'on les élève mieux sans doute.

Je sens le sarcasme et surtout l'engagement qu'elle a envers l'égalité et ça m'embaume d'une carapace de confiance. Je l'écoute avec attention. Les yeux rivés sur ses pensées, elles-mêmes matérialisées par sa voix.

‒ Tout n'est que complexe d'infériorité, finit-elle.

Je suis aussi rassurée de ne pas être la seule à faire tout un tas de théorie sur le monde. Mais j'avoue que la sienne m'a convaincue : bien plus que le théorème de Thalès et que toutes les mathématiques de la Terre. Après tout, nous sommes dans une fusée, ce n'est pas pour avoir des pensées écrasées sur un sol en goudron. C'est pour les laisser toucher les étoiles à base de rencontres inattendues.

‒ Mesdames et messieurs j'ai le devoir de vous annoncer que nous sommes encore bloqués ici une petite heure. Et le privilège de vous informer qu'un bus de secours va venir prendre le relais afin de nous assurer le meilleur trajet possible.

Des « il était temps » et des « merci » fusent.

Je me dis que pour Candace, c'est aussi lundi. Et un dimanche pour Mathieu : un chapitre s'achève. Chacun sa chronologie.

‒ Tu n'as pas répondu à mes plaintes, s'indigne Laurène.

‒ Excuse-moi, j'ai été coupée par ce mal poli de chauffeur. Bah, je vais te répondre maintenant si ce n'est pas trop tard.

Elle rit doucement et m'incite à poursuivre. Je fais mine de réfléchir, l'index sur le menton :

‒ Hm... Je dirais que tu es plutôt intelligente pour une fille sexy. Je ne savais pas que c'était compatible !

Elle m'assène un coup de coude (qui me fait mal dans les côtes mais je ne dirais rien.) Cependant le rire l'emporte et je me plie de douleur et de rire en même temps qu'elle. Avant qu'elle n'ajoute :

‒ Est-ce que tu viens de dire ... ?

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