Chapitre 7-Louise (Réécrit)
J'ai la sensation de me déconstruire de l'intérieur. Quelque chose ne va pas chez moi. Je vois bien que je suis à côté de la plaque et je ne sais même pas pourquoi. Tout à coup l'image de Candace et Mathieu se donnant la main devant la tour Eiffel m'apparait, ce qui m'inflige un énorme coup de blues : cette image n'est qu'un mensonge, tout est faux depuis les premières lignes. Depuis combien de temps je me trompe ? Comment ai-je pu plonger à ce point entre des lignes qui ne tiennent pas debout, à m'enfermer derrière celles-ci, comme les barreaux d'une prison ? Et le pire dans tout ça, c'est que je n'ai pas de dénouement. Je ne sais pas qu'elle est l'intrigue, le problème. Il faut que je me rende à l'évidence : je suis bel et bien en train d'être aussi aveugle qu'une héroïne de roman ; tout le monde comprend ce qu'il se passe sauf elle. Et bordel, qu'est-ce que ça fait mal.
J'éclate en sanglot, malgré toute la force que j'ai déployée pour ravaler mes larmes. Heureusement je suis seule sur la banquette arrière, Laurène a dû aller aux toilettes et les autres se sont dispersés dans la fusée. Il n'y a plus que Garance et moi, mais celle-ci dort encore. Du moins c'est ce que je croyais, lorsque je lève la tête et que je la vois me fixer avec des yeux tout ronds. Mon cœur bat si fort que je me sens mal. Je vois bien que mon amie attend une explication, ce qui me gêne d'autant plus : je ne sais pas ce qui m'arrive.
‒ J'ai envie de rentrer, balbutié-je, je suis fatiguée.
Garance sort un paquet de mouchoirs de son petit sac à dos, en extirpe un qu'elle agite sous mon nez avant de passer son bras autour de moi.
‒ Il s'est passé quelque chose pendant que je dormais ? tente-t-elle, inquiète.
Je fais non de la tête et sèche le dessous de mes yeux d'un revers de la main.
‒ On ne peut pas rentrer maintenant ma belle, je suis désolée de t'avoir embarquée, j'aurais dû me douter que ça ne te plairait pas ! Je te promets de faire en sorte que la journée passe vite ! se résout-elle à dire.
Tout à coup, la femme à qui j'ai essayé de faire la conversation, s'arrête face à moi. Apparemment mon état la stoppe dans son élan. Si bien que je vois un mélange étonnant dans son regard. Elle s'approche un peu plus et commence à parler sous le regard méfiant et protecteur de ma meilleure amie :
‒ Écoute ma grande, je suis désolée de t'avoir envoyée bouler tout à l'heure... tu sais quand tu m'as demandé si j'étais lesbienne ou quelque chose comme ça.
J'ai droit à un regard étonné et incompréhensif de Garance qui doit se demander si elle n'est pas encore en train de rêver. Je ne relève pas, me sachant déjà assez au fond du trou.
‒ C'est juste que j'en ai marre que les gens me prennent pour une lesbienne sans arrêt, reprend la tatouée. C'est vrai, quoi ! On n'a pas le droit d'avoir les cheveux courts quand on est hétéro ? Tout ça parce qu'on aime les hommes ? On ne juge pas la féminité à la longueur de la kératine... cheveux ou ongles. On ne juge pas tout court... et puis c'est tout !
Elle s'emporte et poursuit son discours enflammé, si bien que nous devenons assez rapidement le clou du spectacle.
‒ J'en ai marre de l'image que les gens ont de moi ! Je n'ai rien contre les lesbiennes : loin de là ! ajoute-t-elle. Mais je n'en suis pas une et le monde entier pense le contraire à cause de... de je ne sais pas quoi d'ailleurs.
Garance prend parti avec elle, ce qui me surprend, je n'attendais aucune réaction de sa part et je pensais qu'elle la traiterait de folle lorsque celle-ci aurait le dos tourné.
‒ Je suis totalement d'accord avec toi ! s'engage mon amie.
‒ Ah, tu vois ! continue la femme, en se tournant vers moi. Au fait, je ne sais pas pourquoi tu pleures mais si c'est de ma faute je m'excuse. Je suis très flattée si tu m'as abordée parce que tu voulais flirter avec moi, ou quoi que ce soit ; je sais que nous sommes tous ici pour trouver l'amour... continue-t-elle avec passion, mais ce n'est pas pour moi.
Garance tente de décortiquer la situation. Mais malgré tous ses talents de détective privé, je lis sur son visage que l'enquête n'est, pour le coup, pas une mince affaire. Nous sommes rejointes par Laurène, qui semble furieuse. Je vois des flammes jaillir de son regard. Et je ne le sens pas bien du tout.
Elle me jette d'abord un premier regard, et je sais qu'elle sonde mes émotions sur mon visage, ce qui n'est pas difficile puisqu'il y a encore la trace de mes larmes sur mes joues bien que j'ai fait mon possible avec le mouchoir.
‒ Dégage de là ! lance-t-elle à l'intention de la femme.
Son ton est froid et autoritaire. J'en aurais presque frissonné. Elle est drôlement sexy quand elle s'énerve. C'est bizarre mais c'est la seule chose que je pense à l'instant précis. Cependant mon cœur palpite. Pourquoi est-ce que Laurène fait ça ?
La tension monte.
Garance a du mal à résoudre l'équation qui s'offre à elle, tout comme moi d'ailleurs. Mon souffle se fait court et j'ai comme des fourmis dans le ventre. Je tente de respirer calmement. Je pense que c'est la fin de mon couple fait d'encre et de ratures, sans vraiment savoir pourquoi. Je sais juste que Candace a décidé de mettre fin à sa relation avec Mathieu.
Fin
Et pourtant ce n'est que le début de mon histoire.
La tension monte d'un cran.
‒ Laurène, risqué-je d'une voix indécise.
Celle-ci ne m'attribue qu'un regard qui dure une fraction de seconde. Je pense même l'avoir rêvé. La femme prend un air ahuri, prête à bondir sur Laurène, ce qui ne me plaît pas du tout. Celle-ci poursuit :
‒ Tu n'as pas honte de lui parler de cette manière sous prétexte que... je cite « tu n'es pas lesbienne » ? Tu crois que ça te rend supérieure ? C'est quoi ton problème au juste ?
Elle n'est vraiment pas arrivée au bon moment de la conversation.
Garance m'envoie des signaux qui signifient « situation critique : le monde est devenu fou. », je l'ignore pour ne pas lâcher Laurène du regard : je dois calmer la situation mais je n'ai aucune idée du fil sur lequel je dois tirer pour tout désamorcer.
La passagère s'apprête à répliquer lorsque je tire Laurène par le bras.
‒ Mais enfin, qu'est-ce qu'il se passe ? questionné-je déjà soulagée de les avoir séparées.
Elle met quelques secondes à émerger avant de réussir à articuler quelques mots :
‒ Je suis désolée... mais elle n'avait pas à te parler comme ça sous prétexte qu'elle est hétéro !
Il y a encore une pointe d'agacement et de colère dans sa voix que je ne parviens pas trop à déchiffrer. Je me doute que ça cache quelque chose, elle a dû en voir de toutes les couleurs avec ça.
‒ Elle était venue s'excuser de m'avoir mal parlé, continué-je. Elle en a marre qu'on la prenne pour une lesbienne à cause de son style !
Je vois naître des yeux ronds face à moi, ce qui m'arrache un léger sourire.
‒ Je pensais que..., poursuit-elle. Cependant je ne comprends pas pourquoi elle vient te dire tout ça ! Ça lui fait quoi que les gens pensent qu'elle soit lesbienne ? Ce n'est pas une insulte à ce que je sache ! poursuit-t-elle sur sa lancée.
Cette fois je souris franchement : c'est à mon tour de donner une leçon de morale.
‒ Tu as raison, ce n'est pas une insulte. Mais je suppose que tu n'aimes pas qu'on te pense hétéro : parce que ce n'est pas toi ! Et pourtant « être hétéro » n'est pas non plus une insulte.
Je suis impressionnée par ce que je viens de dire et Laurène aussi apparemment. Le temps semble s'arrêter, comme si nous n'avancions plus, comme si le monde autour ne défilait plus : la fusée vient de s'arrêter. Je comprends que nous sommes arrivés au premier point de rencontre : au premier arrêt. Les quelques concernés descendent et nous, nous allons attendre plus d'une heure qu'ils remontent à bord : génial. Nous ne sommes qu'au premier arrêt et il s'est déjà déroulé trop de choses ici. Que va-t-il se passer à la fin de la journée ? Que va-t-il rester de mon être ? Je n'ose même pas y penser.
Christian le chauffeur refait surface :
‒ Mesdames et Messieurs, il est actuellement huit heures trente-deux. Nous venons d'arriver à notre premier point de rencontre, comme vous pouvez le constater. Bonne chance à ceux qui vont rencontrer leur moitié et pour les autres : la patience est votre meilleure amie. Néanmoins, rien ne vous empêche de visiter la ville, tant que vous revenez à temps pour embarquer.
Le message s'arrête là et j'échange un coup d'œil complice avec Garance : on y va ! En dehors de la fusée je peux enfin souffler.
‒ La terre ferme, plaisante Garance.
‒ Je ne te le fais pas dire, dis-je en la fusillant du regard pour lui rappeler l'origine de la situation.
Ses yeux deviennent deux ronds pour simuler l'innocence. Je soupire et commence à déambuler dans les rues bordées d'immeubles avant d'apercevoir le logo Starbucks. L'originalité sera pour un autre jour, puisqu'on commande chacune un chocolat chaud. C'est l'été mais il n'y a pas de saison pour boire un chocolat chaud. On prend chacune un siège côte à côte en humant notre précieuse boisson. Comme si c'était un filtre magique pour tenirjusqu'à ce soir. Le même sentiment perdure depuis le début : cette journée est autant un drame psychologique qu'un feel-good. Je me sens bien, et très mal à la fois.
Je me demande si je dois lui parler de Vivian. Je pèse le pour et le contre mais je n'ai pas envie de ravager cette journée déjà étrange. Je n'ai pas le droit de lui cacher mais je n'ai pas le droit de lui gâcher la journée. Elle s'est donnée tant de mal pour l'organiser : j'ai beau me plaindre, je sais quand même reconnaître tout l'effort qu'elle a fourni pour tout organiser.
Elle brise le silence en deux.
‒ Alors, ça fait quoi d'être lesbienne ? me demande-t-elle pour m'énerver.
Elle ne sait vraiment pas se taire. Et je déteste ça mais elle a réussi son coup car je sens la colère monter.
Je brise le silence en quatre.
‒ Je ne suis pas lesbienne, crié-je.
Au même moment Laurène entre dans le café. Et je regrette déjà mes mots. Je n'avais pas à m'emporter. Ce n'est pas une insulte. Mais c'est trop tard, le regard de Laurène croise le mien et me fusille. J'ai l'impression de mourir sur le moment. Je suis vraiment nulle. Je vois de la contrariété dans ses yeux, parce que ce que je viens de crier est blessant et contradictoire avec ce que je lui ai dit plus tôt. Et je me suis déçue moi-même.
Qu'est-ce que je vais pouvoir lui dire ? Comment je vais me justifier sans passer pour une gourde ? Comment est-ce que je peux être crédible à ses yeux désormais ?
Je me sens mal. Vraiment mal. Garance observe la scène, aussi peu à l'aise.
‒ Et je disais ça pour rire, désolée...
Je suis sûre que même Candace est déçue et me juge encore plus que quand sa romance avec Mathieu a commencé. Je vois le vrai visage de mon héroïne désormais, et je n'ai jamais pris le temps de l'écouter. Je l'ai modifié au lieu de la prendre comme elle est. Je viens de vivre ma première leçon d'écriture.
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