Chapitre 1-Louise (Réécrit)
Ce n'est qu'en ayant la tête dans les nuages que l'on peut apprendre à viser la lune. Les pieds sur terre, on ne voit pas grand-chose. Voici mon théorème, celui que j'applique à toutes les secondes. Je suis la plus grande rêveuse de tous les temps, écrivain à mes heures perdues. C'est-à-dire H24. Mais ce ne sont pas vraiment des heures perdues. J'écris pas mal de romances, bien que je n'aie jamais été en couple. Mais j'écris quand même, et frénétiquement en plus :
« Candace venait de passer son entretien d'embauche, tremblante, peu sûre d'elle et, comme si cela ne suffisait pas, très attirée par l'homme en costume qui allait peut-être devenir son patron. Elle crut un instant, qu'il la scrutait plus qu'il n'aurait dû. Que lui aussi ressentait cette attraction. Peut-être même plus qu'elle ?
‒ Votre nom ? lui avait-il demandé d'une voix posée.
Elle avait frémi, avant de répondre :
‒ Candace.
‒ Très bien, je pense que vous connaissez déjà mon nom, mais mon prénom c'est Mathieu. Appelez-moi comme ça.
Candace ne put s'empêcher de penser que ce privilège n'était pas réservé à tout le monde. »
J'écris sur Candace et Mathieu depuis plus d'un an. Ce sont mes personnages. Certains auteurs diront qu'ils ne peuvent pas choisir entre leurs personnages car ils sont tous leurs enfants. Et on ne fait pas de différence entre les enfants. On les aime et c'est tout. Quelle mauvaise mère je ferais. J'ai une nette préférence pour Candace. Elle est puissante. Mathieu je le trouve vide et pourtant il a tous les traits du prince charmant. Pendant un an, jour après jour, j'ai mis ma plume au service de leur histoire d'amour et pourtant j'ai le sentiment que quelque chose ne va pas. Candace n'est pas heureuse, alors que j'ai écrit une fin heureuse. Cette dissonance m'est presque insupportable. Qu'est ce qui cloche ? J'ai pourtant repris les codes d'une romance classique. Je suis peut-être juste triste de quitter cet univers. Après tout c'est normal de se sentir bizarre après avoir posé le point final d'un manuscrit. J'appelle Garance pour lui dire que je viens de clôturer le premier jet. Elle tenait à être la première à le lire.
Je ferme mon fichier Word, à la fois contente d'avoir fini, à la fois agacée de ne pas avoir vraiment fini. La sonnerie retentit, mes parents sont encore au travail à cette heure-ci de l'après-midi. Je m'en vais ouvrir. La silhouette gracieuse de mon amie m'apparaît, je l'embrasse et l'invite à entrer. Ses cheveux blonds lui tombent dans le dos et ses yeux pétillent déjà à l'idée d'échanger sur mon roman.
‒ Alors, tu as fini ? siffle-t-elle, dévouée.
‒ Oui à l'instant ! Mais je pense que quelque chose cloche.
Elle rapplique aussitôt :
‒ C'est normal, sinon il n'y aurait pas d'intrigue !
Je n'ai pas envie de casser son enthousiasme, mais je sais qu'il y aura beaucoup à corriger.
‒ Tu sais très bien de quoi je veux parler, ajouté-je.
Elle roule des yeux.
‒ Allez donne-moi ton texte que je puisse me prononcer.
‒ En toute objectivité, insisté-je.
‒ Naturellement, je te l'ai promis.
Je souris puis lui apporte mon ordinateur sur lequel se trouvent mes cent trente-deux pages A4. Je ne pensais pas que cela me ferait cet effet mais mes mains sont sur le point de trembler et mon cœur s'emballe comme s'il voulait fuguer de ma poitrine. Je suis sûre que c'est ce qu'il veut.
Je stresse comme quelqu'un qui vient de se faire voler son journal intime qui renferme des secrets inavouables. Chacun pense que ce qui est honteux est inavouable. Ou c'est plutôt la honte qui empêche les mots de franchir les lèvres. Je me ressaisis en me disant que Garance n'a pas mon journal intime entre ses mains mais tout de même. C'est un peu comme si je me tenais toute nue devant elle. J'essaie de ne pas scruter son expression qui ne me semble ni bonne ni mauvaise. Je vais m'installer et plonger à corps perdu dans un bouquin avant que mes jambes ne se dérobent sous l'angoisse. Une page, deux, trois, quatre... Une bonne heure plus tard je m'apprête à entamer le chapitre où j'allais enfin savoir si ... enfin bref. Garance m'interrompt dans ma lecture.
‒ Est-ce que je dois te dire toute la vérité ?
Son ton est grave mais je ne me laisse pas démonter.
‒ Rien que la vérité.
Mon cerveau est en ébullition, je me pose tout un tas de questions : qu'a-t-elle pensé des personnages ? Combien de pages a-t-elle lues ? Garance gonfle sa poitrine avant de retenir son souffle et de tout relâcher dans un soupir. J'ai envie de lui épargner le moment de me dire que je dois tout recommencer de zéro mais elle me devance.
‒ Ce n'est pas crédible. La romance entre Mathieu et Candace n'est pas crédible.
‒ Qu'est ce qui n'est pas crédible ? demandé-je, dépossédée.
Elle m'adresse un regard avant que ses pupilles ne se fixent à nouveau sur l'écran de mon ordinateur. Elle suit les mots avec son index et s'arrête à l'endroit souhaité.
‒ Mathieu, il ne me semble pas... Il est très efféminé je crois. Et puis la romance nait beaucoup trop rapidement, analyse-t-elle en faisant défiler le curseur.
‒ Il y a des hétéros efféminés.
‒ Louise ! Mathieu s'intéresse à son meilleur ami beaucoup plus qu'à Candace !
J'écoute.
Elle a raison, je n'y connais rien.
Soudain je me sens trahie par mes personnages.
Le film qui se déroulait dans ma tête n'était qu'une illusion.
Elle poursuit :
‒ J'ai le sentiment que c'est un peu vide, que les personnages manquent de naturel. C'est un peu cliché. Je suis désolée Louise. Mais ce n'est que mon avis, essaie de le faire lire à quelqu'un d'autre, me dit-elle en posant sa main sur mon épaule.
‒ Non, je sais que tu as raison. Je ne connais rien à la romance. Je me disais qu'avec Mathieu et Candace j'apprendrais quelque chose. Qu'ils m'apprendraient quelque chose. Que Candace me montrerait à quel point c'est génial d'être avec un homme mais, même elle, n'est pas heureuse, plaidé-je.
‒ Peut-être que Candace ne cherche pas à être avec un homme, rétorque mon amie.
Je ne sais pas où elle veut en venir mais je ne relève pas et soupire. Tout d'un coup je ne sais plus quoi faire de toutes ces pages, de tous ces mots et je me rends compte que pendant des mois ils ont sonné faux dans ma tête.
Garance regarde l'écran, puis me regarde. Son visage s'illumine.
‒ J'ai une idée !
C'est la phrase qui redonne espoir quand il fait noir, mais encore faut-il qu'elle soit bonne.
‒ Laquelle ? demandé-je.
‒ On va t'inscrire sur la nouvelle application de rencontre ! Tu rencontreras quelqu'un, tu vivras la plus belle histoire du monde et tu pourras écrire une romance crédible !
Non, non et non !
Mon manuscrit est bon à brûler, mes personnages sont dépourvus de toute parcelle de réalisme et leur histoire d'amour ne vaut pas un clou. Je sens la colère monter. Quand est-ce que j'ai commencé à écrire une telle absurdité ? J'aurais mieux fait de tuer mes personnages dès les premières lignes avant d'écrire éperdument. Le pire c'est que je pensais tenir la romance de l'année. N'importe quoi ! Sur le moment j'envisage de tout arrêter. Et cette pensée est encore plus absurde que les répliques de Candace et Mathieu parce qu'au fond de moi je sais très bien que je ne peux pas arrêter d'écrire. Ce n'est pas possible ! C'est ma seule bouffée d'oxygène. Je pourrais très bien continuer à noircir le papier pour moi-même sans jamais le faire lire à personne. Mais non, non et non ! Ce que je veux, c'est partager. Je dois me rendre à l'évidence : il faut faire comme tout le monde. Et c'est comme ça que je me retrouve face à la page de téléchargement de GRAVITATION.
En téléchargeant GRAVITATION, c'est un véritable univers qui s'offre à vous. En effet, à l'aide de quelques clics et d'une technologie de reconnaissance faciale, nous allons vous créer un système solaire sur mesure.
Je clique sur « en savoir plus » pour que la suite des explications apparaisse sur mon écran de téléphone afin de poursuivre ma lecture :
Un système solaire est une liste de personnes compatibles avec vous. Plus la compatibilité est élevée, plus le lien qui vous unit virtuellement sera visible.
Je relève la tête en m'adressant à mon amie.
‒ On nage en plein délire !
Elle roule des yeux, exaspérée.
‒ S'il te plaît Louise, ne me dit pas que tu n'as pas entendu parler de cette application.
Je soutiens son regard.
‒ D'accord, alors il faut absolument rectifier ça ! Ne t'inquiète pas, je suis là maintenant. Je vais t'expliquer chaque étape qui te conduira au grand amour, tente-t-elle de me convaincre.
Cette fois c'est moi qui lève les yeux au ciel. J'ai l'impression que je ne peux plus faire marche arrière. Mais quelque chose en moi me pousse à continuer : et si j'étais l'héroïne de l'histoire pour une fois ? Je divague. De toute façon, télécharger cette fichue application ne m'engagera à rien. Je pourrai la désinstaller à tout moment.
‒ Alors, une fois que c'est fait, tu peux commencer à créer ton profil.
Su-per.
Elle poursuit :
Il faut commencer par prendre ta photo.
Elle pianote sur l'écran, et me regarde, attentivement.
‒ Quoi ?
‒ Regard droit, yeux ouverts. Je te dirais bien de faire ton plus beau sourire, mais il est écrit qu'il ne faut pas. Bon, je vais activer la reconnaissance faciale !
Je m'exécute en plaçant mon image dans le cadre adapté sur l'écran de mon téléphone, en espérant que ça ne ressemble pas trop à une grimace de désespoir. Un flash surgit de l'appareil. Comme pour une photo banale. Je n'ai pas l'impression d'être passée au scanner. Est-ce que cette application va lire sur mon visage comme on lirait dans les lignes d'une main ? Je reste perplexe.
‒ Parfait ! lance-t-elle.
En effet, je vois apparaître mon visage, sur lequel on devine un sourire, avec mes yeux bleus et mes cheveux blonds qui frôlent mes épaules. Mon portrait apparaît désormais dans une petite bulle en haut à gauche, surplombant un questionnaire barbant qui est, sans trop de surprise, l'étape suivante de mon inscription. J'ai de la chance je n'ai même pas besoin de lire : Garance se charge de faire la voix automatique.
‒ Nom ?
Comme si elle ne savait pas, je joue le jeu :
‒ Orner.
Elle tapote.
‒ Prénom ?
Est-ce que je suis vraiment en train de faire ce que je suis en train de faire ?
‒ Louise...
Elle continue :
‒ Âge ?
‒ C'est trop personnel, rétorqué-je avec mauvaise volonté.
‒ Dix-neuf, poursuit-elle.
‒ Tu peux remplir le formulaire sans moi tant que tu y es.
Elle soupire.
‒ Fais un effort Louise, commence par ne pas appeler ça « un formulaire » ! On dirait que tu parles d'une inscription pour une école que tu n'aimes pas.
J'admets que je m'en fous totalement. Elle répond qu'elle n'en croit pas un mot et je finis par avouer, à moitié, qu'elle a peut-être raison. J'esquisse un sourire, elle me rend la pareille.
‒ Et voilà ! lance-t-elle dans la foulée.
‒ C'est tout ? m'étonné-je. Je pensais que ce serait pire. Il n'y a pas d'autres questions ?
‒ Non, la nouvelle technologie de reconnaissance faciale fait le reste !
C'est sympa comme truc.
‒ Attention ça charge ! Nous allons découvrir les personnes compatibles avec toi en un seul clic ! Ce n'est pas génial ça ?
J'ai un mouvement de recul. J'avoue que ça me fait un peu flipper.
‒ Ce n'est pas un peu violent ? protesté-je.
J'ai le droit à une face perplexe mais je ne vais pas rester là sans rien dire.
‒ L'aventure d'une vie c'est de rencontrer le grand amour, au détour d'un chemin, par une coïncidence, une maladresse... Alors que là, c'est servi tout prêt sur un plateau ! On fait quoi après ? demandé-je.
Je t'assure que tu as vraiment besoin de t'inscrire et de rencontrer des gens qui ne sont pas tes personnages !
Elle n'a pas tort même si ça me fait mal de me l'avouer.
‒ Avoir des personnages c'est avoir des amants.
Elle ne répond pas à ça. J'aurais fait pareil.
L'écran affiche « chargement en cours ». Je commence à m'inquiéter. Sur quels genres de profils vais-je tomber ? Et si ça ne correspondait pas du tout à ce que je m'imagine ? Vais-je les trouver beaux ? Oui, ce n'est pas le seul critère, mais puisqu'on parle d'images sur un écran...
Je dois faire part de mon angoisse à Garance.
‒ Et si je ne les trouvais pas beaux ?
Elle pousse un hoquet de... surprise.
‒ Qu'est-ce qu'il y a ?
‒ Ça, je t'assure que tu ne risques pas de les trouver beaux, m'annonce-t-elle en tentant de garder une contenance.
A tous les coups je suis tombée sur des vieux pervers. Je veux vérifier par moi-même, hésitante. Je me surprends à avoir les mains moites.
Effectivement, il y a des liens roses, plus ou moins foncés, qui relient des bulles contenant les photos de profils des personnes compatibles entre elles. C'est une véritable toile, avec des liens qui partent dans tous les sens, un peu partout en France. Mais surtout, il n'y a que des femmes. Je n'étais vraiment pas préparée à ça !
‒ Ce doit être un bug. C'est top pour une application super à la mode, il y a du niveau, ironisé-je.
On relance le chargement. Il faut attendre de nouveau.
‒ Je suis désolée Louise, on n'aurait pas dû l'apprendre de cette manière, j'ai précipité les choses, excuse-moi...
Je peine encore à parler, comme si j'avais la voix engourdie :
‒ De quoi tu parles ? Je ne suis pas...
L'écran affiche un nouveau résultat : le même.
‒ Je ne suis pas lesbienne, insisté-je.
***
Hey comment ça va ? Pour célébrer le pride month et le relancement de other girls en auto édition prévu bientôt, j'ai décidé de vous poster la rééecriture (un chapitre par jour).
Vos avis sont toujours les bienvenus ! Je peux toujours améliorer mon récit !
Bonne lecture,
Solène T.B.
Attention : lorsque OTHER GIRLS ressortira en auto-édition je dépublierai les derniers chapitres :)
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