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(Johan) 

Depuis ce matin, je ronge mon frein. Ma façon d’agir  face à ce jeune homme et vis à vis de deux de mes employés n’est pas digne d'un patron. Mon oncle est dans le vrai, j’ai envie d’être celui qui dirigera cette société mais je suis très loin d’en avoir l’étoffe. 

Je sais que Guillaume et Jean font leur pause dans ce qui ressemble le plus à une cafétéria.  Aucun souci à ce sujet, elle est là  pour cela. L’intercepter alors qu'il repart vers son poste de travail va me permettre de lui parler.  Il donne des consignes orales à Jean et me suit sans tarder.

— Entrez, Guillaume ! J’ai quelques petites choses à préciser, je ne vais pas vous déranger longtemps.

— A propos de l’arrivée du nouvel employé ? Il est plutôt dégourdi et, malgré le parachutage, semble s’adapter vite. J’aurais préféré être averti même par un email afin de préparer un peu ce premier contact.

— J’aurais voulu avoir la possibilité de le faire aussi mais j’en ai été informé hier soir. Ma première rencontre avec ce jeune homme date de ce matin. 

— Une nouvelle mise en situation ? 

— On peut le voir ainsi. Monsieur Mirade n’a aucune qualification pour le poste. Le défi que me pose mon oncle est de le former. 

Aucune réaction à part une grimace, Guillaume fait partie des quelques employés qui ont vécu la période où mon oncle était le patron. Très brève, soit, mais intense. Après le rejet de ma famille incapable d’envisager une quelconque association avec un enfant tel que moi, mon oncle m’avait ouvert sa porte. Ces mots étaient clairs, il se moquait royalement de mes orientations sexuelles tant que je ne les exposais pas à la vue de tous. En dehors de ma mère, j'étais la seule famille qui lui restait. Il n’envisageait pas de rester à la tête de son entreprise. Sa proposition était on ne peut plus limpide. Mes études, mon logement, il payerait tout. En échange, il se chargeait de ma formation. Cette succursale serait sous ma direction dès qu’il m’en estimerait capable. Je touchais le but, Colin était la dernière marche et j’avais nullement envie de trébucher si près du but. 

— De votre bureau et en gérant l’entreprise ? Où avez-vous caché votre cape de super héros ? 

— Je veux relever ce défi, Guillaume. Voulez vous, une fois de plus, m'y aider ?

— Question stupide si je peux me permettre. Toute mon équipe et moi allons faire notre maximum. 

Il ne nous restait plus qu'une question à résoudre et ce n’était pas si simple : organiser mon emploi du temps. Pour cela, un seul moyen à ma disposition. J’étais persuadé que mon oncle attendait cet appel.  

— C’est bien la première fois que tu ne passes pas par ma secrétaire.

— Cela nous concerne tous les deux.

— Isabelle ne divulguerai jamais d'informations à qui que ce soit. J’attendais avec impatience ton avis sur ce jeune homme.

— Pas si jeune que cela. Il a d’ailleurs été surpris en me découvrant mais je présume que cela était voulu. 

— Signaler que tu n’étais pas tellement plus âgé que lui aurait été maladroit. A-t-il été insolent ? 

— Pas du tout. Lui avais-tu parlé de l’entreprise ? 

— Tu aurais préféré ? 

— Et t’empêcher de jouer avec lui ? Il a réagi comme tu l'espérais, je pense. Sa curiosité faisait briller ses yeux. Tout ce que tu aimes, non ? 

—Fais-tu mon procès Johan ?  

— Pas le moins du monde. C’est ta façon d’agir. Titiller pour repérer les réactions, les stimuler pour découvrir les atouts et surtout les défauts. 

La liaison en visio ne lui permet pas de dissimuler ses réactions. Son menton dans la main droite, les yeux brillants de malice, il ne me lâche pas des yeux. Il sait que contrairement à d’autres je ne pratique pas la flatterie. Il aime que je ne courbe pas l'échine tout en le respectant.

— Quel est ta demande ? 

— Je suis réaliste. Si le but est de faire mes preuves en tant que futur chef d’entreprise, tu vas devoir desserrer le collier. 

— J’aime quand tu deviens incisif. Un chef d’entreprise se doit de savoir mordre et aussi caresser dans le sens du poil. Je t’ai proposé de t’envoyer de l’aide, ne te gêne pas. Juste une précision et elle est irrévocable. Tu es celui qui forme. Pas Guillaume ou un autre de l’équipe. Eux sont là  pour lui expliquer comment faire le travail. Toi, tu dois le persuader que tu es son patron. N’hésite pas à me poser des questions, à chercher à laisser ta propre façon de faire. Sers-toi du modèle pour créer ta propre entreprise. Tu ne serais pas là si je ne croyais pas en toi. 

Comme à chaque fois, j’hésite. A-t-il raison de me faire confiance ? Est-ce que je mérite celle-ci ? 

— J’espère que tu ne mises pas sur le mauvais cheval, dis je avant de raccrocher. 

Comment vais je m’organiser afin de gérer mon rôle de chef d’entreprise et la formation de Colin. En quoi mon oncle pense-t-il que je puisse être plus utile que Guillaume dans cette formation ? 

Je n’ai pas le temps nécessaire pour me pencher plus sur la question. La pile de papiers à consulter, les mails à traiter, tout le travail que je gère habituellement le matin n’a quasiment pas été commencé. L’essentiel doit être bouclé à présent et le reste va empièter sur mon temps de sommeil

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