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             Johan

Je déteste lorsqu'il fait cela. Il est parfois si prévisible que ça en est risible. Je prends deux grandes respirations afin de garder mon calme et je me dirige vers les bureaux. 

— Bonjour Isabelle, dis-je poliment. Mon oncle m’attend…

— Bonjour Johan. Il est dans le petit salon. 

Je remercie d'un mouvement de tête, avance dans le couloir. Rien de très original. Même si je suis le manager, je ne possède pas mon propre bureau. J’ai encore en mémoire les explications que mon oncle m’a données.

— Toi comme moi savons pertinemment que tu seras le patron de cette succursale, Johan. Notre nom est différent mais, à notre époque, n’importe qui peut trouver que ta mère était ma sœur. Il ne me semble pas malin de donner l’impression à l’ensemble des employés sous tes ordres que l’affaire est déjà réglée. 

— Il me semblait que ce sujet était clos. J’accepterai ce poste lorsque j’aurai l’intime conviction que j’en suis capable. C’est ainsi que mes parents m’ont éduqué.

Aucune réaction de sa part. Mon oncle est le grand patron, je ne lui reproche pas. Mais je ne changerais pas d'avis. Je ne serai pas son employé toute ma vie. 

Debout, près de la baie vitrée, dos à moi, il attend. Cela fait aussi partie de sa façon de me démontrer encore et encore qu'il est Le patron. Je pourrais refuser d'entrer dans son jeu. Il adorerais, je crois, me remettre à ma place. Je préfère de loin jouer le neveu docile. 

— Bonjour. 

— Bonjour Johan. J’espère que mon mail ne va pas chambouler ton emploi du temps.

Le petit sourire au coin des lèvres dit exactement l’opposé. Il espère que cela va me déstabiliser. 

— Les équipes sont en place et je présume que tu ne vas pas me retenir longtemps. 

— En effet. J’aurais tout aussi bien pû t’envoyer un mail mais je n'étais pas très loin. 

Et tu mourrais d’envie de voir ma réaction concernant ta nouvelle idée, ne puis-je m’empêcher de penser.

— J’ai signé un contrat d’embauche pour un nouvel employé.

— Quoi ? Je n’ai même plus la possibilité de donner un avis concernant des embauches dans l’entreprise que je suis censé diriger.

— Il m’a été recommandé par une personne de confiance. Et après l’entretien que j’ai eu avec lui, je lui ai proposé une place. 

C’était une première. Mon envie de tirer une bonne fois pour toute ma révérence était très très forte. 

— Et donc, je suppose que tu souhaites avoir un compte rendu sur les actions à venir de ton “poulain”? 

— Mauvaise supposition, Johan. Si je ne t’estimais pas capable de devenir le patron un jour, je ne te mettrais au défi de rien. Tes capacités à commander, diriger sont bien réelles, je suis fier de toi. Ce nouvel employé, j’aimerai que tu le formes, toi. 

Mon silence ne lui plait visiblement pas. 

— Ne vois surtout pas cela comme un piège que je te tends. C’est tout le contraire. Notre entreprise repose sur l’achat par correspondance. C’est un secteur qui semble facile à gérer mais il s'appuie essentiellement sur une équipe  qui doit être au top. Ce nouvel employé va être le premier membre de cette équipe. A toi de le former.

— N’y-a- t-il pas des écoles pour cela ? demandé-je avec, je l’admets  une certaine moquerie. 

— C’est sensiblement la même question que j’ai posée à l’homme à qui j’ai acheté l’entreprise. 

— Et quelle a été sa réponse ? 

— Que l’école était un moyen mais qu’apprendre au sein de l’entreprise était la plus efficace des méthodes.

— Et vous me pensez capable de cela ? 

— C’est ce que je désire savoir justement. Je sais aussi que cela va te prendre du temps qui pourrait te pénaliser. Il n’est pas question de mettre la boîte en péril. Il m’est possible de t’envoyer des hommes et des femmes pour t’aider mais la priorité reste cette formation. Je suis convaincu que tu t’en sortiras très bien.

— As-tu la même confiance dans cet employé ? 

— L’entretien que j’ai eu avec lui m’en a donné l’impression oui. 

Isabelle a tous les papiers nécessaires. Au travail Johan 

Ces derniers mots signifient que la réunion est finie. Il m'exaspère mais, une fois de plus, je sais qu'il a raison. La clientèle qui utilise la vente par correspondance est exigeante. Il est nécessaire de maîtriser à la perfection tout le processus afin de la satisfaire au mieux. 

Il me tarde à présent de rencontrer ce nouvel employé. J’imagine qu'il appartient à une famille tout à fait respectable qui a vu dans cette embauche un moyen de se rapprocher de mon oncle. Rien de très original. Me concernant, ce genre de passe-droit n’ existeront pas lorsque je dirigerais. Je préfère miser sur les qualités de la personne que sur son nom ou son patrimoine. Isabelle, prête à suivre mon oncle vers son prochain rendez-vous , me glisse le dossier.

—Je n’ai rien de plus que ces quelques pages. Pas même une photo. S’il ne se présente pas à l’heure convenue, laissez-moi un message sur mon portable. Votre oncle part  demain aux Etats-unis pour quelques jours. Bonne fin de journée, Johan.

Une fois de plus, je pourrais m’énerver de ces méthodes mais je dois reconnaître qu’elles sont d'une efficacité redoutable.

Ma première expérience a été catastrophique. Je sais à présent que foncer ne sert à rien. Réfléchir avant est le moyen le plus efficace pour réussir. 

Je m'attendais à devoir lire, comme d'habitude, des pages entières de dossier. Et si pour une fois, j'en profitais pour prendre un peu de temps pour moi. Sortir, boire un verre ou deux  dans un bar et peut-être qui sait finir la soirée dans un hôtel. 

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