(Colin) 

— Ce n’est pas cela qui était prévu.

— Je sais mais d'un autre côté, tu n'auras que lui à gérer. Moins épuisant, tu en conviendras, que de devoir regarder un peu partout pour repérer celui ou ceux qui veulent provoquer des bagarres. 

—Et tu me crois capable de gérer ? J'ai l'impression que tu me penses largement plus compétent que je ne le suis. Mon nouveau boulot m'épuise… 

—Ne me fait pas faux bond, Colin. La Pride est dans un peu plus de quinze jours, il va m'être impossible de te trouver un remplaçant. Le gars en question ne va pas chercher d'embrouilles. Il a eu une mauvaise expérience et aimerait passer au dessus de ses angoisses. Je pense sérieusement que tu es capable de l'aider. 

Tom sait trouver les mots mais je suis beaucoup moins certain que lui de mes capacités.

— J’ai une exigence afin d’accepter et elle est irrévocable. Il doit écouter mes ordres. Si je vois qu'il faut s’écarter, il doit m’écouter, point à la ligne.

- Je ne pense pas que cela pose de problèmes. Je te tiens au courant très vite. 

Tom sait pertinemment que je ne vais pas le laisser tomber. Parce que, même si je ne me sens pas toujours à l’aise au milieu d'une Pride,  j’ai toujours fait mon possible pour y participer le plus souvent possible. 

 Enfin, en toute honnêteté,  sans Tom, je n’aurais sûrement jamais franchi cette étape. Nous nous sommes rencontrés dans une association d’aide alimentaire. Est-ce le fameux gaydar que l’on nous attribue à toutes les sauces, aucune idée. Mais, après la distribution, nous nous sommes retrouvés dehors pour discuter. Plus âgé  que moi de quelques années, le même parcours chaotique que le mien et de pas mal de jeunes homos rejetés par leur famille. Son aide, ses conseils et ses nombreuses connaissances m’ont permis assez vite de trouver des petits emplois. Son invitation à participer à la Pride m’avait prise de court. Après des années à dissimuler qui j'étais, je ne me sentais pas légitime à me mettre à nu en quelque sorte. Ses mots m’avaient marqué. 

Tu ne vas quand même pas te cacher toute ta vie. Tu aimes les hommes. Une grande partie de ceux qui sont dans ce défilé sont comme toi. Sois fier de qui tu es. Continuer de se cacher c’est accepter le rejet de ta famille.

Tous les ans, Tom s’ occupe avec son équipe de la sécurité du défilé. Mon travail de déménageur avait rarement été compatible avec les heures du défilé. Mais ce n’était plus le cas. L’idée d’aider ce mec à franchir cette étape me plaisait bien tout compte fait. 

Au boulot, la méthode de Guillaume fonctionne plutôt bien. Les premiers jours, sentir leurs regards m’espionner me mettait plutôt mal à l’aise. Puis, ou c’était moins fréquent, ou je n’y faisais plus attention. Il était possible aussi que, de moi-même, je fasse en sorte de ne pas franchir la ligne où mon attention perdait pied. 

Il m’est arrivé d'apercevoir Johan comme l’appellent Jean et Guillaume mais il n'avait plus franchi la porte du dépôt. Avait-il abandonné le défi fixé par son oncle ? 

Un coup d'œil à l'horloge murale, la fin de la journée arrive à grand pas. Avant de rentrer à la maison, je dois retrouver Tom dans un bar pas loin de la maison. 

— Veux-tu nous tenir compagnie ? me demande Guillaume en montrant la direction du café de l’autre fois. 

—Désolé mais je dois retrouver un ami. Une autre fois, peut-être! 

- Aucun souci. Bon week-end Colin.

Tom m’attend devant mon immeuble. 

— Tu sais que j’aurais pu prendre le bus. 

—Je sais. J’ai omis de façon tout à fait volontaire de t’ informer de quelque chose.

—Tu abuses, Tom, soupiré-je. Veux-tu vraiment que je regrette d’être venu dès  la première fois ? Si ce mec est à ce point angoissé, il est peut être plus raisonnable qu'il attende une année supplémentaire. 

— C’est logique quand même qu'il soit stressé, non ?  Je pense que découvrir ton calme et ton gabarit va l’aider à prendre sa décision. Si toi comme moi avons le moindre doute, je serais honnête avec lui. 

(Johan )

L’idée de Hervé ne m’enchante pas vraiment mais je sais qu'il agit ainsi afin de me rassurer.  

— Je fais mon maximum, tu as vu, plaisante-t-il. Je te propose un garde du corps rien que pour toi. Tom est le responsable sécurité de la Pride depuis presque 4 ans à présent. Je lui ai expliqué ta situation. Afin de te rassurer, il m’a proposé cette rencontre. L’homme auquel il a pensé sera présent lui aussi. Cela vous sera plus facile de discuter de ce qu'il est possible d’envisager.

— Il va se faire une magnifique image de moi, le garde du corps !

— Arrête de dire n'importe quoi. Ta raison d'être effrayé est tout à fait valable. J’ai moi-même encore des images en tête. Si cet homme se permet de se moquer de toi, je vais vite le remettre à sa place, sois-en sûr !  Nous sommes arrivés. Regarde, ils sont tous les deux devant le portail. Tom est le plus grand des deux. Quoique ton futur garde du corps n’est pas manchot non plus. Allons les rejoindre.

Je me permets de les regarder discrètement en fermant mon blouson. Hervé a raison, ils ont, l’un et l’autre, un corps bien charpenté. Hervé se tourne vers moi, sûrement étonné que je ne les rejoigne pas. Les deux hommes font la même chose ce qui me permet de mieux distinguer leur visage. 

— Colin ?