Pour une nuance
Arrivé à la maison accompagné de mon entraîneur, je m'écroulai sur mon lit, épuisé. Cette journée était sûrement l'une des plus belles de ma vie. J'ai patiné comme un dieu, et j'ai pulvérisé le record du monde, jusque là détenu par mon coach lui-même! Et pourtant... Pourtant impossible de me réjouir. La médaille d'or m'a échappé d'un rien, et tout ce que j'aurais pu avoir avec n'est plus qu'un lointain souvenir. Vous allez sûrement me dire que ce n'est pas grave, que la médaille d'argent c'est déjà incroyable! Et je ne pourrai pas le nier, parce qu'au fond vous avez raison. Mais cette médaille, étincelante et ronde, ce ruban éclatant... tout cela me paraîssait si terne. Cette breloque qui devrait attester d'une performance extraordinaire, m'apparaît comme le symbole de mon échec. Sans ce précieux sésame qu'était l'or, je ne trouverai jamais le chemin vers son cœur...
Depuis tout petit, mon unique but a toujours été de lui ressembler. Lui, mon coach, Viktor Nikiforov. Bien sûr, la glace fait partie intégrante de ma vie depuis la première fois où j'ai chaussé mes patins, mais, contrairement aux autres enfants, je ne recherchais pas une sensation de vitesse, mais une plénitude, un bien-être que seule la danse pouvait m'apporter.
Chaque seconde passée sur cette couche gelée était employée à reproduire à la perfection ses mouvements. Ce ne fût pas facile. Je ne comptais plus le nombre de fois où mon nez avait rencontré la glace. Mais à force de persévérer, mes chutes se firent moins régulières, et je pus enfin tenter des figures plus complexes. Sous l'œil attentif de ma meilleure amie et de ses insupportables triplés de frères, je progressais et gagnais en technique, en grâce. Je participai même à des championnats nationaux! Mais je jouais de malchance. Des chutes, et encore des chutes, à n'en plus finir. Plusieurs fois j'ai échoué à cause d'elles. Plusieurs fois j'ai pleuré de rage et de désespoir, insultant le ciel de me faire subir toutes ces humiliations, avant de me venger sur le porc pané de ma mère.
Échec après échec, désillusion après désillusion, je me retrouvais naturellement sur la glace, évacuant ma frustration en patinant encore et encore. Tant et si bien qu'un jour, je finis par réussir à reproduire une de ses chorégraphies. Je ne le savais pas à ce moment-là, mais ma vie venait de basculer. Ma meilleure amie m'avait filmé. Quelques jours plus tard, Viktor Nikiforov, mon idole de toujours, mettait en pause sa carrière et devenait mon coach. Je vivais un rêve. Et en y réfléchissant bien, c'est grâce à mes échecs que j'en suis là, à contempler tristement une médaille argentée. Il y a un an, si quelqu'un m'avait dit que je finirais vice-champion du monde de patinage artistique, je lui aurais probablement ri au nez. C'est pourtant ce que je suis. Et je n'arrive pas à m'en contenter.
Je contemplais mon plafond, le regard vide, le cœur serré. Viktor... Je l'ai déçu, j'en suis sûr. Ses derniers mots tournaient en boucle dans ma tête. Ce n'est pas de l'or, ce n'est pas de l'or... Je soupirai. Excuse-moi Viktor... Tu n'aurais jamais dû arrêter ta carrière pour moi, je ne suis qu'un échec ambulant, je n'en valais pas la peine.
Une odeur délicieuse me coupa brusquement dans mes pensées. Mon estomac se mit à gargouiller furieusement, ayant lui aussi reconnu cet arôme divin. Maman avait fait du porc pâné.
Ragaillardi, je sautai sur mes pieds et dévalai en courant les escaliers.
- Ah, Yuri! Tu tombes bien j'allais appeler à table, me sourit ma mère, un plat fumant entre ses mains.
Je trépignais d'impatience, dévorant le plat des yeux.
- Maman t'es vraiment la meilleure, dis-je la bave aux lèvres.
- Ne dis pas de bêtises mon poussin, rigola-t-elle avec un gentil sourire.
Je m'installai sur le tapis de sol et regardai ma mère remplir mon assiette avec des yeux brillants.
- Bon appétit mon chéri, dit-elle en se servant à son tour.
- Bon appétit M'man, répondis-je en me jetant sur mon plat.
Il ne me fallut pas longtemps pour engloutir le contenu de mon assiette. La bouche encore pleine, je lorgnai sur le dernier morceau, qui attendait sagement dans le plat.
- Il est pour qui le dernier M'man?
- Pas pour toi mon poussin.
Je pris un air tout triste. Quelle torture que de devoir céder ce met délicieux! Mon estomac exprima bruyamment son mécontentement. Ma mère rit et déposa le morceau de porc dans une assiette propre.
- Tu te vengeras sur le dessert Yuri... Celui-ci est pour ton coach. Tu veux bien aller lui porter s'il te plaît?
- Euh... oui bien sûr, bafouillai-je, pris au dépourvu. Il est...
- En train de se baigner dans l'onsen mon poussin.
Ma bouche s'ouvrit et le rouge me monta aux joues. Une image plus qu'excitante de mon coach venait d'apparaître dans mon esprit.
- Yuri? s'inquiéta ma mère, ne me voyant plus bouger.
- Oh euh... oui! Apporter l'assiette à Viktor. Dans l'onsen. Compris!
Je saisis maladroitement l'assiette et partis rapidement, le cœur tambourinant dans ma poitrine. Mon dieu et s'il était... Je m'arrêtai à la porte des bains, écarlate. Je soufflai.
- Respire Yuri, respire...
Une main sur la poignée, j'entrouvris la porte.
- Viktor? Je peux entrer? demandai-je timidement.
- Oui, entre Yuri!
Je frissonnai des pieds à la tête. Sa voix...
Je poussais doucement la porte et m'introduisis dans la pièce embuée.
Viktor était debout au milieu du bassin et me regardait avec un sourire bienveillant. Je mordis ma lèvre en remarquant sa nudité. Merci la buée, pensai-je en rougissant. Je n'osais imaginer ma réaction si j'avais pu le voir plus en détails. Je me représentais déjà son torse imberbe est parfaitement sculpté, la forme de ses hanches...
- Yuri?
Je sursautai. Yuri, on se recentre, m'ordonnai-je mentalement. Pense porc pané. Je pris une grande inspiration et m'avançai vers le bord du bassin en m'accrochant fermement à l'assiette de viande.
- Je suis venu t'apporter ça, dis-je, bégayant légèrement. Ma mère a pensé que ça te ferait plaisir.
- C'est très aimable de sa part, dit-il avec un sourire.
Il s'approcha du bord et je lui tendis l'assiette.
- Merci beaucoup, Yuri, souffla-t-il en plongeant son regard océan dans le mien. Un frisson me parcourut l'échine. Je lâchai l'assiette en tremblant et m'écartai.
- Je vais y aller, bégayai-je. Bonne soirée.
Je fis demi-tour, les joues écarlates.
- Yuri!
Je me stoppai net.
- Reste avec moi.
Je me retournai à nouveau et le regardai d'un air interrogateur. J'espère qu'il ne voit pas la couleur de mes joues, priai-je silencieusement.
- Je déteste me baigner seul.
Il me sourit et disparut dans la vapeur, l'eau clapotant dans son sillage.
- Tu viens?
Je sentais son sourire dans sa voix.
- Dans l'eau? questionnai-je, le visage brûlant. J'étais sûrement une cocotte-minute dans une autre vie...
- À ton avis? dit-il en riant gentiment.
- Mais... ma mère m'attend pour le dessert...
- Si ce n'est que cela...
Des vaguelettes me lèchèrent les orteils. Qu'est-ce que... Il va sortir?!
Il apparut dans un nuage de vapeur et récupéra sa serviette sur le bord de l'onsen, avant de sortir de l'eau devant moi. Nu.
- Viktor! bégayai-je, alarmé. Qu'est-ce que tu fais?
- Je vais la prévenir de te laisser du dessert de côté pourquoi?
- Mais tu ne peux pas y aller comme ça! paniquai-je. J'avais toutes les peines du monde à ne pas baisser mes yeux.
Il enroula sa serviette autour de sa taille en me souriant d'un air espiègle. Je poussai un soupir de soulagement.
- Et là je peux?
Je levai les yeux au ciel et acquiesçai, vaincu.
- Merci général Yuri, s'exclama-t-il en faisant un salut militaire. Puis il sortit de la pièce, ses longs cheveux trempés dégoulinant le long de son dos.
*
- Katsuki-san?
- Viktor-san, sourit la mère de Yuri. Que puis-je pour vous?
- Je voulais vous prévenir que Yuri va me tenir compagnie dans l'onsen.
- Oh! D'accord pas de problème, mais il n'y avait pas besoin de me prévenir, je l'aurais deviné! déclara-t-elle avec un sourire jovial.
- C'est juste que, Yuri s'inquiétait pour son dessert, dit-il en riant.
La mère de ce dernier secoua la tête en se joignant à son rire.
- Cet enfant est un estomac monté sur patins, soupira-t-elle.
- Et encore, vous n'avez pas vu son regard quand il m'a donné l'assiette tout à l'heure! rit-il de plus belle. On aurait dit que je lui avais volé sa raison de vivre.
- Et je me demande si ce n'est pas effectivement le cas, dit-elle, mi-amusée, mi-désespérée.
Ils rirent tous les deux.
- Allez mon garçon, retournez vous baigner vous allez prendre froid. Je vous laisserai des Pinyin* au réfrigérateur.
- Arigato, Katsuki-san, prononça-t-il avec un fort accent russe.
Elle rit de bon cœur et il repartit vers l'onsen. Son estomac s'était réveillé d'un coup lorsqu'il avait senti la bonne odeur qui régnait dans la cuisine des Katsuki.
Il repassa la porte des bains et laissa choir sa serviette sur le bord de la piscine vaporeuse. Il se glissa dans l'eau chaude et nagea tranquillement jusqu'à l'endroit où il avait laissé son repas.
*
Une fois Viktor parti, je soufflai, le cœur battant. Il veut que je me baigne avec lui... Pourquoi? J'avais l'impression qu'on jouait du tambour dans ma poitrine. Ce ne serait pas la première fois que je reste quelques temps dans l'onsen avec un homme, j'y vais depuis que je suis tout petit. Je ne compte plus le nombre de clients que j'ai croisé dans l'eau chaude. Mais Viktor n'est pas comme les clients habituels.
Je jettai un coup d'œil rapide à l'anneau d'or qui brillait à mon doigt. Non, décidément, il n'est pas comme tous les autres.
Je guettais nerveusement la porte, craignant, et malgré moi espérant qu'il réapparaisse.
Soudain, je devins écarlate, avant de pâlir brusquement. Je vais devoir aller dans l'eau. Sans mes vêtements. Et si Viktor arrivait alors que je ne suis pas encore dans le bassin? Je me mis à paniquer et me dépêchai de me déshabiller. Après avoir survécu à une tentative d'étouffement de la part de mon col roulé, et avoir failli chuter en me prenant les pieds dans mon pantalon, j'étais enfin débarrassé de mes vêtements. Je ne perdis pas de temps et me glissai dans l'eau, frissonnant malgré la chaleur.
Une douce odeur vint me titiller les narines. Je commençai à saliver. L'assiette de porc de Viktor.
Je m'enfonçai dans la vapeur, guidé par le parfum familier, faisant plisser l'eau dans mon sillage.
Je finis par arriver à un renfoncement dans lequel le bassin s'étendait et clapotait paresseusement. L'assiette était là. Alors c'est ici son coin favori...
Je me dirigeai vers le bord et m'assis sur une haute marche, le dos appuyé contre la paroi du bassin. L'eau faisait des ronds autour de moi. Cela faisait si longtemps que je n'avais pas pris un bon bain. Je continuai à regarder les motifs aqueux, perdu dans mes pensées. Tellement que je ne vis pas Viktor arriver dans le bassin.
- Oh. Yuri... dit-il, un sourire dans la voix. Je savais que je te trouverais ici.
- Pourquoi? bafouillai-je, reprenant subitement conscience de la situation.
- Le porc pané, ricana Viktor en me montrant l'assiette de viande.
Je m'empourprai, honteux.
- Je vais être jaloux... susurra-t-il, un faux air boudeur sur le visage.
- De quoi? bafouillai-je, rougissant de plus belle.
Il désigna son assiette avec un air bougon.
- Tu l'aimes plus que moi!
- Quoi? bégayai-je, perdu. Mes yeux faisaient des allers-retours entre Viktor et le plat fumant. Mais... Mais non!
Viktor vint s'asseoir près de moi. Très près. Excessivement près. Sa respiration chatouillait mon épaule.
- Viktor!... frémis-je, m'écartant de quelques centimètres. Qu'est-ce que tu...
Je me tus brusquement. Sa main venait de se poser sur ma taille. Je le dévisageai, écarlate.
- Il me semble qu'on avait un marché... murmura-t-il.
Je déglutis.
- Un marché? bredouillai-je.
Il me rapprocha de lui.
- Tu devais me rapporter l'or... souffla-t-il à quelques millimètres de mon oreille.
Je frissonnai et baissai la tête.
- J'ai fait de mon mieux...
- Mais ce n'était pas assez pour gagner... Je pensais que je t'avais suffisamment motivé. Il prit un air boudeur.
- Mais j'ai battu ton record du monde! Je ne pensais même pas en être capable... Mais grâce à toi, j'ai réussi! dis-je en insistant sur ma dernière phrase. Comment j'aurais pu imaginer que Yuri aussi réussirait cet exploit? Avoue... toi non plus tu ne t'attendais pas à tout ça... Je relevai les yeux vers lui, le défiant du regard.
Il mordit sa lèvre et plongea ses perles océanes dans le chocolat de mes iris avant de se lancer.
- Je suis véritablement surpris d'avoir été battu. Pas parce que je me croyais imbattable, je savais que cela arriverait tôt ou tard. Mais ce qui a vraiment retenu mon attention, c'est le naturel, et l'apparente facilité que vous avez montré en réalisant ses prouesses. Je connaissais vos deux potentiels, mais tu étais mon favori.
Je souris timidement tandis qu'il poursuivait son monologue.
- Et tu m'as épaté. Réussir là où moi j'avais échoué, c'était un coup de maître! Tu as tout mon respect, Yuri.
Son accent russe s'était fait plus sensuel, me faisant frissonner.
- Mais je sais que tu peux faire encore mieux que ça.
Je le regardai, les joues roses.
- Il faudrait me motiver encore plus...
- Comment Yuri? Dis-moi.
- Je ne sais pas... que serais-tu prêt à faire pour l'or?
- Je suis prêt à tout... Je crois que... si jamais tu me ramènes l'or, je serais capable de te faire un enfant.
- Heiiin?! m'écriai-je, estomaqué. Mon cœur battait de manière totalement désordonnée dans ma poitrine.
- Ça ne te plaît pas comme idée? demanda-t-il en faisant la moue.
Comment lui dire?! Je me mis à balancer ma jambe dans le bassin, cherchant en vain comment lui avouer. Ce qu'il m'a proposé... J'en meurs d'envie mais...
- Mais?
Je revins brutalement à la réalité. Viktor me dévisageait avec un sourire victorieux.
Je cachai mon visage entre mes mains, terriblement gêné. Je l'avais dit à voix haute!
- Mon petit Yuri a des pensées pas très propres on dirait... se moqua-t-il gentiment.
- C'est pas vrai! niai-je de manière totalement éhontée.
Il approcha son visage du mien et embrassa le bout de mon nez, un air rieur sur le visage.
- Menteur.
Il se mit à me chatouiller en riant. Je sursautai violemment et me débattis, mes éclats de rire se mêlant aux siens.
Viktor, je te le promets : l'année prochaine, je te donnerai l'or.
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* Les Pinyin sont des pâtisseries asiatiques traditionnelles. Ce sont des sortes de boules jaunes toutes molles enrobées dans de la coco et qui se mangent une fois passées au micro-ondes. Délicieux *q*
Hello! Ça faisait longtemps que je vous en parlais (pour ceux qui lisent mon eremin), le voilà! J'ai enfin terminé mon OS Vikturi! Je ne vais pas y aller par 4 chemins : il vous a plu? :)
Donnez-moi vos avis c'est très important, ça m'aide à progresser! (Et ça me fait super plaisir 😊)
J'ai plusieurs idées d'OS à venir, notamment de l'eremin, des ships snk assez... originaux si j'en crois les retours qu'on m'a fait, et des scènes bonus de fictions que j'ai lues (avec l'accord de leur auteur bien sûr). J'ai aussi un projet de fanfiction sur Eyewitness (une série yaoi incroyable! Si vous ne l'avez pas vue, je vous encourage à la voir! Pour ma part j'ai regardé la version US, mais il existe une version norvégienne et une française (Les Innocents)).
Pour le tome 2 de Mon Ange Gardien, il faudra attendre encore un petit moment, car je participe à un concours de nouvelles et je travaille donc sur ce que je vais présenter. Mais je le ferais un jour, promis!
Je crois que j'ai fait le tour... à une prochaine fois les pinguz!
Dof.
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