Tu as raison

  Gabriel poussa la porte et entra dans la chambre de Nathalie, un plateau à la main et un sourire aux lèvres. 

 Voir Nathalie chaque matin et chaque soir, prendre soin d'elle, la voir sourire parfois, cela le rendait profondément heureux. 

 Quand elle croisa son regard, elle leva les yeux au ciel et poussa un soupir. Elle le repoussait depuis quinze jours, mais il s'entêtait. 

  « Monsieur, arrêtez de faire ça... Vous me rendez folle...

— Faire quoi, Nathalie, demanda-t-il avec tendresse en s'asseyant sur le lit.

— Vous occuper de moi, faire comme si j'avais de l'importance...

— Vous en avez, bien plus que vous ne voulez croire.

— C'est faux, je...

— Nathalie... Si je me bats encore, c'est parce que vous n'êtes pas guérie. Quand vous le serez, je n'aurai plus rien à demander.

— Monsieur, enfin... Et ?

— Je m'en fiche. C'est de vous dont j'ai besoin. Pas d'elle.

— Je ne peux pas accepter. Nous avions promis...

— Nous avions promis de ne pas nous arrêter à sa mort. Nous nous sommes arrêtés bien trop longtemps. Elle ne nous en voudrait pas de repartir ensemble. »

Nathalie sourît en se redressant sous les draps. Elle regarda Gabriel, avec amour. Mais ce qu'il lui proposait était impensable.

« Nous ne pouvons pas. Même sans elle... Adrien ne...

— Adrien comprendrait parfaitement. Ne le prenez pas comme excuse pour me rejeter.

— Je ne peux pas. J'ai l'impression de la trahir, de... d'être parjure, de ne pas faire ce qu'il faut.

— Pas moi et s'il y avait réellement un mal, je le sentirais. Je n'ai pas l'impression de faire le mal en vous aimant, en prenant soin de vous. Nous ne commettons pas de crime en étant ensemble.

— Ne promettez pas, n'essayez pas de me convaincre, ne me tentez pas. C'est impossible.

— Je vous prouverai que ça l'est. Nous ne sommes obligés à rien, nous sommes libres de faire ce qu'il nous plaît. Et je veux vous aimer.

— Quand le rêve finira, nous souffrirons plus encore. On ne peut pas monter à l'assaut du ciel et réécrire le destin.

— Vraiment ? »

Il se leva, et lui tendît la main pour qu'elle se lève. Il lui sourît, et quand elle le rejoignît hors du lit, il l'entraîna dans un mouvement de valse, tendrement.

« Je ne crois pas au destin, mon amour. Si je veux un avenir avec toi à mon côté, il n'y a rien qui m'en empêcherait, sauf ta volonté. »

Nathalie retînt son sourire. Ça faisait près de quinze jours que Gabriel lui avait dit qu'il l'aimait, qu'il tentait de la convaincre d'accepter.

Et quinze jours qu'elle se battait avec un sentiment de culpabilité et de mauvaise conscience qu'elle aurait voulu noyer sous la force de son amour.

Il prenait soin d'elle, il lui apportait ses repas, il lui souriait, il avait même réussi à la faire rire.

Et elle lui avait avoué comme elle l'aimait, mais comme elle ne pouvait pas y céder, comme elle était déchirée, l'envie de fuir chaque fois qu'il l'approchait et le besoin de courir vers lui dès qu'il s'éloignait.

Mais aujourd'hui, c'était différent. Aujourd'hui, tandis qu'il la faisait encore tournoyer dans sa chambre, elle ne toussait plus. Aujourd'hui, tandis qu'il lui déclarait tout son amour, elle savait qu'elle était guérie. Et qu'elle ne pouvait pas douter de la cause de cette guérison.

Gabriel la faisait danser au rythme d'une musique que lui seul entendait mais à laquelle elle s'accordait sans difficulté.

En voyant qu'elle s'était de nouveau perdue dans ses pensées, dans son dilemme, il s'inquiéta un peu.

« Nathalie ? Tu vas bien ?

— Parfaitement bien, ne t'inquiètes pas.

— Je n'aime pas cette réponse, répondît-il soudainement assombri, tu me l'as faite trop souvent.

— Cette fois, ce n'est pas un mensonge. Je vais vraiment bien.

— Alors pourquoi évites-tu mon regard ?

— Pour ne pas dire que je suis guérie, murmura-t-elle en fixant le sol.

— C'est vrai ?! Mais c'est formidable ! Vraiment, pourquoi vouloir me le cacher ? »

Nathalie soupira. Elle ne pouvait pas expliquer cela, il ne comprendrait pas. Il ne comprendrait pas pourquoi elle faisait ça, comme il ne comprenait pas pourquoi elle restait inaccessible. Gabriel ne pouvait pas comprendre que son corps avait pu guérir seulement parce que son âme était guérie. Et même s'il comprenait... Il voudrait comprendre pourquoi Émilie était morte, ce qui avait manqué pour la sauver, comment son âme à elle avait pu être brisée.

« Nathalie, s'il te plaît... Si tu veux rester silencieuse, il faudra que tu apprennes à maîtriser ton regard. Je peux deviner quasiment toutes tes pensées.

— Vraiment ? Et à quoi pensais-je ?

— Tu refusais de me le dire parce que tu sais comment tu as pu guérir, et tu as peur que je ne comprenne pas. Tu sais que c'est parce que je t'aime, et que ton cœur a pu guérir que ton corps va mieux. Et tu t'es dit que, même si je comprenais, je voudrais savoir et comprendre pour Émilie, comment cela se faisait qu'elle soit morte.

» Et tu crois que c'est ta faute, et que si tu me dis ce que tu penses, je t'en voudrais. Mais ce ne sera pas le cas, Nathalie, je te le promets. »

Nathalie secoua la tête et s'éloigna. Elle ne devait surtout pas laisser son cœur parler, ou elle imploserait. Elle poussa les rideaux et regarda par la fenêtre, tournant le dos à Gabriel. Tout ce qu'elle pourrait dire à présent blesserait. Soit elle le blesserait, soit elle se blesserait.

Elle l'entendît approcher, sentît ses mains sur ses épaules, sa tête sur ses cheveux. Elle sentait sa présence et elle savait qu'il devinait son absence. Elle était ailleurs. Elle ne voulait pas revenir. Elle ne voulait pas l'aimer, elle ne voulait pas céder, elle ne voulait plus exister ici. Elle ne supportait plus ses contradictions, ses paradoxes, ses sentiments.

Elle ne se supportait plus.

« C'est ma faute si elle est morte. J'aurais pu la guérir et je ne l'ai pas fait.

» C'est ma faute si, après son départ, il n'y plus eu de relation entre Adrien et vous.

» C'est entièrement ma faute si le Papillon a agi aussi longtemps alors que vous le désapprouviez de plus en plus.

» Tout est ma faute. »

Gabriel poussa un soupir. Il serra Nathalie dans ses bras, un court instant, simplement pour la rassurer, lui dire qu'il était là pour elle, malgré tout. Malgré son rejet, malgré le combat qu'elle menait contre ses sentiments au point de recommencer à le vouvoyer. Il voulait lui faire comprendre qu'elle ne devait pas avoir peur d'elle-même, qu'elle n'était pas seule. Plus seule.

Mais il ne savait pas comment le lui dire. Elle s'était braquée, elle s'était fermée, elle ne l'écouterait plus pour l'instant. Il le sentait.

Avec regret, il s'éloigna.

« Tu n'as pas tuée Émilie. Tu n'as pas détruit ma relation avec Adrien. Tu n'as pas encouragé le Papillon. Quoi que tu puisses avoir fait qui te pousse à penser ainsi, ce sont des illusions. Je t'aiderais volontiers à les défaire, mais tu ne veux pas.

» Au revoir, Nathalie. »

Elle l'entendît quitter la chambre, ses pas s'éloigner dans le couloirs. Et elle laissa alors son cœur éclater, les larmes inonder son visage, ses résistances disparaître.

Elle se détestait. Elle n'était pas capable de saisir le bonheur à l'instant où il venait, elle devait toujours s'empoisonner avec le souvenir du passé. Et c'était idiot, elle le savait, c'était douloureux, elle le constatait.

Elle voulait être quelqu'un d'autre, juste un instant.

Mais non ! Il m'aime comme cela ! Ça suffit les bêtises, un peu.

Maintenant qu'elle s'était brutalement rappelée à l'ordre, Nathalie se sentait mieux. Elle se sentait prête. Elle était déterminée. Elle avait réussi, en trois phrases, à éteindre son malaise et ses pensées toxiques.

Elle jeta un œil sur le plateau-repas que lui avait apporté Gabriel. Trop chargé, comme d'habitude. Il voulait toujours qu'elle mange plus, probablement en punition de tous les repas qu'elle avait sautés quand elle travaillait avec lui et qu'il n'avait pas pu l'obliger à prendre.

Un plan se dessina dans son esprit. Un plan pour rattraper sa bêtise.

Elle récupéra le plateau, et se dirigea vers le bureau, où elle était sûre de le trouver. Il n'était que sept heures du matin, mais il était un bourreau de travail elle le savait.

En arrivant devant le bureau, Nathalie prît une profonde inspiration, bloqua le plateau à l'horizontale sur son bras gauche, et ouvrît la porte de sa main libre.

« Gabriel ? Voudrais-tu pendre le petit-déjeuner avec moi ?

— Nathalie ? Comment... »

Il s'était tourné vers elle, l'air étonné, mais manifestement heureux. Elle déposa le plateau sur une table basse, et lui sourît.

« J'ai fini par comprendre à quel point c'est bête de te refuser. J'ai enfin compris. Et je n'ai plus l'impression de me trahir. Je n'ai plus l'impression que je fais tout de travers... Comment est-ce possible ?

— Tu avais besoin de passer cette crise, je pense. Avant, tu ne t'acceptais pas. Mais tu n'en étais qu'à demi-consciente. Tout à l'heure, je t'ai en quelque sorte forcée à le constater, en te demandant pourquoi tu me repoussais, en te poussant à reconnaître que tu te sentais coupable de la mort d'Émilie. Tu as eu à prendre ta haine envers toi en pleine face, et ça t'a permis de l'effacer.

— Je crois que tu as raison... »

Elle s'approcha de lui, vînt se blottir dans ses bras ouverts, enfin au clair avec elle-même et n'ayant plus du tout peur.

Il l'étreignît tendrement, déposa un doux baiser sur son front. Ils étaient réunis, ils le seraient pour toujours, rien ne s'y opposerait.

 ************

 1642 Mots.

 Est-ce que il y a un problème d'incohérence ? Peut-être...

  Mais il se règle facilement en considérant qu'ils sont tous idiots dans cette maison ( oui, Nathalie aussi ! Sérieusement... CHAT NOIR !)

 Sinon, j'ai écrit cet OS en trois jours, et... Bon, je me suis lancée dedans en me disant que je le finirai pas, parce que le début me paraissait beaucoup trop bizarre. Mais je me suis accrochée, et voilà.

 C'est pas si mal. 

 Brefouille, la fin est mignonne, la crise de Nathalie était fun à écrire, et j'aime bien l'attitude de Gabriel.

 Et vous, qu'en pensez-vous ?

 Bises,

 Jeanne.

PS:  Merci beaucoup à @Solene79 pour le titre 

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