T'intégrer

Les yeux fixés sur le soleil couchant, Ladybug inspira profondément. La veille, elle avait passé de longues heures à discuter avec Nathalie, à établir un mensonge crédible, à pleurer après avoir combattu et vu son adversaire de toujours mourir. Vu le père de son amoureux se sacrifier pour rejoindre sa femme, ramener Nathalie, apporter la paix, rendre le bonheur possible.

Le mensonge mis en place, elle avait renvoyé Plagg à son porteur, lui disant de porter l'histoire officielle.

Personne ne devait savoir la vérité. Personne.

Sauf un adolescent londonien qui connaissait mieux l'histoire qu'elle, et avait décidé de la lui révéler. Sans qu'elle comprenne.

Elle se détransforma, donna le macaron cosmique à Tikki. Puis devînt Cosmobug, un pincement au cœur. Il y avait de fortes chances que la nouvelle soit mal reçue. La jeune fille secoua la tête en s'élançant dans les airs. Félix lui était presque entièrement inconnu, il n'y avait aucun moyen de savoir comment il réagirait... Mieux qu'Adrien, c'était certain.

En arrivant devant la fenêtre de la chambre de Félix, elle déglutit, inquiète. Du bout des doigts, elle frappa contre le carreau, attirant l'attention du blond allongé sur son lit, le regard perdu au plafond.

« Ladybug ? Que fais-tu ici, s'étonna-t-il en ouvrant la fenêtre et en l'invitant à entrer.

— Je... Je dois te parler. De... de ton oncle.

— Ladybug ?? Que se passe-t-il ??

— Il... Je... C'est..., essaya-t-elle de commencer, les larmes se bousculant au bord de ses yeux, sa respiration coupée alors qu'elle essayait de trouver par où commencer, je... il...

— Chuuut. Marinette, assieds-toi. Respire. Qu'est-ce qui se passe ?

— Il..., la jeune fille inspira profondément, fixant son regard sur un point dans le lointain, essayant de retrouver du calme, il est mort. Il est mort, volontairement. Je... Je crois que je n'avais pas réalisé à quel point je suis choquée de ce qui s'est passé, et pourtant j'ai passé des heures à en discuter avec Nathalie hier...

— Tu veux bien me raconter, Marinette ? Je... J'avoue que je ne comprends pas bien comment ça a pu arriver.

— Tu as dû entendre parler du problème des Alliances hier, et les Miraculisés... Il y en avait partout... C'était... C'était un plan de Monarque, pour nous bloquer Chat Noir et moi. J'ai... C'est juste à ce moment-là que j'ai compris ce que tu m'avais expliqué avec Kagami, l'autre jour. Je suis allée au manoir, pour le confronter, mais j'ai été piégé par les Miraculisés, je me suis cachée dans la cuisine, apparemment Chat Noir avait renoncé parce que Plagg est arrivé, et j'ai fait l'erreur de mettre le Miraculous... Puis Monarque est arrivé, nous nous sommes battus, jusqu'à arriver dans le sous-sol... Il a une salle où il garde le corps d'Émilie... J'ai... Je voulais lui parler, je me suis détransformée, il en a profité pour me paralyser et me prendre les Miraculous. Et puis après... Il... Il a fait l'amalgame... Je... Il n'a pas dit son souhait à voix haute, mais il s'est mis à tourner dans l'air avec le cadavre de sa femme, et ils... ils ont disparu, et il y avait les bagues au sol, et ses alliances aussi, mais pas le Miraculous du Papillon... Je l'ai cherché, mais il s'est volatilisé... Après, j'ai été tout raconter à Nathalie...

— Attends une minute. Si lui est mort. Quelqu'un a ressuscité, non ?

— Je... Je crois que son assistante était morte. Devant moi. J'ai voulu croire qu'elle s'était évanouie seulement, mais à part ça je ne vois pas... Et... On a discuté... Il... Il m'a demandé de ne pas révéler qui il était, alors on a fabriqué un mensonge, pour le reste, mais tu savais... Donc tu as droit à la vérité... Puis... Tu connais mon identité... Comment, d'ailleurs ?

— Tu demanderas à Kagami. C'est son idée. Elle m'a pointé deux-trois indices, mais je n'ai pas tout le tableau. Notamment le fait que tu n'aies jamais été akumatisée, alors que tout ceux qui s'approchent d'Adrien l'ont été.

— D'accord... Je...

— Est-ce que tu as besoin d'aide ?

— Pour ?

— Lui dire. Je sais où il est, j'ai traqué ses émotions il y a quelques jours, je savais qu'il serait très mal quand j'ai appris que son père l'envoyait à Londres, je voulais savoir où il était, pour pouvoir le réconforter si besoin...

— Je... Je crois que c'est mieux si on attend. Qu'il revienne, peut-être. Nathalie m'a dit qu'elle le ramènerait à Paris. Il l'apprendra assez tôt. Et... J'ai besoin de temps aussi. Je... n'aime pas mentir. Et je vais devoir lui mentir, tout le temps, en plus de Ladybug, et j'ai besoin de me préparer. C'est ridicule mais...

— Non, ce n'est pas ridicule, répondit son interlocuteur en effleurant la broche qui scintillait sur le côté de sa chemise.

» C'est tout à fait normal. Ça a été beaucoup, en très peu de temps. D'abord tu as dû essayer de faire comprendre à mon oncle que tu avais le droit d'aimer Adrien, et qu'il devait avoir le droit de t'aimer aussi, que ce n'était pas criminel, alors que Monarque te rendait folle. Puis, de ce que j'ai entendu, Chloé et Lila ont essayé de rendre le lycée infernal et de te piétiner glorieusement. Alors que tu argumentais encore ton droit au bonheur. Ensuite, Chloé s'est alliée à Monarque pour faire régner le chaos dans ta ville, en mettant une prime sur ton identité d'héroïne. Puis, à la seconde où ça a commencé à se calmer, tu as été séparée de force du garçon que tu aimes. Et maintenant, tu te retrouves à devoir gérer l'identité de ton adversaire de toujours et sa mort. Le même jour. Tu as à peine eu le temps de respirer depuis trois semaines, Marinette. Alors prends le temps. C'est pour ça que je propose de l'aide pour l'annoncer à mon cousin, que je ferai tout ce que tu jugeras nécessaire. Je... J'ai parfaitement conscience d'avoir une énorme part de responsabilité dans ce bazar, d'avoir soufflé une partie de ta vie comme un château de cartes, d'être la cause de l'apparition de Monarque... Je ne pensais pas qu'il dégénérerait à ce point. Je suis désolé...

— Ce... Je ne t'en veux pas, je crois. Je ne t'en veux plus. Après ce que tu as fait en Flairmidable, je t'en voulais beaucoup. Mais... Quand tu m'as tout expliqué, quand tu m'as révélé être un Senti, j'ai commencé à comprendre, et maintenant, ça fait totalement sens. Tu... Tu ne pouvais pas prévoir qu'il oserait devenir aussi fou, mettre de tels projets en place, jusqu'à se blesser au cataclysme de Chat Noir, jusqu'à mourir face au pouvoir absolu. Ce n'était pas prévisible et tu voulais juste être libre et en sécurité. Je comprends.

— Merci, Ladybug.

— Merci à toi, Argos. Je ne sais pas comment je vais m'en sortir...

— Tu connais l'histoire que tu veux raconter au monde ?

— Oui. Monarque a piraté le système de communication interne des alliances et en a profité pour transformer tous ceux qui en portaient, afin de les lancer à mes trousses. Gabriel Agreste s'en est aperçu et, alors que j'essayais de me réfugier au manoir en me disant que le créateur des bagues trouverait sans doute une solution, Monarque m'a retrouvée, nous avons combattu, violemment, ton oncle a essayé de s'interposer, Monarque l'a jeté contre un mur si violemment que son crâne a cédé et il est mort sur le coup, et ensuite Monarque s'est emparé des Miraculous, il a formulé son vœu de manière silencieuse, et la réalisation de celui-ci a mené à sa mort... Puis le corps a disparu, donc je ne connais pas son identité. J'ai pu récupérer les bagues en lesquelles il avait transformées les Miraculous, mais le Miraculous du Papillon lui-même a disparu. Et quand j'ai lancé le Miraculous Ladybug, le corps de Gabriel Agreste a disparu.

— Bien. Tu sais ce que tu as à faire, pas vrai ?

— Le dire. Je... Je dois raconter le mensonge. Mais... Je ne veux pas, murmura la jeune fille, la voix humide de sanglots, je ne peux pas, chaque fois que je le dis c'est plus réel, et je peux pas... je ne sais pas comment accepter ce qui s'est passé...

— C'est un deuil. C'est normal que ce soit difficile, c'est pas évident. La première chose, c'est de ne pas t'enfermer dans le déni. Tu connais la vérité. Tu l'as dite à Nathalie, tu me l'as racontée. Répète-la-toi, encore et encore. Même si les scènes font mal. Ré-écris le. Brûle le papier au besoin. Tu ne dois pas nier. Une fois que le choc et le déni seront passés, tu pourras avancer plus facilement. Ne laisse pas la colère td dominer. Tu seras folle contre le destin, c'est la réaction logique. Mais ne laisse pas cette colère ternir ton âme et tes interactions. Puis viendra la tristesse. Ce sera dur, parce que tu vas devoir faire semblant. Parce que tu ne peux pas montrer au monde que tu es triste de la mort de Monarque. Et Ladybug ne peut pas pleurer Gabriel Agreste. Mais tu as un cœur immense, tu seras triste. Longtemps. Et fort. Après, tu vas accepter. Et tu pourras recommencer à vivre dans un nouvel équilibre. S'il te plaît, Ladynette, n'oublie pas de vivre. D'aimer.

— Comment... Comment tu sais tout ça sur le deuil et la mort ?

— Quand mon père est mort, j'ai dû faire mon deuil vite. Trop vite. Parce que Maman n'arrivait pas à se ré-équilibrer. Même si il lui faisait vivre un enfer permanent, elle s'accrochait à lui. J'ai passé des heures à lire des bouquins de psychologie, à décortiquer des articles, à étudier. Je ne vais pas à l'école, alors c'était facile. J'ai appris les étapes du deuil. Cinq, six ou sept suivant les découpages. Le choc, pas toujours comptabilisé, le déni, la colère et le marchandage sont souvent fusionnés, puis la tristesse, et la résignation. Après, à la fin, il y a l'acceptation et la reconstruction. Je ne sais pas si tu vas marchander beaucoup... Probablement pas. Les étapes varient en longueur, et parfois en ordre pour les premières, suivant le contexte, la personne, les relations. Je me suis transformé en espèces d'encyclopédie sur pattes, pour pouvoir aider Maman. Alors je sais comment ça marche.

— À ton avis, il était bloqué où, ton oncle ?

— Colère et marchandage. Je sais qu'il a eu une période de déni assez longue, mais après c'était du marchandage. Qui s'exprimait sous forme de colère, parce qu'il ne savait pas digérer ses émotions. Et quand tu l'as mis en face de ses crimes, il a passé toutes les étapes restantes d'un coup. L'acceptation étant celle de sa propre mort. »

L'héroïne resta un long moment silencieuse, laissant les paroles de Félix s'imprimer en elle. Avec cette analyse, tout faisait plus de sens. Tant l'attitude de Gabriel, du Papillon au fil des trois dernières années que ses réactions depuis la veille, le choc chaotique qui avait tiré toutes les larmes de son corps pour avoir une réaction, puis le déni, engendrant une souffrance à chaque fois que l'histoire revenait à son esprit, à chaque fois qu'elle cherchait à la raconter. Puis le marchandage qui s'était imposé une fois ou deux à son esprit avant de renvoyer Plagg, l'idée qu'elle pourrait peut-être encore changer les choses, et la colère sourde qui naissait.

Tout se mélangeait. Tout restait confus. Mais au fond, tout faisait sens. La logique des mots, la conscience de la situation s'emparaient d'elle, le monde et les événements restaient irréels, mais d'une irréalité qu'elle pouvait contrôler comme un rêve lucide, elle pouvait choisir où elle allait.

Je ne m'énerverai pas. Ou seulement contre ceux que je ne peux pas blesser...

Elle prit une grande inspiration, les yeux fermés.

Maintenant, elle savait ce qu'elle devait faire.

Trouver Adrien. Lui raconter le mensonge officiel. Rentrer à Paris. Rencontrer Nadja Chamack pour lui transmettre l'histoire.

Ça avait l'air si facile.

Ce soir ce serait fait, et elle réfléchirait à elle-même ensuite.

D'un sourire elle remercia le garçon assis à côté d'elle et lui demanda de l'emmener à celui qu'elle aimait. Les larmes avaient séché sur son visage.

Ça allait bien se passer.

************

Deux semaines plus tard, 30 juin.

Félix déposa sa valise sous la fenêtre, esquissant un sourire gêné à l'adresse de son cousin. Adrien était retourné à Paris le soir après que Ladybug lui avait raconté la version officielle du combat final. Et maintenant, Amélie et son fils venaient habiter à Paris, parce que légalement, la garde d'Adrien revenait à sa tante, et elle n'avait pas le cœur de le faire venir à Londres, qu'elle-même voulait fuir.

« Je... Je suis désolé...

— Pour ?

— Ton père. Je... J'imagine que ça doit être compliqué, vraiment, et... je veux juste que tu saches que je suis attristé aussi...

— Tu n'as pas l'air convaincu, nota Adrien avec un sourire taquin.

— C'est juste que j'ai aucune idée de ce que ça peut faire de tenir à son père ! Le mien me détestait et j'avais surtout peur de lui, mais je sais que toi c'était différent, et je sais à quel point tu es touché par la mort de mon oncle, et ça me fait de la peine... Je suis triste qu'il soit mort, parce que je tiens à toi.

» Tss, I'm ridiculous, does that even make sense?

— It does. I... I am happy not to be alone in the pain, actually. Et... Je... J'ai fait un peu des recherches sur le deuil, mais... Est-ce que toutes les étapes existent toujours ? Parce que... C'est bizarre, mais c'est comme si je m'y attendais. Je... Fin il y a eu un peu de choc quand Ladybug m'a raconté ce qui s'est passé, mais le déni, pas du tout...

— Alors... De ce que j'ai lu, les étapes du deuil sont surtout des espèces de courant, elle sont déduites d'observations par des psys sur leurs patients, de ressentis partagés, d'études menées. Ce sont des tendances qui se retrouvent, mais qui varient suivant les individus, en durée et en intensité, ainsi que dans leurs manifestations. Ce n'est pas tant des cases à cocher qu'un trajet construit par l'esprit pour arriver à la reconstruction.

— D'a... d'accord. C'est intéressant d'étudier l'esprit humain et ses mécanismes...

— Oui, très.

— Oh. Il faudra que je te présente correctement à mes amis, aussi ! Parce que la dernière fois que tu as interagi avec eux, ça c'est assez mal passé... Je ne voudrais pas qu'ils te détestent juste à cause de ça...

— Il n'y a pas que... Il n'y a pas que ça... Quand Risque a été akumatisé, et qu'on avait échangé d'identité pour que tu t'échappes... C'est... C'est ma faute si Monarque a pu... a pu accéder aux Miraculous...

— Seule Ladybug le sait. Et... je ne crois pas qu'elle t'en veuille encore... Quant à moi... Tu ne savais pas... Et tu devais avoir des raisons de faire ça...

— Je... Non. Vraiment je ne savais pas. Je ne pensais pas qu'il vrillerait ainsi... Et... j'avais peur. Avec le Paon, il aurait pu se construire une armée d'esclaves sur-puissants, entièrement dévoués à sa cause... Je voulais empêcher ça, et ça a été encore pire, murmura le Londonien en évitant soigneusement le regard de son cousin, les yeux baissés.

— Ça arrive... On ne peut pas toujours prévoir les conséquences de nos actions, et tu as fait pour le bien. Je... Je sais que je risque de te tenir responsable, par moment, j'espère que je ne serai pas trop insupportable...

— C'est déjà pardonné. J'accepterais ta colère, parce que ça pourrait te faire du bien.

— Tu n'as pas à souffrir pour moi, Félix.

— Merci...

— C'est rien. Tu as autant de valeur que n'importe qui, tu sais ?

— Je vais essayer de te croire, répondit le Londonien avec une petite grimace, même si je n'ai jamais appris que le contraire, que j'étais un monstre, un problème, un désagrément. Mon père était dur, et il n'aimait pas, il faisait sa loi... Et c'est ce qui s'est imprimé en moi, malgré ses absences récurrentes et la douceur de Mummy, la tendresse avec laquelle elle s'occupait de moi.

— On t'apprendra. Je te le promets.

— Merci. »

Félix laissa un sourire timide éclairer son visage. Il ne s'était pas attendu à un tel accueil, une telle gentillesse de son cousin. Il savait qu'Adrien avait un cœur d'or, bien sûr, mais il s'était attendu à un rejet, puisque chaque fois qu'il était ouvertement venu à Paris ces dernières années, il avait provoqué catastrophe sur catastrophe, jusqu'à mener à la mort de Gabriel.

Et pourtant, le blond l'accueillait avec gentillesse, avec un cœur ouvert, avec une volonté de reconstruire une complicité, sans colère, sans culpabilisation.

Le porteur du Miraculous savait que la période de colère qui se profilait à l'horizon n'en serait que plus difficile, mais il l'acceptait. S'il pouvait se créer des bons souvenirs avant, il saurait tenir, il en était certain.

************

Trois semaines plus tard, vingt-et-un juillet.

Félix était perché sur le toit du manoir, regardant la lune qui brillait, des mots de douleur et d'accusation résonnant dans son esprit. Adrien et lui s'était disputés. Encore. Et chaque fois, ça lui faisait plus mal. Son cousin était dans sa phase de colère. Et il était en colère contre le monde entier. Même Marinette ne sortait pas toujours parfaitement indemne des discussions avec son amoureux. Cela durait depuis déjà une semaine et demi, le moindre petit accrochage, le moindre petit problème explosait volcaniquement, et Félix ne savait pas répondre pacifiquement, alors les cris fusaient dans la chambre. Il acceptait la faute, il acceptait les reproches, mais Adrien se transformait, à tel point que Plagg avait caché le Miraculous parce qu'il avait peur.

Les mots fusaient. Et avec difficulté, le Londonien tentait d'en retirer les échardes sur son cœur, de retenir l'envie de tout dire, de tout lâcher, mais il ne voulait pas voir la destruction, la trahison dans les yeux de son cousin, alors il encaissait, comme il pouvait, s'évadant quand la tension était trop forte.

« Duusu ? Qu'est-ce que je peux faire ?

— Tu perçois ses émotions, non ? Tu sais ce qu'il ressent.

— Il est en colère contre lui-même. Parce qu'il n'a rien pu faire. Mais il ne comprend pas vraiment ça, il s'en veut... Et il réagit comme moi, au début, pour se protéger, pour ne pas se blesser. Il ne peut pas s'en vouloir, alors il projette sur les autres. Comme je faisais quand j'ai vu mon père mourir, quand j'ai découvert les actions de Monarque, quand je l'ai vu déteindre sur mon oncle au point que... Au point que Gabriel devenait aussi dur, intransigeant et sans-cœur que Colt. Je prétendais que je n'avais rien à voir avec ça, que mon père était juste malade, que mon oncle laissait juste tomber un masque, que ce n'était pas le pouvoir. Je protestais contre eux. Et ça m'a pris du temps de passer par-dessus.

— Est-ce que tu l'as fait seul ?

— Non, bien sûr que non. Kagami m'a énormément aidé. C'est grâce à elle que j'ai pu comprendre ma solitude, mes regrets, elle m'a dit que je ne pouvais pas continuer à me fuir, que je me devais de me comprendre et m'accepter. Elle a tellement de force...

— Tu es mignon quand tu parles d'elle, taquina le kwami.

— Pfff, soupira le garçon en secouant la tâte, mais sérieusement. Que penses-tu de mon analyse ? Elle est correcte ?

— Oui. Mais Marinette n'est pas capable de libérer Adrien, murmura Duusu doucement, pas parce qu'elle n'est pas forte, mais parce que la colère l'effraie, elle ne sait pas comment la gérer, ni la comprendre. Ce n'est pas son domaine, elle n'y habite pas.

— C'est mon rôle, tu crois, demanda l'adolescent en ramassant un petit caillou noir aux reflets irisés et en le faisant tourner entre ses doigts.

— Je crois que tu as toujours voulu aider ton cousin et que tu en as la possibilité sans risquer de déraper, que tu es même le seul à pouvoir vraiment le faire. Qu'est-ce que tu fais avec ce caillou ?

— Tu vas voir. Duusu, transforme-moi. »

Une seconde après, Argos saisissait un amok, et commençait à façonner un petit oiseau au plumage arc-en-ciel, au bec bleuté marqué d'une étoile rouge, aux yeux noirs reflétants la lumière nocturne en mille éclats, l'un ayant la minuscule pierre ramassée sur le toit pour centre, la pierre où le porteur de Miraculous déposa l'amok.

Du bout des doigts, il caressa la petite tête de l'oiseau, lui murmurant un encouragement à vivre. Puis il se détransforma, montrant sa nouvelle création à son kwami, qui réagit avec des cris émerveillés et un enthousiasme inégalable.

« Tu es vraiment précieux Duusu, tu sais ? Ça fait tellement du bien d'avoir quelqu'un qui s'enthousiasme, qui m'encourage. Kagami a toujours un peu peur, Mummy est suspicieuse, Nathalie comprend mais dit que je devrais faire attention à ne pas les semer dans la nature ainsi. Et Adrien... Je ne sais pas s'il comprend, chuchota l'adolescent alors que l'oiseau sifflait une mélodie douce et mélancolique comme une ballade d'un temps passé, je ne sais pas ce qu'il en penserait...

— Tu devrais lui montrer. Je suis certain qu'il aimerait.

— Peut-être.

— Tu as peur.

— Je connais à peine ses amis, les héros m'acceptent difficilement, sauf Ladybug, parce qu'elle sait. Je n'ai que Kagami, et toi. J'aimerais bien me rapprocher de lui, mais je dois lui mentir, pour le protéger, pour qu'il puisse guérir, je ne suis qu'un manipulateur, et tout ce que je fais est planifié au millimètre, je ne sais pas être libre, et lui il l'est, j'aimerais apprendre mais ça voudrait dire... entrer dans mes insécurités, les mettre en avant et...

» C'est terrifiant, déclara-t-il d'une voix qui se brisait.

— Je comprends. Tu n'as pas besoin de sortir de ton armure pour qu'il t'approche. Ton cousin aime le contact, il aime découvrir l'autre. Alors juste laisse-le entrer. Apaise ses colères comme tu peux le faire, montre-lui ce que tu aimes, comme il t'a montré l'escrime et les patrouilles, les promenades dans Paris et les blagues idiotes. Découvre-lui tes créations, tes arts de combat, tes réflexions philosophiques. C'est comme ça qu'il pourra te connaître et te laisser être libre.

— Tu... tu as sans doute raison. Merci Duusu.

» Oh, tu entends ? C'est lui qui joue, tu crois ?

— Sans doute... »

Une mélodie flottait dans l'air, les touches d'un piano faisant résonner une souffrance, une tristesse immense mais aussi une détermination, une gamme mineure et grave au rythme soutenu, un cœur brisé qui s'emplissait de feu, une envie de combattre traduite par une envolée vers les aigus par instant, la musique était chaotique, bouleversée, mais belle.

Adrien ne jouait pas de son piano, d'habitude, ou très rarement. Comme si un souvenir bloqué l'en empêchait. Mais maintenant, il le confrontait, il exprimait enfin la tempête dans laquelle il vivait depuis le combat final de Ladybug.

Félix effleura son oiseau du bout des doigts, lui murmurant de le suivre avant de se retransformer pour retourner dans la chambre partagée, il laissa tomber son costume en arrivant silencieusement sous la fenêtre, le Senti perché sur son épaule, écoutant avec lui les phrases musicales dévoilant l'âme torturée du Parisien.

Au bout de quelques minutes, les mains du garçon s'immobilisèrent au-dessus du clavier.

« C'était beau.

— M... Merci ? Depuis quand écoutes-tu, s'étonna le pianiste avec surprise.

— Peut-être une minute après que tu aies commencé à jouer. C'était vraiment joli... et très sincère...

— Ça m'aide. De jouer, expliqua-t-il en se levant.

» C'est plus simple que les mots. Mais c'est devenu difficile, depuis la mort de Papa, à cause des fois où on a joué ensemble. Le faire seul ce n'est plus pareil...

— Je te comprends, je crois...

— Pourquoi est-ce que je suis en colère, Félix ?

— Je ne dois pas te répondre. Il... faut que tu trouves la réponse seul...

— C'est bizarre. Mais... Je te comprends, je crois. Tu ne peux pas forcer ta perception des choses sur moi. En fait... C'est plus simple ? Je pense que c'est ça. Je sais que la vérité c'est que je pleurerais toutes les larmes de mon cœur si je me laissais faire, mais la colère prend moins d'énergie que la tristesse. Je ne veux pas pleurer, m'énerver me donne le change...

» Comme si je n'étais pas encore totalement impuissant, que je pouvais encore faire quelque chose, chuchota-t-il avec un air de surprise sincère.

» Voilà c'est ça. C'est encore du déni. Mais plus du fait qu'il est mort, du fait que je n'ai rien pu faire. J'étais Chat Noir, j'aurais dû être avec Ladybug, pouvoir l'aider et le protéger... Et maintenant je m'en veux, alors pour tromper la culpabilité, je m'énerve, sur tout le monde et sur toi en particulier, je décale... Je...

» Je suis désolé, murmura-t-il, les larmes perlant au bord de ses yeux alors qu'il retombait sur le tabouret derrière lui, j'ai été infect, je t'ai insulté, je me suis embrouillé avec tout le monde, même en Chat Noir, même avec les héros, j'ai fait n'importe quoi, je... »

Sa voix se brisa dans un sanglot, son cœur éclatant entre les phrases et les excuses qu'il essayait encore de trouver alors que son cousin s'asseyait à côté de lui et le prenait dans ses bras calmement, l'autorisant à craquer, à laisser la tristesse l'envahir et briser les digues, sans l'abandonner, les larmes du Parisien roulant dans le cou du Londonien, la tendresse les réunissant doucement, alors que l'oiseau chantait des trilles délicates et complexes, sifflant la paix et les pertes, l'apaisement et la tristesse, réunissant en musique les deux adolescents qui avaient oublié comment se parler.

Les larmes coulaient.

Le chant résonnait.

Les cœurs se réparaient.

La tendresse coulait.

La nuit brillait.

La paix était enfin là.

************

Un mois et demi plus tard, trois septembre.

Adrien referma son sac de cours avec un sourire. Les cahiers étaient préparés, son épée rangée dans son fourreau sur le côté, et un petit stock de camembert était glissé dans la poche intérieure. Demain, c'était la rentrée, et il avait hâte de redécouvrir le lycée avec les nouveaux aménagements de Mademoiselle Bustier, de retrouver ses amis, d'explorer.

Il était légèrement inquiet aussi, parce qu'il se rappelait que la première akumatisation avait eu lieu le jour de la rentrée de quatrième. Mais il y avait l'équipe maintenant, ils avaient fait une ronde tous ensemble deux jours avant, pour répartir des mini-rondes chaque jour, tout allait bien se passer.

Il se tourna vers Félix, recroquevillé sur son lit depuis une bonne demi-heure, à discuter inaudiblement avec Duusu.

« Hey. Félix. Ça va bien se passer, déclara le Parisien en s'asseyant sur le lit et en décoiffant gentiment les cheveux de son cousin, tout va bien.

— Comment tu peux en être sûr ?

— Ça s'est toujours plutôt bien passé à l'école, à part quand Chloé et Lila ont décidé de prendre le pouvoir à la fin de l'année dernière et de semer le chaos. Et avec le système de Mademoiselle Bustier, on va majoritairement avoir des classes autour de nos intérêts, de nos passions, ce qui signifie qu'on aura déjà un point de départ avec nos camarades, donc on risque moins de s'ennuyer, même s'il y a des sujets embêtants quelle que soit la matière.

— Il y a ça aussi... Je ne sais pas vraiment ce que j'aime...

— Tu aimes la stratégie, la planification. Tu aimes les arts martiaux aussi. Et la musique. Ça fait déjà des points de départ. On va avoir la liste des différents cours demain, tu pourras choisir ce qui t'attire le plus !

— Mm... Tu as raison... Mais y a aussi... C'est mon premier jour d'école. De toute ma vie. Et ça fait peur.

— Oui, c'est impressionnant. Je me rappelle, j'avais peur de ne pas savoir faire connaissance avec les autres, de faire n'importe quoi, de me présenter comme un intrus. Et ça a failli, parce que la seule personne que je connaissais, c'était Chloé, et comme c'était la grande antagoniste du collège, ça partait pas bien. Mais Marinette a accepté de voir au-delà de ça, Nino m'a intégré, et tout c'est bien passé. Toi, tu as déjà des amis, tu connais des gens ! Et puis tu aimes bien découvrir les autres, pas vrai ?

— Si, c'est exact... Comment ça va se passer demain, tu crois ?

— Je pense qu'on va avoir une réunion, pour nous expliquer comment ça marche, nous distribuer les papiers importants, les fiches avec les options... On a probablement un professeur référent par âge. Je ne sais pas trop. On verra. De toute façon, on a rendez-vous à quatorze heures au lycée avec les autres, ça va aller.

— Oui...

— Tout va bien se passer, pas vrai, interrogea Adrien en jouant une pointe d'inquiétude.

— Bien sûr ! Tout ira bien. On fera en sorte que tout aille bien.

— C'est marrant, non ?

— De quoi ?

— Que l'on ait besoin de rassurer, de protéger l'autre pour se sentir mieux. Alors qu'avec les autres, on a pas besoin de faire ça. Là, tu avais besoin d'être rassuré, ça se voyait, alors j'ai fait semblant de m'inquiéter et tu m'as dit que tout irait bien. Et tu le pensais, n'est-ce pas ?

— Je... Oui. Oui, je le pensais. Je ne pouvais pas y arriver seul, mais en le formulant pour te rassurer, je m'en suis persuadé. Et tu as raison, c'est différent. Nous sommes des héros, donc nous protégeons et nous rassurons les civils. Mais si quelqu'un fait semblant de s'inquiéter comme ça, je le sais et ça m'agace prodigieusement. Je ne peux pas perdre mon temps sur quelqu'un qui fait semblant. Et toi ça te déstabilise, tu es toujours très confus quand tu t'aperçois que quelqu'un n'est pas sincère. Pourtant entre nous c'est différent.

— C'est parce qu'on se ressemble, je crois. On est pareil. Avec la même solitude héritée, la même peur de décevoir, le même enthousiasme face à la vie, même si on s'exprime différemment. Donc voir l'autre mimer l'inquiétude, et seulement la mimer, ça dédramatise la situation.

— Tu as sans doute raison...

— J'ai toujours raison !

— Ah ça non, protesta Félix en attrapant son oreiller et en envoyant un coup à Adrien.

— Hey ! Préviens, s'exclama la Parisien en saisissant son propre coussin et en rendant le coup avec un sourire faussement offusqué. »

Les deux garçons éclatèrent de rire, rendant coup pour coup, roulant sur les deux lits voisins, se taquinant et plaisantant, jouant avec plaisir.

Les batailles de polochons pouvaient durer de longues dizaines de minutes, voire plus d'une heure, et c'était leur moyen préféré de finir une journée, d'oublier les inquiétudes.

D'être ensemble et de rire, comme des frères, parce que c'était ce qu'ils avaient appris à devenir ces trois derniers mois.

Avec des disputes, des jalousies, des jeux, des discussions philosophiques, des rires, des taquineries, des secrets.

Ensemble.

Pour vivre l'aventure toujours.

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 5091 Mots.

 Ouf, enfin fini. Je n'ai aucune idée de mon appréciation sur ce texte. Absolument aucune.

 Je sais que j'aime bien le passage avec l'oiseau-Senti et Adrien au piano. Je suis quasi certaine que Félix utilise son Miraculous comme ça par moments, qu'il crée des êtres vivants et leur donne leur amok, pour les laisser libres mais donner de la beauté au monde. Et Adrien au piano c'était génial à écrire. Même si j'y connais toujours rien en musique.

 J'ai bien aimé juste approfondir, fabriquer leur relation. Il manque sans doute des choses par rapport à l'intégration de Félix à Paris, comment ça marche avec les héros, la vraie rencontre avec les amis d'Adrien, mais bon. Du Féligami aussi, mais ça je ne sais pas encore comment m'y prendre... Je verrai. J'ai des plans d'OS pour l'instant, deux narratifs, des musicaux, vous verrez.

J'espère que j'ai pas été trop ouf of character avec Félix (Adrien normalement ça passe), mais il est compliqué aussi. Genre... Est-ce que les épisode Félix et Gabriel Agreste (et Risque/Réplique) c'est vraiment lui ou juste des intrigues pour récupérer sa vie ? A quel point on le connaît en fait ? Baaah pas beaucoup.

 Bref.

 J'espère que ça vous a plu, que c'était bien,

 Dites-moi tout,

 Bises,

 Jeanne.

  (19/01/2024, 00h45)

 

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